DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

samedi 31 janvier 2009

P. 71. Toponymie ardennaise : à corps et à cris.

B

Fond du Bec du Coq,
les Prés la Bosse,
Champ Bossu, le Château Bossu, Ferme du Bossu, les Bossus, les Buttes des Bossus, Culot de Bossus,
Bouche à l'Aumont, Bouches Nobles.

C

La Passée de Cerveau,
la Corne à Loup, la Corne du Bois, , la Corne du Cerf, Cornemont, Fond de la Borne Cornue, les Trois Cornes, le Champ Décorné,
le Cul d'Houille, le Cul de Loup, le Cul de Mandre, le Cul de Voir, le Cul des Maies, le Cul des Roches, Ecorche Cul, Fontaine du Cul des Noues, Froidcul, le Gros Cul, Haut du Cul, le Milieu de Culronde,

la Culée Barbe, Culée Barreau, Culée Cabrune, la Culée de la Pointe, Culée des Renards, Culée du Paradis, la Culée Grand-Mère, Culée le Cerf, la Culée Paul, la Culée Rinquin, le Culot du Loup.

D

Liège-Doigt.
Bois du Dos du Loup, Brise Dos.

G

le Genou,
la Gueule de Froidmont.

L

Langue du Ciel.

Langue glacée du ciel sur la forêt de St-Michel (photo : JEA).

M

la Croix la Main, la Main des Champs, Maindoit,
Ravin de la Mamelle.


O

Fontaine de Blanche Oreille,

les Petites Ouies.

P

Chêne à Deux Pattes, La Patte du Loup, la Patte Poulet, la Petite Patte d'Oie,
Pied de Chien, Le Pied Lemoine, Ravin du Pied Dindin.


Q

la Queue Chalandry, la Queue d'Alondre, la Queue du Bel Aune, la Queue du Bois de Bâtard, la Queue de Vinche, la Queue des Aulnes, la Queue des Bois, la Queue des Bouleaux, la Queue Tournée, le Bois de la Queue, le Pré des Queues, Route forestière de la Queue de Grès
les Queuchardes.

T

Haute Tête, la Tête de Bas Mont, la Tête de Flandre, la Tête de l'Homme, la Tête Husson, Tête de Hy, la Tête Mary, la Tête des Moutons, la Tête Ronde, la Tête des Vaux, Sur la Tête de la Galette.

V

le Gros Ventre, Richepanse, le Rouge Ventre.


Le Rouge Ventre blanchi par petite gelée matinale (photo : JEA).



mardi 20 janvier 2009

P. 70. Cinémusiques poésies

Pour ne point trop laisser ce blog en friche
au cours d'une brève mise en sommeil
quelques racines, galets, feuilles non mortes...

Bande originale de film :

Georges Delerue pour "Le mépris" de Jean-Luc Godard (1963).

Axel Robbins :

- "Pour reprendre la rhétorique du générique, lequel est passé dans la légende, on pourrait dire que dans Le Mépris, il y a le sexe et la mort (les deux histoires principales du cinéma selon l'oncle Jean-Luc un peu désabusé des Histoire(s)), mais il y a, aussi et avant tout, le cinéma lui-même, immortel et resplendissant dans la lumière du soleil méditerranéen, être brillant qui résiste à tous les coups qu'on lui inflige et qui finira par s'imposer contre vents et marées.
Oui, Le Mépris de Godard est un poème d'amour au septième art, mais l'on a affaire, non à une poésie douce et complice à l'eau de Truffaut, mais à une poésie dans laquelle la violence et la douleur font souvent irruption, poésie lancinante et déchirante, hymne d'adieu on ne peut plus émouvant et sincère - signalons à cet égard la musique de Georges Delerue qui participe d'un sentiment pénétrant d'assister à la fin d'un monde - non seulement à la vie d'un couple (Paul et Camille) qui se défait devant nos yeux, mais aussi aux films et aux cinéastes dont les fantômes hantent les couloirs de l'inconscient collectif de tous les cinéphiles et de tous ceux qui, ne serait-ce que quelques fois dans leur vie, ont succombé à la tentation ô combien délicieuse de regarder défiler des ombres à la lumière de la lanterne magique."
(Ciné-Club Normale Sup', 14 novembre 2003).

Sous l'affiche à la provocation ne déplaisant pas à Godard, le thème de Camille composé par Georges Delerue.

Baroque :

Mozart, "Vesperae solennes de confessore", K. 321, psaume 117 (Septembre 1780). Pour quatre voix, choeur, deux trompettes, trois trombones, violons, basse, orgue et timbales.

The Amsterdam Baroque Orchestra and Choir.
Barbara Schlick, soprano.
Direction : Tom Koopman.

- "Les cordes nous conduisent immédiatement à une berceuse irradiante de beauté, baignée d'un lyrisme extatique (...) Lorsque le choeur, à pas de loup, rejoint la soliste, d'abord sur des valeurs longues puis en douces ponctuations du chant féminin, on atteint au coeur émotionnel de toute l'oeuvre (...) Voilà sans conteste l'une des plus belles pages de la musique religieuse de Mozart."
(Encyclopédie de A à Z, Robert Laffont, Coll. Bouquins, 2006, 1097 p.)


Chanson :

Paolo Conte, Max (Verona, 2005).

Max era Max
più tranquillo che mai,
la sua lucidità…

Smettila, Max,
la tua facilità
non semplifica, Max.

Max
non si spiega,
fammi scendere, Max
vedo un segreto
avvicinarsi qui, Max.


Documentaire :

Claude Lanzmann, "Shoah" (1985).

Présentation par France 5 :

- "Shoah est une oeuvre monumentale : onze ans de travail, dix campagnes de tournage. Entre 1976 et 1981, trois cent cinquante heures de film ont été tournées.
L'écrivain et cinéaste Claude Lanzmann a méthodiquement suivi les traces de l'infamie, relevé les pièces à conviction, identifié les lieux et écouté victimes, criminels et témoins actifs ou pas.
Ici, aucune image d'archives, les hommes et les paysages constituent sa seule et unique matière. Des lieux qui paraissent désincarnés, apaisés, mais qui en quelques mots revêtent toute leur horreur.
Ce film n'a pas pour but de comprendre ni d’expliquer de façon rationnelle la destruction méthodique des Juifs d'Europe. "Il y a des moments où comprendre, c'est la folie même", déclare le réalisateur, qui préfère dire et faire dire les faits : les moyens de transport des déportés, la topographie des camps, la disposition des corps, l’organisation du temps.
L'enquêteur pose les questions qui font mal à ses interlocuteurs, à lui-même et aux spectateurs. Un refus de comprendre et donc d'admettre.
Shoah, oeuvre intemporelle, a déjà fait le tour du monde."
(21 mai 2008).

