DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

dimanche 30 mai 2010

P. 289. L'expo que vous verrez pas à Amiens (Somme)

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Léo Kouper : affiche de l'exposition "Pour adultes seulement" à Amiens (DR).

Amiens réinvente l'enfer
pour une somme de dessins
adultes non admis


AFP :

- "L’exposition « Pour adultes seulement » sous titrée « Quand les illustrateurs de jeunesse dessinent pour les grands » et qui devait être présentée à Amiens, à la Bibliothèque départementale de la Somme du 19 mai au 19 juillet 2010, a été annulée par le président du Conseil général, Christian Manable (PS)."

Christian Manable, président du conseil général :

- "J'ai en effet annulé - et si l'on veut employer ce mot, censuré - cette exposition. C'est en pleine conscience que j'ai pris cette décision, car j'ai estimé que certains dessins étaient vecteurs d'une image dégradante de la femme et je refuse que la collectivité départementale soutienne une telle approche de la sexualité, qui me semble opposée à nos valeurs d'émancipation.

(…)
Certaines images ne permettent pas de faire la distinction entre femme et enfant et nous ne tenons pas à ce qu'on nous fasse de mauvais procès."

David Andrieux, directeur du développement culturel au conseil général :

"Cette exposition avait reçu l’aval du département, mais le président a pris la décision de l’annuler quand il a découvert l’ensemble de son contenu. Il lui a semblé que le rapport entre les œuvres érotiques et leurs auteurs, spécialisés dans l’édition de livres pour enfants, produisait un effet miroir inopportun.
(…)
Dans ce département, où il y a beaucoup à faire dans le domaine social et où la question de la pédophilie est un sujet extrêmement sensible, il nous a semblé, en tant que collectivité publique, que nous ne devions pas promouvoir cette exposition amenée à circuler dans le réseau des bibliothèques du département, et donc visible par tous les publics.
(…)
Ni la qualité des œuvres ni le travail accompli par la commissaire de l’expo ne sont remis en question."

Daniel Muraz :

- "Ces dessins « Pour adultes seulement » qui auraient dû être exposés à la bibliothèque départementale de la Somme - avant intervention à la dernière minute du président du conseil général - méritaient-ils de connaître un tel enfer (celui où, justement, les œuvres licencieuses sont cachées dans les bibliothèques) ? Au vu du catalogue, la mesure laisse perplexe.
(…)
Ni la majorité du conseil général, ni son président n'ont jamais fait montre jusqu'ici d'une particulière pudibonderie ou de pressions sur les artistes (a contrario, en terme de liberté d'expression, le Département a soutenu, par exemple, le festival de cinéma grolandais !)
Si Christian Manable a préféré annuler l'expo par crainte « qu'on nous fasse de mauvais procès », le résultat est loin d'être atteint. Et ce n'est pas la nature de ses premiers soutiens, à l'extrême droite, qui devrait le consoler."
(Le Courrier picard, 29 mai 2010).

Observatoire de la censure :

- "Surprenant cadeau pour Hervé Roberti, conservateur en chef, en poste depuis quinze ans, à quelques semaines de son départ en retraite. Une immense marque de respect pour tout le personnel qui travaille sur l'exposition depuis un an, et particulièrement pour Janine Kotwica, commissaire de l'exposition. Elle qui, précédemment, avait contribué à la mémorable exposition Le Cochon, portrait d'un séducteur, ne s'attendait pas une telle décision. Spécialiste du livre jeunesse, elle avait proposé à des illustrateurs, travaillant pour la jeunesse, de dessiner cette fois-ci "pour les grands". 26 dessinateurs avaient répondu "présent", et pas des moindres: Gilles Bachelet, Michel Backès, Christophe Besse, Michel Boucher, Nicole Claveloux, Jean Claverie, Frédéric Clément, Isabelle Forestier, Claire Forgeot, André François, Alain Gauthier, Bruno Heitz, Louis Joos, Lionel Koechlin, Léo Kouper, Georges Lemoine, Daniel Maja, David Merveille, Alan Mets, Jean-Charles Sarrazin, Marcelino Truong, Tomi Ungerer, Zaü, Albertine Zullo. Certains avaient même fait des dessins spécialement pour l'exposition. Prudente, la commissaire avait fait un choix parmi les dessins pour adultes de Tomi Üngerer, pourtant visibles dans une salle du musée de Strasbourg. L'exposition Pour adultes seulement avait lieu dans une bibliothèque départementale, lieu que ne fréquentent pas les enfants."
(25 mai 2010).

Janine Kotwica au président du conseil général :

- "J’ai appris avec une stupeur vite remplacée par la colère votre décision arbitraire, inique, absurde et ridicule d’interdire l’exposition Pour adultes seulement, sélection bon enfant de dessins, gravures et peintures gentiment érotiques d’illustrateurs, pour laquelle j’ai eu une commande écrite, en date du 14 janvier 2009, émanant de Hervé Roberti, Conservateur en chef de la Bibliothèque départementale de la Somme.
J’ai travaillé d’arrache-pied au commissariat de cette exposition à laquelle 25 artistes, qui publient dans le monde entier, ont prêté ou réalisé spécialement des oeuvres et pour laquelle Léo Kouper, affichiste de grand renom, a réalisé cinq projets. Nous les avons, le 17 février 2010, soumis à votre Directeur du développement culturel qui a conforté (avec un enthousiasme, sincère, m’a-t-il semblé) celui que nous préférions, plébiscité aussi par tous ceux que nous avions consultés. Il a exprimé également, mais il ne pouvait en être autrement étant donnée leur exceptionnelle qualité, son admiration pour les originaux que j’avais apportés.
J’ai eu un deuxième entretien cordial avec David Andrieux, en présence de deux autres collaborateurs, la semaine dernière. Rien ne laissait présager alors votre oukase qui m’a laissée dans un état proche de la nausée. Si cette exposition heurtait votre délicatesse, vous aviez largement le temps d’arrêter les frais, à tous les sens du mot, beaucoup plus tôt. Cette interdiction, à 11 jours de l’ouverture, est une faute et une vilénie.
(…)
Vos conseillers fréquentent-ils parfois les musées et expositions ? Dans une époque où la burqua fait débat, ne seraient-ils pas tentés de voiler, au Louvre, la nudité de la Vénus de Milo, d’occulter, à Orsay, L’origine du monde, et dans nos mairies, de cacher le sein qu’ils ne sauraient voir de notre jolie Marianne ? Avec nos petits dessins bien anodins, nous sommes loin de Lucian Freud ou de Bettina Rheims exposés en ce moment avec succès à Paris. Tartuffe était-il picard ? Voulez-vous donner l’image d’une province ignare et rétrograde ?"


Eve en tenue d'Eve et Adam, impossible de les confondre. A censurer car exposés au public et autres fidèles de la cathédrale d'Amiens ? (Arch. JEA / DR).

