DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

dimanche 28 février 2010

P. 245. Amos Oz et la nostalgie rurale

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Amos Oz
Scènes de vie villageoise
Gallimard nouvelles, 2009, 203 p.


Présentation de Gallimard :

- "Nous voici à Tel-Ilan, un village centenaire fondé par les pionniers bien avant la création de l'Etat d'Israël.Une petite communauté y vit entourée de vignes et de vergers, et la vie semble s'écouler paisiblement. Depuis quelque temps pourtant, les gens de la ville envahissent les rues du bourg au moment du shabbat et, avec eux, la spéculation immobilière et la vulgarité. Mais Pessah Kedem, ancien membre de la Knesset, est un vieillard inquiet pour d'autres raisons. Il n'aime pas le jeune étudiant arabe que sa fille Rachel héberge dans l'annexe au fond de la cour et, surtout, il est convaincu que quelqu'un creuse sous sa maison la nuit.L'agent immobilier Yossi Sasson, lui, convoite depuis longtemps la maison de Batya Rubin, une des plus vieilles du village, et lorsque la fille de la propriétaire l'invite non seulement à la visiter de fond en comble, mais se montre très affectueuse à son égard, il croit déjà toucher au but. Sauf que... Kobi Ezra, lui, cherche à surmonter la timidité de ses dix-sept ans pour séduire la jolie bibliothécaire du village, pendant que Gili Steiner, médecin remarquable et célibataire endurcie, attend en vain l'arrivée de son neveu Gideon, dont elle a pourtant cru trouver le manteau clans le dernier car arrivé de la ville.Quant au maire du village, Beni, il ne comprend pas pourquoi sa femme lui a fait remettre une note contenant seulement ces mots : " Ne t'inquiète pas pour moi" ...

En huit nouvelles qui se lisent comme un roman, Amos Oz fait surgir une société villageoise imaginaire. Un décor unique et des personnages récurrents lui permettent de tendre un miroir à nos passions, nos doutes, nos misères et nos joies. Son écriture oscillant entre tendresse, mélancolie et âpreté serre de très près la fragilité de nos vies, et sa manière subtile de nous plonger clans une comédie humaine, certes très israélienne mais surtout universelle, confirme une fois de plus son immense et incomparable talent."

Première phrase, p. 11 :
- "L’inconnu n’était pas un inconnu".

Et autant le confirmer sans plus tarder, lire ce tout début suffit à me faire craquer.
Amos Oz a involontairement donné son nom à l'un des ports en eaux profondes de ma bibliothèque.
Après de longues et parfois inutiles navigations, après des naufrages pas toujours rigolos, après des retraites sur des îlots quasi abandonnés, après des temps morts dans les algues des déceptions, après des évasions fulgurantes comme des étoiles filantes, après le sauvetage de plages engluées, après le recensement toponymique de dunes nomades, après le carrousel des mouettes délirantes, après des bains de brumes, après le relevé de casiers où se dissimule l'un ou l'autre crabe hypocrite, après un week-end loin de Zuydcoote, après bien des vagues mais pas à l'âme, après le sel de la mer plein les poumons, après les chants hallucinants des sirènes, après les messages d'un phare automate, revenir lire un Amos Oz et se sentir encore envies de vie...

Ses dernières nouvelles parviennent de la terre presque ferme, celle d'un village mosaïque. Pour vous glisser dans Tel-Ilan, voici quelques itinéraires, quelques ruelles. Bon voyage et douce lecture !

Amos Oz, enfant - adulte (Mont. JEA / DR).

Brume :

- "Des nappes de brume s’étiraient dans les cours. Il crut sentir deux ou trois gouttes de pluie sur son visage. Il n’en était pas sûr. Au fond, que lui importait ? Il pensa voir un oiseau perché sur une clôture. En s’approchant, il découvrit une boîte de conserve vide."
(P. 144).

Crépuscule :

- "Les dernières lueurs du crépuscule vacillaient au bout de la rue pour me faire signe de venir ou, à l’inverse, m’inciter à m’enfuir à toutes jambes. Les ombres des grands pins et des haies entourant le jardin s’allongeaient dans la rue. Elles n’étaient pas immobiles, mais se mouvaient, se penchaient comme pour trouver un objet perdu. Quand les réverbères s’allumèrent un peu plus tard, loin de reculer, elles ondulèrent à la brise agitant les cimes – on aurait dit qu’une main invisible les mélangeait, les malaxait."
(PP. 107-108).

Gouverneurs :

- "Avant mon arrivée, il y a un quart de siècle ou plus, le village avait reçu la visite du gouverneur du district, accompagné de son escorte (…). Des officiers et leurs secrétaires, des arpenteurs, des religieux, des juristes, un chanteur, un historien officiel, un ou deux intellectuels, un astrologue et les agents de seize services secrets l’escortaient. Le gouverneur avait dicté ses instructions : creuser, dévier, assécher, arracher, assainir, répandre, retirer, moderniser et tourner la page.
Depuis, il ne s’était rien passé.
Au-delà du fleuve, des forêts et des montagnes, plusieurs gouverneurs se sont succédé, à ce qu’on dit. L’un a été limogé, un autre évincé, un troisième a commis un impair, un quatrième a été assassiné, un cinquième emprisonné, un sixième a retourné sa veste, un septième s’est sauvé, ou reposé sur ses lauriers. Ici, rien n’a changé."
(PP. 198-199).

Homme :

- "Quand il entonna « Car je crois en l’homme », on aurait dit que, accablé de tristesse, il exprimait par ces mots une pensée nouvelle, bouleversante, inédite."
(P. 182).

Sèche-linge :

- "Un sèche-linge électrique ? éructait le vieillard. A quoi ça sert ? Le soleil est-il à la retraite ? Les cordes à linge se seraient-elles converties à l’islam ?"

(P. 59).

La version espagnole de "Comment guérir du fanatisme" (DR).

Shoah :

- "Des années durant, nous avions compté parmi nous, à Tel-Ilan, le célèbre écrivain Eldad Rubin – un invalide en fauteuil roulant, auteur de gros volumes sur la Shoah, dont il n’avait pas souffert, ayant vécu toute sa vie au village, à l’exception d’un voyage d’études à Paris dans les années cinquante (…). J’ai bien essayé à une ou deux reprises de me plonger dans les écrits d’Eldad Rubin, mais ce n’était pas ma tasse de thé : atmosphère trouble, déprimante, intrigue qui s’essoufflait, et les personnages étaient d’une tristesse ! Pour ma part, je préférais les suppléments économiques des journaux, la politique ou un bon polar."
(P. 100).

