DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

mercredi 28 avril 2010

P. 275. Ida Grinspan ne peut pas témoigner qu'elle fut arrêtée par des gendarmes français avant Auschwitz !!!

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Ida Grinspan, Bertrand Poirot-Delpech,
J'ai pas pleuré, récit,
Robert Laffont et édition de poche (Mont. JEA).


La Mairie de Parthenay
n'a que faire des souvenirs
d'une déportée à Auschwitz
...
elle censure comme pour
réécrire une "histoire correcte"
de la Shoah
sans complices sous uniforme français


Ida Grinspan (1) est l'une de ces persécutées raciales qui continuent à parcourir les établissements scolaires pour répondre aux interrogations si graves que se posent les jeunes sur le judéocide, en particulier sur ses réalités concrètes. Ce travail de mémoire, cette rescapée le poursuit inlassablement. Car elle construit ainsi comme des passages de témoins avec des générations nouvelles, en lien avec les problèmes contemporains.
La profonde estime et le respect qui entourent Ida Grinspan, ne lui sont particulièrement pas mesurés dans l'enseignement. Là, sa lucidité, son courage, son humanité, sa générosité sont unanimement reconnus.
Or ne voilà-t-il pas que cette Dame est vulgairement censurée par une Municipalité estimant toujours que Vichy était une "autorité légitime" ? Rien à dire des rafles et des gendarmes, allez, circulez. La même Municipalité semble de plus allergique à tout "repentir". Au moins est-elle cohérente dans sa volonté d'arracher des pages peu glorieuses aux livres de l'histoire de France.

Mais avant de publier ici ce qui insupporte à Parthenay, peut-être faut-il se rappeler, s'il en est besoin, le "récit" croisé entre Ida Grinspan et Bertrand Poirot-Delpech. Un livre au titre aussi pudique que terrible : "J'ai pas pleuré".

4e de Couverture :

- "Ida, née en France de parents juifs polonais, a quatorze ans quand elle est déportée à Auschwitz, le 13 février 1944. Dix-sept mois plus tard, elle est libérée. Elle n’en tire pas gloire. Elle parle plutôt de chance. La chance d’avoir été protégée par une infirmière polonaise alors qu’elle était atteinte du typhus. Wanda, c’est son nom, se jure de soigner Ida et la sauve de la mort. Depuis sa libération, Ida n’a eu qu’un désir, revoir cette infirmière qui avait pansé ses pieds gelés. En avril 2001, elle la retrouvera. Trop tard. Wanda, quatre-vingt neuf ans, plongée dans un coma profond, ne la reconnaîtra pas.
Bertrand Poirot-Delpech et Ida Grinspan se sont connus en mars 1988 à Auschwitz ; c’était la première fois qu’Ida retournait au camp depuis sa libération. Elle accompagnait un voyage de lycéens. Bertrand Poirot-Delpech s’est proposé d’être le scribe d’Ida et de coucher sur le papier son témoignage unique. Il donne à ce récit une intensité, une vérité et une force grâce à son écriture juste, simple et sensible. Il exprime ce que l’émotion et l’humilité empêchent Ida de dire elle-même et rappelle au fur et à mesure les événements de ces années noires.N’être qu’un numéro, ne rien posséder de personnel qu’une gamelle et une cuiller, avoir constamment faim, froid, être épuisée, battue et craindre le pire à chaque instant.
Comment le raconter ? Ida sait qu’elle a une mission sacrée, celle que lui ont confiée au camp, avant de mourir, ses camarades : "Si tu rentres, il faudra leur dire. On ne te croira pas, mais il faudra le dire…"

Cette "mission" qu'évoquent les rescapés comme une dette envers toutes les autres étoiles massacrées, voici qu'elle vient de se heurter à une Mairie au choix non équivoque. En effet, à Parthenay, dire qu'on a arrêté le plus de juifs possible, enfants, femmes, vieillards, pour appliquer à ces innocents la "solution finale", ce n'est pas choquant. Evoquer les camps, y compris d'extermination, pourquoi pas ? Mais rappeler que la Shoah ne fut pas l'oeuvre des nazis seuls, là il importe d'"apaiser les ressentiments".

NouvelObs.com :

- "La Mairie de Parthenay a censuré une lettre écrite par Ida Grinspan, ancienne déportée, qui devait être lue à des élèves dans le cadre de la Journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation, selon le Courrier de l'Ouest daté du mercredi 28 avril (…).


Ce témoignage a heurté Michel Birault, ancien gendarme et adjoint en charge des affaires patriotiques. Ida Grinspan y évoque son arrestation par trois gendarmes à 14 ans. Le professeur a accepté, à contrecoeur, de remplacer le mot "gendarmes" par "hommes".
Michel Birault a présenté ensuite le texte au maire Xavier Argenton (NC) qui, lui, a refusé sa lecture. "Ne stigmatisons pas une catégorie professionnelle qui dans ces temps troubles avait obéi aux ordres de l'autorité légitime (2)", a-t-il dit à son adjoint. Ce texte "n'est pas de nature à apaiser les ressentiments à une époque où le repentir est malheureusement mis en exergue", a-t-il ajouté (…).

Pour Ida Grinspan: "C'est terrible, cette mentalité-là. Il faut savoir regarder la vérité en face. Ce que je dis dans ce texte, je le dis à chaque fois que j'interviens dans une école. Je dis simplement ce qui a été".

Et d'ajouter dans une interview complémentaire : "c'est une forme de révisionnisme". (3)
(28 avril 2010).


1945. Portrait d'Ida Grinspan à son retour de captivité (DR).

Témoignage d'Ida Grinspan :

- "La nuit du 30 au 31 janvier 1944, un dimanche soir à minuit trente, trois gendarmes viennent m'arrêter.
Ma nourrice s'interpose prétextant que je n'ai que quatorze ans, à quoi ils rétorquent : "Nous avons des ordres et si on ne la trouve pas, om emmène votre mari." Donc pas question de s'enfuir.
J'ai été conduite à Niort dans un dépôt où j'ai rejoint une cinquantaine de personnes arrêtées dans la région. Le surlendemain, nous avons été envoyés à Drancy, où je suis restée une semaine (...).
Le 10 février 1944, la police française nous a emmenés à la gare de marchandises de Bobigny, où un immense train de wagons à bestiaux nous attendait, ainsi qu'une bonne dizaine de soldats allemands." (4) et (5)

Sa mère avait été arrêtée en 1942. Son père en 1944, après Ida. Les deux parents ne reviendront pas d'Auschwitz.

NOTES :

(1) Ida Grinspan, les derniers témoins racontent, cliquer : ICI.

(2) Organisée par le Département de la mémoire combattante de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), une exposition itinérante circule actuellement en France. Elle décrit la cinquantaine de policiers et de gendarmes reconnus Justes parmi les Nations. Son titre : "Désobéir pour sauver". Sa présentation officielle :
- "Dans la France occupée par l'Allemagne nazie ces hommes ont renoncé à l'obéissance que leur imposait leur fonction. Malgré les risques auxquels ils s'exposaient, mus par la seule voix de leur conscience et de leur humanité, ils ont refusé de "livrer" des Juifs à la Déportation, contrant les ordres donnés par les responsables du régime de Vichy."