Pour répondre au commentaire déposé par Zoé, voici un lien vers la reproduction d'une oeuvre signée Alain Gauthier, laquelle a le plus entraîné l'ire du président du conseil général. Mais a été néanmoins publiée par un quotidien... Puis Le Monde himself qui a soulevé quelques voiles...
Cliquer ici : Courrier picard.
Et ici : Le Monde.


vendredi 28 mai 2010

P. 288. "Kayn aynorè" : que le mauvais oeil épargne Maurice Winnykamen !

Maurice Winnykamen,
Hommage, Récit d'un enfant caché,
Ed. des Ecrivains, 2001, 145 p.

Non pas une
mais 145 pages nomades
signées Maurice Winnykamen

Son blog "Déferlantes et écumoire" figure dans les liens. Maurice Winnykamen n'est pas venu déposer ici une page mais tout un livre. Son histoire authentique d'enfant caché. Car ses parents cumulaient les qualités de juifs, de résistants et de communistes. Tous trois et tous ceux de leur famille constituaient, si l'on ose écrire, des cibles de choix pour la Shoah.
Alors Charlotte et Aisik Winnykamen prirent la plus déchirante des décisions : se séparer de leur fils - le temps de la guerre - pour le mettre si possible à l'abri. Là-haut, en Savoie. Chez des paysans, les Pegaz, qui savaient pertinement bien risquer leur propre vie pour avoir accueilli comme l'un des leurs ce petit persécuté.

Voici quelques galets ramassés au fil de ce récit qu'un(e) documentariste cinéma pourrait suivre sans même devoir le retravailler...

Dédicace de Maurice Winnykamen :

- "Je dédie ce témoignage à tous les enfants du monde.
Qu'ils inventent la paix !"
(P. 7).

La défaite de 1940 :

- "C'était, maintenant, de la faute aux étrangers si la France était trahie. Si elle avait perdu la guerre. On se mit à guetter les accents. Les accents ne manquaient pas. Il y avait les accents des démocrates condamnés dans les pays totalitaires, comme celui de mon grand-père Lazare. Ceux de simples gens qui avaient fui la peste brune. Ceux de l'immigration habituelle. Ceux des Alsaciens aussi. Et puis, il y avait les accents de sincérité. Ceux-là étaient les pires. Il y eut des exactions.
Ces cadavres de chevaux :
- "la faute aux communistes".
Ces cadavres d'enfants, de femmes et d'hommes :
- "la faute aux Juifs."
J'entendais tout cela sans rien comprendre d'autre que ma peur. J'avais six ans."
(P. 30).

Repli à Lyon :

- "Charlotte - c'est la mère de Boris - porte les valises d'armes et, plus tard, prend soin des enfants cachés. Aisik est devenu "Julien". Le lieutenant Julien. L'instruction militaire clandestine de la M.O.I., la préparation, l'exécution des "actions" et le maniement des armes, voilà ce dont il s'occupe, ce lettré qui ne rêvait que de poésie.
Les parents de Boris ont changé de nom de famile. De Winnykamen, ils ont fait Winny. Ca sonne plus Français bien que l'on puisse y déceler une consonance étrangère. Moins juif, en tout cas. Ce nom - il ne sera pas le seul qu'ils porteront pendant la période de la Résistance -, ils le garderont plus tard. Ils se le sont fait eux-mêmes. Ils peuvent en être fiers.
(...)
La mère de Boris voyage. Il est souvent seul, à la maison.
Son "za dé Douvit" (grand-père David) tient enfermé, dans un galetas, son accent Yiddish très marqué. Ses doutes : "Tzou-tzou-tzou", ses plaintes : "OÏ vaï mit", les petites folies et les grandes dont est peuplé le monde : "michiguouné", "ganz michigué", et aussi les emmerdements dont nous sommes entourés : "les tzourès". On n'est ni au temps des souhaits : "mazel'tov !", ni à celui de porter le toast : "lé h'aim", ni en mesure de respecter la cuisine casher : "la cachrout".
Avec David, Loniè. Ses cheveux longs, déjà blancs, coiffés en chignon, son visage pâle et lisse, son odeur de propreté, dans le taudis où ils vivent, attirent immédiatement Boris. Il reconnaît et il aime ça, entre son grand-père et elle, une entente parfaite et qui le stabilise."
(PP 36-37).

Maurice Winnykamen se retourne sur son passé d'enfant caché (Ph. Arch. fam. M. Winnykamen, mont. JEA / DR).

Boris devient Marcel :

- "Boris est mort, vive Marcel. Le voici donc arrivé dans sa nouvelle demeure, en montagne, au Montcel, chez Lili et Raymond {Pegaz}. A peine sa maman a-t-elle eu le temps de passer une courte nuit dans son lit. Elle redescend, tôt le matin, furtivement, vers la vallée, vers l'enfer, le laissant seul avec ses huit ans et ses interrogations.
(...)
Quelle différence avec la ville ! Pour les foins comme pour la moisson, le battage et les vendanges, tout le village travaille ensemble, un jour dans une ferme et le lendemain dans l'autre. C'est qu'ils ne sont pas "d'ava", ils ne sont pas de cette ville d'en bas, où les gens s'enferment dans la solitude que crée la peur, se méfient les uns des autres, craignant la délation, et le qu'en dira-t-on.
Comment pouvais-je, à mon âge, penser et dire des choses pareilles ! C'est simple. C'est que, ces choses-là, je les avais vues, je les avais vécues ! Je n'avais qu'une hâte : les oublier, devenir Savoyard, un vrai, un Savoyard normal, pas un Juif en Savoie."
(PP 41-42).

En classe, au catéchisme :

- "En vérité, Marcel se souvient de moins en moins qu'il est Juif. Cela dépend des jours. Il se sent, seulement, un peu différent. Mais tous les premiers de la classe sont un peu différents, non ? Les meilleurs en catéchisme, aussi. Alors ! Lui, il est les deux. Il a les meilleures notes en classe, il chante fort et clair le chant du Maréchal et il est l'élève préféré du curé qui a un faible, justement, pour le Maréchal.
(...)
Monsieur le curé a appris aux jeunes paroissiens, au catéchisme, que Jésus est né pauvre et nu dans une étable. Souvent, Marcel regarde entre les pattes de la Noiraude, de la Blanchette et de la Roussette, les bêtes (les vaches) des Pegaz. Il espère apercevoir sur la paille fraîche, un bébé et peut-être la Sainte Vierge, Joseph et les Rois Mages. C'est pour ça qu'il aime changer la litière des bêtes. mais il est toujours déçu."
(PP 49-50).

Albert, son camarade arrêté par la Gestapo :

- "Marcel et son ami ont une discussion musclée :
Tu chantes comme un pied, dit Albert.
- C'est pas vrai, répond Marcel. Même que Monsieur le curé me l'a dit et aussi le Maître, pas, que je chante juste.
- Justement, dit Albert. Ca, t'as pas le droit.
- Tu dis ça parce que t'es jaloux et que t'es pas cap de le faire.
- Tes chansons sont idiotes"
(...)
- "Tu n'es qu'un petit Juif, comme moi, dit Albert. Et un traître. Tu n'as pas le droit de servir la messe le dimanche. Ni les vêpres. Ni de chanter le Maréchal."
(...)
Dans leurs tractions noires, les hommes de la Gestapo vinrent le chercher. Un enfant de dix ans, Albert et avec lui sa famille adoptante. Ils déculottèrent Albert et constatèrent sa circoncision... Les Massonnat d'en haut manquent à l'appel.
Albert ! Je repense à tes galoches à semelles de bois qui concoururent avec les miennes sur nos chemins empierrés. Sont-elles montrées, anonymes, accusatrices, incluses dans les tas de souliers trouvés à Auschwitz-Birkenau ?"
(PP. 60-62).