Soir :

- "Le soir tombait. Un oiseau lança deux appels. Que signifiaient-ils ? Nul ne le savait. Un coup de vent passa. Quelques vieux sortirent des chaises au-dehors et s’installèrent sur le seuil de leurs maisons pour observer les passants. De temps à autre, une voiture surgissait pour disparaître au virage. Une femme regagnait lentement son domicile, un sac d’épicerie à la main. Une meute d’enfants déchaînés envahit la rue. Leurs braillements s’affaiblirent à mesure qu’ils s’éloignaient. Un chien aboya, en réponse à un congénère derrière la colline. Le ciel pâlit, tandis qu’à l’ouest on percevait encore les rayons du crépuscule entre les ombres des cyprès. Les montagnes s’assombrissaient dans le lointain."
(P. 149).

Vieux couples :

- "Entre Rachel et lui régnait l’armistice ordinaire propre aux vieux couples, une fois que les querelles, les humiliations, les séparations temporaires leur eurent appris à examiner avec précaution chaque empreinte de pas et à contourner les champs de mines balisés. Cette prudence ressemblait assez, vue de l’extérieur, à une réconciliation laissant place à une sorte d’amitié sereine, de celles qui s’instaurent parfois entre les soldats de deux armées ennemies, se mesurant à quelques mètres de distance, enlisés dans une interminable guerre de tranchées."
(P. 73).

Village :

- "C’était un village somnolent, vieux d’un siècle au moins, avec ses grands arbres, ses toits rouges et ses exploitations agricoles, transformées pour la plupart en caves à vins de production artisanale, d’olives épicées, de fromages fermiers, de condiments exotiques, de fruits rares et de macramés. Les anciens bâtiments avaient été convertis en petites galeries exposant des objets d’art importés, des jouets décoratifs africains, du mobilier indien, vendus à des visiteurs venus en voiture, le shabbat, pour y dénicher des trouvailles censées être originales et raffinées."

(PP 54-55).

vendredi 26 février 2010

P. 244. D. Hasselmann rue des Rosiers...

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Pages nomades (Ph. JEA / DR).

Après Dominique Hasselmann,
Tania, Clopine, Zoé Lucider,
Frasby, Anita et Savarati,
retour à Dominique Hasselmann...


Il est en vacances, son blog aussi. A l'Elysée et dans d'autres lieux de pouvoirs, il y a des ouf de soulagements qui ne doivent pas se perdre... Par contre, du côté du Monde, pas impossible que son retour soit déja attendu avec grande impatience.
Dominique Hasselmann est officiellement aux abonnés absents. Mais en vérité, sa silhouette persiste et signe dans les rues et des détours d'un Paris toujours surprenant. Son appareil photo capte encore et toujours les couleurs, les douceurs ou les douleurs. Que d'images insolites, insolentes, insubordonnées, imprévisibles...

Les instantanés de Dominique Hasselmann redressent des barricades là où les pavés refusent les injustices et les abus. Ses photos ouvrent aussi des plages de rêveries en pleine ville. Révoltes. Nostalgies. En suivant ses itinéraires échappant aux horaires, on échappe aux lois de bien des pesanteurs...

Page nomade de Dominique Hasselmann :

Révisionnisme rue des Rosiers ?

Passant le 23 février, en fin d’après-midi, rue des Rosiers à Paris (4e), je constate que le Hammam Saint-Paul est enfin devenu une surface plus rentable, même si l’on a gardé – comme une sorte d’alibi peinturluré – l’ancienne inscription tout en haut du bâtiment.

(Ph. D. Hasselmann / DR).

Plus loin, le fameux restaurant Jo Goldenberg a cédé, comme prévu, la place à un magasin de fringues. Il faut bien se vêtir avec son temps, et les pyjamas rayés ont été heureusement remplacés par des ensembles, pour femmes et pour hommes, où le noir s’acoquine parfois imprudemment avec le rouge.

(Ph. D. Hasselmann / DR).

En décembre 2008, j’avais déjà noté que ce lieu historique avait été débarrassé – mais par quelle main si peu précautionneuse du respect de l’Histoire ? – du signe public qui gardait vivante la mémoire de l’événement sanglant auquel il fut confronté.

Petit « détail » : depuis, la plaque commémorant l’attentat qui eut lieu contre le restaurant Goldenberg, le 9 août 1982, n’a pas été reboulonnée. Il reste quatre trous sur la façade.

(Ph. D. Hasselmann / DR).

Et ici, maintenant, comble de l’ironie ou du dernier chic, on a gardé l’ancienne toile indiquant la destination passée de l’établissement (Goldenberg, un nom qui figure sur Internet et dans les guides touristiques) pour surplomber un magasin de fripes pour passants friqués, bobos argentés et touristes en mal de sensations.

« Le Temps des cerises », ça s’appelle, cette usine où la vêture a remplacé la conscience : savent-ils même ce à quoi renvoie cette appellation ?


(Ph. D. Hasselmann / DR).

Deux hypothèses : soit Jo Goldenberg lui-même a récupéré la plaque historique, et donc elle aurait dû être dupliquée sur la façade du commerce de vêtements ; soit la maire du 4e arrondissement n’est pas au courant ou bien elle estime, sans doute comme le propriétaire des lieux, que cette inscription aurait « fait tache » à côté de la vitrine présentant des petites robes, « hauts » et pantalons pour une clientèle avide de mode « made in Paris ».

Si, par ailleurs, le vol de cette plaque est avéré, comment expliquer qu'elle n'ait toujours pas été réinstallée sur la façade, selon le souhait exprimé par Bertrand Delanoë en mars 2007 ?

La rue des Rosiers a changé, comme le quartier du Marais. On s’est adapté à la mondialisation, à la marchandisation. Se déplacer pour retrouver ici – à part quelques boutiques vendant encore des spécialités «yiddish», et conservées sans doute pour la couleur locale - les mêmes vêtements que l’on peut trouver aux Halles, voire avenue Montaigne, est-ce pourtant bien utile ?

(Ph. D. Hasselmann / DR).

L’Histoire ne repasse pas les plats : c’est vrai également pour le restaurant Goldenberg et ce qu’il représentait. Que l’on ne s’étonne pas de voir le ministre de l’Education nationale vouloir maintenant raboter l’enseignement de l’Histoire dans les lycées ; c’est finalement dangereux de connaître le passé et de vouloir en tirer des leçons !

L’avenir leur appartient, aux petits maîtres du «business» qui ne font pas, évidemment, de politique.

Le révisionnisme, maladie infantile du capitalisme, a-t-il frappé, là aussi, rue des Rosiers ?

Dominique Hasselmann




mercredi 24 février 2010

P. 243. France, terre d'expulsions ?!?

Graph. JEA / DR.

Najlae expulsée parce que battue :
il y a "quelque chose de pourri
en République française".

7 mai 2007, salle Gaveau. Elu Président de la République depuis une vingtaine de minutes, Nicolas Sarkozy prononce son premier discours :

- "Je veux lancer un appel à tous les enfants et les femmes martyrisés dans le monde, pour leur dire que la France sera à leur côté, qu'ils peuvent compter sur elle."