(3) Que Dominique Hasselmann soit remercié pour avoir, aussitôt leur publication, transmis ces articles à ce blog.

(4) Mémoires de la Shoah, photographies et témoignages, préface de Michel Winock, Ed. du Chêne, 2005, 207 p. (page 198).

(5) Sabine Aussenac propose une lecture complète de la lettre signée par Ida Grinspan puis censurée. C'est sur Le Post.


P. 274. 25 avril 1974 : la révolution des oeillets

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LIBERDAD, banderole du 25 avril 1974 (Graph. JEA / DR).

25 avril 1974 : Portugal
des militaires
font tomber une dictature de 46 ans
pour remettre le pouvoir
à la démocratie

Ce n'est pas si loin dans les mémoires. Au Portugal : Salazar entama sa dictature en 1933. Et passa intact à travers notamment la Seconde guerre mondiale. Pour finir "paisiblement" dans son lit en 1970. Le sang des libertés massacrées nourrit l'espérance de vie nuisible d'un tel vampire.
Dès avant sa mort, le système personnalisé alors par le Dr Caetano, avait soigneusement prolongé l'encagement du pays, ne doutant pas de bénéficier encore de décennies d'oppression devant lui.

Il était minuit vingt minutes, le 25 avril 1974.
A la radio jusque-là aux ordres de la dictature, la voix de Zeca Afonso. Il chante : "Grândola, vila morena". C'est le signal d'une révolution qui débute. Sans victimes. La dictature s'écroulera en deux jours seulement...

- "Grândola, vila morena
Terra da fraternidade
O povo é quem mais ordena
Dentro de ti, ó cidade
Dentro de ti, ó cidade
O povo é quem mais ordena
Terra da fraternidade
Grândola, vila morena
Em cada esquina um amigo
Em cada rosto igualdade
Grândola, vila morena
Terra da fraternidade
Terra da fraternidade
Grândola, vila morena
Em cada rosto igualdade
O povo é quem mais ordena
À sombra duma azinheira
Que já não sabia a idade
Jurei ter por companheira
Grândola a tua vontade
Grândola a tua vontade
Jurei ter por companheira
À sombra duma azinheira
Que já não sabia a idade."

- "Grândola, ville brune
Terre de fraternité
Seul le peuple est souverain
En ton sein, ô cité
En ton sein, ô cité
Seul le peuple est souverain
Terre de fraternité
Grândola, ville brune
A chaque coin un ami
Sur chaque visage, l’égalité
Grândola, ville brune
Terre de fraternité
Terre de fraternité
Grândola, ville brune
Sur chaque visage, l’égalité
Seul le peuple est souverain
A l’ombre d’un chêne vert
Dont je ne connaissais plus l'âge
J’ai juré d’avoir pour compagne
Grândola, ta volonté
Grândola, ta volonté
J’ai juré de l'avoir pour compagne
A l’ombre d’un chêne vert

Dont je ne connaissais plus l'âge."

Il est vraiment rare en histoire de pouvoir proposer, de retenir un moment aussi précis : jour, date, heure et lieu où, sans conteste, tout bascule. Pour cette révolution pacifique des oeillets au Portugal, la diffusion de cette chanson marque bien le début de la fin fulgurante du Salazarisme.

Menée par des militaires, une révolution qui choisit l'oeillet pour symbole, décidément, au Portugal, tout fut exceptionnel (DR).

Le Monde s'empresse d'envoyer un reporter chevronné à Lisbonne pour couvrir cette sortie de l'isolement du Portugal, son retour par la grande porte à la démocratie.

Dominique Pouchin :

- "Finalmente !" (enfin) : la mine rougeaude du douanier de service au poste frontière d'Elvas s'éclaire d'un large sourire. Il n'ajoute pas un mot. Il a déjà tout dit (...).
On ne parle pas à Lisbonne de révolution, et les rares personnes qui se risquent à écrire le mot utilisent prudemment les guillemets. L'armée a pris le pouvoir : une "junte de salut national" a été formée, un programme démocratique publié et des mesures immédiates de libéralisation ont été appliquées. Le peuple, lui, n'a joué aucun rôle décisif, même si dans les grandes villes il n'a rien caché de ses sentiments (...).

L'enthousiasme des premières heures passé, il faudra, selon l'expression de M. Raul Rego, directeur de Republica, journal d'opposition socialiste, "songer sérieusement à l'avenir du Portugal", un effort proche dont les étapes essentielles sont dores et déjà planifiées par le "programme" présenté le 26 avril par la junte. Ce programme a incontestablement surpris les milieux d'opposition de gauche qui ne s'attendaient pas à ce que les mesures immédiates fussent aussi "radicales" : abolition de la censure et du contrôle préalable, dissolution de la police politique etc..."
(Le Monde, 28-29 avril 1974).

Manifestation à Lisbonne. Second enterrement de Salazar (DR).

Lire :
- Le Monde, Les grands reportages, 1944-2009, les arène - Europe 1, 2009, 575 p.



lundi 26 avril 2010

P. 273. Deux mises au point : persécution des Tsiganes de France - nombre de Justes parmi les Nations

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Emmanuel Flihol et Marie-Christine Hubert
Les Tsiganes en France : un sort à part, 1939-1946,
préf. Henriette Asséo,
Perrin, 2009, 399 p.

Deux brefs prolongements
au premier Colloque sur
"La Shoah dans les Ardennes" :
- Tsiganes de France
- Justes parmi les Nations

Ce 24 avril 2010, à l'heureuse initiative de Mrs P. Sabourin et F. Pigeot, professeurs au Lycée St-Rémi de Charlevilles-Mézières, s'est déroulé un Colloque autour de la Shoah dans les Ardennes.
Malgré une absence remarquée d'informations dans la presse (il est vrai unique pour l'écrit - L'Ardennais - comme pour l'audiovisuel - FR3), cette première a rassemblé un public remarquablement attentif et visiblement intéressé.
Et ce public n'a pu qu'être sensible aux participations d'une grande dignité d'élèves de Terminale littéraire en ce Lycée St-Rémi.

Le nombre et les sujets prévus au programme ont quelque peu surchargé l'horaire prévu, ce qui entraîna l'impossibilité, avant la clôture du Colloque et l'appel des noms des enfants juifs déportés des Ardennes, de procéder à des échanges entre le public et les conférenciers, entre les conférenciers eux-mêmes.
Ce qui impose a posteriori les deux mises au point qui vont suivre. Celles-ci portent sur deux affirmations nullement à charge des organisateurs mais énoncées en commentaires, soit :
- "Il ne faut pas oublier le génocide des Tsiganes de France".
- "En France, les Justes n'ont pas été des milliers mais des millions, oui, des millions".