Plus de 12 ans :

- "Marcel a plus de douze ans. Il est devenu un vrai paysan. Forcément, pas ! Pas ! En bon Savoyard, il ajoute ce "Pas !" à presque toutes les phrases. Comme pour en renforcer le sens. Ceux de la ville "d'ava" diraient : ""n'est-ce pas !". Ici, on dit : ""Pas !". "T'es dev'nu un homme, pas !". "Ainsi, pas !", "forcément, pas !". Pour jouer, les gamins inventent leurs propres jeux. Les jeux de la ferme commencent au petit matin. Ils finissent à la nuit tombée.
(...)
Marcel ne joue pas aux gendarmes et aux voleurs. il ne joue pas à la guerre, non plus. Il ne pourrait pas mettre un enfant en joue, même au bout d'un simple morceau de bois."
(PP. 113-114).

De g. à dr. : Willy Winnykamen offrant son livre à Lili Pegaz, celle qui le sauva (Arch. fam. W. Winnykamn / DR).

Les larmes de son père :

- "Une traction avant noire, avec l'inscription "F.T.P." peinte en blanc sur les portes et un drapeau tricolore fiché en haut du gazogène, quitte la route et s'arrête devant la porte de la ferme (...). Plusieurs hommes, jeunes, mal rasés, assez joyeux mais attentifs au moindre bruit, l'oeil aux aguets, l'arme à la bretelle, mettent pied à terre. L'un d'eux appuie sa mitraillette contre l'aile du véhicule et prend Marcel dans ses bras. Il le lève au ciel et le fixe un bon moment. Puis il lui dit : "Boris, je suis ton père, tu te souviens ? Embrasse papa."
Lui, il couvre son fils de baisers. Gauchement, Marcel se débat.
(...) Les autres pressent leur chef :
- "Laisse, Jilien ! Il est encore què ounè kind. Il faut lé comprondre. Plis tard, til'verras ça s'arrongera siremont."
(...) La visite n'a duré que deux minutes. Aujourd'hui, soixante ans plus tard, ce sont deux minutes d'éternité. Mon père a de l'eau sur les joues. Il est sans honte devant ses hommes. Moi, je hais la guerre. Je la hais de m'avoir montré, quand j'avais treize ans, les larmes de mon père."
(PP. 125-126).

C'est pratiquement la fin :

- "On retrouvera un certain Bousquet dans l'entourage d'un Président de la République et un Papon au poste de préfet de la même République. D'autres encore seront élus du peuple. Non, le national-socialisme n'a pas tout perdu. Beaucoup de ses ennemis d'hier lui font encore un lit pour demain.
C'est pratiquement la fin. La victoire est à la porte. Cette victoire que ne verront pas les petits gars du plateau des Glières, ni ceux du Vercors, ni des milliers de leurs copains. J'ai appris qu'il y avait différents mots pour parler d'eux. Camarades, chez les communistes, en est un. Frères, chez les catholiques, aussi. Et puis, potes dans les faubourgs. Amis, chez les bourgeois. Compagnons chez les gaullistes. Copain est le plus employé parce qu'il est, à lui seul, tous les autres réunis."
(P. 127).

La guerre est finie :

- "La guerre est finie. Marcel retrouve un Papa et une Maman, miraculeusement indemnes. Ils viennent le prendre pour le ramener en ville. Définitivement.
Son Père qui s'est souvenu de sa réticence quand il voulait l'embrasser, lui tend la main, comme à un homme. Sa Maman, après l'avoir couvert de baisers, ne le lâche plus.
Comme Marcel s'accroche à Lili et à Raymond, elle lui explique :
- "Boris, les Pegaz ne sont pas ta mère et ton père. Ta mère, c'est moi, la grande dame brune qui te rendait visite, parfois."
(...) On arrache Michel au Montcel. Pour lui, le verbe arracher sonne juste.
Il n'est plus un Pegaz. Il n'est plus un Monctcellois. Il n'est plus Marcel. Il est devenu ou redevenu, il ne sait plus, Boris."
(PP 137-138).

- "Marcel le goïm était Juif mais Boris le Juif avait laissé le passé derrière lui en partant du Montcel. il l'avait laissé avec ses Pegaz et ses Massonnat ; avec tous ses Savoyards. Il l'avait laissé avec la dépouille de son ancienne vie. Avec les animaux de la ferme. Avec ses vaches : la Blanchette, la Noiraude et la Roussette. Avec Pompon et son cheval et boby son chien. Et surtout, surtout, il l'avait laissé avec l'ombre d'Albert."
(P. 143).

Résistants :

- "Valeureux parmi les braves, vous fûtes l'honneur de mon pays.
Vous, les oubliés, les "sans médaille", les simples, vous à qui je dois d'être encore vivant, et par qui ce témoignage peut, aujourd'hui, près de soixante ans après, voir le jour, il me vient pour vous un seul mot : HOMMAGE. Hommage aux Justes !
Vos noms, je veux les citer à l'ordre de la Mémoire. A l'ordre de l'Emotion. Ils y trouveront pleinement leur place :
"Résistants de tous les temps : Pegaz et Massonnat, mes Savoyards ; et vous, les Parisiens, les Normands, les Bretons, les Lyonnais", je vous cite et je vous aime ;
"Résistants de tous les lieux  de France, Résistants d'Allemagne et de tous les pays d'Europe ; Résistants d'Afrique, d'Asie, d'Amérique, vous tous", je vous cite et je vous aime."
Je veux chanter pour vous (...) le chant des partisans.
(P. 131).

Amélie Pegaz (Arch. fam. M. Willykamen / DR).

Sur base du dossier constitué et remis à Yad Vashem par Maurice Winnykamen :
Amélie Pegaz, Raymond, Marie-Thérèse et Renée ont été reconnus Justes parmi les Nations.

A propos des Droits Réservés :

Suite à un article consacré à ces quatre Justes et publié sur un autre blog, les photos en ont été recopiées sans autorisation sur un site, lequel a volontairement tronqué sa source. Or ces photos nous avaient été confiées par Maurice Winnykamen pour le blog en question et pour Mo(t)saïques. Les clichés, retravaillés et recadrés par nos soins, sont donc parfaitement identifiables. Un problème de Droits Réservés se posait dès lors. 
La responsable du site en question, s'est défendue en répondant par écrit : "ces photos sont dans le livre".
Seul problème, cet "Hommage, récit d'un enfant caché" ne comprend aucune illustration.
   

mercredi 26 mai 2010

P. 287. Bosmont-sur-Serre (Aisne)

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Au sud de la Thiérache et de sa prolifération d'églises fortifiées : le val de Serre avec les édifices militaro-religieux de Cilly, de Bosmont, de Tavaux et d'Agricourt.
Carte d'après : Sur une frontière de la France. La Thiérache. Aisne, Textes, Photographies et Cartographie sous la direction de Martine Plouvier, Association pour la généralisation de l'Inventaire régional en Picardie, 2003, 287 p. (Montage JEA / DR).

