DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

lundi 1 février 2010

P. 232. Anne Frank : symbole et cible...

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Fiche du camp de Westerbork (le "Drancy" de Hollande), au nom de "FRANK Annelies", avec la mention de sa déportation (après Auschwitz) vers "BB" Bergen-Belsen et un symbole signifiant son décès dans ce camp (Doc. JEA / DR).

Le "Journal" d'Anne Frank est inscrit
au registre UNESCO de la Mémoire du Monde
reconnaissance ignorée ou bafouée
aux fins fonds des USA...

Anne Frank symbolise bien malgré elle - mais à cause de la Shoah -, tous ces enfants destinés à une mort industriellement barbare pour le seul motif qu’ils étaient nés juifs.
Recevant un cahier pour ses 12 ans, Anne y décrivit à partir du 12 juin 1942 son enfermement collectif (ils étaient 8 juifs) dans une cache pour échapper aux chasseurs nazis. Sur délation, toute sa famille fut néanmoins arrêtée le 5 août 1944 (donc après un débarquement de Normandie si prometteur).

Leur persécution se poursuivit au camp de Westerbork avant leur transfert, le 3 septembre, vers Auschwitz. Anne avait 15 ans lorsqu’elle décéda à Bergen-Belsen en 1945.

Pour se limiter aux dernières années, la mémoire de cette adolescente fut à la fois entourée de preuves d'attachement et de respect mais aussi de manifestations haineuses ou inconvenantes.
La dernière en date provient de la ville de Virginie aux USA. Le "Journal" d'Anne Frank s'y trouve banni des programmes scolaires pour cause de... "trop de pornographie" !!!
Mais avant de brièvement commenter cette crise de pudibonderie ultra-extrémiste, reprenons les calendriers passés pour retrouver quelques dates restant attachée à la fragile figure de cette adolescente que la plume a sauvée de l'anonymat où disparurent tant et tant d'autres victimes du judéocide.

- Février 2006 :

En Iran, et en réponse aux caricatures de Mahomet publiées d'abord au Danemark, grande manifestation culturelle : un "
Concours sur l’Holocauste". Figureront parmi les participants au moins un Français et un Belge... Ces caricatures volontairement et violemment antisémites seront ensuite publiées sur le site internet de la Ligue arabo-européenne et reproduites par le quotidien autrichien Die Presse.
Sur les 16 dessins diffusés, l'un prenait Anne Frank comme cible.
On comprendra qu'il ne soit pas repris ici.
Hitler se trouve au lit avec Anne. Le dictateur lui donne l’ordre d’écrire cet épisode dans son journal intime.
Inutile d'ajouter un mot à cette turpitude.

Le marronnier et la signature d'Anne Frank (Montage JEA / DR).

- Janvier 2008 :

Dans son "Journal", à la date du 23 février 1944,
Anne Frank :

- « Nous avons regardé tous les deux le bleu magnifique du ciel, le marronnier dénudé aux branches duquel scintillaient de petites gouttes, les mouettes et d'autres oiseaux, qui semblaient d'argent dans le soleil et tout cela nous émouvait et nous saisissait tous deux à tel point que nous ne pouvions plus parler. »

Seule trace extérieure de verdure accordée à une Anne Frank recluse, ce marronnier devait être abattu par décision municipale (Amsterdam) car victime à la fois d'infiltrations de produits toxiques et de champignons. Il était dès lors considéré comme bon pour la casse. Mais une campagne internationale de sauvetage l'arracha au moins provisoirement aux dents des tronçonneuses.
A travers lui, c'est un peu la silhouette fluette d'Anne Frank qui perdure, ses regards sur un monde où la Shoah était non seulement possible mais quotidienne et assassine. Un monde où elle s'accrochait à la lumière du soleil nordique, aux oiseaux tellement plus libres qu'elle, à un arbre plus que centenaire... Elle fut déracinée pour aller perdre la vie à Bergen-Belsen, comme Hélène Berr...


Et si vous n'avez pas encore posé ce geste symbolique, rejoignez ce remarquable "monument interactif" où plus de 510.000 nouvelles feuilles sont venues soutenir l'arbre d'Anne Frank.

Réduite depuis à néant par les flammes, l'ancienne baraque de Westerbork (Doc. JEA / DR).

- Juillet 2009 :

Les agences de presse traitèrent le sujet en fait divers : lors d’un incendie à Veendam, au nord des Pays-Bas, deux baraquements en bois ont été détruits. Ils se trouvaient à l’époque dans le camp de Westerbok où les juifs néerlandais étaient rassemblés avant leur transport vers les camps d'extermination.