1. Les Tsiganes de France.

Proposé en introduction à cette page, le dernier ouvrage de référence, celui d'Emmanuel Flhol et de Marie-Christine Hubert, est présenté comme suit par l'Editeur :

- "A l'automne 1940, les Tsiganes de France furent rassemblés pour être transférés dans une trentaine de camps gérés par Vichy. Ces Français de souche parfois ancienne (certains sont arrivés au xve siècle), quelquefois sédentaires mais le plus souvent nomades, étaient fichés depuis 1912 et tenus par la loi de faire valider leurs " carnets anthropométriques " auprès des gendarmeries : des fichages préalables qui facilitèrent leur internement.
Ainsi le sort des Tsiganes en France fut particulier, différent de celui qui fut fait aux Juifs déportés dans les camps de concentration et d'extermination et aux Tsiganes d'Europe. En mettant en lumière cette page ignorée de notre histoire, Marie-Christine Hubert et Emmanuel Filhol ont réalisé ici un travail inédit, souvent émouvant, grâce aux témoignages qu'ils ont retrouvés dans les archives, mais aussi auprès de survivants.
Cette histoire tragique croise celle de la Seconde Guerre mondiale avec son cortège d'horreurs - abandonnés dans leurs camps, les Tsiganes vont vivre dans des conditions misérables et ne seront libérés qu'en 1946 -, mais elle puise aussi ses sources aux fondements de la Troisième République : une république fortement attachée à façonner un citoyen français à ses normes -laïc, sédentaire, éduqué - aux antipodes d'une culture orale, nomade, et... différente."


Pour se limiter à une conclusion succincte sur le sort des Tsiganes en France, les lecteurs pourraient se replonger dans la transcription des conférences sur :
- "La mémoire et l'oubli : L'internement des tsiganes en France 1940-1946",
par Emmanuel Filhol, chercheur au centre de recherches tsiganes de Paris V, et au centre de recherches Épistémé de Talence ainsi que Jacques Sigot, pour l'histoire du camp de Montreuil-Bellay :
- "Les Tsiganes français n’ont pas été déportés à Auschwitz, sauf des Tsiganes raflés dans le Pas de Calais."
(Réf. : lien).

Pour rappel, les Tsiganes de France ont effectivement été enfermés dans une trentaine de camps dont 22 pour eux seuls. La place manque ici pour tous les citer, ces camps, mais on trouve dans leur triste liste : Beau-Désert (Mérignac), La Morellie (Indre-et-Loire) et Saliers (Midi)...

Il y a consensus sur une ordre de grandeur d'environ 3.000 gens du voyage ainsi privés de liberté dans des conditions cruelles. Celles-ci entraînèrent d'ailleurs des décès par sous-alimentation chronique, par manque de soins...

En France, pour les Tsiganes, la réalité d'une persécution raciale et donc spécifique s'impose sans contestation possible. Elle s'est même prolongée en quelque sorte jusqu'en... 1946 !
Mais, toujours pour l'histoire tragique des Tsiganes en France, "persécution" n'est pas pour autant synonyme de "génocide". Il n'a pas été procédé à l'exécution systématique et programmée de tous les Tsiganes de l'Hexagone, du plus petit bébé à la personne la plus âgée de cette communauté.
Car de France, il faut peut-être le répéter, les Tsiganes ne furent pas déportés, ne furent pas frappés par une "solution finale".
A une seule exception, hélas : le convoi XXIII Z du 15 janvier 1944 au départ du Sammellager de Malines à destination d'Auschwitz. Ce convoi comptait 351 Tsiganes de Belgique et du Nord de la France (rattaché au Haut-commandement militaire allemand de Bruxelles). 175 enfants de Gitans durent montrer dans les wagons à bestiaux de ce convoi. A la libération, il ne restait que 12 survivants.


Camp pour Tsiganes de Montreuil-Bellay en 1944 (Ph. : Archives Jacques Sigot / DR).

Cette mise au point s'inscrit très exactement dans un respect de la Mémoire de la communauté tsigane en France. Il est exclu de tenter d'établir une hiérarchie des horreurs, de participer à compétition indécente entre les victimes. Mais honorer celles-ci, c'est approcher au plus près la vérité de leurs sorts respectifs. Et dès lors, en l'espèce, ne pas confondre une extermination comme celle d' Auschwitz avec une mise derrière les barbelés d'un camp en France.

2. Justes parmi les Nations en France.

Ce préalable, si vous le voulez bien. Un passage de la présentation des Justes par le Comité Français pour Yad Vashem :

- "Ceux {les juifs de France} qui ont survécu le doivent souvent à des hommes et des femmes, non juifs, qui n’écoutant que leur conscience, les cachèrent, les protégèrent et les sauvèrent ainsi de la mort. Célèbres ou anonymes, de tous âges et de toutes origines, de toutes appartenances religieuses et politiques et de tous milieux sociaux, ces hommes et ces femmes d’honneur avaient pour dénominateur commun le respect des valeurs morales, le rejet du fascisme et le courage d’agir malgré les risques encourus. En leur décernant le titre de « Juste parmi les Nations », la plus haute distinction civile, l’Etat d’Israël leur rend hommage. Ce titre est, en effet, la traduction de l’expression hébraïque "Hassidé Oumot Haolam", qui, dans le Talmud, était utilisée, depuis l’Antiquité, pour qualifier les non-juifs « vertueux, œuvrant avec compassion et justice ». Il est attribué par le Mémorial Yad Vashem, édifié sur le Mont du Souvenir à Jérusalem le 12 mai 1953, cinq années après la création de l’Etat d’Israël."

Combien de Justes parmi les Nations ?

Au 1er janvier 2010 :
- 3.158 Justes avaient été reconnus en France par Yad Vashem,
- dont 167 pour l'année 2009.

A la même date, et dans le monde, étaient dénombrés :
- 23.226 Justes parmi les Nations.

Pour l'ensemble des pays occupés par les nazis, un seul a mérité d'être honoré du titre de Juste : le Danemark qui a sauvé la quasi totalité de sa communauté juive transférée en Suède, pays neutre.
Quant aux localités, elles ne sont que deux à être entrées dans l'histoire de la Shoah en tant que havres de presque paix au milieu des atrocités :
- Nieuwlande, en Hollande,
- le Chambon-sur-Lignon, en France.

Tels sont les chiffres officiels pour les héros. Et les victimes, en se limitant à la France ?

- 330.000 juifs dont 190.000 Français et 140.000 étrangers vivaient en France métropolitaine en 1940.
- 3.000 sont morts dans des camps en France même (par exemple à Gurs).
- Plus d’un millier ont été massacrés sur le territoire français (exemple de la ferme Guerry près Bourges avec des juifs de St-Amand-Montrond arrêtés par la Milice).
- 76.000 dont 11.000 enfants, furent déportés. A la libération ne restaient que 2.550 rescapés (aucun enfant).

Un consensus marque une analyse largement partagée et qui aboutit à constater que la Shoah a été fatale pour un quart des juifs de France.

Sans esprit polémique, mais en n'oubliant pas pour autant la critique historique : que penser, dans ce contexte, de l'affirmation évaluant à "des millions"... les Justes de France ?