Saint-Rémi à
Bosmont-sur-Serre :
une douzième étape
sur le chemin
des églises fortifiées

Bosmont-sur-Serre ? Dans l'Aisne de la France, sur la D 58 entre Marle et Montcornet. Marle n'est pas loin d'une sortie d'autoroute partagée avec Laon. Montcornet a gardé le souvenir d'un de Gaulle ordonnant à ses blindés de ne pas plier devant la poussée des Allemands balayant tout devant eux depuis la percée de Sedan.

Le village ne couvre pas 10 km2. Un peu plus de 200 habitants y vivent au vert (les statisticiens se déchirent entre 200, 203, 207 et 209 âmes, ce sont aussi les choses de la vie).

D. 51 (Ph. JEA / DR).

Après avoir nagé dans le colza odorant, descente vers la vallée et Bosmont.
Cette interdiction plantée sur une rive ?
Pour les limaces et les va-nus-pieds ?
Les campagnoles et les nuages ?
Les corneilles et les racines de chardons ?
Les médusés et les rats des champs ?

L'église Saint-Rémi et son parterre de tombes (Ph. JEA / DR).

Monuments historiques :

- "L'église offre la particularité, parmi les églises du Marlois, de juxtaposer un clocher en brique, qui rappelle les clochers fortifiés de Thiérache édifiés au milieu du 16e siècle, à de très importants et remarquables éléments des 12e-13e siècles (nef et choeur).
La qualité de la facture et de la modénature des structures médiévales (bandeau décoré de pointes de diamants, portail sud à linteau en bâtière et voussure ornée à un rang de bâtons brisés), est renforcée par l'intérêt de la charpente de la nef, qui conserve de notables éléments de sa structure primitive. Le vestibule est orné de curieuses inscriptions commémorant certains épisodes de guerres de Religion."

NB : Pour vous éviter le recours au poids écrasant d'une collection de dictionnaires, il sera précisé que "la modénature" correspond au profil des moulures.


Porche avec un Saint-Rémi impavide (Ph. JEA / DR).

Ce saint me poursuit à sa façon.
En effet, c'est dans un collège portant son nom que j'ai été invité à proposer le plus grand nombre de conférences dans le département contigu des Ardennes. Leur travail pédagogique sur le Shoah s'est étendu sur plusieurs années scolaires. Et donc des promotions de jeunes s'y succédent et tous, semble-t-il, présentent ce point commun de vouloir comprendre sans anachronismes ni discours préfabriqués.
Mais nous voici loin de Bosmont et de sa Serre...


Clocher de briques avec ses motifs géométriques. Voilà qui nous ramène à des balades anciennes sur ce blog (Ph. JEA / DR).

Plaçant la pointe de votre compas sur le clocher de Saint-Rémi, vous allez tracer une circonférence passant par :

le Coquelet,
les Trois Cerisiers,
le Bois des Renouarts,
le Cerisier Colas,
le Tournant,
les Croyons,
le Bois de Rary,
le Mont Revers,
le Chemin Blanc,
le Buisson de Voljay,
la Maison Rouge,
la Fosse Galloise,
la Grande Bosse.


Dans le cimetière : une clef des songes (Ph. JEA / DR).

Seul écho déniché dans la presse régionale : "les os bougent"...

- "Le village de Bosmont-sur-Serre, entre Marle et Montcornet, ne compte que quelque 200 âmes, mais les tensions y sont vives.
Dernière polémique en date, de la terre du cimetière qui a servi de remblai sous un préau d'Abribus ainsi que dans un terrain. Le problème c'est que celle-ci, récupérée après le creusement d'un caveau, contenait plusieurs ossements, des restes humains assurent certains. Ils ne comprennent pas comment on a pu étaler ces os à un endroit fréquenté par les enfants. Pour eux, « il y a là, un total irrespect des défunts. La moindre des choses aurait été de mettre les os de côté, puis de les remettre en terre aussitôt. En outre, tout le monde sait ici qui est enterré là où ils ont creusé. Il s'agit d'un ancien ouvrier agricole. Du coup, l'émotion est encore plus vive. »
Une pétition a été lancée, hier matin, et des courriers adressés à la préfecture.
Pour le maire cependant, il n'était évidemment pas question de laisser les os en ce lieu. « Quand on a creusé, on est tombé dessus, alors qu'aucune concession n'était signalée entre ces deux tombes. C'est un cimetière qui a une dizaine de siècles. Des os, il y a en a partout. Ils bougent sous terre au fil du temps. J'ai demandé aux employés d'étaler la terre sous le préau le temps qu'elle sèche. Il était prévu qu'on ratisse ensuite pour enlever les os », assure Gérard Pennes, élu maire lors des dernières élections.
Hier après-midi, le « ménage » a, du reste, été fait.
« C'est le résultat de la pétition qui circule, il a eu peur… », affirment certains.« Ils savaient bien qu'on allait les enlever », rétorque le maire, « c'est juste de l'animosité. On a remis les os là où ils ont été déterrés. Nous n'avons pas encore d'ossuaire. Nous faisons justement un inventaire du cimetière pour en créer un. »
(Yan Le Blévec, L'Union, 12 septembre 2009).


Beuquette face au cimetière et aux conflits sur "les os qui bougent" (Ph. JEA / DR).

Derrière ses murs, le château des de la Tour du Pin :

- "La découverte du domaine de Bosmont est une invitation à un parcours où se mêlent histoire et nature. Le parc, le potager, le château, ses communs et sa ferme, forment un ensemble dont la préservation est le résultat de trois siècles d'efforts et de passion.
Le soin apporté au Parc et Jardin de Bosmont, traduit notre volonté de donner aujourd'hui à un ensemble classé à l'Inventaire des Monuments Historiques, un environnement végétal contemporain. Vous garderez du Domaine de Bosmont l'image d'un site préservé où le temps est célébré par les arbres centenaires comme par le renouveau du potager entièrement redessiné en l'an 2000."
(Présentation par les propriétaires).


Ouverture à partir de juin.


La gare de Bosmont (Ph. JEA / DR).

Abri du Kaiser :

- "Cet abri allemand en béton armé, situé dans un champ à cent mètres à l'ouest de la gare de Bosmont, aurait abrité à plusieurs reprises le Kaiser Guillaume II, dont le train impérial était garé tout près, sur une voie spéciale. Enfoncé dans le sol de trois mètres environ, il est aujourd' hui entièrement envahi par la végétation, et invisible."
(Monuments historiques).
Aujourd'hui inaccessible mais couvert de marguerites, cet abri est néanmoins classé par arrêté depuis décembre 1921.

