DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

samedi 27 septembre 2008

P. 32. Mort de Robert Maistriau

(Photo : Robert Maistriau. DR)

Disparition du dernier des trois belges à avoir arrêté le XXe convoi chargé de 1.632 juifs pour Auschwitz...
Une action de résistance - hélas - unique en Europe occupée !

Le Soir :

- "Cet ancien de l’ULB (1) avait fait parler de lui en attaquant le XXe convoi, dans la nuit du 19 au 20 avril 1943, alors qu’il n’était âgé que de 22 ans. Armés d’un seul revolver et de sept cartouches (2), lui et deux de ses camarades ont réussi cette nuit-là à sauver plusieurs dizaines de Juifs qui se trouvaient à bord d’un train parti de la caserne Dossin à Malines pour rejoindre Auschwitz.

Au sein du Groupe G des résistants de l’ULB, Robert Maistriau était chargé de la Direction nationale du Recrutement et de l’Organisation. Arrêté le 21 mars 1944 à Bruxelles, il connaîtra l’enfer de Breendonk, de Buchenwald, onze longs mois à Ellrich et Harzungen, des camps annexes de Dora et, enfin, Bergen Belsen, d’où il sera libéré le 15 avril 1945. Il ne pesait alors que 39 kilos.

Après la guerre, il a notamment constitué une forêt au Congo avec des semences du monde entier.

Né le 13 mars 1921 à Ixelles, Robert Maistriau était le dernier survivant du trio qui avait attaqué le XXe convoi. Une cérémonie d’adieu aura lieu le mercredi 1er octobre prochain, à 11h30, en l’église de Woluwe-Saint-Lambert, située place Saint-Lambert à 1200 Bruxelles."
(27 septembre 2008)
(Photo : gare de Boortmeerbeek. Venant de Malines les rails partaient vers l'Allemagne puis
Auschwitz... C'est après cette gare que fut arrêté le XXe convoi. DR)

Dans son Volume II de "La traque des juifs. 1942-1944" (3), Maxime STEINBERG consacre plusieurs passages au convoi XX, plus exactement dans le chapitre III : "Les rebelles à la solution finale"...

Car l'histoire de ce transport restera unique dans la longue persécution des juifs. De tous ces convois qui en Europe occupée, prirent la direction d'Auschwitz, il fut le seul à être arrêté pour permettre des évasions...

Quelques chiffres :

- Le convoi XX part de Malines le 19 avril 1943.
- Des wagons à bestiaux emportent 1.631 Juifs au nombre desquels 262 enfants.
- Parmi ceux-ci figure le plus jeune bébé qui sera déporté de Belgique sur Auschwitz : Suzanne KAMINSKI, née le 11 mars 1943 (n° 215).
- Le n° 584 du même convoi XX est porté par Jacob BLOM. Né le 7 août 1842, lui sera le doyen des déportés de Malines.
- Non moins de 231 Juifs du transport vont s'en évader avant qu'il ne passe en Allemagne. Les premiers retrouvent la liberté entre la gare de Boortmeerbeek et Wespelaer. En effet, trois jeunes intrépides parviennent à l'arrêter en agitant une lampe tempête recouverte d'un papier rouge. Ils ont pour nom :
Jean FRANKLEMON
Georges LIVSCHITZ
(le seul armé : un 6,35, il sera fusillé en février 1944) et
Robert MAISTRIAU (qui parvient à débloquer la fermeture extérieure d'un wagon)...


(Photo : Wagon ayant servi à la déportation des juifs depuis la Belgique. DR).

Selon l'estimation de Maxime STEINBERG, "une bonne quinzaine de déportés" s'échappent grâce à l'héroïsme des trois jeunes résistants.

Toutes les autres évasions s'expliquent par la présence d'outils emportés et dissimulés à cette fin : pince, barre de fer, scie, lime...
L'un des wagons se distingue comme celui dit "de la résistance". Il contenait six ou sept résistants parmi les évadés. Leur rassemblement ne doit rien au hasard. Eva FASTAG, au Sammellager de Malines, n'a pas hésité à "trafiquer" les listes à cet effet.
Enfin, se révèle courageuse la conduite du machiniste Albert SIMON. Ce cheminot a compris que des déportés tentent de retrouver la liberté et applique volontairement le règlement à la lettre : mise au pas de la locomotive pour les franchissements de passages à niveaux, ralentissement dans les courbes, arrêt d'une demie-heure à Borgloon en attendant une signalisation adéquate...

Plus de 20 cadavres marqueront aussi le trajet de ce convoi XX, abattus par les gardes de la Shutzpolizei (souvent confondus avec des SS).
Une nonantaine d'évadés seront ensuite repris.

Cependant, parmi celles et ceux qui échappèrent aux recherches, se détache la personnalité de Simon GRONOWSKI. Il avait 11 ans lorsqu'il sauta du convoi où restèrent sa mère et sa soeur disparues ensuite à Auschwitz. Ses souvenirs sont publiés par les Editions Luc Pire sous le titre de : "L'enfant du 20e convoi". Avec une adaptation pour les enfants de primaire : "Simon, le petit évadé".

(Photo : Simon Gronowski. DR).

Témoignage de Simon Gronowski, le 23 avril 2006 à Boortmeerbeek :

- "Il y a bien longtemps de cela, 63 ans... ! Mais ce drame d'hier, d'aujourd'hui et de demain, il est impossible de l'oublier.
Il était une fois un petit garçon qui s'appelait Simon. Il vivait heureux avec ses parents et sa grande soeur Ita à Bruxelles, dans un beau pays, la Belgique. Il faisait parfois des bêtises mais il était très gentil et les gens l'aimaient bien. Il allait à l'école, aux scouts, au cinéma. Il aimait Laurel et Hardy, Robin des Bois, Blanche-Neige, Tarzan, King-Kong, Fernandel. Il lisait beaucoup.
Sa soeur étudiait le latin et le grec, jouait du piano, écrivait des poèmes, dessinait, aimait le jazz et apprenait tout ce qu'elle pouvait à son petit frère qu'elle adorait.
C'était un enfant ordinaire d'une famille ordinaire mais un jour on a voulu le tuer pour une seule raison: il était juif.

On l'a pris, on l'a mis dans un cachot, puis dans une caserne.
Dans cette caserne, il y avait beaucoup d'enfants. C'est normal : dans un génocide il faut surtout tuer les enfants car les enfants sont l'avenir d'un peuple.
Avec tous ces enfants, Simon ne s'ennuyait pas. Lors des appels dans la cour, les hommes devaient se mettre en rang par trois, au garde-à-vous. Les enfants en étaient dispensés. Simon restait alors dans sa salle ou rejoignait des petits amis dans une autre. Ce n'est qu'après le deuxième appel, à 14h30, qu'on pouvait se détendre et se promener. Simon courait alors dans la cour avec d'autres enfants. Un jour, poursuivi par un petit copain, il cogna légèrement le SS BODEN, qui le repoussa de sa cravache sans lui faire mal.