Paroles ? Paroles ?
Pardon. Des engagements, oui. Et publics. Et solennels. Et qui dépassent la personnalité les énonçant dans l'euphorie d'une victoire électorale. Car chacun(e) y entend la voix de la France. Celle des Droits de l'Homme. Celle qui a choisi l'incomparable devise unissant la liberté, l'égalité et la fraternité. Celle qui fait encore rêver.

Certes, la France, c'est aussi - pour simplifier - le Front National. Mais une minorité, aussi déplorable soit-elle. Les sondages lui prévoient 10% des voix aux prochaines élections dans les Ardennes. Si cette minorité-là voit ses fantasmes haineux devenir réalités sans même avoir à se salir les mains car le pouvoir actuel s'y emploie, alors oui, il y a "quelque chose de pourri en République française". Ce constat aussi attristé qu'indigné a été signé dans Le Monde par un ancien premier ministre belge, chef du groupe libéral au Parlement européen, pas vraiment un gauchiste.

Guy Verhofstadt :

- "Pour ses voisins, la France a souvent été un modèle d'inspiration et d'admiration (...). Elle est source d'accablement pour ses amis qui la voient se perdre dans une polémique stérile sur l'identité nationale. L'opportunité politicienne de ce débat, sa conduite hésitante et ses finalités floues donnent en effet l'impression désastreuse que la France a peur d'elle-même. Il y a décidément quelque chose de pourri en République française.
(…)
Au moment où l'on célèbre le 50e anniversaire de la mort de Camus, il serait paradoxal que la France s'abandonne à une posture étrangère à celle qui a fait sa réputation multiséculaire. Il existe certes une autre France, maurrassienne, chauvine qui ne s'est pas illustrée au mieux lors des grands chocs nationalistes du XXe siècle. Mais de la France qu'on aime et dont on a besoin, on attend des idées, des projets, et non pas le repli identitaire d'une vieille nation frileuse, plus occupée à ressasser les échecs du passé qu'à préparer ses succès de demain."
(Le Monde, 11 février 2010).


A peine l'encre du Monde est-elle sèche qu'éclate l'affaire Najlae.

D'après une campagne publicitaire de reporters sans frontières. Marianne en femme battue (DR).

Message du RESF du Loiret, le 20 février à 10h33 :

"Nous venons d'apprendre l'expulsion express par la préfecture du Loiret d'une jeune lycéenne dont nous ne connaissions pas la situation. Tout c'est fait en même pas 24h. Nous mettons en place la réaction, en liaison avec Resf Maroc.
Najlae, 19 ans, élève en lycée professionnel à Olivet (Loiret) a été expulsée ce matin vers le Maroc.
Il y a cinq ans son père veut la marier. Sa mère lui dit de partir chez son frère en France.
Mais celui-ci la maltraite régulièrement. Mardi dernier les violences atteignent un degré extrême et Najlae se réfugie chez la mère d’une amie d’internat.
Vendredi 19 février, Najlae se rend à la gendarmerie de Châteaurenard, près de Montargis, pour porter plainte.
Elle a un gros hématome à l’œil, le nez enflé, des hématomes importants sur le dos, l’épaule, la cuisse, la main.
Les gendarmes la placent en garde à vue à 15h30. En fin de soirée elle est conduite en rétention, les gendarmes ne veulent pas dire où.
A 4 heures ce matin, elle appelle ses amis pour leur apprendre qu’elle prendra l’avion pour Casablanca à 7h35.
Najlae ne veut pas retrouver sa famille au Maroc car elle sait depuis peu qu’elle est destinée à être mariée à un cousin.
Najlae doit revenir en France le plus vite possible et reprendre ses études.
La justice doit donner suite à sa plainte. La France doit la protéger !"

(Réseau Education Sans Frontières).

Communiqué RESF, 23 février :

- "Le vendredi 19 février au matin, elle se décide à porter plainte contre son frère à la gendarmerie de Château-Renard. Les gendarmes lui conseillent de récupérer ses affaires chez son frère et l’y accompagnent un peu plus tard. Ils en profitent pour prendre son passeport et la placent en garde à vue à 15 h 30. Vers 23 h, elle est transférée à la gendarmerie de Montargis. A ses amis inquiets, les gendarmes ne veulent même pas dire à quel endroit elle se trouve.
C’est à 4 heures du matin que Najlae appelle ses amis pour leur apprendre qu’elle prendra l’avion pour Casablanca à 7 H 35 où elle arrive en fin de matinée.
Najlae ne veut pas retrouver sa famille au Maroc car elle sait qu’elle est destinée à être mariée à un cousin.
Tout dans cette affaire est ignoble. Du début à la fin les droits humains ont été bafoués. Il n’y a pas de mots assez forts pour qualifier ceux qui ont pris ces décisions. Car Najlae avait le droit de saisir la justice pour les violences subies, elle avait le droit de contester le refus de séjour du préfet devant le tribunal administratif : en précipitant son expulsion, le préfet lui a volé ces droits.
Il est vrai que ce sont les mêmes qui avaient déjà envoyé un nourrisson de quelques jours en rétention et qu’ils sont bien connus pour essayer d’expulser les femmes victimes de violences en s’appuyant systématiquement sur les témoignages de leurs bourreaux.

Cette fois, la gendarmerie et la préfecture font courir le bruit que Najlae ne voulait pas porter plainte ! Alors pourquoi serait-elle allée à plusieurs reprises à la gendarmerie ? Les autorités cherchent à se couvrir alors qu’elles sont en tort et qu’une jeune fille est brisée dans son élan et menacée par sa famille !"

Affiche RESF (DR).

Mourad Guichard, LibéOrléans :

- "Depuis son expulsion, Najlae a été arrêtée par la police marocaine et a dû subir un passage en comparution immédiate. Elle est sortie libre du palais de justice. Jointe par téléphone, la jeune femme a fait part de ses conditions de vie à Libération.

«Après être restée 24 heures en prison, j’ai été recueillie par des gens de RESF», explique-t-elle. Elle se dit perdue : «Je ne comprends pas comment, ni pourquoi je suis là. Je suis perdue...». Sa voix est faible. «Elle a vu un médecin ce matin qui l’a trouvée choquée avec une tension très faible», rapporte Xavier, un militant de RESF.
Tous deux ont lu sur le net l’article de
Libération et les nombreuses réactions des politiques, des associatifs, mais aussi des dizaines d'anonymes.
«Je ne m’attendais pas à un tel soutien», raconte Najlae. «C’est grâce à eux tous que je suis forte, que je tiens. J’espère les remercier très vite quand je serai de retour en France. Sans leur soutien, je me ferais quelque chose de mal...».
(22 février).


Sihem Habchi, présidente de Ni Putes Ni Soumises :

- "Intolérable, inacceptable à l'heure où une des grandes causes nationales est la violence faite aux femmes (…).
Les services de l'Etat sont censés renforcer l'accueil des femmes dans les commissariats et les gendarmeries, si les femmes en allant déposer plainte, peuvent se retrouver expulsées, c'est un message qui les renvoie au silence."
(Le Monde, 22 février).