A g. : exemplaire du Diplôme officiel de Juste. A dr. : Juliette Laneurie, Juste de Saint-Amand-Montrond. Dans ses bras, le petit Jean-Yves que le couple Laneurie a adopté. Pour déboulonner symboliquement le souvenir de son ancien Maire Papon, la Municipalité de Saint-Amand-Montrond inaugure le 5 mai prochain une esplanade et une stèle des Justes... (Mont. JEA _ Ph. CFYV et arch. fam. Laneurie / DR).

Donc actuellement, pour les héros, un peu plus de 3.000 Justes en France.
Pour les persécutés toujours en vie à la libération : un peu plus de 250.000 juifs.

Sur quelles bases reposerait l'affirmation voulant que, pour la France, seul 1 Juste serait jusqu'à présent porteur de ce titre pour 1.000 anonymes le méritant eux aussi ? Cet ordre de grandeur : des millions de "Justes" plutôt que moins de 4.000 honorés comme tels à ce jour, serait à lui seul et à tout le moins interpelant.
Une même interrogation en deviendrait incontournable : pour un peu plus de 250.000 rescapés en 1945, faut-il envisager des millions de sauveurs ? Soit, par exemple, une moyenne de près de 8 "Justes" par juif sauvé (en supposant 2.250.000 "Justes") ? Inutile d'insister sur une telle invraisemblance...
Ou encore : selon l'INSEE, la population française en 1940 s'élevait à 41 millions d'habitants. Avant les morts suite aux faits de guerre. Les prisonniers déportés. Des "millions de Justes" reviendrait à estimer à 1 Français sur 4 cette reconnaissance ?


Il y eut le mythe gaulliste d'une "France résistante". Celui communiste d'un "parti des fusillés". Nous n'allons pas tomber dans celui d'une France aux "millions de Justes" ?

Gonfler démesurément les mots aboutit à les vider en tout ou partie de leur sens. Ainsi, chercher à tout prix à ajouter des génocides aux trois ayant marqué le XXe siècle : Arméniens, Shoah, Tutsis, revient à une remise en cause de la notion même de génocide et surtout des réalités ! Evoquer un crime contre l'humanité en lieu et place d'un crime de guerre conduit à des confusions - volontaires ou non - qui ne relèvent pas de l'histoire mais de choix politiques, idéologiques ou autres. On entre en terrain marécageux de suppositions, de fantasmes voire de manipulations.

En conclusion, ainsi que le Comité Français ne cesse de le souligner, certes de "nouveaux" Justes viennent sans cesse agrandir la famille extraordinaire de ceux de France (avec un rythme actuel de plus de 150 par an). Certes et malheureusement, des sauveurs de juifs ne seront jamais identifiés et des dossiers ne pourront pas prouver leur générosité, leur désintérêt mais encore leur humanisme exemplaire. Mais à leur propos, le Comité Français rappelle :
- "Les « Justes » de France restés inconnus sont, depuis 2007, collectivement, honorés au Panthéon comme les autres grands hommes auxquels la France rend hommage."

Deux couples de Justes. A g. : Henri et Simone Voisin. A dr. : Henri et Renée Guy (MonT. JEA - Ph. CFYV / DR).

samedi 24 avril 2010

P. 272. "Salamandra, enfant de Patagonie"

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"Salamandra"
enfant du cinéma argentin
et de l'après-dictature...

Allez, encore un film "gens d'ici non admis". A moins qu'un frère ou qu'un père Noël ne vous l'apporte par la cheminée (enfin éteinte) sous forme de disquette (je suppose que la petite galette pas des rois s'appelle comme ça).

Un premier film. Pas encore adulte selon une majorité de critiques. Donc les prémices d'une oeuvre en devenir. Avec, est-il permis d'espérer et de le souhaiter, quelques fées et/ou sorcières du septième art pour marraines...

Synopsis :

- "En prison depuis des années, Alba sort enfin et retrouve son fils. Dans l'Argentine du début des années 1980, après la dictature, la trentenaire et le petit garçon prénommé Inti se cherchent un avenir à deux. Alors qu'Alba peine à trouver un logement décent dans la vallée d'El Bolson, au sein d'une communauté hippie de Patagonie, Inti observe avec autant d'effroi que de curiosité le monde chaotique qui l'entoure."

Pablo Agüero :

- "Pour moi, donner de l'espoir équivaut à dire :

« Attendez, ce sera mieux plus tard, au paradis peut-être ».
Je préfère le désespoir qui dit :
« Allez-y tout de suite, jusqu'au bout, c'est maintenant ou jamais ! ».
L'enfant est comme ça, je crois. Il ne se prend pas la tête avec la morale de l'espoir ou du désespoir ; il est dans l'immédiat."

Extrait du film. Voir son site (DR).

EcranNoir :

- "Ne pas rater ce film pas comme les autres : né
sous une bonne étoile au Festival des Scénaristes de Bourges, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs 2008, puis dans de nombreux festivals internationaux, et bénéficiant, enfin, d’une sortie en salles où son humanité et sa profonde justesse ont une plus grande chance de toucher les spectateurs qui auront la curiosité de s’y frotter."
(20 avril 2010).

Thomas Sotinel :

- "La mise en scène, qui serre les personnages de près sans jamais tenter de pénétrer leurs motivations, épouse parfaitement le regard d'un enfant. Seules transparaissent les émotions les plus élémentaires : la peur, le besoin d'être embrassé, la faim, la colère.

Le jeune Joaquin Aguila, natif d'El Bolson, donne à Inti une force peu commune. Tout en inquiétude, en intériorité, Joaquin Aguila fait mal rien qu'à le regarder.
Au bout du compte, c'est en faisant monter les émotions brutes que Pablo Agüero parvient à dresser le constat d'échec d'une génération."
(Le Monde, 21 avril 2010).

Eric Vernay :

- "Le contexte historique (la fin de la dictature argentine, début 80's), n'est abordé qu'en creux, aussi flou que ce lieu étrange où atterrissent nos deux héros. Au milieu d'une communauté hippie, le regard de la caméra mouvante d'Agüero épouse celui d'Inti, plus intéressé par les champignons, les fesses nues de ces (plus ou moins) jeunes gens, et les cafards grouillant au sein de la maisonnée, que par les splendides montagnes enneigées qui encadrent la vallée d'El Bolson.

Si Agüero capte si bien l'essence de ce lieu interlope, où cohabitent les rescapés de la dictature de Jorge Videla, les hippies gavés aux champis, les étrangers déjantés (l'Américain drogué joué par John Cale interprète un tango !) et les chiens errants, c'est en partie parce qu'il y a grandi à la fin des années 1970."
(Excessif).


Emilie Deschamps :

- "L'histoire d'Inti et de sa maman Alba, fraîchement débarqués dans la communauté, n'est en effet qu'un prétexte pour décrire l'étrange population de cette vallée.

Hippies sur le retour, adeptes du new-age et autres paumés y pullulent et forment une collection de personnages atypiques, parmi lesquels John Cale, en musicien allumé, qui brille lors de la plus belle scène du film, une chanson improvisée. Mais 'Salamandra' laisse un goût d'inachevé."
(evene.fr, 15 avril).