Sachant que sa seule chance de s'échapper était de sauter du train, Simon s'entraînait avec des camarades à sauter de la couchette du haut.
Quand on l'a mis dans le train, il ne savait pas qu'il était condamné à mort et conduit sur les lieux de son exécution. Mais lui, petit louveteau débrouillard, a sauté du train et s'est enfui. Il avait juste onze ans et demi. Malheureusement, ils ont tué ses parents et sa soeur et il est resté seul.

Alors il a voulu oublier le passé et vivre pour le présent et l'avenir, pour la joie et l'amitié. Il a fait des études et maintenant il est père et grand-père.
Pendant plus de 50 ans, il n'a presque pas parlé du passé. Il parle maintenant car il doit témoigner de ces crimes. Il voudrait que les révisionnistes aient raison car en ce cas il aurait gardé sa famille.
Il veut remercier les héros qui l'ont sauvé au péril de leur vie et en ont sauvé beaucoup d'autres.
Il parle au nom des victimes de la barbarie. Dans le 20e convoi, il y avait 262 enfants. Il parle pour tous les enfants victimes de la barbarie...

Il dit aux jeunes d'aujourd'hui : gardez notre patrie, la Belgique, comme elle est, libre, démocratique, pacifique, tolérante, pour que vous, vos enfants et petits-enfants ne connaissiez pas un jour la barbarie comme il l'a connue.
Moi, "Simon, le petit évadé" devenu grand, je dis aux enfants de mon pays:
Travaillez bien à l'école car vous êtes la Belgique de demain.
Aimez vos parents, vos frères, soeurs, familles, vos amis, vos professeurs.
Aimez votre pays. Respectez les autres, soyez tolérants. Soyez heureux.
Paix et amitié entre les hommes !"

(Photo : Eva Fastag. DR).

Témoignage d'Eva Fastag, le 23 avril 2006 à Boortmeerbeek :

- "Oui, nous sommes de moins en moins de témoins à nous souvenir et à pouvoir rapporter ce que nous avons vu et vécu en ces années terribles de l'occupation nazie en Belgique, de 1940 à 1945. Mais je crois qu'il faut répéter nos témoignages encore et encore, malgré le malaise, l'ennui ou la satiété que certaines peuvent éprouver. Et surtout, pour faire taire tous ces négateurs et révisionnistes qui craignent l'évidence.

Je suis venue pour témoigner de la grande importance qu'a eue, à mes yeux, cette attaque du XXe convoi. Au cours de ma détention à la Caserne Dossin, pendant près de 2 ans, j'ai côtoyé quotidiennement la détresse, la misère et, surtout, le désespoir des détenus qui, tous, étaient destinés à la déportation, tôt ou tard.
La plupart avaient été pratiquement tirés de leur lit pour être amenés à la Caserne Dossin.
Pourquoi ?
Parce qu'ils étaient Juifs, tout simplement !

Le fait que nous ignorions (sauf quelques "initiés") le sort qui nous était réservé, augmentait encore notre angoisse. Nous étions des femmes, des hommes, des jeunes, des vieux, de très vieux, des malades, des grabataires et des enfants, des enfants avec ou sans parents ou quelqu'un pour prendre soin d'eux.
Imaginez-vous tous ces enfants en bas âge, abandonnés à leur sort dans de telles circonstances ?
Il y a toujours cette image qui me hante : des rangées d'êtres humains, femmes, hommes, enfants, épuisés, abasourdis, entourés de soldats et de SS armés, qui sont poussés à travers le portail de la Caserne Dossin, vers les trains de la mort.

Il est vrai qu'aujourd'hui il est difficile de croire que cela fut et c'est sans doute là-dessus que les négationnistes comptent pour proclamer que cela n'a jamais existé. En effet, un esprit sain peut-il imaginer qu'une telle abomination a été inventée par l'homme ?

Je ne peux pas non plus oublier les veilles de départ des convois, l'atmosphère d'angoisse qui régnait dans la Caserne et surtout dans les salles. Les SS voulaient nous faire croire qu'on allait vers des endroits bien aménagés pour les familles !

Dans le camp, des groupes de résistance s'étaient formés avec en partie des résistants qui l'avaient déjà été à l'extérieur. Par divers moyens, on essayait de se procurer toutes sortes d'outils qui devaient servir à réaliser une ouverture du wagon qui permettrait une évasion. On essayait de rassembler dans le même wagon ceux dont on savait ou croyait qu'ils étaient décidés à risquer l'évasion.

L'attaque du XXe convoi par les héroïques Georges Livschitz, Jean Franklemon et Robert Maistriau s'est alors conjuguée avec cette volonté de libération.

Le courage des détenus était celui du désespoir, celui des trois jeunes libres était le courage de sauver des vies. Cette attaque du train par l'extérieur a créé une psychose d'évasion : dans plusieurs wagons, des "candidats" à la fuite, ont pris courage en se doutant de ce qui se passait et d'autre part, des indécis ou même des "réfractaires" à l'évasion se sont joints aux fuyards et ont sauté du train.
Le grand mérite de nos trois héros n'est donc pas seulement d'avoir, par leur attaque du train, libéré directement et individuellement des hommes voués à l'extermination, mais également d'avoir, par leur action héroïque, provoqué un sursaut de résistance face à leurs bourreaux et à leur objectif criminel.

HOMMAGE à :
Georges Livschitz
Jean Franklemon
Robert Maistriau
ainsi qu'à tous ceux qui ont sauté du train.

Je voudrais ici encore rappeler qu'exactement le même jour, soit le 19 avril 1943, a débuté le soulèvement du ghetto de Varsovie ! Quelle coïncidence !"


Notes :
(1) Université Libre de Bruxelles. "Libre" = Laïque.
(2) A la rédaction de cette nécrologie, il semble que Robert Maistriau ait été confondu avec Georges Livschitz. En effet, les résistants n'avaient pour eux trois qu'un seul revolver !
(3) Vie Ouvrière, Collection "Condition humaine". Bruxelles. 1986.
Mes remerciements réitérés à Simon Gronowski et à Eva Fastag pour m'avoir confié leurs témoignages.


jeudi 25 septembre 2008

P. 31. L'un des 38.000 Monuments aux Morts de France

(Photo : JEA, LNAJ, 14 juillet 2008, à droite : la Mairie).

Ces 26 et 27 septembre, la Société d'Etudes Ardennaises propose un colloque sur : "L'Autre Résistance. 1914-1918".