France 3- Orléans- L'expulsion de Najlae
envoyé par laissezlesgrandirici. -



lundi 22 février 2010

P. 242. "Image voilée, image volée..."

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Pages nomades (Ph. JEA / DR).

Après Dominique Hasselmann,
Tania,
Clopine,
Zoé Lucider,
Frasby et
Anita...

Saravati et sa page nomade

Souvenir, souvenir. C'était aux hasards et aux nécessités d'un autre blog que d'aucuns confondaient volontiers avec une niche exclusive. Naïvement, j'y évoquai - sans la nommer - l'une de mes anciennes élèves devenue écrivain, femme de théâtre et chroniqueuse radio. Sous la pression des questions, je n'avouai que l'année (1967-1968), l'établissement scolaire (à Marchienne-au-Pont) et basta. Or une commentatrice prit ce ruisseau minimaliste pour en remonter le faible courant. Ne se laissant pas rebuter par les fumigènes que j'avais semés. Et pour aboutir à la source : Thilde Barboni. Pour ajouter : "A la Foire du Livre de Bruxelles où elle se prêtait à une séance de signatures, je m'en suis approchée mais elle était en grande conversation et cela n'a pas été plus loin"...
Tandis qu'un clébard aboyait aussitôt et par principe que Thilde Barboni était "nulle", comment ne pas être épaté par cette Sherlock, version féminine et belgo-francophone ? Son nom : Saravati.

Pour sortir des sentiers de l'anecdotique, passons à son blog qu'elle oxygène depuis novembre 2007 :
- "Les petits délires de Saravati
de ces petits touts qui ne mènent à rien...
de ces petits riens qui englobent tout".

Plus de 75.700 visiteurs n'y ont pas boudé leurs plaisirs devant ses photos et ses mots, sans chocs artificiels ni pesanteurs étouffantes. Pas de grandiloquence ni d'effets de manche. Pas de prétention amphigourique.
Mais une musique personnelle. Se dérobant à toute clef (même de sol). Qui interroge sur l'envers des décors. Inconfortable. Avec autant d'ombres que de lumières. Ainsi parmi ses derniers billets :
- "Attendre", "Blog illisible", "Démons intérieurs", "Compagnie glaciale", "Couperet", "Fièvre", "Miroir"...

Saravati, transfrontalière aussi, quand elle a accepté de passer de Belgique aux Ardennes de France pour cette page à propos de laquelle elle précise :
- "Je vous envoie un texte écrit il y a quelques mois, un peu avant la polémique sur la burqua, en se mettant dans la peau de celle qui la subit."

Saravati :
- "Photo que j'ai prise en Suède, dans la ville de Karlshamm, un monument dédié aux émigrants, avec un couple qui regarde dans des directions opposées."

Saravati :
"Image voilée
image volée"

- "Vous, vous m’avez volé mon image
Ne la gardant que pour vous
Vous avez posé sur ma tête un carcan
Et devant mes yeux des grillages
Pour que je vois le monde à mon image, morcelé.
Vous avez restreint mon champ de vision
Vous m’avez obligée à baisser constamment la tête
Pour voir où mes pieds que je ne distingue plus
Me mènent malgré moi

Vous avez effacé la beauté de mon visage
Gommé son ovale
Pâlit ma bouche autrefois gourmande
Ternit la fulgurance de ma chevelure sauvage
Pour l’emprisonner à jamais
Vous avez volé ma jeunesse
Et je priais le ciel de ne pas avoir de fille
Que vous auriez aussi façonnée de la même manière
Une enfant à qui j’aurais crier de profiter
A fond de son enfance
Le seul moment de sa vie où elle
Serait vivante et belle
A ses yeux et au regard du monde.

Et le pire, c’est que vous avez enfreint mon âme
Contraint ma volonté à dire que la vôtre
Etait mon choix personnel

Vous, vous êtes maintenant vieux, laid
Bousouflé.
Mais je reste votre chose
Destinée à vos plaisirs capricieux
Je n’ai pas d’amour pour vous
Que de la soumission
Depuis toujours
Que de la révolte
Depuis longtemps
."


10/11/2009

samedi 20 février 2010

P. 241. Février 1945 : Yalta sans la France

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Churchill et son inséparable cigare, Rossevelt avec une cigarette à la main gauche... sur cette photo prise à Yalta, seul Staline est susceptible d'échapper aux foudres post-modernes de la RATP...

Du 4 au 12 février 1945
Churchill, Roosevelt et Staline
cadrent à Yalta l'avenir de l'Europe
sans de Gaulle...

Ceux qui s'obstinent à encenser ou du moins à honorer le maréchalisme à la Pétain, occultent les dévastations commises en France au nom de l'Etat dit français et les conséquences de la politique de collaboration avec le nazisme pour la place de la France dans le monde...
Certes hors de l'hexagone, se dressa la statue de De Gaulle. Mais avec des opposants français aussi bien à Londres qu'à Washington. Avec surtout son caractère dont il serait un euphémisme de le qualifier d'ombrageux et d'intransigeant...
Résultats navrants : en novembre 1942, le Général et donc la France Libre furent soigneusement tenus à l'écart du débarquement en Afrique du nord, sur des plages cependant "françaises". Idem et encore plus lourd pour la Normandie en juin 1944.
En février 1945, le IIIe Reich s'effondre. Il est temps de fixer son sort. De penser à l'Europe en ruines qui va sortir d'une seconde guerre mondiale. D'élaborer les bases d'une nouvelle Société des nations... La conférence de Yalta s'y consacrera du 4 au 12 février. De Gaulle n'y fut même pas invité...

Communiqué final :

- "Nous nous sommes mis d'accord sur la politique et les plans communs à adopter pour assurer l'exécution des termes de la capitulation allemande après que la résistance de l'armée allemande aura été définitivement écrasée. Les plans adoptés prévoient que chacune des trois puissances occupera avec ses forces armées une zone séparée en Allemagne. Il a été en outre convenu que la France serait invitée par les trois puissances, si elle le désire, à occuper une zone et à faire partie de la commission de contrôle comme quatrième membre. Notre dessein inflexible est de détruire le militarisme allemand et le nazisme.


[...] Nous sommes résolus à créer avec nos alliés aussitôt que possible une organisation internationale générale pour la sauvegarde de. la paix et de la sécurité. Nous croyons qu'une telle organisation internationale est essentielle pour empêcher de nouvelles agressions et éliminer les causes politiques, économiques et sociales des guerres au moyen d'une collaboration étroite et permanente de tous les peuples pacifiques.