Après la guerre, ces deux barraques, vendues, puis déplacées, servirent d’entrepôts de machines agricoles, à Veendam, là où les flammes mirent fin à leur histoire.
Par la même occasion, on apprend qu'il était question de remonter l’un des baraquements dans son camp d'origine, à Westerbork. Car Anne Frank et sa sœur Margot, mises au travail forcé, devaient y démonter des batteries en 1944.

Dirk Mulder, directeur du Centre de la Mémoire de Westerbork :

- "Le baraquement faisait partie du camp de Westerbork par lequel ont transité des dizaines de milliers de juifs déportés vers les camps de concentration nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.
Il portait le numéro 57, c'était l'entrepôt industriel où on démontait notamment des batteries. Anne Frank et sa soeur Margot y ont travaillé pendant quatre semaines environ, en août-septembre 1944."

Selon la police : "l'incendie qui a ravagé ce baraquement où la jeune juive Anne Frank avait été contrainte de travailler aux Pays-Bas avant sa déportation par les nazis est probablement d'origine criminelle".

Depuis, silence radio. Beaucoup d'émotion, vite retombée, vite dépassée par l'actualité. Pas de journalisme d'investigation sur le sujet (du moins dans les limites des moteurs de recherche).


- Octobre 2009

Musée Anne Frank :


- "Des vidéos consacrées à Anne Frank, l'adolescente juive victime de la barbarie nazie, sont visibles depuis aujourd'hui sur le site internet YouTube.
Grâce à la chaîne Anne Frank sur YouTube et à ses images uniques, les gens du monde entier pourront apprécier la vie et l'importance d'Anne Frank.
Une vidéo montre les seules images filmées qui existent d'Anne Frank, tournées à l'occasion du mariage de ses voisins le 22 juillet 1941."

Christophe Borhen :

- "Regardez bien ce document inouï, unique, regardez-le bien, il est bref, très bref, il ne dure que vingt secondes...Les images figurent un mariage qui s'est déroulé le 22 juillet 1941 à Amsterdam, la caméra balaie la place Merwedeplein et, à un moment - quatre secondes à peine, mais quatre secondes pour l'Eternité -, s’attarde sur une jeune fille qui, de sa fenêtre, assiste à la scène..."

(Sur son blog Les Lettres libres).

Miep Gies, Juste parmi les Nations (DR).

- Janvier 2010 :

Site internet familial :


- "Miep Gies, qui a aidé Anne Frank et sa famille à se cacher des nazis à Amsterdam durant la Seconde Guerre mondiale, est morte lundi à l'âge de 100 ans.
Miep Gies cacha et sauva le journal intime de l'adolescente.
A la fin de la guerre, elle l'avait remis à Otto Frank, seul survivant des huit clandestins.
"Justes parmi les nations". Miep Gies reçut la médaille de Yad Vashem en 1997."

Catherine David :

« Cette Hollandaise d'origine viennoise faisait presque partie de la famille. Elle était arrivée à Amsterdam à 11 ans, en 1920, une pancarte autour du cou, dans un convoi d'enfants affamés qui venaient se faire soigner au pays du bon chocolat. Ses parents, à Vienne, n'avaient pas de quoi la nourrir. Adoptée par une famille, elle avait décidé de rester dans cette ville paisible et tolérante.

A 24 ans, en 1933, après avoir travaillé comme dactylo, elle se trouvait au chômage. Une amie l'envoya voir Otto Frank, qui dirigeait une société spécialisée dans les produits alimentaires de base.
Otto Frank venait de Francfort, d'où il avait fui les persécutions. A Amsterdam, il avait trouvé un havre de paix. La Hollande était restée neutre pendant la Première 'Guerre mondiale, et semblait devoir le rester en cas de nouveau conflit. Les Hollandais étaient des gens accueillants, ignorant l'antisémitisme.
Otto Frank se sentait en sécurité. Amsterdam, c'était la fin du cauchemar. Peu après son installation il fit venir sa femme Edith et ses deux filles, Margot et Anne. Dans son livre, Miep Gies raconte sa première rencontre avec Anne, qui avait alors 4 ans :

« En regardant Anne, je songeai : voilà, c'est le genre d'enfant que j'aimerais avoir un jour. Sage, obéissante, curieuse de tout. »
Ce qui est admirable chez cette femme, c'est qu'elle n'en tire aucune gloire.