Les travaux se dérouleront au Musée de Novion-Porcien : "Guerre et Paix en Ardennes".

Au programme, cinq interventions le vendredi à partie de 14h sur le thème : "Ecrire pour ne pas oublier".

- "Les témoignages privés dans les collections des Archives départementales des Ardennes",
par V. Rouchy-Levy, archiviste départementale.
- "Une source inédite : le journal des Ardennais de Paris, survivre et résister en exode",
par N. Charles, enseignant et chercheur.
- "Des élèves racontent la guerre : compositions françaises d'enfants réfugiés dans les Alpes-Maritimes",
par J-F Saint-Bastien, SEA.
- "Les adultes écrivent la guerre. Les cahiers d'Alexandre Guérin, secteur de Vendresse et les cahiers d'Alcide Aubert de Taillette",
par notre amie Marie-France Barbe, historienne.
- Une visite commentée du Musée.

Le samedi à partir de 9h : "Les troupes allemandes au front et à l'arrière du front".

- "La résistance allemande sur la Suippe et sur l'Aisne",
par le colonel J-P Letang.
- "Nécropoles militaires allemandes dans les Ardennes",
par C. Plinson, conservateur adjoint de la nécropole de Noyers Pont Maugis.
- "Les troupes allemandes et l'occupation du nord du département de la Meuse",
par J. Lanher, professeur à Nancy II.
- "Les troupes allemandes et l'occupation à l'est du département de l'Aisne",
par J. Leclere, enseignant, chercheur.
- "Les mouvements des troupes allemandes dans les Ardennes en 1917-1918 à travers les notes de l'abbé Mathy de Signy l'Abbaye",
par J-P Marby, président de la SEA.

Le samedi à partir de 14h : "Figures de résistants, volonté de résister".

- "Fuir les Ardennes occupées pour servir dans l'armée française : l'itinéraire de l'instituteur Malicet",
par B. Gonel, SEA.
- "Pommes de terres cachées à l'ennemi : un exemple original de résistance villageoise",
par G. Deroche, enseignant, chercheur.
- "Champagne-Ardenne. Une figure de la résistance rémoise : Mgr Luçon",
par J-F Boulanger, université Reims.
- "Georges Corneau et la défense des Ardennes"
par J. Dupuy, enseignant, chercheur.
- "Résister dans les départements occupés",
par F. Cochet, université de Metz.
Correspondance, informations et réservations : J-P Marby, président de la SEA. Cliquer : ICI.

Pour rappel, ils furent 8 millions d'hommes à porter l'uniforme français pendant la Première guerre mondiale. Ce qui signifie concrètement un citoyen sur cinq appelé à s'arracher à son foyer. Aux fronts, I.450.000 d'entre eux perdirent la vie. Ce dont témoignent les 38.000 monuments éparpillés dans tout l'hexagone comme autant de témoins figés dans leur devoir d'une mémoire toujours plus érodée par l'alzeimer du temps.

Dans le Tome I des "Lieux de Mémoire" (1), Antoine Prost a établi une classification de ces monuments aux morts de 1914-1918. Car loin d'être stréotypés, ils présentent au contraire une diversité complexe.
C'est sur base de cette classification que celui de mon Village peut être déchiffré (voir photo).
Il ne relève pas des monuments "militaires" : avec, par exemple un poilu statufié, des photographies de soldats, l'application d'une médaille comme la Croix de Guerre, ou encore l'exposition d'engins de mortcomme un mortier de tranchée, voire des munitions sous forme d'obus etc...
Le monument d'ici n'est pas plus "religieux", dépourvu qu'il est de tout signe ostentatoire comme une croix ou une autre référence à un culte.
Par contre, la stèle a été voulue à la fois "républicaine" et "funéraire". Elle rend un sobre hommage aux citoyens de la Commune, ces "Braves" qui ont sauvé la France de ses envahisseurs. Une urne symbolique protège les cendres de ces républicains qui ont ainsi perdu la vie pour la liberté, l'égalité et la fraternité.

(Photo JEA, LNAJ).

La mention "Mort pour la France" fait l'objet des articles L 488 à L 492bis du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.


Ont droit à cette distinction :


- "les membres des forces armées françaises, y compris les supplétifs, requis ou engagés à titre étranger, tués au combat, morts des suites de maladies contractées ou d'accidents survenus en service commandé au cours des guerres mondiales, d'Indochine, d'Algérie, des opérations extérieures de maintien de l'ordre ou de la paix, notamment sous mandat de l'ONU ;
- les prisonniers de guerre décédés dans les mêmes circonstances ;
- les victimes civiles de nationalité française des guerres de 14-18, 39-45, d'Indochine ou d'Algérie."

Cette reconnaissance est "liée aux circonstances du décès. Lorsque le décès survenait en zone de guerre, la mention "Mort pour la France" était inscrite, par l'autorité militaire, sur l'acte de décès qui était ensuite transmis à la mairie du domicile de la victime." (2)

Les noms des morts 1914-1918 de mon Village sont répartis sur deux faces de la stèle :
- 16 poilus de A à D
et
- 16 de F à W.

C'est ici que la critique historique se réveille. En effet, sur ces 32 poilus "morts" pour la France, vérifications faites, il s'avère que 11 ne sont pas repris sur la base de données des "Morts pour la France", base établie par le Ministère de la Défense. (3)

Ce sera le sujet d'une prochaine page de ce blog.

Notes :

(1) Antoine Prost, "La République. Monuments. Les monuments aux morts" in "Les Lieux de mémoire. T.1" sous la direction de Pierre Nora, Quarto-Gallimard, 1997.

(2) Ministère de la Défense. Service général pour l'administration. Règles d'attribution de la mention "Mort pour la France" aux militaires et civils tués au cours des guerres et conflits.

(3) Ministère de la Défense. Service général pour l'administration. Mémoire des hommes. Cliquer : ICI.

samedi 20 septembre 2008

P. 29. Toponymie locale et collectionneuse de pierres

Ardennes de rièzes, de sarts mais encore de pierres brutes ou taillées...