Plus de rails devant la gare de Bosmont. Plus de patron Dion ni de clientèle au café (Ph. JEA / DR).

Mémento
Construit en 1908
Détruit en 1918
Reconstruit en 1928
Vive la Paix !
Si vis pacem, para bellum
Victima.dixi.E.Dion

A noter qu'une consultation des archives municipales de ces communes de l'Aisne et des Ardennes confirme combien la lenteur dans le versement des dommages de guerre après 1918, a été péniblement vécue par les victimes civiles. 1918-1928 : dix années pour relever des murs... Et les élus de remuer ciel et terre des cantons et des départements pour tenter de ne pas laisser la population dans des conditions trop précaires.


Le long de la Serre, en route pour Tavaux-et-Pontséricourt. Pour lui rendre sa dimension, cliquer sur le paysage (Ph. JEA / DR).

lundi 24 mai 2010

P. 286. Pieds nus sur les limaces.

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Le roman de Fabienne Berthaud, Seuil, 2004.

Après le roman de Fabienne Berthaud
son film :
Pieds nus
sur les limaces

Chapeau à vous si vous aviez ouvert ce roman. Aucune critique ne semble avoir accompagné sa publication en 2004. Et nous sommes quelques-un(e)s à ne le découvrir que grâce au Festival de Cannes. En effet, les rideaux de la Quinzaine des réalisateurs sont retombés après la projection du long métrage par lequel Fabienne Berthaud a adapté-doublé son livre.
Donc, pour résumer, un roman qui n'obtint pas un succès fou. Un Festival où nous ne risquons pas d'être invité(e)s. D'ailleurs a-t-on déjà vu une chaise roulante monter les marches de Cannes ???

Et malgré tous ces obstacles, une première curiosité éveillée par un titre singulier, par une créatrice maniant autant la plume qu'une caméra...
Ensuite, un souhait : que ces pieds nus et ces limaces ne restent pas dans le désert des oeuvres ignorées.

Roman :

- "Je n'oublierai pas cette nuit cernée de rouge sur le calendrier des pompiers.
L'avenir, désormais, me semble insupportable. Je ne suis et ne serai plus jamais la même. Rongée par le doute, terrassée par la peur de commettre l'irréparable, je continue de vivre à tout petits pas comme si de rien n'était. Car enfin, rien n'est encore réellement arrivé et rien n'arrivera peut-être jamais. L'incertitude me fait avancer avec prudence.
Je considère chaque minute passée comme une victoire."

A propos de Fabienne Berthaud :

- "Fabienne Berthaud est née à Gap. Elle passe une partie de son enfance en Algérie. Elle rentre en France à l'âge de 11 ans avec sa famille et s'installe à Paris dans le XIVe arrondissement. Ses études secondaires achevées, elle s'inscrit dans des cours d'art dramatique, fait du théâtre, découvre la méthode de l'Actor's Studio, Lee Strasberg, Stanislavski, qui la passionne. Elle étudie le théâtre de Tchekhov, Tennessee Williams, Dorothy Parker et découvre le cinéma de Cassavetes, d'Elia Kazan. Elle publie son premier roman " Cafards " aux éditions Albin Michel en 1994. Elle a 28 ans. La critique saluera son écriture sèche mêlant beauté et cruauté. Elle se détourne alors du métier d'actrice et écrit son premier court métrage " Noël en famille" qu'elle coréalise. Mathilde Seigner en sera l'actrice principale. Le film fait de nombreux festivals (Cognac, Festival du film Européen) et obtient le prix du public à Valenciennes, le grand prix de Château Chinon et le prix Cinestar à Lille (...).

Le roman "Pieds nus sur les limaces" paraît aux Editions du Seuil en janvier 2004. C'est en se documentant pour ce dernier qu'elle découvre la clinique de La Chesnaie et ses habitants, médecins et pensionnaires. L'envie de filmer ce lieu s'impose. L'aventure humaine commence."
(Filmsactu).


Fabienne Berthaud (DR).

Synopsis :

- "Clara est mariée à Pierre, jeune avocat plein d'avenir. Elle vit et travaille avec lui à Paris. C'est un couple normal et sans problème. A la mort brutale de sa mère, Clara se retrouve responsable de sa sœur cadette, Lily. Car Lily n'est pas comme les autres. Sa trop grande sensibilité la rend vulnérable vis-à-vis du monde extérieur et l'empêche d'être autonome. Elle a besoin de protection. Elle s'est construit un univers bien à elle, dans lequel elle a trouvé un " certain " équilibre dont il lui est difficile de sortir. Elle vit à la campagne, dans la maison de famille, en Province.

Clara, dont la vie s'est organisée loin de sa sœur, va devoir faire des choix. Et apprendre que la normalité est une idée très subjective."

Nathalie Durand, directrice de la photo :

- "C’est un film qui s’est fait avec très peu d’argent, moins d’un million d’euros. Mais pour autant en étant payés normalement. Le secret est que nous étions une toute petite équipe, ce qui nous a quand même permis de tourner 40 jours. Une expérience extraordinaire avec une personne qui croit dans son travail et qu’il est motivant de suivre sur une telle aventure avec ces deux comédiennes."
(AFC).


Thierry Chèze :

- "Fabienne Berthaud nous avait épatés avec Frankie, son premier long métrage tourné à l'arraché sur plusieurs années avec, en tête d'affiche, une Diane Krüger alors quasi débutante. On retrouve dans Pieds nus sur les limaces ce qui fait la force de son cinéma : son aspect brut, sans fioritures ou chichi inutile. Sa capacité aussi à imaginer des personnages hors norme comme cette Lily qu'on peut croire attardée de prime abord et qui va révéler à sa soeur qui s'est construite dans l'inverse extrême, tout en contrôle d'elle-même, afin de ne pas être un poids supplémentaire pour sa famille.

La relation entre ces deux soeurs fonctionnant comme des vases communicants, leurs retrouvailles provoquant des dommages collatéraux puissants pour le pire et pour le meilleur dans la vie de Clara, est un des points forts de ce film."
(L’Express, 22 mai 2010).


Lily - Diane Krüger pieds nus sur les limaces (DR).

Olivier Séguret :

- "Son aînée Clara va veiller sur l'immature, la dérangée Lily, dans la grande et belle propriété familiale, toutes deux isolées dans un parfait petit coin de nature - et disons d'emblée que ce qui fonctionne le mieux dans ce film tient pour beaucoup à la validité, au réalisme troublant, à la tendresse naturelle du couple de soeurs que forment Ludivine Sagnier et Diane Krüger (...).

Ce n'est pas le style qui l'emporte dans Pieds nus... mais l'énergie, une certaine légèreté, la façon dont le film s'équilibre entre profondeur et frivolité, battant lui-même la campagne en compagnie de Lily (...).

Le film de Fabienne Berthaud, parfois guetté par l'embonpoint poétique, dégage aussi un vrai pouvoir de séduction, parce qu'il veut, et y parvient, témoigner d'une humanité détraquée et périlleuse... mais souriante, sensuelle et adhésive."
(Libération, 22-23 mai 2010).