Bande annonce de ce film dont le titre est parvenu enfin à mettre un nom sur l'innommable, sans connotations religieuse ou autres qui aient été réductrices.
Lanzmann est au documentaire de cinéma ce que sont aux recherches historiques des Klarsfeld pour la France ou Maxime Steinberg pour la Belgique. Des caractères redoutables de persévérance et de détermination. Des re-découvreurs de tant de vies gazées, fusillées, pendues... Toute une partie de la population européenne et donc de ses cultures qui fut réduite en cendres dans une large indifférence quand ce ne fut pas avec l'aide de régimes et de collaborateurs zélés du nazisme.

Le cheminot du train de Treblinka se souvient... Une séquence silencieuse mais douloureusement parlante !

Film de fiction :

Jean-Luc Godard, "Pierrot le fou".

Synopsis :

- "Ferdinand Griffon, ex professeur d'Espagnol, ex stagiaire à la télévision, marié à une richissime italienne, lit à sa petite fille des pages d'Elie Faure consacrées à Velazquez. Une jeune fille, Marianne, vient garder les enfants. Les Griffon se rendent à une réception bourgeoise chez des amis, où chacun débite des slogans publicitaires, exception faite de Samuel Fuller qui parle de cinéma. Ferdinand jette un gâteau au visage des invités et, retrouvant Marianne qu'il a jadis aimée chez lui, part à l'aventure.
Mais Marianne déclare qu'il faut d'abord se débarrasser d'un cadavre et lui confie que son frère Fred l'a placée dans une bande rivale de la sienne pour l'espionner. Le couple est poursuivi par la police. Ils vivent quelques jours comme des naufragés sur une île déserte. Un nain, membre de la bande, emmène Marianne. Ferdinand le découvre assassiné et se fait matraquer par deux complices.
Ferdinand retrouve enfin Marianne. Elle le présente à Fred qui lui propose de participer à un hold-up. Le coup réussit mais Ferdinand comprend qu'on l'a joué lorsqu'il voit Marianne embrasser l'homme qu'elle prétendait être son frère. Il abat son rival puis la jeune femme et téléphone ensuite à la police. Puis, le visage peint en bleu, il se barde d'explosifs auxquels il met le feu."

Pour que Raymond Devos accepte un rôle dans un film, fallait-il que celui-ci ne soit surtout pas à voir au premier degré.

Poésie :

Jean-Claude Pirotte, "Blues de la racaille", Ed. de la Table Ronde, 2006.
Raison(s) de ce choix ?
Certes pas à cause de ces hasards et nécessités qui nous ont fait naître Namurois tous deux, ayant "fréquenté" ensuite le même Athénée de Gembloux, avec son père qui confirma ma "vocation" de prof dans sa discipline et me (pour)suivit jusqu'à être mon premier inspecteur.
Certes pas plus parce qu'avocat, il perdit sa robe pour une sombre histoire en la prison de Namur avant que j'y sois conseiller laïque.
Certes pas parce que Jean-Claude fut comme un frère forcé à être doué pour les solitudes et les exils. Que longtemps il se mit à l'abri des regards inquisiteurs dans les Ardennes de France, franchissant les rideaux de pluies rethèloises.
Certes pas parce que j'ai mis mes pas dans les siens (alors, là, ça ne me ressemble pas) en parcourant les dessous du plateau de Langres, le Mont-Afrique, les Montagnes Noires...
Alors ce choix ? Parce qu'il n'y a qu'un seul poète dont j'aurais aimé illustrer l'itinéraire de mots et de plaies. Jean-Claude Pirotte, aujourd'hui sans doute en Arbois et qui ne lira pas ces lignes qui lui arracheraient une grimace.

L'auteur par les Ed. de la Table Ronde :

- "Jean-Claude Pirotte est né à Namur le 20 octobre 1939, le même jour que Rimbaud.
De 1964 à 1975, il est avocat au Barreau de Namur.
En 1975, il est accusé (il nie toujours les faits) d'avoir favorisé la tentative d'évasion de l'un de ses clients. Rayé du Barreau et condamné à dix-huit mois de prison, il part en cavale dans la province française, en Catalogne et dans le Val d'Aoste.
En 1981 : péremption de la peine, il publie Journal moche."

Francine Ghysen :

- "La verve sarcastique explose, déborde dans un vengeur Blues de la racaille dont le rouge et le noir tranchent sur le bleu mauve qu'évoque plutôt ce poète du demi-jour, du temps précieux déjà en fuite, des secrets perdus, du désespoir feutré."
(Promotion des livres, Communauté Française de Belgique).

Bibliographie (approximative) :