Dolores Fonzi et Joachim Aquila (DR).

Niko :

- "Pablo Agüero prend le parti de livrer des images qui n’ont rien de « beau », un comble pour un lieu à priori paradisiaque. Armé de sa caméra à l’épaule, il filme au naturel et à l’énergie, construisant des plans séquences efficaces pour un ensemble qui recherche l’immersion totale, à la frontière entre fiction et documentaire.

Salamandra se livre comme un trip sous acide, un récit initiatique vu avec les yeux d’un enfant. Vision forcément déformée de la réalité, parasitée par l’éclat des souvenirs épars, surchargée de personnages bizarres et de visions presque cauchemardesques, le film est parfois maladroit et a parfois tendance à perdre le cap au fil de ses errances, mais l’expérience ne manque pas d’intérêt et laisse de beaux espoirs pour le futur du cinéma argentin, définitivement capable de tenter des choses nouvelles. D’autant plus que les acteurs sont formidables avec l’apparition savoureuse de John Cale (ex du groupe Velvet Underground)."
(filmosphère, 20 mars).

Rita Bukauskaite :

- "Le jeune réalisateur et scénariste Pablo Aguero, choisit de traiter un sujet original en lui attribuant son rythme, sa forme narrative et visuelle. En utilisant fréquemment les ellipses dans la narration, le réalisateur parsème son film d’indices sur la vie des plus démunis face au paysage aride de Patagonie. Une image sale, délavée, "décadrée" donne au film la forme d'un brouillon, comme si la possibilité d’un monde meilleur n’était pas encore effacée."
(il était une fois le cinéma)

Vincent Ostria :

- "Salamandra pourrait aussi bien s’intituler “L’Anguille”, tant il est inclassable.

C’est un objet polymorphe, inquiétant et farcesque, brouillon et sentimental.Un film mal peigné comme ses personnages, parfois à la limite de l’incohérence, à l’instar de son héroïne, Alba (…).
Une œuvre biscornue, aussi humaine qu’animale, calquée sur ses personnages sans épine dorsale oscillant au gré du vent, des rebelles sans cause dont la fureur de vivre n’est pas manifeste. Une vision alternative de la Patagonie dans les années 1980."
(les inrocks, 16 avril).


John Cale dans "Salamandra".



jeudi 22 avril 2010

P. 271. Oiseaux des Ardennes

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Fin de banquet (Ph. JEA / DR).


Toponymie : 26
Traces de plumes
dans les paysages ardennais


Aiglemont, Le Nid d’Aigle,

L’Alouette,

La Bécassière,

Gué de la Bécasse,

Croix Canard,

le Noyer Canard,
Champ de la Canne,

Fosse aux Canes,
Vivier aux Canes,

Le Colombier,

Le Coq Banni,

Coq Jai,
le Coq Sauvage,
Fond des Coqs,

Fond du Bec de Coq,
Ruisseau de la Noue le Coq,
Vallée des Coqs Verts,

Champ Corbeau,

Ruisseau du Corbeau,
Bois Corbeaux,

Ferme aux Corbeaux,
Fontaine aux Corbeaux,
Fosse aux Corbeaux,

Mont du Cygne,


Il fait le beau et pérore, faussement sauvage, avant que les chasseurs ne se l'offrent, de vrais sauvages, eux (Ph. JEA / DR).

Allée des Faisans,
Ferme la Faisanderie,

Forêt domaniale de Montfaucon,

La Fauvette,

Les Fauvettes,

Mont du Geai,

Ravin du Geai,

Fontaine aux Grues,

la Gruerie,
Mont des Grues,

L’Epine Héron,
Côte des Hérons,

Fond des Hérons,
Ile des Hérons,
Etang de la Héronnière,

Pré de la Héronnière,

Le Merle Blanc,

La Merlière,

Bain de soleil (Ph. JEA / DR).

Les Mésanges,

Mont Moineau,

Cul des Oies,

Pâquis des Oies,
Patte d’Oie d’Aubigny,

Le Cessier l’Oiseau,

Vallée des Oiseaux,

Fosse de l’Oison,

Allée des Pigeons,

Terres aux Pigeons,

Mont Pinson,

La Patte de Poule,

Bois des Poules,
Bois de la Poulette,

Le Petit Ramier,

Bois du Rossignol,

Ferme du Rossignol,
Ruisseau du Rossignol,
Fontaine au Rossignol,

Le Rouge Gorge.

Tourterelle à la robe d'aurore (PH. JEA / DR).


mardi 20 avril 2010

P. 270. Premier colloque sur la Shoah dans les Ardennes

.
Carton d'invitation (Lycée Saint-Rémi, Charlevilles-Mézières / DR).

Samedi 24 avril 2010
"Autour de la Shoah
dans les Ardennes"

Colloque au Lycée St-Rémi
6 place W. Churchill
Charleville-Mézières


Dans les enceintes scolaires, évoquer, sur base de documents et de témoignages, la Shoah dans les Ardennes, n'a pas toujours été du domaine des évidences ni des priorités. A titre personnel, je puis attester que jamais l'Inspection académique n'a estimé devoir répondre à mes courriers, de même que quelques directions d'établissements scolaires.
Par contre, d'autres ont élaboré des programmes et des réflexions de qualité. Ainsi le Lycée de Sévigné ou le Centre de Formation pour Apprentis. Mais sans établir de palmarès déplacé en la matière, deux professeurs du Lycée Saint-Rémi, MM Sabourin et Pigeot, mènent à vraiment long terme un travail de mémoire exceptionnel. Sous formes diverses et complémentaires : voyage à Auschwitz, publication, documents audio-visuels, conférences-débats en classes, participation active à une cérémonie de reconnaissance de Justes parmi les Nations - dont des Ardennais - à l'Assemblée nationale...
L'un professe l'histoire, l'autre les lettres, tous deux conjuguent leurs connaissances et leurs compétences pour que la Shoah ne soit plus présentée aux jeunes Ardennais comme un phénomène extérieur ou du moins marginal dans leur département (ce qui était encore le discours ambiant jusque dans les années 90).
Ce colloque représente donc un aboutissement de leurs efforts pour que l'histoire, toute l'histoire de l'occupation des Ardennes, englobe les formes diverses mais tout aussi meutrières qu'y présenta la Shoah. Mais le même colloque servira sans doute de point de départ pour de nouvelles vocations de chercheurs. Et peut-être pour des ouvertures d'archives familiales ou autres mais toutes susceptibles d'apporter des lumières nouvelles sur une période baignant dans tant de nuits et tant de brouillards.

Cette brève introduction serait incomplète sans une pensée envers Jacques Lévy qui créa et présida les Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (Ardennes).