(Photo JEA, au coeur de la pierre)

la Borne Blanche, la Borne d'Enfer, la Borne de Fer, Borne des 4 Bans, Borne des Quatre Bras, la Borne et Caton, la Borne du Maréchal, la Borne Morel, Borne Noirtrou, Borne Russe, Borne Statue, la Borne Taillandier,

Côte de la Haute Borne, la Grosse Borne, les Hautes Bornes, Ruisseau de Borne, Terne de la Borne, la Verte Borne,

le Caillou Culot, le Caillou de St-Martin, les Cailloutis, les Cailloux du Pré Haut,

Basse à Cailloux, Bois du Trou Caillou, Bois Rond Caillou, le Fond des Cailloux, le Gros Caillou, Gué des Cailloux, Haut de Cailloux, la Maie des Cailloux, Moulin du Blanc Caillou, les Rouges Cailloux,

Etang de la Gravière, Ferme Vaux Gravier, le Gravier du Bois, Rond Gravier,

(Photo JEA, Rumigny : la Cour des Prés)

A la Pierre, la Pierre Alix, les Pierrailles, Pierre à Villée, la Pierre aux Charmes, la Pierre au Parey, la Pierre Croisée, la Pierre de Marbre, les Pierreries, Pierre Roland, la Pierre St-Martin, Pierre de la Sarte, la Pierre Trouée, les Pierrettes, la Pierrevoye, Pierrevaux,

Bois de la Pierronerie, Bois du Haut de la Pierreuse, la Ferme de Pierremont, la Fontaine aux Pierres, Gratte-Pierre, Mont de la Pierre, la Plate Pierre, les Prises Pierres, Ruisseau des Grosses Pierres, Tartepierre, la Voye des Pierres,

Roche au Bel, la Roche au sel, la Roche aux Chats, Roche de Saut Thibaut, Roche des Vautoux, la Roche d'Or, Roche Fagne, Roche Fenaux, Roche Leroy, Roche Madame de Cormont, Rocher Maire, la Roche Margot, la Roche Martin, Roche du Seigneur,

Champ aux Roches, chemin de la Roche Algade, chemin de la Longue Roche, Conque la Roche, le Cul des Roches, la Longueur des Roches, Pointe à Roche, Réserve des Roches, sur les Roches, les Terres Laroche, Vauzel des Roches,

le Grand Fond Rocher, Rochers des Dames de Meuse, Rochers des Grands Ducs, Rochers du Saut du Boulanger,

la Rochette Carrière, les Rochettes,

(Galets sur la Pierre du souvenir, face au site du Judenlager des Mazures, Photo : Françoise Parizel).

jeudi 18 septembre 2008

P. 28. La 234

Rivière prisonnière de son lit, futur cav-eau ? (Photo JEA).

Au retour de la chambre 234

D'abord des sons. Le cirque des chariots dans le couloir. Un chassé-croisé plutôt inharmonieux.
Eclats de voix aussi. Vite identifiées. Celles qui piquent. Leurs collègues passe-partout. Plus souveraine, la voix de la maîtresse (provisoire) de ce cargo sanitaire. Les mains bleues qui astiquent et ripolinisent. Les gants caoutchouteux qui prennent leurs distances avec les douleurs incisives.

Autres éclats plantés dans les poignets du silence : les diverses télévisions qui s'entrechoquent d'une chambre à l'autre. Des "chaînes" qui justifient méchamment leur réputation.

Si une seule image devait survivre à cette brève croisière : ce serait un dialogue singulier. Entre une infirmière aux cheveux roux réveillant tous les blancs ambiants. Et cette femme si mince que seul du papier à cigarette, une unique feuille de papier à cigarette peut la décrire. Son buste n'est pas encore absorbé par les draps. Les cheveux gris rassemblés en queue de cheval. Les taches sombres des narines et de la bouche. Celle-ci jamais refermée au contraire des paupières.

Debout, l'infirmière se penche. A la petite cuillère, elle alimente si lentement ce visage presque taillé dans une pierre blanche et friable de champagne. L'air est surchargé d'odeurs liées aux désinfectants. Dans le couloir, les chariots continuent à se bousculer. Des parents passent avec un subtil mélange de voyeureuisme, de sympathie et d'égoïsme.

Dans la chambre face à la 234, l'infirmière penche la cuillère. La bouche attend-elle ? Elle ne frémit pas. Une femme d'une quarantaine d'années s'incline devant une autre ayant peut-être atteint le double. Il se déroule alors comme un rite de reconnaissance et de passage entre ces deux femmes. Loin des bousculades, près du bout d'un chemin. Sans discours ni même larmes. Sans témoins. Une fin.

Musique 3 programmait alors les Lamentations de Jeremie dans la version de Francesco Durante. Absentes semble-t-il des sites vidéos.

A défaut. Marbrianus de Orto : Lamentations du prophète Jeremie, Huelgas Ensemble sous la direction de Paul van Nevel.

mardi 9 septembre 2008

P. 27. Seule Claudie Gallay

Navigation à contre-courant en remontant le fleuve des romans de Claudie Gallay. Après "Les déferlantes" (pp 15 et 22 de ce blog) et "L'or du temps", après La Hague et Dieppe : Venise.

Venise telle que seule Claudie Gallay en décrit l'hiver : flocons de neige sur la Cité et dans le coeur de ceux qui la parcourent...

Présentation par les Ed. du Rouergue :

- "A quarante ans, quittée par son compagnon, elle vide son compte en banque et part à Venise, pour ne pas sombrer. C'est l'hiver, les touristes ont déserté la ville et seuls les locataires de la pension où elle loge l'arrachent à la solitude. Il y a là un aristocrate russe en fauteuil roulant, une jeune danseuse et son amant. Il y a aussi, dans la ville, un libraire amoureux des mots et de sa cité qui, peu à peu, fera renaître en elle l'attente du désir et de l'autre.

Dans une langue ajustée aux émotions et à la détresse de son personnage, Claudie Gallay dépeint la transformation intérieure d'une femme à la recherche d'un nouveau souffle de vie."

Quelques pas-sages allumés au fur et à mesure des pages, comme des bougies sur un chandelier à 9 branches :

- "Vous êtes en voyage d'amour ? elle me demande en regardant du côté de ma chambre.
Le café est chaud, presque brûlant. J'en avale une gorgée et je repose ma tasse.
- Je suis à l'étape suivante. Celle où il faut oublier.
Je prends une tranche de pain.
- Vous verrez, je dis en plantant mes yeux dans les siens.
Mes yeux sont bleus, les siens sont noirs."

- "Mon poisson rouge a crevé, je dis. J'ai perdu mon boulot. Mon mec m'a plaquée.
- Dans quel ordre ?
- Le poisson à la fin."

- "Ici, l'été, c'est envahi de monde. Il ne faut pas venir.
- Où il faut aller l'été ? je demande.
- Nulle part. Il faut acheter des livres et rester chez soi."

- "Un pensionnaire qui était ici avant vous m'a raconté qu'autrefois les vieux gondoliers remontaient la ville par les canaux, ils longeaient ensuite les murs du cimetière et ils ramaient droit vers le large. Le soir, on les attendait. Et puis la nuit tombait. L'emplacement de la gondole restait vide.
Le prince me regarde.
- Il y a tellement de façons de mourir... Rares sont ceux qui ont suffisamment de talent pour témoigner de cela."