Preview...

Dernière minute.
A Cannes, l'Art Cinema Award a été attribué à ces Pieds nus sur les limaces de Fabienne Berthaud.
Précision du Monde : "les Art Cinema Awards sont remis dans les plus grands festivals par des jurys internationaux constitués de programmateurs de cinémas indépendants".


samedi 22 mai 2010

P. 285. Marais ardennais

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Ardennes au retour de Paris. Une forme de peine capitale : être privé(e) d'un tel crépuscule ? (Ph. JEA / Droits Réservés).


Toponymie ardennaise : 27
Marais avec
ou sans cages...


Au-dessus de la Noue de Rethel,

Bois de la Noue Catherine,

Côte de la Noue de Terre,
Côte de la Noue Saint-Pierre,

Fond de la Noue Surdeau,

Haut de la Noue Maga,

Montant à la Noue Balinet,
Montant de la Naue Roux,

Nau de Lava,

Nau Maria,

Naue Cendras, Collardeau, Colignon,
Fuzin,
Papelard,

Naue d’Huy,


Vers la Grande Fosse (Ph. JEA/DR).

Noue Barue, Baudouin, Béranger, Blondel, Boya,
Carrée, Cotteret, Couture,
Dame Jolie, Denis, Dia,
Enfumée, Erselin,
Genas, Guéry,
Hubert,
Jubin, Juger,
Louise, Luya,
Machette, Marie, Martin, Morgneau,
Persin, Piton, Poret,
Roha,
Thierry,Tillois,


Dictionnaire éphémère (Ph. JEA / DR).

Noue d’Ane, d’Arilleux,

Noue de Bouchereuil, de Boult,
de Cuir,
de Mai,
de Pauvres,
de Rogissart,
de Saussis,
de Vauzelle,

Noue des Rosières,

Noue du Puits,

Noue la Caille,
la Demoiselle,

Noue le Fusain,
le Prêtre,
le Suisse.


Ciel cyclope (Ph. JEA / DR).



jeudi 20 mai 2010

P. 284. Mai 1904 : Charcot au Pôle sud

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Le "Français" construit en 1903 (Graph. JEA / DR).

Journal personnel
de Charcot :
sa première Expédition
Antarctique...

En 1903, Jean-Baptiste Charcot (1) qui se définit lui-même comme fils à papa (2), fit construire un navire d'exploration polaire. Mais la fortune familiale ne pouvant faire face aux dépens d'une croisière de recherches dans les glaces, le quotidien Le Matin lança une souscription de soutien. Celle-ci rencontra un véritable enthousiasme national. Les fonds affluèrent et Charcot put lever l'ancre. Non sans avoir rebaptisé son bateau du nom de "Français" (3) pour marquer sa reconnaissance.

Le 27 janvier 1904, Charcot met le cap vers les Shetland du sud, partant pour hiverner au Pôle sud.

1er mai 1904 :

- "Mes cultures de microbes, provenant de l'eau de mer et des intestins des différents animaux de l'Antarctique, poussent très bien ; je vais m'efforcer, par des repiquages fréquents, de les rapporter vivants en France ; aussi les ai-je logés dans ma cabine pour pouvoir mieux les soigner." (4)

2 mai :

- "Rien ne m'est plus agréable que d'entendre rire les hommes, s'amusant franchement, se plaisantant mutuellement, sans méchanceté, jamais grossiers, nullmement gênés par ma présence, et restant cependant toujours très respectueux."

Jean-Baptiste Charcot (DR).

7 mai :

- "Pendant notre excursion, nous avons entendu sous nos pieds des chocs répétés puis, avec un gros bouillonnement un trou rond s'est formé et un phoque a montré en soufflant sa bonne grosse tête : il nous a regardés avec étonnement, mais sans frayeur, se dressant, autant qu'il le pouvait au-dessus de la glace puis, après avoir largement respiré, il s'est enfoncé de nouveau."

14 mai :

- "Depuis trois jours la glace se forme enfin autour de notre bateau et elle commence déjà à être solide. Je fais entretenir un trou à feu le long du bord en cas d'incendie et deux autres au-dessous des poulaines (5). A l'avant, partant de celles-ci, la congélation de l'urine a formé une stalactite merveilleuse qui ressemble à un bloc d'onyx avec des teintes et des veinures jaunes produisant un effet extrêmement joli."

15 mai :

- "{Les cormorans} sont d'aimables bêtes, nullement farouches avec nous, et unies en d'excellents ménages ; vivant deux par deux ils passent leur temps à s'embrasser, à se faire des amabilités en prenant des poses extrêmement gracieuses. Très fréquemment ils se tiennent par l'extrémité du bec et, décrivant de jolies courbes avec leur cou, balancent lentement leur tête de droite à gauche.
Ils ont une allure aristrocratique qui jure avec l'air bourgeois de leurs voisins et amis les pingouins."

22 mai :

- "Avec - 7° et du calme, nous avons véritablement souffert de la chaleur et je suis sorti pour d'assez longues courses en pantalon et chemise sans me couvrir ni les oreilles, ni les mains. L'humidité en bas devint abominable ; la glace due à la condensation (...) se mit à fondre et nous fûmes ainsi gratifiés d'une pluie abondante."

Signature de Charcot (Graph. JEA / DR).

24 mai :

- "Me voilà bien ! J'ai maintenant de l'oedème de la paupière ! Doigt mort, sifflements d'oreilles, polyurie, crampes nocturnes, oppression ! Que va-t-il m'arriver ? Vais-je mourir subitement, m'affaiblir graduellement ou devenir impotent ? Avoir été si vigoureux et tomber en état d'infériorité, avoit tant combattu et être vaincu avant d'avoir fait quelque chose !"

25 mai :

- "Nous avons causé longuement (...), nous promettant mutuellement dans le cas ou l'un ou l'autre deviendrait infirme, soit accidentellement, soit par une maladie quelconque, de nous rendre le service d'abréger cette situation. je suis plus tranquille maintenant, advienne que pourra."

29 mai :

- "Au coucher du soleil la neige a cessé de tomber, la brume s'est levée et nous avons assisté à l'un de ces merveilleux spectacles si fréquents dans l'Antarctique, mais dont on ne se lasse jamais. Les montagnes, aux sommets encore cachés dans la brume, étaient teintées de rose, et tandis qu'au Nord le ciel se trouvait partagé en deux, noir comme de l'encre vers l'Ouest, bleu d'acier vers l'Est, dans le Sud des tons rose et azur d'une exquise douceur se confondaient sans se heurter, et la glace et les icebergs se paraient de reflets multicolores."

Chez Omnibus : Le roman des Pôles (DR).