Programme

13h45
Ouverture du colloque
Lecture 1 – Extraits des Notes de Zalmen Gradowski
Intervention du Directeur

14h
Communication 1 – La Shoah, de Berlin à Vichy. Un génocide singulier.
par P. Sabourin,15 mn

14h15
Communication 2 – Les déportations dans les Ardennes.
par Philippe Lecler, 20 mn
Lecture 2 – Chant du peuple juif assassiné d' Isaac Katznelson

14h40
Communication 3 – La W.O.L. dans les Ardennes
par Anne François,30 mn

15h10
Communication 4 – Déportation et sauvetage des travailleurs juifs de la W.O.L.
par Christine Dollard-Leplomb, 30 mn
Lecture 3 – Psaume de Paul Celan

15h45 – 16h
Questions et échanges avec le public.

________________________________

16 h 00 – 16 h 30 Pause
Projection des courts-métrages réalisés par l'option audio-visuel (F. Pigeot)

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Affiche du colloque (Lycée St-Rémi / DR).

Lecture 4 – Si c'est un homme de Primo Levi

16 h30
Communication 5 – Autour d'une lettre inédite de Sarah Guttman
par Marie-France Barbe et Sylvie Laverdine, 20 mn

16h50
Communication 6 – Le cas de la famille Cyminski
par Philippe Lecler, 20 mn

17h10
Communication 7 – 18 juillet 1942-5 juin 1944, le Judenlager des Mazures, antichambre de la mort avant Auschwitz
par Jean-Emile Andreux, 30 mn

17h40- 17h50

Questions et échanges avec le public.

17h50

Clôture du colloque

lecture 5 – Extrait de L'Imprescriptible de Vladimir Jankélévitch

18h

Lecture des noms des enfants juifs déportés des Ardennes.


Image symbole du Judenlager des Mazures. Les 288 internés juifs de ce camp de travail forcé provenaient tous d'Anvers et donc portaient l'étoile jaune obligatoire en Belgique avec la mention "JUDE" (Ph. JEA / DR).

dimanche 18 avril 2010

P. 269. Le cadavre de Franco bouge encore

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Baltasar GARZON, Un monde sans peur, Calmann-Lévy, 2006, 310 p.

Almodovar :
"Une nouvelle victoire de Franco",

celle contre le Juge Garzón
accusé de "prévarication"
pour oser soulever les tapis
des fascistes espagnols...


Jean-Paul Marthoz (journaliste et essayiste) :

- "Le juge Baltasar Garzón sommé de s’asseoir au banc des accusés pour prévarication : l’amicale internationale des terroristes et des tortionnaires croit tenir sa vengeance. Les sympathisants de l’organisation séparatiste basque ETA applaudissent, les nostalgiques du général Pinochet sabrent le champagne, les réseaux extrémistes islamiques exultent, les héritiers du franquisme lèvent le bras, cara al sol (face au soleil).
(…) {Le juge a ouvert} en 2008 une enquête sur les exécutions sommaires et les disparitions perpétrées lors de la guerre civile (1936-1939) et sous le règne du général Franco (1939-1975), des faits couverts par la loi d’amnistie et d’amnésie de 1977. Même s’il a dû abandonner cette enquête, suivant ainsi l’avis du parquet, Baltasar Garzón a été accusé par le Tribunal suprême d’avoir abusé de ses prérogatives et agi « de mauvaise foi ». Depuis l’annonce de cette procédure, les défenseurs des droits de l’homme sont sur le pied de guerre, non seulement parce que le juge espagnol est leur icône, mais aussi parce que pour eux, les lois d’amnistie sont une félonie.
(…) Peut-on construire une démocratie sur l’impunité ? Le débat oppose depuis des décennies ceux qui prônent l’oubli et ceux qui exigent la justice. Baltasar Garzón a toujours exigé la justice, persuadé non seulement que l’impunité est un déni de l’Etat de droit et une insulte aux victimes, mais aussi qu’elle maintient en place la bureaucratie du « terrorisme d’Etat » et crée « une démocratie à temps partiel » en instaurant un système d’intimidation permanente à l’encontre des autorités civiles."
(Le Soir, 13 avril 2010).


Jean Ortiz (maître de conférence) :

- "Les « organisateurs de l’oubli », belle formule du poète argentin Juan Gelman, sont à l’œuvre. Ils veulent en finir avec le juge Baltasar Garzon. La menace imminente de « suspension » de l’emblématique et turbulent juge concerne tous les démocrates. Elle relève d’une opération de basse vengeance, de lynchage d’un juge reconnu dans le monde entier comme indépendant, rigoureux et courageux. Elle constitue une insulte pour toutes les victimes du franquisme. Il règne au sein de l’appareil judiciaire espagnol un climat de croisade contre les « hérétiques » et ces « rouges » qui relèvent la tête. L’ombre du franquisme, encore et toujours.
La commission permanente du conseil général du pouvoir judiciaire a décidé unanimement de donner suite aux requêtes contre Garzón déposées par trois groupuscules fascisants, dont l’ex-parti de Franco  : Phalange espagnole. Ces fascistes, en toute liberté, veulent la peau du juge. Chacun le sait, il n’y a pas eu en Espagne d’« épuration » anti-franquiste, ni de mise en place d’une « commission vérité-justice-réparation » pour décréter illégaux les tribunaux d’exception franquistes et leurs sentences, pour poursuivre les bourreaux, etc. La loi de Mémoire historique du 31 décembre 2007 a marqué une avancée, mais bien tardive et timorée. Alors qu’aucun coupable des crimes contre l’humanité n’a été inquiété, celui qui a voulu que justice passe se retrouve sur le banc des accusés, pour « prévarication ». Ahurissante inversion des valeurs  !"
(L’Humanité, 23 février 2010).


Bruits de bottes que des fascistes continuent à faire reluire (DR).

Le Nouvel Observateur :

- "Au moment où certains mouvements de droite critiquent une campagne "anti-démocratique" et d'"intimidation de la justice", la gauche dénonce la mise en avant de la Phalange, organisation d'extrême-droite alliée du général Franco. Présent à l'université et soutien emblématique, le cinéaste Pedro Almodovar a estimé mardi que "la société espagnole a une dette morale envers les victimes du franquisme. Elle n'offre rien aux familles pour pleurer leurs disparus". Il est allé plus loin en affirmant que la condamnation du juge Garzon serait "une nouvelle victoire de Franco".
"Aucune loi ne peut amnistier ni protéger le génocide qui a été commis. Aujourd'hui en Espagne, l'état de droit est remis en question", a déploré l'acteur argentin Juan Diego Botto, dont le père fait partie des 30.000 disparus lors de la dictature argentine."
(16 avril 2010).


Jean-Sébastien Mora :

- « En 1976, la mort de Franco et le retour du roi Juan Carlos ne se traduisent pas par une rupture symbolique avec l’idéologie franquiste, comme cela a pu être le cas en Allemagne en 1945 avec le procès de Nuremberg », explique David Dominguez, doctorant à Madrid en philosophie politique. « Trente ans après la transition « démocratique », le PP (Parti Populaire) refuse toujours de condamner les crimes du franquisme, certains politiques comme Manuel Fraga sont passés sans encombre de la dictature à la démocratie. »
L’écho juridique donné à une plainte de l’extrême illustre bien la logique décrite par l’universitaire. Le 3 novembre 2009 dans un nouveau rapport, Amnesty International dénonçait les autorités espagnoles « de manquer de volonté de faire face aux problèmes des actes de torture et autres formes de mauvais traitements imputables aux forces de l’ordre ». La Cour européenne des droits de l’homme a aussi été saisie à plusieurs reprises en 2009 pour « violation du droit à un procès équitable, torture et discrimination » à l’encontre de militants basques, mais aussi d’immigrés, de manifestants et de militants écologiques ou d’extrême gauche.
Samedi 13 mars 2010 à Madrid, 1400 juges, soit quasiment la moitié des juges exerçants en Espagne, dénonçaient à leur tour une politisation de la justice et un manque d’indépendance. En mettant Baltasar Garzón devant les tribunaux, la justice espagnole brille à nouveau par son prisme idéologique.
(Bakchich Info, 13 avril 2010).