(Photo : JEA)

- "La Fenice est là, dans le quartier. Quand elle a brûlé, ça a été la panique. Après, pendant des jours on a vu des Vénitiens traîner dans les rues, hagards, une petite boîte à la main. Ils venaient récupérer des cendres. Tous. Ils faisaient ça. Et ils pleuraient. Il a fallu mettre des barrières pour les empêcher d'approcher."

- "Croyez-moi, il vous est plus facile de remplir votre cerveau que moi d'écoper le mien."

"La neige.
Des visages aux fenêtres du Quadri. Des silhouettes sur le pas des boutiques. A l'étage du musée.
Partout, des yeux redevenus des yeux d'enfants. Doigts écartés. Contre les vitres.
Je n'ai jamais voulu que l'on m'explique la neige. Jamais voulu écouter, comprendre.
La neige ne s'explique pas.
Je monte à la cime du Campanile.
Un homme près de moi dit, on ne reverra jamais ça. Jamais.
Il a raison.
Probablement."

"Je suis une solitaire. De la pire espèce. Celle des taupes. Une inadaptée. J'ai besoin de ma tanière, mon trou de terre."

Parmi ses "déferlantes", Claudie Gallay avait invité Prévert. Tandis qu'André Breton est l'un des personnages-clef de "L'or du temps". A Venise, l'auteur évoque Zoran Music, peintre et graveur.

Zoran Music : déporté parce que juif. De sa mise derrière les barbelés de Dachau entre 1943 et 1945, il témoigna dans les années 70 avec des oeuvres rassemblées sous le thème : "Nous ne sommes pas les derniers" (Reproduction : DR. Consulter le site internet de Dominique Natanson : "Mémoire juive et éducation". Cliquer : ICI).

"On passe dans la dernière salle. Un panneau : "Nous ne sommes pas les derniers".
- C'est une série. Après Dachau, il faut comprendre...
A cause de la brutalité, l'amoncellement des corps nus, entassés, en tons gris, presque noirs. Des corps sans chair, recroquevillés, avec des membres interminables.
Des corps suppliciés.
Une gravure, une autre.
- Il dessinait sur de petits bouts de papier qu'il gardait au fond de ses poches ou cachés dans ses chaussettes.
Vous approchez la main.
- La Gestapo l'a arrêté ici, à Venise.
Vous m'expliquez.
- Les cadavres, il n'a pas pu les peindre tout de suite. Ils sont venus après, longtemps après. Il en était déjà revenu.
Vous me regardez.
- Parfois, les mots ne peuvent plus expliquer. Seule la peinture."


Alessandro Marcello : Concerto pour haut-bois, violons et basse continue. Rinaldo Alessandrini dirige le Concerto Italiano.

vendredi 5 septembre 2008

P. 26. Truffaut : 5 bandes sons

Sur les plages des salles obscures... écouter la "nouvelle vague" avec les yeux fermés.

Nostalgie, certes. Mais point celle qui vous donne des souliers de scaphandrier et vous entraîne vers. les bas fonds d'une mer morte.

Les Quatre Cents Coups (1959)

Truffaut : "L'adolescence ne laisse un bon souvenir qu'aux adultes ayant mauvaise mémoire."

Pour l'anecdote : dans les années 70 et au titre de "l'éducation sexuelle et affective", j'ai bataillé au sein de la commission cinéma de l'Education nationale (Belgique) pour que ce film ne soit plus interdit aux mineurs... En cause ? Non pas l'encouragement à brosser les heures de cours ou l'image réaliste de parents désunis, ni celle effarante de ces maisons dites de "redressement" pour ados décrétés "difficiles"... mais une scène où une supposée psychologue laisse tomber son crayon pour vérifier si le gamin qu'elle est chargée d'"examiner", va regarder ou non sous ses jupes. Authentique...

Le thème de "La rose blanche" est signé par Jean Constantin. Auteur compositeur de chansons pour Annie Cordy, Catherine Sauvage, les Frères Jacques, Edith Piaf, Zizi Jeanmaire et Yves Montand...

Tirez sur le pianiste (1960)


Au piano : Charles Aznavour. Et dans une scène de bal populaire, Boby Lapointe avec sa "Framboise" surréaliste. A tel point que les producteurs exigèrent de Truffaut un sous-titrage pour cette chanson. Comme s'il était nécessaire de la traduire...en Français ! Bel hommage involontaire à l'absurdité cultivée par Boby.

- "Elle s'appelait Françoise,
Mais on l'appelait Framboise !
Une idée de l'adjudant
Qui en avait très peu, pourtant,
(des idées)...
Elle nous servait à boire
Dans un bled du Maine-et-Loire ;
Mais ce n'était pas Madelon...
Elle avait un autre nom,
Et puis d'abord pas question
De lui prendre le menton...
D'ailleurs elle était d'Antibes !

Quelle avanie !
Avanie et Framboise
Sont les mamelles du Destin !

Pour sûr qu'elle était d'Antibes !
C'est plus près que les Caraïbes,
plus près que Caracas.
Est-ce plus loin que Pézenas ?
Je n'sais pas :
Et tout en étant Française,
L'était tout de même Antibaise :
Et bien qu'elle soit Française,
Et, malgré ses yeux de braise,
Ça ne me mettait pas à l'aise
De la savoir Antibaise,
Moi qui serais plutôt pour...

Quelle avanie...
Avanie et Framboise
Sont les mamelles du Destin !

Elle avait peu d'avantages :
Pour en avoir d'avantage,
Elle s'en fit rajouter
A l'institut de beauté
(Ah - ahah ! )
On peut, dans le Maine-et-Loire,
S'offrir de beaux seins en poire...
L'y a à l'institut d'Angers
Qui opère sans danger :
Des plus jeunes aux plus âgés,
On peut presque tout changer,
Excepté ce qu'on ne peut pas...

Quelle avanie...
Avanie et Framboise
Sont les mamelles du Destin !

"Davantage d'avantages,
Avantagent d'avantage"
Lui dis-je, quand elle revint
Avec ses seins Angevins...
(deux fois dix ! )
"Permets donc que je lutine
Cette poitrine angevine..."
Mais elle m'a échappé,
A pris du champ dans le pré
Et je n'ai pas couru après...
Je ne voulais pas attraper
Une Angevine de poitrine !

Moralité :
Avanie et mamelles
Sont les framboises du Destin !"

Jules et Jim (1962)
Truffaut : "Je peux dire que la lecture, en 1953, de "Jules et Jim", premier roman d'un vieillard de 74 ans, a déterminé ma vocation de cinéaste. J'avais 21 ans et j'étais critique de cinéma. J'ai eu le coup de foudre pour ce livre et j'ai pensé: si un jour je réussis à faire des films, je tournerais "Jules et Jim".