- Goût de cendre [poèmes], Liège, G. Thone, 1963.
- Contrée [poésie], Liège, G. Thone, 1965.
- D'un mourant paysage [poèmes], Liège, G. Thone, 1969.
- Journal moche [essai], Paris, Luneau-Ascot, 1981.
- La Pluie à Rethel [roman], Paris, Luneau-Ascot, 1982.
- Fond de cale [roman], Paris, Le Sycomore, 1984, 145 pages.
- La Vallée de misère [poèmes], Cognac, Le Temps qu'il fait, [1987] 1997.
- Les Contes bleus du vin [chroniques], Cognac, Le Temps qu'il fait, [1988] 1993, 117 pages.
- Rue des Remberges [prélude], Cognac, Le Temps qu'il fait, [1989] 2003, édition revue et augmentée, 42 pages.
- Un été dans la combe [roman], Paris/Bruxelles, La Longue Vue, 1986.
- La Légende des petits matins [roman], Paris, Le Vallois-Perret, Manya, 1990, 138 pages.
- Sarah, feuille morte [roman], Cognac, Le Temps qu'il fait, [1989] 1998, 136 pages.
- L'Epreuve du jour [enfantine], Cognac, Le Temps qu'il fait, 1991,142 pages
- Tio Pepe [nouvelle], Cognac, Le Temps qu'il fait, 1992, 26 pages.
- Récits incertains [récits, nouvelles, poèmes], Cognac, Le Temps qu'il fait, 1992, 131 pages.
- Il est minuit depuis toujours [essais], Paris, La Table Ronde, 1993, 209 pages. Contient Journal moche augmenté et inédits.
- Sainte-Croix du Mont, [album] illustré de photographies de Jean-Luc Chapin, Bordea
- Plis perdus [mélanges], Paris, La Table Ronde, 1994, 189 pages.
- Un voyage en automne [récit], Paris, La Table Ronde, 1996, 145 pages.
- Le Noël du cheval de bois [conte illustré], Cognac, Le Temps qu'il fait, 1997, 31 pages.
- Faubourg [poèmes], Cognac, Le Temps qu'il fait, 1997.
- Cavale [roman], Paris, La Table Ronde, 1997, 167 pages.
- Boléro [roman], Paris, La Table Ronde, 1998, 111 pages.
- Mont Afrique [roman], Paris, Le Cherche midi, 1999, 138 pages
- Autres arpents [chroniques], Paris, La Table Ronde, 2000, 160 pages.
- Enjoués monostiches, avec des linogravures de J. M. Queneau, Vézelay, Éd. de la Goulotte, 2000, non paginé
- Ange Vincent [roman], Paris, La Table Ronde, 2001, 127 pages.
- Bourgogne, Franche-Comté, texte de Jean-Claude Pirotte ; photographies de Stuart Franklin, Paris, National geographic, 2002, 290 pages
- Un rêve en Lotharingie [récit], Paris, National Geographic Society, 2002, 60 pages.
- Dame et dentiste [poèmes], Paris, Inventaire/Invention, Coll. " Textes ", 2003, 38 pages.
- La boîte à musique [poèmes], La Table ronde, 2004, 141 pages.
- Fougerolles[poèmes], Fontaine-lès-Dijon, Virgile, Daniel Legrand éditeur, coll. " Suite de Sites ", 2004, 63 pages.
- Une adolescence en Gueldre [roman], Paris, La Table Ronde, 2005, 198 pages.
- Un bruit ordinaire [roman-poème], suivi de blues de la racaille [poèmes], Paris, La Table Ronde, 2006, 131 pages.
- Expédition nocturne autour de ma cave [récit], Paris, Collection "Ecrivins", Editions Stock, 2006, 96 pages.
- Absent de Bagdad [roman], Paris, La Table Ronde, Collection Vermillon, 2007, 144 pages.
- Hollande [poèmes et peintures], Paris, Le Cherche Midi, Collection Amor Fati, 2007, 72 pages.
- avoir été [poème], Châtelineau (Belgique), Le Taillis Pré, avril 2008, 66 pages. 40. Passage des ombres [poèmes], Paris, Editions de La Table Ronde, avril 2008, 206 pages.
- Revermont [poèmes], Cognac, Le temps qu'il fait, octobre 2008, 108 pages.

Si dans ce monde luxuriant de livres, vous ne vous délectiez pas de l'un de ces volumes au moins, vous en resteriez au niveau de curiosité poétique du président (français) actuel.


samedi 17 janvier 2009

P. 69. Brèves (14). Françoise Fressoz, Marie-Eve Malouines, Michèle Audin, Georges Arnaud...


Tous les journalistes ne sont pas des Légionnaires.

1. AFP :

- Les journalistes politiques Françoise Fressoz (Le Monde) et Marie-Eve Malouines (France Info) ont annoncé qu'elles refusent la Légion d'honneur, après avoir découvert avec "étonnement" leur nom sur la promotion du Nouvel an de cet ordre.

"De retour de congés, j'ai découvert avec étonnement que je figurais sur la liste de la promotion du 1er janvier de la Légion d'honneur. Contrairement à l'usage, je n'ai été informée de rien avant la publication de cette liste", déclare dans un communiqué à l'AFP Françoise Fressoz, chef du service politique du Monde.

"Un journaliste politique doit rester à l'écart des honneurs... Rien, dans mon parcours professionnel, ne justifie pareille distinction. Je pense en outre que, pour exercer librement sa fonction, un journaliste politique doit rester à l'écart des honneurs. Pour ces raisons, je me vois dans l'obligation de refuser cette distinction", ajoute-t-elle.

Marie-Eve Malouines, chef du service politique de France Info, fait elle aussi, dans un communiqué à l'AFP, part de son "grand étonnement" de trouver son nom parmi les promues.

"Cette liste étant publique, je tiens à préciser que je n'ai jamais réclamé une telle distinction, ni même été sollicitée en vue d'une telle démarche", explique-t-elle. "Je ne vois vraiment rien, dans mon parcours, qui puisse justifier une telle distinction, c'est pourquoi je me vois dans l'obligation de refuser cette prestigieuse décoration", ajoute la journaliste.

Ces deux refus manifestent plus que des sursauts de dignité en une époque où le cirage des pompes présidentielles et l'attrait des pompes officielles transforment des gens de presse en citrons (em)pressés par les pouvoirs.

Le journalisme y retrouve l'une de ses raisons d'être : l'exercice critique et responsable d'une liberté fondamentale.

2. Venant de terminer la lecture de "Mon procès" par Georges Arnaud (omnibus, Paris, 2008), j'y ai retrouvé souvenir d'un incroyable procès en honneur du journalisme.


En 1957, Francis Jeanson, recherché par toutes les polices de France, donne à Paris une conférence de presse pour soutenir les Algériens alors en lutte pour leur indépendance. Cet intellectuel (un professeur) n'a pas de sang sur les mains. Il n'a jamais porté d'arme(s) et encore moins de bombe(s). Mais il a créé un "réseau de soutien au FLN". Francis Jeanson estime que la République perd ses idéaux dans une guerre qui n'ose dire son nom et où le politique a délégué ses pouvoirs notamment de justice à l'armée. Alors qu'au sein de celle-ci, certains torturent comme le firent les gestapistes.

La conférence presse se tient le 15 avril 1957.
Le 19, le quotidien Paris-Presse en publie un compte-rendu sous le titre : "Les étranges confidences du professeur Jeanson" et sous la signature de Georges Arnaud. Celui-ci indique dès les premières lignes : "Une quinzaine de journalistes sont présents. Je suis le seul Français."
Le 21, Georges Arnaud est arrêté par la DST.
Le 22, le journaliste est inculpé par un juge d'instruction militaire pour non-dénonciation du lieu et des témoins de ladire conférence.
Mis derrière les barreaux de la prison de Fresnes, Georges Arnaud voit son procès fixé au 17 juin à Reuilly (la justice militaire peut se confirmer expéditive).