NOTES :

(1) Jean-Baptiste Charcot, 1867-1936. Mort dans le naufrage de son bateau, la nuit du 15 au 16 septembre 1936 sur une côte islandaise.
(2) Jean-Martin Charcot, 1825-1893, père de Jean-Baptiste. Neurologue qui compta Freud parmi ses élèves, l'année académique 1885-1886.
(3) A remarquer l'illustration de couverture chez Omnibus. La peinture originale est signée Julian Taylor. Le bateau porte le, nom de "Pourquoi pas ?" alors que le journal de Charcot a été écrit sur le "Français"...
(4) Lire : Le roman des Pôles, Nansen, Amundsen, Charcot, Avant-propos de Jean-Louis Etienne, omnibus, 2008, 967 p.
(5) Cabinets des marins.

mardi 18 mai 2010

P. 283. Mai 1987 : le procès Klaus Barbie

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Dessin de Plantu pour Le Monde des 6 et 7 février 1983 (DR).
Serge Klarsfeld : cette expulsion représente « un rayon de soleil de justice ». Encore quatre années de patience et enfin débutera la procès Barbie...

Première condamnation en France
pour crimes contre l'humanité :
Klaus Barbie


Du 11 mai au 4 juillet 1987 s’est tenu un procès en 37 audiences au tribunal de Lyon. Klaus Barbie – 73 ans - était poursuivi pour crimes contre l’humanité commis alors qu’il dirigeait la Gestapo de Lyon, soit entre novembre 1942 et août 1944. Parmi les ombres qui hantèrent les lieux : celles de Jean Moulin et des 44 enfants raflés à la colonie d’Izieu parce que juifs…
Barbie ne daignera assister qu’à trois jours de son procès…

Un « crime contre l’humanité » relève de « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout acte inhumain contre les populations civiles (...) ou bien les persécutions pour motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime entrant dans la compétence du tribunal ou en liaison avec ce crime. »

(Nuremberg, art. 6c).

Me Alain Jakubowicz (Parties civiles) :

- "L'émotion est palpable. Klaus Barbie fait son apparition. Je suis aussitôt saisi par son regard. Ses yeux d'un bleu d'acier. Je ne comprenais pas comment on pouvait reconnaître un homme après plus de 40 ans. A présent, je comprends. Celui qui a croisé ce regard ne peut l'oublier.

"Accusé, veuillez vous lever".
Barbie obtempère. Il demande à s'exprimer en allemand avec l'aide de deux interprètes. A la première question :
"Quels sont vos nom et prénom ?"
il répond "Altman Klaus".
Le décor est planté. C'est l'identité qu'il avait adoptée en Bolivie après avoir quitté l'Europe avec l'aide de la CIA. Et oui, n'oublions pas que l'on est passé sans désemparer de la seconde guerre mondiale à la guerre froide et que les anciens SS étaient passés maîtres dans le combat contre le bolchévisme. Leurs renseignements étaient précieux pour les services secrets américains. Après les avoir utilisés, ceux-ci les ont aidés à passer en Amérique du Sud où, à l'instar de Barbie, ils n'ont rien renié de leur idéologie, au service des juntes militaires les plus sanguinaires.
Pour autant, il n'y a aucun doute sur l'identité de notre homme. C'est bien l'oberstürm-führer SS Klaus Barbie qui a sévi à Lyon de 1942 à 1944, qui se trouve devant nous. »
(Lyon Capitale, 15 mai 2007).

K. Barbie à son procès et en uniforme SS (Mont. JEA / DR).

Témoignages devant le tribunal de Lyon, en mai 1987 :

Irène Clair :

- "Il {Barbie} s'est levé, furieux, nous traitant de terroristes, d'assassins, de bandits. Cela, sur le coup, m'a fait rire. Alors, il appelé un milicien en disant :
"Toi, ma petite blonde, on va te mater".
(...) J'ai été mise alors en présence de mon chef; il était dans un état épouvantable. A trente-quatre ans, on aurait dit un vieillard de quatre-vingts dix ans. Il m'a soufflé :
"Il vous faudra beaucoup de courage".
Il a pu me dire aussi ce qu'il avait subi : l'électricité, la matraque, les pendaisons par les bras; il ne tenait plus debout."
(Résistante AS, arrêtée le 9 mars 1994 à l'âge de 21 ans, rescapée de Ravensbrück).

Lise Lefèvre :

- "J'ai été arrêtée le 13 mai 1944 par une équipe de Barbie (...).
Je ne l'ai aperçu pour la première fois qu'à l'école de santé militaire, avenue Berthelot, où il avait son siège. Je travaillais pour la Résistance et j'avais sur moi, malheureusement, un pli destiné à un agent de liaison surnommé Didier. Il voulait que je dise qui était Didier (...).
Comme il n'obtenait rien, il m'a dit :
"On va chercher ton mari et ton fils et tu parleras".
Je les ai vus arriver l'un et l'autre un peu plus tard. Ce fut le moment le plus pénible, et cela a recommencé :
"Qui est Didier ? Où est Didier ?"
(...) Je me suis retrouvée dans une pièce, nue, attachée sur une chaise. Il est venu me montrer une sorte de fouet avec une boule hérissée de pointes, commandées par un ressort. Ils se sont mis à me frapper, je ne sais combien de temps, se relayant, en buvant de la bière ou du rhum. Quand j'ai repris connaissance, je me suis retrouvée dans un salon élégant où j'étais installée dans un fauteuil. Et Barbie, agenouillé à mes côtés, gentil comme tout, me félicitait pour mon courage, mais en ajoutant qu'il finissait toujours par faire parler et qu'il valait mieux que je le fasse tout de suite."
(Rescapée de Ravensbrück. Son époux et leur fils sont morts à Dachau).

Simone Kadosche :

- "C'était au quatrième étage, dans un bureau beige. Il est entré habillé de gris, il avait un chat dans ses bras. Je n'ai pas eu tellement peur, pensant qu'un homme qui caressait un chat ne pouvait être trop méchant. Il est allé d'abord vers mon père, l'a regardé sans un mot des pieds à la tête; il est venu ensuite vers maman et, finalement, vers moi. Il m'a caressé la joue, me disant que j'étais jolie. Il a demandé à ma mère :
"Vous avez d'autres enfants ?"
Comme elle répondait :
"Oui, ils sont à la campagne..."
il a voulu avoir les noms, les adresses. Il a posé le chat. Il est revenu vers moi et, brusquement, a défait la résille qui retenait mes cheveux pour empoigner ceux-ci brutalement, me tirant en arrière, et j'ai reçu alors une paire de claques magistrale, la première de ma vie.
Plus tard, ce fut autre chose : les coups de matraque, les coups de pied..."
(A 13 ans, dénoncée avec ses parents comme juifs. Arrêtés le jour du débarquement de Normandie).

Le sort des enfants d'Izieu fixé par un télégramme signé Barbie, SS-Oberstürm-führer (Doc. JEA / DR).

René Wucher, rescapé de la rafle d'Izieu :

- "Les camions sont arrivés; nous étions au premier étage. il y a eu un grand remue-ménage. On nous a fait monter dans ces camions. Celui où j'étais, est tombé en panne devant la pâtisserie du village. Des gens alors m'ont reconnu, ont crié qu'ils me connaissaient, que je n'étais pas juif. C'est comme ça qu'on ma fait finalement descendre, que je me suis retrouvé dans l'arrière-boutique. Quand j'en suis sorti, plus tard, il n'y avait plus personne."
(Retraité RATP).