A la sortie du film en Belgique, l'une ou l'autre ligue de défense des vertus conservées dans de l'eau bénite, lança des pétitions pour tenter d'arracher son interdiction. Et cette mobilisation passa par l'enseignement catholique, gonflant a contrario les files d'attente devant les cinémas car certains élèves s'y précipitèrent dans l'espoir de déguster une oeuvre des plus sulfureuses...

Jeanne Moreau : "Le tourbillon de la vie". Paroles de "Cyrus Bassiak", pseudonyme de l'écrivain Serge Rezvani. Musique de Georges Delerue.

Baisers Volés (1968)


Truffaut : "En vérité, dans Baisers volés, chaque spectateur amenait son sujet, pour les une c'était l'Education sentimentale, pour les autres l'initiation, d'autres encore pensaient à des aventures picaresques. Chacun apportait ce qu'il voulait, mais il est vrai que c'était dedans. On avait bourré le film de toutes sortes de choses liées au thème que Balzac appelle "Un début dans la vie"... Avec les années qui passent, je crois que la dernière scène de Baisers volés, qui a été faite avec beaucoup d'innocence sans savoir moi-même ce qu'elle voulait dire, devient comme une clef pour presque toutes les histoires que je raconte."

Dans le climat tendu annonçant Mai 68, les premières images du film rappellent qu'il est "dédié à la Cinémathèque d'Henri Langlois". Truffaut était alors à la tête d'une grève dure et s'opposant au licenciement d'Henri Langlois, père spirituel de cette Cinémathèque nationale .

Charles Trenet : "Que reste-t-il de nos amours ?", chanson du générique et qui a donné au film son titre.

La nuit américaine (1973)

En une phrase des dialogues, Nathalie Baye, dans le rôle de l'assistante-script, résume ce long métrage : "Pour un film, je pourrais quitter un homme mais je ne pourrais jamais quitter un film pour un homme.".

Cette "nuit" pourrait réjouir tous les marchands de pellicule. En effet, Truffaut propose deux oeuvres cinématographiques pour le prix d'une seule. Car il tourne un film : "Je vous présente Paméla" dans cette "nuit amricaine". Mais voilà, avec Truffaut, c'est le firmament du 7e art qui offre toutes ses étoiles et non la 7ème recupération commerciale du public.

"La nuit américaine" pourrait n'être qu'un trucage : maquiller le jour en nuit obscure. En réalité, cette "nuit" symbolise toute la magie du cinéma. En 24 images/seconde, quel intense pouvoir onirique et poétique : métamorphoser des images fixes en imitation de la vie sur grands écrans ! Avec une référence au grand passé du muet. Le film n'est-il pas dédié aux actrices sans paroles que furent Dorothy et Lilian Gish ?

Personnellement, je garde ce Truffaut parmi les pellicules les plus précieuses de mon cinéma Paradisio. Dès les premières mesures du Grand Choral, mon coeur bat en toute démesure.

Combien de spectateurs emportés par la jubilation créatrice de ce "Grand Choral" n'en ont-ils pas ensuite cherché vainement les références dans les catalogues de Bach ou de Vivaldi ? C'est la modestie de Georges Delerue qui devait s'en trouver gentiment malmenée...

mercredi 3 septembre 2008

P. 25. Mort de Jacques Lévy

"La mort n'est qu'un sommeil entier et pur..."
René Char.
Jacques Lévy voulut compter au nombre des membres fondateurs de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures- L. 1901 (1). D'où cet article publié dans L'Ardennais en date du 10 septembre 2003. La photo de Jacques illustre l'annonce de l'érection d'une future Pierre du souvenir sur le site même de cet unique Judenlager de Champagne-Ardenne. Lequel monument sera inauguré le 16 juillet 2005.
C'est dans ce contexte que j'eus l'honneur de faire plus que sa connaissance. Puisque les recherches sur Les Mazures et ses déportés juifs anversois ayant été entamées en 2002, Jacques Lévy devait les soutenir dès 2003...

A l'époque Président des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation - Ardennes (2), Jacques Lévy développait une incroyable activité pour éviter l'oubli ou retirer de celui-ci toutes celles et ceux qui, victimes du nazisme et de Vichy, furent arrachés à la France, leur terre natale ou de refuge. Son énergie, sa générosité, son humanisme fondamental lui valaient des réactions unanimes de respect, d'attentions, d'adhésions...

Il vient de s'éteindre. Mais au terme d'une vie multiple, foisonnante. Qu'un historien se serait fait un devoir et un bonheur de transmettre. Car s'étendant de l'adolescent juif et résistant au sage vigilant et actif, cette vie fertile permettrait de décrire un itinéraire exceptionnel... Mais Jacques était l'anti-héros par définition.

Portrait de Jacques Lévy (photo et graphisme : JEA).

Aussi comment lui rendre un bref hommage sur cette page ? Tout en respectant sa volonté d'éviter tambours et trompettes ? Peut-être en évoquant cette blessure intime qui ne s'est jamais refermée en lui. Sous les yeux, dans sa pièce de séjour, il avait la photo d'une plaque avec les noms d'otages juifs fusillés en Corrèze. Dont son père.
Suite à plusieurs séjours dans cette région, j'ai pu retrouver pour Jacques traces des circonstances qui ont entraîné cette exécution (3).

En 1942, Vichy avait assigné 6.000 juifs à résidence rien qu'en Corrèze.

Témoignage de Marcel Thezillat (4) :

- "Le 28 mars 1944, un groupe FTP (5) dépendant de Guingouin (6) intercepte une voiture allemande au lieu-dit le Martin-Roche, sur la Commune de l'Eglise-aux-Bois (7). Les occupants de cette voiture sont trois officiers supérieurs allemands faisant partie de la "Commission d'Armistice" venant de Vichy et se dirigeant vers Limoges. Le quatrième occupant est un officier disant appartenir au 2e Bureau français. Renseignements pris, cette version s'est révélée exacte. Les trois officiers allemands sont tués...
Allemands et Vichystes ne trouveront plus trace de la "Commission" franco-allemande.

Le 4 avril, les forces de répression investissent tout le secteur de Lacelle et l'Eglise-aux-Bois, à la recherche des maquisards ayant fait disparaître, le 28 mars, la "Commission d'Armistice". Le point de la disparition est situé par les Allemands entre Lacelle (Corrèze) et Eymoutiers (Haute-Vienne).
A l'arrivée des Allemands, les hommes ainsi que la plupart des jeunes gens et jeunes filles ont gagné les bois. Il reste des personnes d'un certain âge.
A Lacelle, deux maisons sont incendiées. Quatre hommes, Joseph Roudeix, Marcel Lévy Danon, Fernand Szerman et Jean Duchez, pris comme otages sont fusillés. Un autre sera déporté à Buchenwald où il mourra. La maison de Pierre Fourgnaud, secrétaire de mairie, est entièrement saccagée."