Aperçus de ce procès en journalisme.

Le Président : "Les faits qui vous sont reprochés sont matériellement simples. Il vous est reproché, vous le savez, de n'avoir pas dénoncé l'activité de la conférence de presse dont vous avez donné le compte rendu. Voilà."

Chroniqueur judiciaire à L'Aurore, Jean Bernard-Derosne : "Vous savez sans doute, messieurs, que le secret professionnel des journalistes n'est pas reconnu par la loi comme celui des médecins, des avocats ou des prêtres. Nous avons, nous, quelque chose de plus fort que la loi, c'est une tradition et c'est une obligation morale qui est, je le répète, l'honneur de la profession."

Joseph Kessel : "Il est évident qu'il {G. Arnaud} n'allait pas dénoncer quelqu'un qu'il était allé voir professionnellement. Et en le voyant ici poursuivi, il me semble que nous sommes tours poursuivis."

Claude Estier : "Le secret des sources d'information est pour un journaliste une règle absolue. Un journaliste qui, ayant reçu une information de source confidentielle, trahirait cette source ou, dans le cas présent, révélerait le lieu où il a reccueilli cette information, se déshonorerait aux yeux de la profession. Je dis bien se déshonorerait, parce que c'est une question d'honneur, c'est une question de morale. C'est ce qu'on voulut exprimer les quelque trois cents journalistes de toutes tendances politiques qui ont signé une pétition de solidarité avec Arnaud."

Yvan Audouard : "J'exerce une profession dont j'estime qu'elle ne peut s'exercer que dans des conditions honorables : dans le respect de la vérité, et le respect de la parole donnée. A la place de Georges Arnaud, j'aurais agi comme lui."

Roger Priouret : "C'est peut-être une question de secret professionnel. Je sais que la jurisprudence est divisée à cet égard. C'est en tout cas une question d'honneur. Cela ma paraît évident, car il {le journaliste} deviendrait un auxiliaire de la policeet de la justice."

Jean-Paul Sartre : "Il me semble que la guerre d'Algérie exige que chaque citoyen français soit mis devant l'information la plus entière. Cette information lui est malheureusement refusée (...) En conséquence, je pense que lorsqu'un écrivain informe n'importe quel secteur de l'opinion sur la guerre d'Algérie, quand il informe l'opinion sur n'importe quelle sorte de faits, il accomplit son devoir. Et par conséquent, ce ne peut être que par malentendu qu'il se retrouve brusquement au banc des accusés."

Jérôme Lindon : "Georges Arnaud appartient à une catégorie de Français un peu démodée, dont je fais partie aussi partie, pour qui le patriotisme se mesure moins au nombre et à l'étendue des taches rouges sur la carte du monde ou aux eploits de nos sportifs ou de nos artistes, au même à la qualité de notre blé et de notre acier, qu'à des réussites d'un autre ordre ; par exemple, l'émancipation des noirs, les luttes menées au nom de la liberté..."


L'accusation n'a que deux témoins à faire appeler à la barre. Un policier. Et... le rédacteur en chef de Paris Presse, le quotidien ayant publié l'article de Georges Arnaud !

Pierre Charpy : "Georges Arnaud n'a commis aucun acte délictueux ; et j'ai fait mon métier (...) Chacun prenait ses risques. D'ailleurs j'ai dit à Arnaud, au moment même les risques qu'il courait (...) étant donné que tous les journalistes qui interviewent des gens dans la situation de Jeanson prennent des risques (...) C'est une conversion courante entre journalistes : si on passe ce papier-là, qu'est-ce qu'on va avoir comme ennuis !
Question de Me Vergès, l'un des défenseurs, à Pierre Charpy : "La défense a tout de même le droit de poser la question : étant donné que cet acte {la publication de l'article litigieux} a été commis à deux, pour quelle raison, à la connaissance du témoin, Georges Arnaud est-il dans le box, et M. Charpy témoin de l'accusation ? C'est la question que la défense pose à M. Charpy."
Une question de fond qui restera sans réponse aucune.

Georges Arnaud écopera de deux années avec sursis. Et de commenter ce jugement :
- "Ils m'ont condamné en vertu d'un texte appliqué une seule fois avant moi en cent cinquante ans, et pas dans une affaire de presse. Le grief de non-révélation n'avait jamais été retenu contre un journaliste. Jamais ce détour n'avait servi, au mépris de l'esprit et de la lettre de la loi, à amener un journaliste sur les bancs du conseil de guerre".

3. Comme on peut le supposer, ce procès servit de tribune pour évoquer sans censure préalable la guerre d'Algérie, les doutes du contingent envoyé "maintenir l'ordre" de l'autre côté de la Méditerranée, les tortures, les viols, les disparitions.
Témoin de la défense, Pierre Vidal-Naquet {historien dont je salue la mémoire} évoqua notamment la disparition à Alger, après son arrestation par des parachutistes, du mathématicien Maurice Audin, professeur de Faculté. Sa fille, Michèle, vient elle aussi de refuser la Légion d'Honneur.

Le Monde :

- "La fille du mathématicien Maurice Audin, disparu à Alger en 1957, a annoncé avoir refusé la Légion d'honneur dans un courrier au président de la République Nicolas Sarkozy. Michèle Audin, elle-même professeur de mathématiques à l'université de Strasbourg et récompensée au titre de ses recherches, estime cette distinction "incompatible" avec un courrier de sa mère restée sans réponse, qui demandait au chef de l'Etat de "contribuer à faire la vérité sur la disparition" de Maurice Audin."
(11 janvier 2009).

Dans une prochaine page, ce blog reviendra sur cette "affaire Audin", victime exécutée par des parachutistes ayant depuis lors bénéficié d'une pleine et entière impunité.




lundi 12 janvier 2009

P. 67. "Paul et les autres dans sa vie"

Décidemment, ce bout de terre de La Hague ne cesse de provoquer des... vagues créatrices. Les déferlantes de Claudie Gallay ont laissé plus qu'une marée d'équinoxe dans le paysage littéraire de 2008. Mais un documentaire (long métrage) de Rémi Mauger avait déjà fait tomber les châteaux de cartes postales sur ces terres des extrêmes. Un paysan de cette presqu'île, Paul, y symbolisait une vie aussi dure que fragile...