«Je n'ai rien d'héroïque. Je ne suis que le maillon final de la longue, très longue chaîne de braves Hollandais qui ont fait ce que j'ai fait ou plus — beaucoup plus — en cette période sombre. »
(Le Nouvel Observateur, 17 avril 1987).


Le journal d'Anne Frank au registre UNESCO de la Mémoire du Monde (DR).

- 29 janvier 2010 :

Le site internet du Nouvel Observateur l'annonçait tôt matin le 31 janvier puis retira vite fait le communiqué d'agences de presse. Le voici, ce flash, identique et toujours consultable à l'heure où ce billet est écrit.

Le Vif.be :

- "Un district scolaire de la ville américaine de Virginia a retiré "Le journal d'Anne Frank" de son programme à la suite de plaintes de parents, annonce le journal local Star-Exponent. Une décision prise, non par antisémitisme, mais parce que la jeune Amstellodamoise juive a écrit des passages un peu trop explicites sur la sexualité, au goût des parents d'élèves.
Dans un passage, Anne Frank, alors pubère, s'étonne notamment qu'un enfant puisse sortir du sexe de la femme.
Anne Frank est décédée en mars 1945 dans le camp de concentration de Bergen-Belsen et est devenue la victime la plus célèbre de l'holocauste grâce à son journal. Elle l'a notamment [sic] écrit pendant la deuxième guerre mondiale alors qu'elle vivait cachée avec sa famille dans une arrière maison d'Amsterdam. Selon amazon.com, son journal est l'un des livres les plus bannis de l'école car il est considéré comme étant « trop déprimant pour les étudiants »."

Le Nouvel Observateur et le Vif.be mentionnaient le "trop de pornographie" comme motif avancé par les parents d'élèves...

Anne Frank, adolescente, se posait des questions de son âge.
Aujourd'hui les choux, cigognes et autres petites graines composant les fausses réponses réservées à la curiosité sexuelle et affective des jeunes ont laissé place à une éducation loin des horreurs, des terreurs, des tabous enfin dépassés.
On suppose que la lecture du "Journal" n'est pas proposée à des gosses mais bien à des jeunes en âge d'en apprécier sa sincérité et sa sensibilité, des jeunes prévenus et éclairés du contexte historique.
Evoquer alors de la "pornographie", c'est manquer au plus haut point d'honnêteté intellectuelle pour agiter un épouvantail qui, lui, est obscène !

Reviennent en mémoire ces mots de Boris Cyrulnik, enfant caché et rescapé de la Shoah :

- "Bien sûr, il faut parler de la Shoah, mais pas n'importe comment.

Il faut donner la parole à Anne Frank, à Primo Levi, aux historiens, aux philosophes, aux témoins, à ceux que le malheur a embarqués dans la rage de comprendre.
Notre dignité, c'est de faire quelque chose de la blessure passée, ne pas nous y soumettre et surtout ne pas entraîner d'autres enfants dans la souffrance."

Bergen-Belsen (Doc. JEA / DR).




6 commentaires:

Brigetoun a dit…

choquante vitalité de la jeunesse (et qu'importe le sort subi)

JEA a dit…

@ Noël

Merci d'avoir trouvé un lien avec un reportage vidéo sur l'incendie de l'ancienne baraque de Westerbork

Noël a dit…

Il est, en gros, dit dans le commentaire que l'incendie s'est produit dans la nuit de samedi à dimanche et qu'il est selon toute vraisemblance d'origine criminelle. Tout n'est cependant pas perdu, une partie est restée debout et sera transférée au camp de Westerbock.
Ce fait a cependant permis à près de 15 personnes de signaler soit des baraques encore debout(2), soit des objets ayant appartenus au camp.
Tout sera fait en sorte qu'ils soient ramenés au camp de Westerbock.

D. Hasselmann a dit…

Il est toujours nécessaire de revenir aux sources, vous le faites avec persévérance et détermination.

La mémoire est gardienne de l'esprit d'humanité.

Actuellement, Claude Lanzmann a sans doute raison de ne pas se laisser faire par un "petit jeune homme" quand il s'agit de fiction écrite sur cette époque qu'il a connue dans sa chair (voir "Le Monde" des 31 janvier-1er février).

JEA a dit…

@ D. Hasselmann

Dans cette querelle, un point au moins ne souffre guère de longues palabres :
- dans son roman, pourquoi Yannick Haenel cite-t-il des passages entiers du verbatim tiré du film SHOAH sans même citer de source ni en avoir obtenu l'autorisation ?

Anonyme a dit…

Je suis émue de voir le visage de Miep Gies.