(...) Nous avons rédigé et signé une déclaration commune sur l'Europe libérée. Elle a la teneur suivante:
[...] Le rétablissement de l'ordre en Europe et la reconstruction de la vie économique nationale devront être réalisés par des méthodes qui permettront aux peuples libérés d'effacer les derniers vestiges du nazisme et du fascisme et de se donner les institutions démocratiques de leur propre choix. Ce sont les principes de la Charte de l'Atlantique : droit de tous les peuples à choisir la forme:de gouvernement sous lequel ils veulent vivre ; restauration des droits souverains et d'autogouvernement au profit des peuples qui en ont été privés par les puissances d'agression..."
(11 février 1945).


Le cachet de la poste faisant foi : 12 février 1945. Les fumeurs sont cette fois au nombre de trois, la pipe de Staline complétant la cigarette de Roosevelt et le cigare de Churchill.

De Gaulle ne pouvait que faire entendre sa singularité, lui qui avait été snobé. Il mit d'ailleurs les points sur les i dès avant la conférence même.

De Gaulle :

- "Quant au règlement de la paix future, nous avons fait connaître à nos alliés que la France ne serait, bien entendu, engagée par absolument rien qu’elle n’aurait été à même de discuter et d’approuver au même titre que les autres...
Je précise que la présence des forces françaises d’un bout à l’autre du Rhin, la séparation des territoires de la rive gauche du fleuve et du bassin de la Ruhr de ce que sera l’Etat allemand, l’indépendance des nations polonaise, tchécoslovaque, autrichienne et balkaniques, sont des conditions que la France juge essentielles.»
(Discours radio, 5 février 1945).


Et l'opinion publique en France ? Les rapports des Préfectures la décrivent majoritairement indifférente à Yalta ou plus exactement focalisée sur d'autres priorités plus immédiates : difficultés de ravitaillement, attente de plus en plus impatiente de la fin des hostilités, espoirs et angoisses quant aux prisonniers des camps...

Dans Le Figaro, François Mauriac retourne néanmoins sa plume dans la plaie d'une France humiliée. Ce qui lui inspire de plus des accents hygiénistes qui lui font rapprocher politique internationale et syphilis...

François Mauriac :

- "Je doute que nous devions feindre de prendre légèrement le coup qui nous atteint : pour la première fois dans l'histoire, les "grands" se réunissent, et le fauteuil de Talleyrand et Chateaubriand demeure vide. Même après ses désastres, la France a toujours occupé, dans l'assemblée des nations, la place qui lui était due, ses amis lui refusent aujourd'hui ce que ses ennemis les plus haineux, au cours des siècles, n'eussent jamais songé à lui disputer.
(...) Nous réagirons mais il faut que notre réaction soit saine. Il dépend de nous, et de nous seuls, de redevenir cette nation dont naguère l'absence à un congrès européen n'eût même pas été imaginable. Il ne s'agit pas seulement de notre armée déjà renaissante, ni de nos ports à reconstruire, ni de notre flotte, mais de ce travail plus secret sur nous-mêmes : d'abord soigner les corps, la chair vivante de la race, mener contre l'alcool une lutte sans merci, contre la syphilis, contre la tuberculose : dépenser sans lésinnerie pour les laboratoires, créer des conditions sociales et politiques telles que chaque Français ait intérêt à fonder une famille nombreuse, sauver la vie de tant d'enfants qui chez nous ne naissent que pour mourir, que de tous ces enfants sauvés, il n'y en ait aucun dont le talent demeure enfoui... Si ces clichés, si cette propagande aux formules usées, devenait en nous esprit et vie, nous devrions bénir une fois de plus ceux dont l'affectueux dédain nous aurait plus sûrement délivrés que les armes."
(15 février 1945).

A Yalta : "L'avenir du monde - notre avenir - pour de nombreuses années" (OUR TIMES, n° du 19 au 23 février 1945).

Avec le recul du temps, il n'est pas inintéressant de comparer deux lectures complémentaires de Yalta. Sous l'angle français. La première d'un ancien conseiller du ministre Messmer, l'autre telle qu'elle est proposée aux enseignants d'histoire en Champagne-Ardenne.

Paul-Marie de la Gorce :

- Elle {la France} ne participa pas en effet à la conférence de Yalta, ce qui soulignait encore son affaiblissement. Mais de cette conférence, justement, sortirent plusieurs décisions qui marquaient son retour sur la scène du monde. Une zone d'occupation lui était décidément attribuée en Allemagne, sur l'insistance de Churchill qui avait convaincu Roosevelt, et malgré les réticences manifestes de Staline. Plus encore : elle était admise au Conseil interallié qui gouvernerait provisoirement l'Allemagne, ce qui signifiait bien que le sort futur de celle-ci ne serait pas décidé sans elle. Elle était appelée, enfin, à être « puissance invitante » à la conférence qui devait instituer l'Organisation des Nations Unies, aux côtés des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de l'URSS et de la Chine, ce qui impliquait qu'elle serait, comme elles, membre permanent du futur « Conseil de Sécurité ».
(…)
On sait que le jour même où l'ambassadeur américain à Paris, Jefferson Caffery, transmit à de Gaulle les documents et communications résultant des décisions de Yalta, il lui remit une invitation de Roosevelt à le rencontrer à Alger. On sait aussi les raisons qu'il eut de refuser : c'était Roosevelt qui s'était opposé à la présence de la France à Yalta, il n'avait pas répondu à l'invitation qui lui avait été faite, en novembre, de se rendre à Paris, il choisissait Alger comme lieu de rendez-vous comme si ce n'était pas en territoire français, il recevrait de Gaulle à bord de son croiseur, comme il l'avait fait de plusieurs souverains et chefs d'Etat du Proche-Orient et, de toutes façons, on ne pouvait rien changer des décisions de Yalta, en particulier celles que la France, justement, ne voulait pas cautionner."
(De Gaulle et l'indépendance nationale, Espoir n° 99, 1994).

CRDP Champagne-Ardenne :

- "En février 1945, les Américains, qui ne maîtrisaient pas encore la bombe atomique, étaient venus solliciter de STALINE, à Yalta, l'engagement que l'Union soviétique déclarerait la guerre au Japon dès que la victoire serait acquise en Europe, et avaient obtenu de lui qu'il signât la Déclaration sur l'Europe libérée prévoyant l'organisation d'élections libres dans tous les territoires libérés par les Alliés.

ROOSEVELT, décédé en avril 1945, ne peut donc pas être tenu pour responsable du non respect par STALINE, après la guerre, des engagements pris en février 1945 à Yalta.
En France, c'est le général de GAULLE, chef du Gouvernement provisoire de la République française, qui a contribué à installer le mythe du partage de Yalta.
Les Alliés, en particulier les Américains, avaient toujours entretenu des rapports difficiles et tendus avec le chef de la France libre, et avaient refusé que la France soit représentée à la Conférence de Yalta, puis à la Conférence de Potsdam de juillet 1945, chargée de préciser le sort de l'Allemagne vaincue.
De GAULLE, qui voulait redonner à la France son rang de grande puissance, et qui considérait que notre pays pouvait retrouver ce rang en se plaçant en position d'arbitre entre les Alliés américains et britanniques d'une part, et les Soviétiques d'autre part, en conserva un vif ressentiment, et considéra que ce qui avait été décidé à Yalta sans la France augurait mal de l'avenir et n'engageait pas notre pays."
(Enseigner la mémoire).


jeudi 18 février 2010

P. 240. "Le Temps des grâces", le film

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Un documentaire de
Dominique Marchais...