Synopsis :

- "Paul aura bientôt soixante-quinze ans. Il est vieux garçon, paysan, pêcheur et bedeau. Il vit dans une ferme d’un autre âge avec ses deux soeurs cadettes, célibataires elles aussi.
Cette année, ils raccrochent, "ça va faire un vide dans le paysage…" Ce paysage est celui du cap de la Hague. L’air y est vif, les vents imprévisibles, le granit rugueux, l’horizon immense. Evidemment Paul est né ici. Il y mourra. Il s’y prépare. Non sans s’être acquitté de l’essentiel : transmettre son héritage."

Zéro de conduite :

- "Dans une petite ferme normande sur la presqu'île de La Hague (connue pour ses activités nucléaires), le réalisateur Rémi Mauger filme un paysan à l'orée de son départ en retraite, Paul Bedel, et l'accompagne dans les travaux et les jours.
Comme chez Raymond Depardon il s'agit à la fois d'une tentative de fixer avec objectivité un univers (économie, mode de vie, mentalité) en voie de disparition, et en filigrane, d'un questionnement intime sur le retour aux origines (Rémi Mauger est originaire de La Hague).
Par son attachement à une seule et même figure, le film est toutefois peut-être plus accessible aux élèves, et on le conseillera donc pour tout travail, transversal ou pas, autour de la notion de ruralité : en Géographie, en Education à l'Environnement et au Développement Durable, voire en SES (pour l'exemple d'une structure socio-économique archaïque)."
(10 mai 2006).


Photo du film. Voir le site : cliquer ICI.

Jean-Luc Douain :

- "Rémi Mauger, réalisateur à la télévision, né en Normandie :
"Je connais Paul depuis mon enfance ici dans la Hague, quand tout le monde ou presque était paysan. Lorsque j'avais 20 ans, on me disait de profiter de lui, parce que des comme ça, je n'en verrais plus beaucoup."
Paul Bedel :

"Tu veux faire un film sur moi ? Tu vas te donner bien du mal. Les gens doivent nous trouver folkloriques. Mais moi, je ne suis pas dans le folklore, je suis dans ma vie."

Voilà le projet de Rémi Mauger. Tout est dit. Cet homme du cru, marqué comme tous les gens du coin par l'irruption d'une usine nucléaire dans sa lande natale, témoigne. Devenu cinéaste, il a vu comment l'usine a chamboulé la région. Il a vu son père, agriculteur, répondre comme beaucoup d'autres aux sirènes atomiques, changer de métier, de vie, de rythme. Et il a ressenti le besoin, à travers ce film documentaire, Paul dans sa vie, de signer cet hommage à ce paysan pur et dur, l'un des derniers à se sentir en harmonie avec son activité et son environnement."
(Le Monde, 3 mai 2006).


Bande annonce du film.

Jérôme Garcin :

- "Rémi Mauger poursuit l'incroyable aventure de «Paul dans sa vie», son film consacré à un paysan de la Hague dont le succès a franchi les frontières du Cotentin, et même de la France.
Avec le photographe Philippe Truquin, Rémi Mauger est allé à la rencontre d'autres cultivateurs qui, malgré l'ombre portée de l'usine nucléaire, s'obstinent, entre ciel et mer, à travailler la terre et traire les vaches, parmi lesquels ses propres parents, mais aussi son frère, «exilé» dans le Calvados. Mieux qu'un livre, un apologue."
(Le Nouvel Observateur, 8 janvier 2009).

Présentation des Editions Isoète :

- "Au pays de Paul dans sa vie, voici d’autres regards, de nouvelles histoires.
Le travail photographique de Philippe Truquin a commencé lors d’une rencontre avec Paul Bedel dès 2004 au cours des derniers mois de tournage du documentaire. Rémi Mauger lui a ensuite proposé d’élargir le cercle. Aux intimes. Les parents, le petit frère, les proches, les amis d’hier et les voisins. Ceux de Paul et les siens. Leur point commun : être ou avoir été paysan, là, dans la Hague. L’épopée nucléaire ne les pas balayés. Ils s’accrochent. Certains composent avec la nouvelle spécialité locale, d’autres lui tournent résolument le dos. L’usine, ils vivent avec. Ou à côté. Cette chronique photographique conduit aussi vers ceux qui ont pris quelques distances ( tout en gardant des attaches ).
Paul et les autres, c’est la Hague de la terre et sa diaspora."


Emmanuelle Tirylli :

- "Voici le fruit de ces rencontres singulières, visages multiples nés d’une double approche, d’un double point de vue.
Rémi Mauger, l’enfant du pays, écrit du dedans.
Philippe Truquin, citadin venu d’ailleurs (de Paris !), photographie du dehors et prête l’oreille à ce petit monde pas aussi taiseux qu’il n’en a l’air.
Les regards croisés des deux auteurs, croquis intimes et verbatim, composent les portraits directs de ces personnages dans leur environnement, au plus près d’eux, à hauteur d’homme. La terre vue d’ici, en somme…"
(Région Basse Normandie FR, 27 juin 2008).

Parmi les "autres" : les vaches de Paul. Photo et DR Philippe Truquin. Voir son site en cliquant ICI.

David Fontaine :

- "Privilégiant une approche sensible et même poétique", selon Gilles Perrault, auteur de la préface, ils livrent tous deux un beau livre de photos dans le noir et blanc du reportage sur le vif, mais qui cadre ici les menus gestes quotidiens du terroir, agrémentés de sentences lâchées par ces "cultiv'acteurs". Ainsi ce cliché montrant Paul, de dos, tirant sur la queue d'une de ses chères vaches, elle aussi "de croupe", si l'on ose dire, sur le fond du paysage immense du plateau, avec cette phrase : "On s'en souvient de toutes nos bêtes."
(Le Canard enchaîné, 7 janvier 2009).



jeudi 8 janvier 2009

P. 66. Brens, un camp victime de sa réputation...

Brens : 15 mai 1940 - 4 juin 1944.

La page 64 de ce blog porte des parcelles des recherches photographiques de Nicole Bergé. Au départ des vestiges actuels de camps du Midi de la France, ces recherches tendent vers un "surréalisme", au sens de dépassement de la réalité pour mieux en éclairer les profondeurs (et les Belges sont supposés fin connaisseurs en la matière). En effet, par rapprochements, par concordances, par superpositions, par interpénétrations, par alliages, par alchimie finalement, Nicole Bergé va du particulier de chaque camp à un universel : le monde concentrationnaire, celui des victimes de la IIIe République puis de Vichy et des Nazis.