Jacques Lévy prouvait qu'un orphelin pouvait ne pas haïr mais agir (d'abord comme résistant armé, ensuite comme porteur de mémoires). Ne pas oublier, ni pardonner mais rester fidèle aux idéaux humanistes transmis par son père et amplifiés par une expérience unique et qui vient hélas de prendre fin...

Notes :

(1) Présidente de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures, Yaël Reicher a salué en ces termes la disparition de Jacques Lévy :
- "Je pense à Jacques Lévy... pour honorer une personne aussi courageuse, humaine et humble comme lui... et j'envoie toutes mes profondes pensées respectueuses et amicales."
(2) Cette année 2008, Christine Dollard-Leplomb succéda à Jacques Lévy à la Présidence des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation-Ardennes. Celui-ci en devint le Président d'Honneur. Pour consulter le portail des Amis..., cliquer : ICI.
(3) Musée départemental de la Résistance et de la Déportation. Tulle.
(4) 33 ans en 1944.
(5) Francs Tireurs et Partisans. Organisation de résistance d'obédience communiste.
(6) Instituteur qui élabora, développa et prit la tête de la résistance en Corrèze. Compagnon de la Libération. Reconnu comme lieutenant-colonel à titre honoraire.
(7) Actuellement, sur la route départementale 940 entre Treignac et Eymoutiers.

Elgar : "Nimrod" - "Enigma Variations". Daniel Barenboim à la tête du Chicago Symphony Orchestra.

lundi 1 septembre 2008

P. 24. En Champagne, 1916 : Louis Barthas

La Société d'Etudes Ardennaises propose un colloque : "L'Autre Résistance. 1914-1928" les 26 et 27 septembre prochains. Ce qui motive pour (re)lire au préalable des ouvrages tels que "Vie des martyrs et autres récits des temps de guerre" de Georges Duhamel (Ed. Omnibus) ou "Lettres à sa femme. 1914-1917" d'Henri Barbusse (Buchet/Chastel).

Mais les 19 cahiers d'écolier remplis par Louis Barthas restent LA référence pour une connaissance de la (sur)vie quotidienne des poilus. En effet, ce tonnelier-humaniste connut presque tous les fronts du Nord à la bataille de Verdun, et ce, de la mobilisation à l'armistice de ce premier abattoir à l'échelle mondiale que fut la guerre de 14-18. Son témoignage n'a rien de ponctuel ni d'anecdotique. Il relate jour après jour, les horreurs et les malheurs vécus par un "simple" caporal. Lequel parvint à rester lucide, intellectuellement honnête, et sans faiblesse devant les censures ou les tentations des affabulations.
Fidèle à des valeurs de gauche, les mêmes qui avaient valu à Jaurès son assassinat, Louis Barthas est à la fois acteur et écrivain de ce suicide collectif dans lequel s'enfonça l'Europe. Elle qui se voulait pourtant donneuse de leçons de civilisation.
Louis Barthas, ce poilu à qui "on ne la faisait pas", laisse donc en héritage plus de 550 pages sans cocoricos ni effets de plume. Une lueur au milieu des barbaries.

Quatrième de couverture :

- "En 1914, Louis Barthas a trente-cinq ans. Tonnelier dans son village de l'Aude - Peyriac-Minervois -, il est mobilisé au 280e d'infanterie basé à Narbonne. Il fera toute la guerre comme caporal. Il connaîtra le secteur sinistre de Lorette, Verdun, la Somme, l'offensive du Chemin des Dames ; la boue, les rats et les poux ;les attaques au devant des mitrailleuses et les bombardements écrasants; les absurdités du commandement, les mutineries de 1917, les tentatives de fraternisation. Au front, Barthas note tout ce qu'il voit, tout ce qu'il ressent. De retour chez lui, survivant, il va rédiger au propre son journal de guerre, à l'encre violette, sur dix-neuf cahiers d'écolier. Sens de l'observation précise, lucidité, émotion et humour mêlés, révèlent chez le caporal tonnelier un talent d'écrivain qui n'est gâté par aucune recherche d'effets littéraires. Le livre, présenté par Rémy Cazals, est devenu un classique depuis sa première édition en 1978, réalisée avec l'aide des petits-enfants de Louis Barthas et de la Fédération audoise des oeuvres laïques."
(Réédition La Découverte/Poche, 2003).

Jean Clémentin, Le Canard enchaîné :


- "Depuis 60 ans, des milliers d’auteurs, romanciers, historiens, mémorialistes, l’ont racontée, cette guerre de 14, mais parmi eux, pour ainsi dire pas de témoins de tout en bas, de "poilus", faute à ceux-ci d’avoir eu la plume littéraire. C’est pourquoi les Carnets de Barthas sont précieux. Après s’être farci les quatre années au front et en être ressorti entier, il a passé ses soirées à transcrire par le menu, sur des cahiers d’écolier, et d’une belle écriture moulée, comme pour le certif, ce qu’il a vu, subi, vécu avec ses camarades."
(Article annonçant l'édition originale. Ed. François Maspero, 20 décembre 1978).


Photo : Front de Champagne, 1916 (DR).

Des cahiers de Louis Barthas, n'en ont été retenus que deux pour ce blog.
Le 11e : "le 296e régiment en Champagne, 19 mai - 12 juillet 1916"
et
le 12e : "13 juillet - 29 août 1916".

En voici quelques extraits significatifs et arbitrairement présentés sous forme d'abécédaire.

C - CHAMPAGNE :

- "Le paysage n'était guère riant, en pleine Champagne pouilleuse : pins rachitiques, clairières dénudées, ravins et vallons sans ruisseaux ni prairies ; en temps ordinaire, quelques corbeaux misanthropes et quelques rats ermites habitaient seuls ces lieux tristes comme les confins du désert.
... Toute la Champagne pouilleuse ne vaut pas une goutte de ce sang si précieux qui a coulé pour conquérir ce coin de désert."

F - FRATERNISATION :

- "De relève en relève, on se transmettait les usages et coutumes de ces petits-postes, les Allemands de même et toute la Champagne pouvait s'embraser, il ne tombait jamais une grenade en ce coin privilégié.
... Quelquefois il y avait échange de politesses, c'étaient des paquets de tabac de troupe de Régie française qui allaient alimenter les grosses pipes allemandes ou bien des délicieuses cigarettes "made in Germany" qui tombaient dans le poste français.
On se faisait passer également chargeurs, boutons, journaux, pain.
Voilà une drôle d'affaire de commerce et d'intelligence avec l'ennemi qui aurait fait bondir d'indignation patriotes et super-patriotes depuis le royaliste Daudet jusqu'au fusilleur de Narbonne Clémenceau en passant par le caméléon Hervé.
Affaire d'ailleurs d'appréciation. Les uns jugeront cela sublime et les autres criminel suivant que l'on place l'idéal d'Humanité au-dessus ou au-dessous de l'idéal de Patrie."