Comme si la dictature et son cortège de victimes représentaient une parenthèse intouchable dans l'histoire de l'Espagne (DR).

Adrien Chauvin :

- "La presse hispanique est profondément divisée sur le sujet. Certains titres voient dans cette affaire une attaque faite à la démocratie à travers la personne de Garzón, tandis que d'autres déplorent le non-respect de la Constitution et des organes judiciaires.
Pour
El País, quotidien de centre gauche, Garzón "siégera sur le banc des accusés pour avoir voulu donner satisfaction aux familles des victimes de la guerre civile et de la dictature, qui n’acceptent pas – en accord avec l’Etat démocratique – que leurs proches demeurent anonymement dans des fosses communes". Cette affaire, estime le quotidien, "revêt une symbolique insultante pour la démocratie espagnole".
Quant à Público, quotidien de gauche, il présente l’affaire comme "un cas de l’histoire universelle de l’infamie". "Le rapport de Varela constitue un avertissement catégorique à tout juge qui prétend fouiner dans les crimes du franquisme : dans l’Espagne du XXIe siècle, il existe des lignes rouges à ne pas franchir. L’Allemagne a pu juger le nazisme, parce que Hitler a perdu la guerre. En Espagne, Franco a non seulement gagné mais il a aussi dirigé pendant presque quarante ans, et, apparemment, il reste encore victorieux trente-cinq ans après sa mort. Une loi préconstitutionnelle d’amnistie [la Constitution espagnole a été adoptée un an après celle de l’amnistie, en 1978] fonctionne encore comme un rempart contre la vérité et la justice. Il manque quelque chose à une démocratie dans laquelle se produisent un tel affront et une telle humiliation."
Les quotidiens conservateurs et de centre droit font entendre un autre son de cloche. Pour
El Mundo (centre droit) il est regrettable que le gouvernement se soit joint "au chantage fait contre le Tribunal suprême", car Garzón "a utilisé la justice pour alimenter son immense ego, en profiter démesurément, tenter de bâtir une carrière politique et satisfaire ses rancœurs".
Pour
ABC (monarchiste et conservateur), "les accusations calomnieuses et injurieuses proférées contre les magistrats du Tribunal suprême ne sont rien d’autres que le début d’une campagne renouvelée contre la Constitution de 1978 et le système judiciaire organisé autour de l’indépendance des juges et des magistrats". "A nouveau, le manichéisme s'est emparé de la gauche qui attaque le pacte constitutionnel et réclame, trente-cinq ans plus tard, une nouvelle transition fondée sur les règlements de comptes et la revanche."
(Courrier International, 16 avril).


LibéToulouse :

- "Si l'Europe a un sens, alors l'appel des universitaires français, lancé depuis Pau, aura peut-être un écho jusqu'en Espagne. Le juge Baltazar Garzon y est sur le point d'être suspendu de ses fonctions pour avoir eu l'intention de poursuivre le franquisme au motif de «crimes contre l'Humanité».
Les signataires de la pétition datée du 14 avril, anniversaire de la IIème République espagnole, se déclarent «solidaires» du magistrat.
150 000 disparus dans les fosses communes, 30 000 enfants volés: c'est à la demande des familles des victimes que ce juge qui a déjà poursuivi le général chilien Pinochet a voulu ouvrir une enquête. Laquelle n'est pas du goût de tous, Outre-Pyrénées.
Pétition d’universitaires français :
«Pour avoir, à la demande des familles des victimes, voulu ouvrir une instruction contre le franquisme, ses crimes contre l’humanité : 150 000 disparus dans les fosses communes, 30 000 enfants volés, etc., le juge espagnol Baltazar Garzón est sur le point d’être suspendu de ses fonctions.Il est poursuivi pour «prévarication» par des groupuscules fascistes, «Mains propres», «Phalange»… relayés par l’appareil judiciaire.

Nous, universitaires français, nous déclarons solidaires du combat du juge et des familles, et exigeons que la justice espagnole abandonne ces poursuites infondées.La destitution du juge Garzón hypothèquerait gravement le fonctionnement de la démocratie espagnole et de son système judiciaire».
Si vous souhaitez signer : jean.ortiz@univ-pau.fr.
(16 avril 2010).


Le sommeil du Caudillo au prix de, par exemple, 150.000 "disparus". Etrange facette d'une Espagne démocratique dont la justice elle-même est tenue à rester sourde, aveugle et muette sur les crime d'une dictature (Mont. JEA pour ce superbe roman consacré aux Voix du Pamano et bien trop ignoré / DR).

NB :

Soutiens en Espagne
http://www.congarzon.com/
et
http://www.facebook.com/group.php?gid=107978212568208&ref=ts

Pages de ce blog
- P. 233 : "Los Caminos de la Memoria", le film.
- P. 163 : "Les voix du Pamano", roman.
- P. 130 : "La Retirada".
- P. 110 : "Instants de guerre d'Espagne".
- P. 78 : "Hommage à la Catalogne".
- P. 8 : "Archivo rojo".




vendredi 16 avril 2010

P. 268. 12 avril 1941 sur les ondes de la Radiodiffusion nationale

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Longueurs d'ondes et programme de la Radiodiffusion nationale en 1941 (Doc. JEA / DR).

En zone dite "libre",
le 12 avril 1941,
la "Radiodiffusion nationale"
recourt au fantasmatique
complot judéo-maçonnique
pour se vautrer dans l'antisémitisme...

On ne se gardera jamais assez des anachronismes. Ainsi, s'imaginer que la sensibilité actuelle vis-à-vis de la Shoah était déjà vive à la libération, au retour des quelques rescapés (2% des juifs déportés de France)... Alors qu'il fallut attendre le tournant entre la fin des années 60 et le début des années 70, pour qu'enfin ne soient pas seulement évoqués, reconnus et honorés que les prisonniers de guerre et les déportés politiques mais enfin les persécutés raciaux.

A propos de l'antisémitisme, la plus grande prudence critique s'impose devant les témoignages de contemporains de l'occupation et qui répètent n'avoir jamais entendu ni vu la moindre manifestation raciste de la part de Vichy et d'autres collabos français...
A moins que ces gens ne fussent par exemple tous dépourvus de la TSF ?
Mais non, en zone outrageusement appelée "libre", la radio représentait un vecteur d'informations essentiel dans un contexte de repli sur soi, d'étouffement, d'attentisme prudent ou d'engagements relativement précoces.
Considérée comme la voix de la France, comprenez celle du régime de Vichy, la "Radiodiffusion nationale" se trouvait en conséquence sous contrôle direct et donc rattachée à la vice-présidence du Conseil.