Parmi les reconstructions photographiques confiées à ce blog, Nicole Bergé propose celle-ci :
-
"...La rivière qui bordait le camp de Septfonds et la route qui longe le camp de
Brens (où toutes les baraques sont encore debout)".


Photo : Nicole Bergé (DR).

Si le nom de Septfonds (camp de Judes, lire page 64) parle à beaucoup, il n'en est pas nécessairement de même pour Brens (près de Gaillac). A moins que la rumeur stigmatisant ce camp, ne soit toujours chargée d'une "mauvaise réputation" trouvant son origine dans les droits communs de ce camp.

Et cependant Brens n'a pas manqué d'appellations toutes au plus officielles les unes les autres :

- "Camp d'accueil pour réfugiés",
- "Camp d'hébergements pour réfugiés juifs étrangers",
- "Camp de concentration pour femmes"...

Tout commence par 20 baraques, ouvertes le 15 mai 1940. Les réfugiés mis dans ce camp proviennent, pour un millier d'entre eux, des routes de l'exode au départ de la Belgique. Des familles polonaises vivent sous les mêmes toits ainsi qu'une trentaine d'Espagnols ayant fui Franco et sa dictature triomphante.

En novembre 1940, Brens atteint le chiffre de près de 1.600 réfugiés. En effet, le camp s'élargit aux juifs étrangers dispersés jusque-là à Toulouse et dans sa région.

Mars 1941 : Vichy manifeste son zèle mortifère dans la persécution des juifs. Ceux de Brens sont transférés à Noe et à Récébedou avant Drancy puis Auschwitz et leur extermination.

Le 14 février 1942, Vichy colle un nouveau statut officiel à Brens : celui de "camp de concentration" pour femmes. Les premières, au nombre de 320, provenaient de Rieucros. 26 enfants partageaient leur sort.
Les barbelés enferment dès lors une minorité de prisonnières "politiques" : des résistantes et/ou des communistes, et/ou des syndicalistes, sans oublier des espagnoles dont l'exil n'avait pas brisé les idéaux. Autre minorité, plus réduite encore des prisonnières "raciales" : des internées juives.
Quant à la majorité des femmes de Brens, elle est composée de "droit commun ", telles des prostituées (d'où une réputation négative stigmatisant ce camp de femmes).

Photo : Entrée du camp. Dossier d'inspection, 17 août 1942. DR.
A noter que les clichés de cette inspection sont extraordinairement vides d'internées. A l'exception de cette vue gadoueuse, les autres photos sont "nickels" : camp rangé, ripoliné, "exemplaire"...

Le 23 mars 1943 : les proportions s'inversent. Les "politiques" deviennent majoritaires et obtiennent enfin leur séparation d'avec les "droit commun".

Un an après, le 25 mars 1944, les dernières juives du camp sont envoyées vers la mort.

Le 4 juin 1944 : un contingent de 150 femmes est transféré au camp de Gurs. Brens est fermé.

Deux précisions encore :

- En 1991 a été créée une "Association pour Perpétuer le Souvenir des Internées des Camps de Brens et de Rieucros" ( mise en garde : le lien ouvre un site dévoré par des publicités intempestives).

- En septembre 1969 a été inaugurée une stèle avec ce message " Ici vécurent aux côtés de Résistantes Françaises, des femmes antifascistes d'autres pays réfugiées sur notre sol. Parmi elles, le 26 août 1942, des femmes allemandes et polonaises furent déportées à Auschwitz d'où elles ne sont jamais revenues. Hommage à leur mémoire ".

"Des femmes allemandes et polonaises furent déportées à Auschwitz"... Sans polémiquer, mais enfin, comment rester impassible : voilà une occultation de plus. Ces femmes ont été mises à mort car juives, parce que nées d'une mère juive, dans le contexte très spécifique de la Shoah. Et non parce qu'Allemandes ou Polonaises. Pourquoi avoir préféré le taire ?

mardi 6 janvier 2009

P. 65. Le 6 janvier 1944, le Judenlager des Mazures est vide...

Aux Mazures. Photo JEA. DR.

Aucun autre Judenlager que celui des Mazures pour toute la Région Champagne-Ardenne pendant l'occupation.
Ouvert le 18 juillet 1942 avec pour internés 288 juifs d'Anvers (Belgique), il sera fermé le 5 janvier 1944 et ses derniers juifs déportés vers Auschwitz via Drancy (1).
Un évadé, Abraham Casseres (2), a rédigé après la libération le récit (3) du dernier "réveillon" de Noël aux Mazures.

- "Il y a du plaisir à se retrouver dans la pièce des malades (4)... On en oublierait presque être enfermé dans un camp. Les lits ont été sortis de la salle, les murs sont décorés avec des images de fleurs. Dans un coin se dresse le sapin de Noël qui est garni. Mises en forme de fer à cheval, de longues tables portent, pour la première fois depuis que nous sommes dans ce camp, de véritables nappes blanches. Disposées avec beaucoup de goût et de soin, des pommes de sapins et de la verdure participent à cette ambiance de fête. Une petite estrade a été placée dans un autre coin. C'est là que seront présentés les numéros d'attraction attendus depuis longtemps, ceux-là même que les différents prisonniers ont répétés des jours entiers et dans le plus grand mystère.
... Cette atmosphère de fête demandait d'endurer des efforts étranges.


Paix sur terre ! L'épouse et les enfants ont été enlevés de la maison (5). Les meubles ont été emportés par les Allemands (6). Il y a si longtemps qu'il faut rester sans nouvelles du père et de la mère, des frères et des soeurs, des membres de la famille et des amis. Dans l'isolement du camp, nous savons néanmoins très bien quel terrible drame se passe chez nous, il nous en a été parlé à travers les barbelés. Et quand Eric (7) regarde ses compagnons qui sont assis autour de la table bien garnie, il ne voit rien que des fronts ratatinés et des joues épuisées. Ils font semblant de rire devant de l'excellente nourriture mais leurs visages sont remplis de soucis et même de tourments indicibles.
Il ignore comment cela s'est fait, mais tous ses amis qui ont pris place à table lui rappellent brusquement une toile du célèbre peintre Da Vinci : "La dernière Cène". Etait-ce un pressentiment que ce repas bien réel allait être le dernier ? (8).