Dans la série, la première ferme bio du Canton vient d'être reconnue mais ce n'est pas après-demain qu'un tel film sera projeté à moins de 50 km... Pour tenter tant bien que mal de compenser nos frustrations, il reste à grappiller les mots des autres, à se repasser de main en main quelques images et à râler comme il nous l'est assez reproché ailleurs...

Zoé Lucider :

- "Le brouillard est la transpiration de l’horizon". J'aime beaucoup les paysages brouillés par l'haleine de la terre... Je recommande "le temps des grâces".
(Commentaire page 239).

Synopsis :

- "Une enquête documentaire sur le monde agricole français aujourd’hui, à travers de nombreux récits : agriculteurs, chercheurs, fonctionnaires, écrivains... Un monde qui parvient à résister aux bouleversements qui le frappent – économiques, scientifiques, sociaux... – et qui, bon gré mal gré, continue d’entretenir les liens entre générations. Un monde au centre d’interrogations majeures sur l’avenir."

Utopia Toulouse :

- "Dominique Marchais s’avoue totalement novice dans le monde rural. Il n’est pas ingénieur agronome, comme Olivier Porte, le réalisateur de Herbe, il n’a pas côtoyé durant plus de trois décennies les paysans comme Depardon. Il se revendique promeneur, amoureux des paysages façonnés par l’agriculture, à l’image des romanciers romantiques allemands pour qui la nature était une source d’inspiration infinie.

Avec une légitime candeur, il veut juste comprendre pourquoi ce monde rural se bouleverse à vue d’œil, et ne semble pas tourner très rond. Pourquoi les haies et les chemins creux se sont raréfiés, pour laisser place à des paysage ouverts de champs à perte de vue ? Pourquoi les sols sont-ils morts ? Pourquoi le travail de la terre ne nourrit-il plus son homme, condamnant beaucoup d’agriculteurs à abandonner ou les obligeant à une double activité ?
Pour tenter de répondre à ces interrogations, Dominique Marchais ne s’est ni cantonné à une seule région (son road-movie rural nous conduit des riches plaines céréalières de l’Yonne au causses cévenoles qui font du si bon fromage persillé, en passant par les plateaux limousins et leurs splendides vaches rousses), ni à un seul type d’interlocuteurs."
(10 février 2010).


Témoignages

Un paysan :
- "On l'a fait le progrès, maintenant on est en train de le dévaster."

Un microbiologiste :
- "Le microbe travaille gratuit. Le vivant n'est pas brevetable. Le durable n'est pas rentable. La nature a une gratuité qui est gênante aujourd'hui."


Gregory Salomonovitch :

- "En Champagne, Lydia et Claude Bourguignon, microbiologistes des sols, constatent chaque jour la dégradation des sols agricoles et viticoles. Les vignes qui autrefois vivaient une centaine d’années meurent aujourd’hui au bout de 20 à 25 années. Fait dommageable lorsque l’on sait qu’une vigne produit le meilleur raisin au bout d’une vingtaine d’années… Ici encore,
pour un pays dont la renommée repose en partie sur le vin, le film révèle, à l’instar de Mondovino, une aberration économique. Quelle hypocrisie pour un pays comme la France, principal exportateur de vins, champagnes et autres produits d’appellations contrôlées, que de continuer à ruiner ses terres, matière première pour des productions de qualité, au détriment de son économie. Que penser également des formations des futurs agriculteurs à qui l’on apprend à doser des engrais sans chercher à comprendre qu’il existe des solutions naturelles - et gratuites, échappant par la même à toute source de profit -, par l’utilisation des microbes et la mise en place d’un écosystème naturel ?
Le Temps des Grâces est un constat dramatique, qui laisse néanmoins entrevoir de l’espoir. Ce documentaire interpelle les politiques mais surtout le citoyen, lorsque le pouvoir doit venir du bas, face aux
lobbies de l’agro-alimentaire et à un État qui s’est laissé déposséder. C’est un hommage à la nature, aux campagnes françaises mais aussi un véritable appel à la prise de conscience."
(Bakchich.info, 20 août 2009).


Isabelle Regnier :

- "Voici un film qui rend intelligent. Vous y entrez par un petit bout : la crise des petites exploitations agricoles en France. De là, une vaste et passionnante opération de dépliage se produit, qui embrasse dans un même mouvement l'histoire, la géopolitique, la science, l'urbanisme, l'économie, la littérature, la théologie, questionnant de manière neuve, à la fois globale et extrêmement précise, le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui."
(Le Monde, 10 février 2010).


J. B. Morain :

- "C’est l’interview qui guide la respiration du film et son montage, la parole de ces agriculteurs mais aussi des agronomes, biologistes et politiques que le documentariste a rencontrés dans tous les coins de l’Hexagone, et qui racontent, à travers leur histoire, leurs études, l’histoire d’un pays qui a peu à peu épuisé (au sens propre) sa terre à force de l’exploiter, de la surexploiter depuis la fin de la guerre, dans un effort de croissance alors légitime et général (le film se garde bien de faire des paysans les boucs émissaires de la pollution des sols).Et qui, du jour au lendemain, doit trouver des solutions à ces problèmes cruciaux.
(…)
Comment tracer son chemin dans un paysage dévasté et sans vie, où la grande industrie semble tout dominer, tout tuer ?
C’est en cela que ce film, aux beautés classiques, gagné parfois par la nostalgie d’un âge d’or perdu (l’intervention impressionnante du philosophe Pierre Bergounioux), mais qui ne cherche jamais à dramatiser à l’excès la situation, apparaît à la fois comme l’antidote implacable aux grandes fresques catastrophistes des Hulot-Perrin-Arthus-Bertrand, et comme la douce réponse d’un jeune cinéaste à l’un de ses plus brillants anciens, Raymond Depardon : un avenir radieux (plus écologique, plus attentif à la qualité et à la sauvegarde des paysages) est encore possible.
(lesinroks.com, 8 fébrier 2010).

Jacques Morice :

- "Le Temps des grâces est un film beau à voir, qui rappelle de loin l'écriture photographique de Jean-Loup Trassard. Qu'il s'agisse d'un pâturage traditionnel ou d'un champ parsemé de pylônes près d'un aéroport, une même poésie affleure. Le grand écrivain Pierre Bergounioux intervient à plusieurs reprises. L'entendre, avec sa langue arborescente, retracer des souvenirs, dire les paroles et les gestes qui se sont perdus, tout en ayant conscience de l'écueil passéiste, est un bain de jouvence. Le réalisateur cherche lui aussi, cerne, puise dans tel bocage ou tel chemin, sous un tunnel de verdure, ce qui ressemble à un sens caché. Il y a quelque chose du sourcier chez ­Dominique Marchais."
(Télérama, 13 février 2010).