G - GENERAL :

- "...on écouta religieusement la parole du foudre de guerre le général Gouraud.
Le pape faisant un sermont à Saint-Pierre n'est pas écouté plus respectueusement au milieu de cette foule. J'entendis le cri d'un grillon, j'entendis aussi quelques bribes du discours car un simple caporal ne pouvait aller au premier rang se planter impertinemment sous le nez d'un aussi haut personnage.
... sur un ton confidentiel il répéta les paroles de l'ambassadeur d'Espagne à Berlin, à savoir que si les Français connaissaient l'état d'épuisement et de découragement du peuple allemand, nous pavoiserions partout notre joie. Il devait être bien renseigné cet ambassadeur ! Ou il se payait bien notre tête."

Photo : 1916, tranchées de Champagne (DR).

O - OFFICIERS :

- "Autour des PC des commandants et des capitaines, on voyait de plus en plus des gars solides et jeunes pour la plupart remplir de vagues fonctions, de plantons, de cuisiniers, ordonnances, signaleurs, ravitailleurs, tailleurs, coiffeurs, etc..., tous flattant, se courbant devant les officiers, ces nouveaux seigneurs du XXe siècle qui en échange les tiraient de la première zone du premier cercle de ce nouvel enfer de Dante : les tranchées."

P - PUNITION :

- "C'était un lieutenant quelconque d'une quelconque compagnie qui faisait sa ronde et il venait de surprendre la sentinelle au périscope, un petit Breton, en train de dormir.
... Le coupable était là, accablé; il aurait pu insinuer que s'il avait succombé au sommeil et à la fatigue les plus coupables étaient ceux peut-être qui ne savaient ou ne voulaient pas donner aux hommes un repos suffisant.
... Timidement j'invoquai son jeune âge, sa fatigue, son état d'orphelin... mais l'officier coupa court à ma plaidoirie. "On verra ça", dit-il sèchement en s'éloignant.
Ce ne fut pas une petite affaire quand le lendemain la hiérarchie militaire prit connaissance du motif de punition porté par cet officier.
Quoi ! une sentinelle en première ligne n'avait pu résister au sommeil ? Quel châtiment exemplaire allait-on lui infliger ? La prison ? Mais toutes les sentinelles étaient bien capables de s'endormir pour quitter les tranchées et aller à l'abri des obus, des gaz, des poux, du froid, de la pluie, dans une prison si sombre, si lugubre soit-elle.
Il n'y avait que la mort pour punir un tel crime. Cependant il ne fut point fusillé, on ne fut point féroce à ce point ou plutôt on voulut que sa mort serve à leur dessein.
En prévision du lancement de gaz... on constituait dans le régiment une section "franche" charge d'aller explorer les lignes allemandes après l'émission.
... Ces hommes étaient en quelque sorte sacrifiés. Les punis pour quelque infraction grave à la displine furent désignés d'office."

R - RATS :

- "Ces lieux {un trou de mine} étaient particulièrement infestés de rats qui venaient suivant leur habitude cambrioler nos musettes et la nuit promener leur museau, leurs pattes, leur queue sur nos figures.
On conçoit le dégoût que nous inspirèrent ces détestables rongeurs quand nous nous aperçûmes qu'ils avaient leur domicile dans un cimetière allemand qui était à proximité.
L'emplacement de chaque tombe était taraudé par leurs galeries et l'odeur infecte qui s'échappait de ce cimetière ne laissait aucune doute que les rats dévoraient ces cadavres quand le contenu de notre musette et les déchets divers d'une troupe stationnée ne suffisaient pas à leur nourriture.
Le jour, ils vivaient avec les morts et la nuit avec les vivants, avec nous, charmant voisinage !"

Paroles de Montéhus et musique de Georges Krier : "La butte rouge" interprétée par le groupe des Motivés-Zebda.
Dans le même esprit que Louis Barthas, un regard rétrospectif (1923) sur les combats en Champagne.
De manière assez incompréhensible, de multiples portails français situent cette "butte" en Champagne mais... à "Warlencourt". Soit répètent ces sites, près de "Bapaume en Champagne". Si Bapaume est certes une région couverte de cimetières militaires, même un étranger comme l'auteur de ce blog, se garderait bien confondre Pas-de-Calais et Champagne (et de faire pousser de la vigne si haut dans le Nord)...

La butte rouge

- "Sur c'te butte là, y avait pas d'gigolette,
Pas de marlous, ni de beaux muscalins.
Ah, c'était loin du moulin d'la Galette,
Et de Paname, qu'est le roi des pat'lins.

C'qu'elle en a bu, du beau sang, cette terre,
Sang d'ouvrier et sang de paysan,
Car les bandits, qui sont cause des guerres,
N'en meurent jamais, on n'tue qu'les innocents.

La Butte Rouge, c'est son nom, l'baptème s'fit un matin
Où tous ceux qui grimpèrent, roulèrent dans le ravin.
Aujourd'hui y a des vignes, il y pousse du raisin
Qui boira d'ce vin là, boira l'sang des copains.

Sur c'te butte là, on n'y f'sait pas la noce,
Comme à Montmartre, où l'champagne coule à flôts.
Mais les pauv' gars qu'avaient laissé des gosses,
I f'saient entendre de pénibles sanglots.

C'qu'elle en a bu, des larmes, cette terre,
Larmes d'ouvrier et larmes de paysan,
Car les bandits, qui sont cause des guerres,
Ne pleurent jamais, car ce sont des tyrans.

La butte rouge, c'est son nom , l'baptème s'fit un matin
Où tous ceux qui grimpèrent, roulèrent dans le ravin.
Aujourd'hui y a des vignes, il y pousse du raisin
Qui boit de ce vin là, boira les larmes des copains.

Sur c'te butte là, on y r'fait des vendanges,
On y entend des cris et des chansons.
Filles et gars, doucement, y échangent,
Des mots d'amour, qui donnent le frisson.

Peuvent-ils songer dans leurs folles étreintes,
Qu'à cet endroit où s'échangent leurs baisers,
J'ai entendu, la nuit, monter des plaintes,
Et j'y ai vu des gars au crâne brisé.

La butte rouge, c'est son nom, l'baptème s'fit un matin
Où tous ceux qui grimpèrent, roulèrent dans le ravin.
Aujourd'hui y a des vignes, il y pousse du raisin
Mais moi j'y vois des croix, portant l'nom des copains."