Dans les baraques des Allemands, le vin faisait monter le niveau sonore. A travers les cloisons, on entendait déjà tôt dans la soirée leurs fanfaronnades de buveurs et cela ne laissait présager rien de bon. Quand les Allemands étaient ivres, il fallait que nous mettions une sourdine à nos épanchements. C'est comme ça qu'ils nous gâchèrent ce soir-là. Chaque jeune avait pourtant fait l'impossible pour rassembler, malgré les difficultés, des instruments de musique et donner de l'entrain à la pièce des malades grâce à un jazz bien bizarre."

Le site du Judenlager utilisé comme terrain de football des Mazures. Photo : JEA. DR.

- "Ainsi se passe et se perd la soirée dans les sourires et les divertissements, jusqu'à ce que tout soit brisé par l'irruption d'un garde allemand : "Weiter machen" ! Qu'est-ce que cela pouvait signifier ? Tout à coup, l'ambiance légère fut réduite en miettes. Et nous sommes longtemps restés comme figés.
Le long Jos (9) revient dans notre baraque : "C'était l'Obergruppenführer (10). Il a téléphoné pour donner l'ordre que nous puissions entonner en choeur nos chansons préférées. A minuit, la garde va venir et nous devrons chanter pour lui." Je demande alors si nous avons la liberté de choisir notre air ? Comme il me répond positivement, je propose "Mein Yiddische Mama" que nous reprendrions en Anglais. Il me répond encore que nous n'avons aucun souci à nous faire.
Les jeunes n'en croyaient pas leurs oreilles. Et comme chacun savait combien Jos a le sens de l'humour, on s'imaginait qu'il plaisantait pour ne pas changer. Et tous de dire : "Dieu, en France, tout est possible." Nous rassemblons alors les meilleurs chanteurs et il ne leur faut pas beaucoup de temps pour s'accorder à plusieurs voix. D'autant que chacun connaissait bien les paroles.

Un peu avant les douze coups, un soldat allemand vient chercher la chorale pour la conduire au corps de garde (11), là où se trouve le téléphone. De façon très militaire, celui-ci sonne juste une minute avant minuit. Un ordre bref claque : "Singen lassen". Les jeunes se mettent en arc-de-cercle devant le téléphone et entonnent ce chant :

Mijn Joodse moeder
Zo goed als jij, was er geen één.
Mijn Joodse moeder
Jij strooide liefde om je heen
Er was geen zorg, geen leed
Dat je kon hinderen;
Je ging door vuur en ijs
Voor 't lot van je kinderen...

Ils chantent encore le second couplet et terminent par :
M'n oudje, m'n echt Joodse moeder,
Moeder mijn...

Un silence de mort succède aux derniers mots. Même le garde allemand qui a le téléphone en main, reste impressionné. La plupart des choristes ont de grosses larmes aux yeux. Alors venant du téléphone, une voix résonne : "Er ist gut...", puis : "Er was sehr schön"." (12).

A l'initiative de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures, Pierre du souvenir inaugurée devant l'espace du camp, en juillet 2005 (Photo : Noël Desmons. DR).

Texte porté par la plaque de bronze :

ICI SE DRESSA DE JUILLET 1942 A JANVIER 1944
LE "JUDENLAGER" DES MAZURES
ANTICHAMBRE DE LA MORT AVANT AUSCHWITZ

Près de 300 déportés juifs d'Anvers (Belgique)
furent mis au travail forcé dans ce camp
237 sont morts ensuite à Auschwitz-Birkenau
Bergen-Belsen Buchenwald Dachau Flossenburg
Mauthausen Natzwiller Theresienstadt
27 survécurent aux camps
2 furent fusillés en Belgique après évasion
27 réussirent leur évasion
"Visiteur, observe les vestiges de ce camp et médite,
de quelque pays que tu sois, tu n'es pas un étranger,
fais que ton voyage ne soit pas inutile,
que notre mort n'ait pas été inutile."

Primo Levi

Notes :

(1) Mémorial des déportés du Judenlager des Mazures. TSAFON, Revue d'études juives du Nord, n°3 hors-série - octobre 2007, Villeneuve d'Ascq, 155 p.
(2) Evadé le 5 janvier 1944 du convoi Charleville-Drancy. Pris en charge par le réseau de résistance d'Emile Fontaine, Juste parmi les Nations. Caché ensuite à Anvers par son épouse Joanna Speeck et ce, jusqu'à la libération.
(3) Récit libre publié sous le pseudonyme de Leslie A. Martin, bloed en tranen, Amsterdam-Antwerpen, Uitgeverij Nova, s. d., 356 p.
(4) Baraque servant d'infirmerie. A noter que même les aspirines y faisaient défaut mais s'y trouver mettait à l'abri du travail forcé.
(5) 103 épouses et 124 enfants d'internés des Mazures furent envoyés à Auschwitz. Seule une épouse, Helena Michnik, survécut.
(6) Allusion à la möbelaktion entamée en 1942 : pillage systématique des biens et avoirs juifs pour théoriquement les sinistrés des bombardements alliés sur l'Allemagne.
(7) Pseudonyme choisi par Abraham Casseres dans son propre récit.
(8) Les derniers internés juifs sont en effet réunis la nuit du 4 au 5 janvier 1944 pour être descendus à la gare de Charleville d'où va partir un convoi pour Drancy. Dans ce convoi figureront aussi des ouvriers juifs des colonies agricoles allemandes et des juifs des Ardennes.
(9) Josef Peretz. Evadé de la gare de Charleville le 5 janvier 1944. Se réfugia auprès du chef de gare de Revin, Léon Devingt qui par une filière de cheminots, l'évacua vers la Belgique. Toujours en vie, domicilié à Toronto (Canada).
(10) Grade de général SS. Il est permis de supposer une confusion avec Obersturmführer, lieutenant SS, grade "banal" dans les camps.
(11) Le Judenlager s'ouvre par une porte composée de deux battants barbelés. Le corps de garde se situe dans le camp même, à droite de l'entrée.
(12) Traduit du Néerlandais par JEA.

My Yiddishe Mame.
Barbara Baranova et Thomas Novotny.


samedi 3 janvier 2009

P. 64. Nicole Bergé, plus que photographe des "camps de la honte"

Argelès, Gurs, Le Vernet, Milles, Noé, Récébedou, Rivesaltes, St-Cyprien...