Arnaud Hée :

- "Dominique Marchais se place sur le terrain de l’enquête, c’est-à-dire qu’il n’est pas parti avec un cahier des charges préconçu à filmer ; il a pris le chemin des champs pour s’interroger sur ce lien affectif reliant les êtres à l’agriculture et à la ruralité, et non pour démontrer. C’est la qualité première du film, son bien-fondé et sa raison d’être. Le Temps des grâces est ainsi un documentaire qui accorde une respiration et un espace à son spectateur, quand d’autres infligent un Jugement Dernier venu d’en haut à ce salopard d’humain. Avec un tel titre, de fait joliment ironique, on pouvait craindre le pire : un prolongement cinématographique échappé du journal télévisé de Jean-Pierre Pernaud, une ritournelle dédiée au bon vieux temps et au bon sens paysan. Les amateurs en seront pour leurs frais, même si le film ne refuse pas la captation de la beauté rurale avec brumes matinales et bêtes dans les champs."
(Critikat.com, s. d.)

Le Canard enchaîné :

- "De ces deux heures, on ne sort pas accablé, mais un peu plus intelligent : ce n'est pas tous les jours..."
(17 février 2010).

Bande annonce.

mardi 16 février 2010

P. 239. Citations à l'ordre de la nuit

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Am-poule (Ph. JEA / DR).

Paroles d'un hiver
qui prend ses aises
parmi les sarts et les rièzes

Le ciel ne sert pas à grand-chose quand l’étoile est absente.

Qui coupe un verger accouche d’un horizon détraqué.

Qui écoute l’arbre mort, entend la renaissance des oiseaux.

Parfois le vent confond un arbre avec un cure-dents.

L’oiseau qui chante se fiche royalement de toutes les stars et de toutes les académies.

De tous les oiseaux, seules les pies se croient obligées de pontifier.

Le pessimiste se plaint des chutes de neige, l’optimiste espère que le soleil va se relever, le réaliste n’écoute plus les bulletins météo.


Ri-d'eau (Ph. JEA / DR).

Dans bien des villes, on peut emmurer les vivants.

En poursuivant un fleuve, on rattrape les nuages.

L’écume ne sait pas ce qui est beau dans la marée des jours mais elle aime lire Boris Vian.

Ce qui est chouette avec le limonaire d’un ruisseau, c’est son répertoire ne cessant de se renouveler.

L’hiver efface ses propres traces et s’y perd…

Le brouillard est la transpiration de l’horizon.


Moineau piaffant d'être édité (Ph. JEA /DR).

Des cheveux de nuages sont restés accrochés au peigne des arbres.

La lune est-elle la trève du soleil ?

(détournement de Klee)

La lune est le sommeil des statues de marbre.

(détournement de Cocteau)

Le sommeil est le fleuve souterrain de la vie.

(détournement de P. Billon)

La nuit est aveugle, la lune la prend par la main.

Un seul frôlement de hache et tout l’arbre raisonne sur la vie et la mort.

Une forêt sans clairière est comme un village ardennais sans beuquette.

En hiver, les routes d’ici ne manquent pas de sel.

Par le chemin effacé, on entre dans le passé composé.

On ne parle plus des promesses de Sarkozy à quelqu’un mourant de froid.


Ex frontière au crépuscule (Ph. JEA / DR).




dimanche 14 février 2010

P. 238. Bancigny, moins de 30 habitants mais quelle église fortifiée !

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Pour situer Bancigny en Thiérache.
Carte d'après : Sur une frontière de la France. La Thiérache. Aisne, Textes, Photographies et Cartographie sous la direction de Martine Plouvier, Association pour la généralisation de l'Inventaire régional en Picardie, 2003, 287 p.
(Montage JEA / DR).

Onzième étape sur la route
des églises fortifiées de Thiérache :
Bancigny.

Inutile de revenir lourdement sur le constat attristé de voir les plus de 70 églises fortifées de Thiérache rester négligées par des vagues aussi mini soient-elles de touristes. Du moins celles de Plomion et de Jeantes, de par les dimensions de l'une et les fresques de la seconde, ne sont-elles pas frappées d'un abandon total par les curieux, par les randonneurs...
Or, juste à mi-chemin entre Plomion et Jeantes, par la D 747, se dresse Saint-Nicolas à Bancigny.
Pas la foule. Le village rassemblait 132 habitants en 1793 et n'en comptait plus que 22 en 2007...
Mais une atmosphère vraiment paisible. Avec de l'espace. Comme une suspension du temps. La neige n'y tombait que sur la pointe des cristaux.

Carte postale d'un obsédé des précisions administratives. A gauche, une ferme avec son porche colombier. A remarquer l'état des deux tours modifié aujourd'hui. (DR)

Comme un coquillage aux volutes centrés sur la D 747, Bancilly se baigne dans deux ruisseaux : le Huteaux et le... Robinet.
Ici aussi, les noms des lieux-dits (en)chantent. En traçant un cercle partant de l'ouest pour y revenir, vous passez par :
- Les Bouvrils, la Passe Maillard,
le Blanc Trou, l’Arrêt, l’Epine Bruyante,
la Croix Félix, la Fosse aux Chênes, la Borne Blanche,
le Clos Richet...

Alors que la neige hésite encore... (Ph. JEA / DR).

En été, l'église est ouverte au public. Mais par ces temps de frimas, la porte est close. Qu'à cela ne tienne. Un chien s'énerve au loin, des merles ont trop froid pour se moquer. De loin, une fermière vous observe en détresse, là, échoués, pas farauds.
- Vous aimeriez visiter ? (elle a une voix qui porte drôlement bien, le chien s'avoue vaincu, les merles s'envolent).
- Si c'était possible...
- Vous allez à la ferme en face, celle qui est à vendre. Vous ouvrez la boite aux lettres. La clef que vous allez trouver, est celle de l'église. N'oubliez pas de l'y remettre en partant...

Vue de la tour droite (Ph. JEA / DR).

Monuments historiques :

- "Eglise de dimensions modestes, construite moitié en pierre blanche et moitié en brique. Le portail est encadré de deux tours rondes, courtes et massives, dont les soubassements sont en pierre. L'église possède des fonts baptismaux en pierre du 12e siècle et un groupe sculpté formant calvaire en bois polychrome du 16e siècle. Une campagne de restauration a eu lieu en 1992. Des vitraux, oeuvre de Jéroen Dykhuizen, ont été posés en 1992."
(Gouv. fr., Mérimée).


Seul bémol, l'électricité est coupée. Impossible dans l'obscurité de même distinguer les sculptures en bois. Par contre, la porte laissée ouverte, permet de deviner la masse des fonts baptismaux.