Or, qu'ouïrent celles et ceux qui, le samedi 12 mars 1941 à 20h45, écoutèrent la "Radiodiffusion nationale" ?

1941. Affiche publicitaire pour un hebdo, Radio National, reprenant les programmes des ondes contrôlées par Vichy (Doc. JEA / DR).

Emission de la "Radiodiffusion nationale" :

- "Nous ne nous lasserons jamais de le répéter : les communistes, les juifs et les francs-maçons (...) nous ont entraînés dans la guerre après avoir tout fait pour que nous la perdions. Ils collaborent avec les gaullistes pour se faire les artisans de nos misères à venir.
Savez-vous les noms des speakers des émissions de la BBC qu'ils appellent imprudemment "Les Français parlent aux Français", "les Français Libres", et quoi d'autre encore ?
Le principal est Georges Boris (1), juif d'origine russe, fondateur de la Revue de 1923, artisan de la banqueroute qui a coûté 40 millions aux petits épargnants français. En récompense, Blum l'avait nommé son directeur de cabinet.
Le second est Louis Lévy, un autre juif. Il était rédacteur au Populaire (2). Dans ses articles incendiaires, il incitait les Français à faire une guerre à laquelle il a lui-même refusé de participer.
Enfin, le père et le fils Gombault, encore des juifs d'origine étrangère dont le vrai nom est Weisskopf. Le père s'est fait donner la cravate de commandeur de la Légion d'honneur. Le fils, gras et florissant, avait trouvé la guerre trop dangereuse et s'était embusqué." (3)

La pub et l'autopromotion de Vichy ne sont pas ponctuelles mais continuelles. En conséquence, ce morceau d'anthologie haineuse du 12 mars 1941 fut précédé d'un appel faussement grand-paternel du Maréchal sur les mêmes ondes, le 7 avril :

- "Une propagande subtile, insidieuse (...) vise à détruire l'unité nationale (...). Des discordes fratricides seraient la suite naturelle de cette division des esprits. C'en est assez (...). Ceux qui essaient de détruire l'unité nationale et l'unité de la Mère patrie et de l'Empire ne servent pas la France. Il n'y a pas plusieurs façons d'être fidèle à la France."

Dès le 2 avril 1941, la "Radiodiffusion nationale" avait d'ailleurs déjà frappé sur le clou du complot juifs-francs maçons-métèques :

- "La clique de l'état-major de De Gaulle (...) tire les ficelles, juifs, francs-maçons et fugitifs de tout acabit (...) révèlent devant les micros de la BBC un courage dont ils n'ont pas fait la preuve sur les champs de bataille de France."

Gringoire. "Pour la France, il n'y a pas d'autre cause à défendre et à servir que celle de la France. Maréchal PETAIN" (Doc JEA / DR).

Cette offensive menée par la "Radiodiffusion nationale" s'inscrit dans un plan de guerre des ondes (4) plus large, incluant l'hebdomadaire non pas imprimé à Paris sous la botte allemande mais bien en zone pseudo "libre" et au tirage vertigineux de 475.000 exemplaires... on aura reconnu Gringoire (avec des signatures comme Béraud, Brasillach, de La Varende, Henriot, Lorédan, Suarez...) ! Lequel hebdo prend le relais le 17 avril 1941.

Gringoire :

Titre : "NAIFS AUDITEURS DE LA RADIO GAULLARDE, connaissez du moins les individus qui vous bourrent le crâne".

En première page et sur six colonnes s'étalent six caricatures signée "carb" (7).
De gauche à droite :
"Ceux de Londres"
- "Goldenberg dit Georges Boris, embusqué, faux démocrate, pillard de l'épargne et socialiste calamiteux",
- "Weisskopf dit Gombault, dans les couloirs de la Chambre l'oeil de la Franc-Maçonnerie",
- "Louis Lévy, gras, cynique, machiavélique, antimilitariste".
"Ceux de Boston"
- "Cot, fossoyeur de l'aviation française, l'homme des bassesses, franc-maçon" (5),
- "La femme Tabouis, vendue avant guerre à l'ambassade d'URSS, elle formait le Syndicat agence de fausses nouvelles destinées à provoquer la guerre" (6),
- "Géraud dit Pertinax, métèque."

475.000 journaux trouvent donc lecteurs pour ce genre de littérature délatrice :

- "Nous avons démasqué les trois gaillards - trois juifs francs-maçons - qui, avec l'approbation de De Gaulle et de Churchill, règnent sur les émissions en langue française de la radio de Londres".

Georges Boris tel que présenté aux lecteurs de Gringoire, le 17 avril 1941 (DR).

Et pour en rester là, gardez-vous de conclure que seuls les affidés de Vichy se régalent. A Londres aussi, d'aucuns prennent les injures de Gringoire au pied de la lettre.
Le chef de la censure au quartier général de De Gaulle, soit un certain commandant Mabille, fait ouvrir le courrier de Georges Boris. Ce militaire pond même un rapport tirant sa source directement dans Gringoire et à son tour, il affirme pouvoir "révéler" que Boris ne s'appelle pas Boris mais très exactement... "Goldenberg" !!!

Lamentable exemple d'un faux et usage de faux que se partagent Vichy et Londres avec pour trait commun l'antisémitisme.

NOTES :

(1) Lire : Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Georges Boris, Trente ans d'influence, Blum, de gaulle, Mendès France, Gallimard, 2010, 460 p.

(2) Le Populaire, journal fondé en 1916. Devenu l'organe officiel de la SFIO en 1921. Léon Blum en assura la direction politique jusqu'au sabordage du Populaire en 1940 et devant la victoire des nazis.

(3) J-L Crémieux-Brihac, op. cit., p. 131.

(4) Lire : Hélène Eck et Jean-Louis Crémieux-Brilhac (dir.), La guerre des ondes, Armand Colin, 1985, 381 p.

(5) Pierre Cot, 1895-1977. Entame sa carrière politique en 1932 comme Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. A organisé une aide clandestine aux républicains espagnols lors de la guerre civile. Ministre de l'aviation du gouvernement de Front Populaire.

(6) Geneviève Lequesnes dite Tabouis, 1852-1985. Journaliste à L'Oeuvre jusqu'en 1940. Emigrée aux USA par antinazisme. Directrice du journal La Victoire à New-York.

(7) Ci-après, une caricature de "carb" pour le Gringoire du 1er mai 1941. Un juif dessine le V de la victoire sur une vespasienne. Un franc-maçon sur le dos du juif. Un communiste sur le dos du franc-maçon. A peine obsédés, les adeptes de la "Révolution nationale"...

Humour vichyste, mais qui ne peut cacher le sang et les cendres des déportés, des fusillés et des autres victimes.
Avec des excuses pour la qualité médiocre de la reproduction (Doc. JEA / DR).