La page 234 du blog du Judenlager des Mazures (fermé en mai 2008) et celui du Comité Français pour Yad Vashem (page 36) ont proposé l'an passé un aperçu du travail de recherches photographiques et à travers lui, du travail de mémoire original mené par Nicole Bergé sur le camp de Rivesaltes.

Persistant dans son sauvetage par les images de "camps de la honte" (1), ceux ouverts dans le Midi de la France pour interner - dans des conditions indignes - d'abord des réfugiés espagnols ensuite aussi des persécutés juifs, Nicole Bergé élargit continuellement son champ d'investigations et de recueil de traces photographiques. Celles-ci attestent que la République puis l'Etat Français (avec sa zone dite "libre"), l'occupant enfin accumulèrent des inhumanités successives dans des camps qui représentèrent autant d'atteintes à la dignité puis devinrent des mouroirs organisés ou des antichambres avant Auschwitz.

Dépassant les instantanés, sur base d'éléments épars, Nicole Bergé a entamé une démarche très personnelle. Elle s'y confirme à la fois artiste talentueuse, sourcière d'émotions profondes qu'elle résume en ces mots :

- "Mon travail a consisté à me rendre sur les différents lieux où ont été internés les réfugiés
espagnols, les brigades internationales et ensuite les juifs ...
Endroits tellement lourds et souvent vidés de toute trace apparente.
Je me suis rendue à Gurs, Rivesaltes, Brens, Noé, Septfonds, Récébedou, Vernet d'Ariège, Bram, les Milles, Argelès, St Cyprien.
Je vais à Rieucros tout bientôt.


J'ai ensuite voulu "reconstruire" une image comme une nouvelle mémoire, en intégrant un lieu dans un autre pour montrer que l'histoire ne s'est pas produite à un seul endroit mais sur l'ensemble du territoire dans l’histoire générale de l’internement en France. Une histoire qui est celle des diverses
populations internées et qui est aussi une page d’histoire française.
Un état des lieux qui permet aussi de découvrir les autres camps."

(Courriel à l'auteur).


De fait, les photographies fusionnent des souvenirs encore visibles de sites différents par la localisation mais ayant appartenu au même système répressif et raciste.
Et de tous ces lieux de souffrances infligées autant aux bébés à peine nés qu'aux vieillards grabataires, de tous ces "camps de la honte", Nicole Bergé compose respectueusement mais précieusement un musée imaginaire. Une somme d'émotions nullement artificielles. Comme si les internés de St-Cyprien avaient pu trouver une compréhension et partager leurs larmes avec ceux du Vernet, et ceux du Vernet avec les femmes et les hommes de Noé ou encore d'Argelès-sur-mer, et les fantômes de Récébedou avec ceux de St-Cyprien, et les ombres des Milles avec celles de Gurs, partageant elles-mêmes leur abandon par tout monde civilisé avec les internés de Rivesaltes...

Photo : Nicole Bergé. DR.

- "La plage d'Argelès-sur-mer où j'ai mis la gare du Vernet d'Ariège."

Argelès : premier camp ouvert en février 1939 pour les réfugiés espagnols. Sur la plage. Sans même de baraques. Dès mars, 77.000 victimes de Franco étaient déjà entassées dans des conditions inimaginables en un décors auparavant paisible.

Le Vernet : 12.000 Espagnols furent les premiers prisonniers des barbelés de ce camp Ariègeois. En 1940, il sera élargi aux étrangers victimes des lois racistes de l'Etat dit Français. Puis en 1942, Le Vernet devint en plus un camp de transit pour juifs destinés à l'extermination.
Au total, les registres portent les noms de 40.000 personnes de 58 nationalités différentes.

Photo : Nicole Bergé. DR.

"Le camp de Gurs (les socles de l'ancien château d'eau) et au fond, j'ai mis la tuilerie du camp des Milles."

Gurs : construit à la hâte de mars à avril 1939. Ce camp a été le lieu de détention de plus de 26.000 juifs, de plus 25.000 Espagnols, de plus de 6.000 volontaires des Brigades internationales, de près de 1.500 Français et d'une soixantaine de Tsiganes.
Milles : ouvert en 1939. Comptait 3.500 internés en juin 1940. A partir de 1942, servit de départ vers Auschwitz via Drancy.

Photo : Nicole Bergé. DR.

- "La forêt de Gurs où tout a disparu mais dans laquelle j'ai incrusté des baraques de Rivesaltes."

Rivesaltes : successivement camp militaire, camp "de transit" pour les réfugiés espagnols, "centre d’hébergement surveillé", centre régional de "rassemblement des Israélites", camp de dépôt de matériel allemand, camp d’internement pour prisonniers de guerre allemands et collaborateurs, camp de regroupement des Harkis et de leur famille, centre de transit pour les troupes du contingent…

Photo : Nicole Bergé. DR.

- "Vue d'où se trouvait le camp de Septfonds et dans le champs, j'ai posé la baraque (musée) du Récébédou, commune de Portet sur Garonne."

Septfonds (camp de Judes) : 45 baraques furent dressées à l'origine pour 16.000 Espagnols. Puis se retrouvèrent derrière les barbelés des "étrangers en surnombre" selon les (é)normes de Vichy, des officiers alliés (principalement des Polonais), des communistes et des juifs invariablement promis à l'extermination.

Récébedou : encore et toujours un camp destiné aux Républicains espagnols. Des civils belges et même français frappés par l'exode y seront de plus mis en baraques. Puis, dès l'application des lois de Vichy en 1940, des juifs et autres étrangers indésirables. En été 1942, trois convois partirent de Récébedou à destination de Drancy.

Photo : Nicole Bergé (2). DR.

- "Une baraque de Noé transformée en gradins et le cimetière du camp du Vernet d'Ariège."

Noé : "centre de séjour surveillé prévu pour une capacité de 1.600 personnes. Au 1er avril 1941, les registres du camp comptaient 1.536 noms dont ceux de 701 juifs. Avec l'application de la Shoah en 1942, quatre convois quittèrent Noé pour Drancy.

Notes :

(1) Anne Grynberg, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français. 1939-1944, La Découverte.

(2) Plus que des remerciements à Nicole Bergé pour avoir autorisé la mise sur ce blog de ses photographies. Sa générosité n'en rend sa démarche de recherches photographiques que plus estimable encore.