Malgré une allergie personnelle, l'absence de lumière oblige à recourir au flash (Ph. JEA / DR).

9 siècles entre ces étranges animaux et nous, visiteurs étrangers (Ph. JEA / DR).

Monuments historiques :

- "Fonts baptismaux : XIIe, avec couvercle en bois. Cuve quadrangulaire supportée par un fût monocylindrique, flanqué de 4 colonnettes."

Fruits d'arum (Ph. JEA / DR).

Images du patrimoine :

- "Tournaisien ou mosan, ce type de fonts baptismaux "en pierre bleue", réalisé au XIIe siècle, a été diffusé dans les anciens diocèses de Liège, Cambrai, Reims, Laon, jusqu'en Angleterre et dans les pays scandinaves (...).
Les fonts tournaisiens auraient une forme quadrangulaire sculptée sur ses faces de rinceaux, reposant sur un fût cantonné de quatre colonnettes à chapiteaux ; ils se trouveront le long de la voie Reims-Bavai-Tournai : on les dénombre surtout dans le Porcien, le Marlois, le Laonnais et la Thiérache. La sculpture en faible relief au répertoire végétal (fruits d'arum, rinceaux), animal (griffon, dragon, loup-cervier) et anthropomorphe reste un aspect original de la sculpture romane de la France du Nord."

Face des fonts presque accolée au mur de la nef (Ph. JEA / DR).

Jadis, Bancigny connut d'autres heures plus florissantes :

- " En 1439, Philippes de Hornes, chevalier seigneur de Bancigny et de Dhoy (Dohis), donne au comte de Nevers, baron de Rozoy, le dénombrement de la seigneurie de Bancigny et ses dépendances.
Bancigny comprenait alors dans sa mouvance les villages de Plomion, Harcigny, Nampcelles, Jantes, Dohy, Saint-Clément, Cuiry, Comeaux, Grandrieux, Braye en partie et les fiefs d'Hary, Dagny."

Tronc (Ph. JEA / DR).

En sortant, nous n'avons pas omis de déposer la clé dans la boîte aux lettres de la ferme à vendre. Vous en partagez maintenant le fragile secret. Et ce n'est évidemment pas nous qui sommes repartis après avoir fracturé le pauvre tronc de charité de St-Nicolas...

vendredi 12 février 2010

P. 237. Chants diphoniques au pied de l'Altaï mongol

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Chants diphoniques de l'Altaï mongol, 1 CD Buda Records

Non seulement la musique
adoucit les steppes de Mongolie
mais elle fait rêver
les rièzes et les sarts des Ardennes...


Routes nomades :

- "La musique traditionnelle de Mongolie, d’une richesse vocale incroyable, est transmise chez les nomades de génération en génération par la voie orale. C’est ce que Tserendavaa a réalisé avec son fils Tsogtgerel âgé de 18 ans. Dans leur famille, on est musicien depuis plusieurs générations."

Médiathèque CFB :

- "Tserendavaa et Tsostgerel, père et fils, sont eux natifs du sud-ouest de la Mongolie. Ils y sont bergers et musiciens, deux activités qu’ils mènent de front. Tous deux prennent part à l’intérêt renouvelé pour le répertoire et les techniques du xöömij et participent au passage aujourd’hui d’un art pastoral nomade à un art professionnalisé, et conséquemment d’un chant bucolique de berger à une discipline basée sur la virtuosité et sur une technique poussée à l’extrême. Ce qu’ils tentent de préserver, eux, est ce rapport à la tradition, à leurs particularités régionales, fort différentes des pièces démonstratives jouées à la capitale Ulan Bator. Leur répertoire est né là, près de leur village, au pied de deux montagnes, les deux Altaï."
(Communauté Française de Belgique).

Enregistrement à Paris, le 12 mai 2008.

Stéphane Fougère :

- "Chandman, village de la province de Xvod, dans l'Ouest de la Mongolie, passe pour être l'un des lieux du renouveau de ce fameux xöömei ou xöömij, le chant diphonique qui caractérise l'art vocal mongol. C'est là que sont nés quelques artistes passés maîtres de cette si singulière technique de chant, comme HÖSOO. TSERENDAVAA est lui aussi le dépositaire de cette tradition aux origines nomadiques et pastorales que pratiquaient notamment les bergers. Lui-même éleveur nomade, TSERENDAVAA est aujourd'hui l'un des représentants les plus attitrés de la pratique vocale diphonique, qui consiste à superposer deux sons en simultané, une note ou une mélodie harmonique par-dessus une note fondamentale, dite « bourdon ».


On distingue ainsi deux principaux styles de chant de gorge, le profond, xarxiraa, ou le sifflé, isegeree. TSERENDAVAA a ainsi développé ces techniques de manière à se produire en tant que chanteur professionnel, et maîtrise jusqu'à sept formes de xöömij, dont l'une qu'il a inventée, le xosmoljin xöömij, qui consiste à interpréter les urtin duu, ou chants longs, en combinant le chant du texte avec la mélodie d'harmoniques, chose assez rare.

Jusqu'à présent, TSERENDAVAA avait enregistré pour plusieurs compilations et même un disque en solo (Chandman' Song, introuvable chez nous), mais c'est la première fois qu'il enregistre avec son fils, TSOGTGEREL, âgé de dix-huit ans et déjà fin virtuose du chant diphonique et de la vièle moriin xuur, son père (et d'autres maîtres) lui ayant transmis son savoir musical."
(Ethnotempos, 2 août 2008).


Tsogtgerel (Symposium, Mongolie, 2009).

Patrick Labesse :

- "Soudain, surgit un son d'une gravité inouïe. Il emplit l'espace de sa présence ténébreuse, puissant et orageux. Sur scène, Tsogtgerel, jeune chanteur mongol de vingt ans. Son visage poupon, son corps figé dans une froideur statuaire n'expriment rien. Le chant profond, la mélodie sifflée ondulant en circonvolutions ténues et fragiles semblent venir de nulle part, désincarnés. Ils fascinent et font oublier le fatras de la ville (…).


Tsogtgerel s'accompagne au morin khur (une vielle avec un long manche sculpté en forme de tête de cheval), et interprète le xöömij, le chant diphonique mongol. Fondé sur une technique consistant à émettre deux voix en même temps, le bourdon et les harmoniques, qui vibrent dans une mélodie sifflée, cette singularité vocale, est toujours bluffante pour l'oreille occidentale. Tsogtgerel l'a acquise auprès de son père, avec qui il joue parfois
."
(Le Monde, 8 février 2010).

Yourtes mongolo-ardennaises (Cr. Mandukhaï, Mont. JEA / DR).

Pour qui ne bouderait pas un nec plus ultra, pourquoi ne pas s'offrir l'écoute de chants diphoniques à l'abri d'une youtre plantée à Haudicourt, dans les Ardennes de France ?

Du moins un site vous invite-t-il. Cliquer : ICI.
(On n'ose imaginer les jeux de mots signés Cactus...)