Léa Feldblum, monitrice à la colonie d'Izieu :

- "Je les aimais beaucoup, les plus petits ont pleuré, les autres ont chanté {Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine}. Là-bas, on les a tous brûlés. Moi, je ne sais pas pourquoi ils m'ont poussée de l'autre côté. Il y avait là Mengele et le chef du camp lui-même. On m'a dit d'avancer et je me suis retrouvée en quarantaine."
(24 ans en 1944).

Sabina Zlatin veut sauver les enfants raflés :

- "Je me suis rendue à Vichy, revêtue de mon uniforme d'infirmière militaire de la Croix-Rouge. J'ai demandé à l'Hôtel du Parc à voir un fonctionnaire. Je lui ai raconté la tragédie qui venait de se passer à Izieu et je lui ai dit :
"Pouvez-vous faire quelque chose pour ces enfants ?"
Il est sorti alors de la pièce et quand il est revenu, ce fut pour me dire :
"Qu'avez-vous donc à vous occuper de ces sales youpins ?"
(...)
{A la Milice, chez Darnand} Je n'avais pas peur. De quoi aurais-je pu avoir peur au point où nous en étions ? Celui qui m'a reçue, m'a crié cette fois, à peine avais-je fini de lui expliquer de quoi il s'agissait :
"Sortez d'ici immédiatement ou je vous fais arrêter."
(Polonaise immigrée en France, naturalisée en 1937. Directrice de la colonie d'Izieu. A Montpellier au moment de la rafle).

Sabina Szlatin à Me Vergès, défenseur de Barbie :

- "Barbie a toujours dit pour sa défense qu'il s'occupait uniquement des résistants, des maquisards. Alors je voudrais demander les quarante-quatre enfants d'Izieu, c'était quoi ? Qu'est-ce qu'ils étaient donc ? Des terroristes ? Des résistants ? Non, c'était tous des innocents !
Quoi dire de plus ? Ceux qui ont des enfants comprendront ma douleur. Non, pour ce crime d'Izieu, il n'y a ni pardon ni oubli."

Le Monde des 5 et 6 juillet 1987 (DR).
Le verdict est rendu le 4 juillet 1987 : Barbie est reconnu coupable de 17 crimes contre l'humanité. La peine de mort ayant été abolie en France sous l'impulsion du Ministre... Badinter, la réclusion à perpétuité est prononcée.
Klaus Barbie rend son dernier soufle en prison le 25 septembre 1991.

Le bâtonnier Ugo Iannucci (Parties civiles) :

- "Barbie nia les faits, mais ne renia rien de l’idéologie nazie, fondée entre autres sur le mythe de la supériorité du peuple allemand. Il ne manifesta jamais d’émotion. Il était resté le S.S. "impavide et cruel" tel que le voulait Hitler…
{Son procès servit non} « à écrire l’Histoire, mais au premier chef, à donner la parole aux victimes. Ces dernières, après le procès, ont parcouru les écoles et les lycées pour préparer la jeunesse à dire non aux ordres criminels, à faire prévaloir la conscience sur l’obéissance, à respecter la dignité de chaque être humain."
(4 juillet 2007, Lyon, commémoration du 20e anniversaire du procès).


dimanche 16 mai 2010

P. 282. Mai 1940 : Exodes d'Ardennais

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Contrairement à la légende de cette carte : pas vraiment dans la Vallée de la Meuse mais la surplombant entre Renwez et Bourg-Fidèle, le village des Mazures (DR).

Témoignages de Mazurois
obligés en Mai 1940
de prendre les routes
d'un exode aussi douloureux
que dangereux...

Les calendriers l'affirment unanimement : nous serions en mai. Le nez à la fenêtre ou un pied dehors en feraient douter mais des historiens confirment. Les professionnels qui ouvrent les albums souvenirs d'un autre mai, vieux de 70 ans et maudit : 1940.
Commémorations et publications se succèdent particulièrement dans les Ardennes de France. Sedan synonyme de "percée" n'y est pas étrangère, pour se limiter à un seul exemple...
Pour apporter notre goutte d'eau, voici quelques témoignages sur la roue du moulin à moudre le passé. Ils se limitent à un village : Les Mazures. Ces souvenirs ont été recueillis en complément d'une étude portant sur le seul "camp pour juifs" (1942-1944) de Champagne-Ardenne et qui se dressa sur le territoire de cette commune.

Marguerite Henon :

- "Ma belle-mère nous dit :
"Oh, c'est mauvais : voilà les Belges qui se sauvent par notre village. Ca me rappelle 1914..."


Mireille Colet-Doé :

- "Le 10 mai, des Belges passent par les Mazures pour prendre les chemins de l'exode.
Le 12, à 8h30, je ne commence pas mes cours et j'avertis les enfants qu'il est trop dangereux de rester à l'école . Des avions allemands passent à basse altitude. Ces rase-mottes pourraient être suivis de bombardements. Il faut éviter une éventuelle hécatombe...
Le 13, départ pour la Vendée où se replie la Préfecture des Ardennes."

(NB : On l'aura compris, témoignage de l'institutrice du village).

11 mai 1940 : bombardement de Rethel (Doc. JEA / DR).

Louis Baudrillard :

- "Aux Mazures, on voyait des soldats passer sans arrêt. J'avais encore mes deux grands-mères et elles faisaient du café notamment pour les spahis qui gelaient sur leurs chevaux.
Je me souviens aussi de l'artillerie. Ils réquisitionnaient des chariots. Nous avons perdu des chevaux dans cette histoire. Mes parents n'ont jamais été indemnisés car il fallait un témoin et personne n'a accepté de se porter garant.
Puis des avions allemands sont venus lâcher des bombes. L'une est tombée sur la première maison du village en venant de Revin. Dans la prairie, il y avait en effet un canon pointé pour la défense du village. Puis ce fut la débâcle...
Le Maire, Marcel André, a lancé un appel pour partir. Me voilà avec mes parents et les deux grands-mères dont Marguerite pour qui c'était la troisième guerre..."


Alberte Pernelet :

- "Venant de la Mairie, des papiers officiels imposent l'exode. Nous devons abandonner les bêtes : une douzaine de vaches laitières. Et nous prenons le départ avec les deux chevaux qui tirent le chariot qui déborde de nos affaires mais aussi de celles de voisins."


Des Ardennes vers l'Aisne (Doc. JEA / DR).

Alberte Pernelet :

- "Alors que nous sommes encore dans les Ardennes, nous sommes bombardés pour la première fois à St-Marcel. Pour échapper aux avions, notre famille éclate en quatre groupes. Mon père s'abrite dans une cabane à cochons pour empêcher les chevaux de s'emballer sous le fracas des bombes... Ma mère et mon frère se réfugient au presbytère où se fêtait un baptême. Ma soeur et moi, nous nous sommes littéralement retrouvées dans les murs extérieurs de l'église. Je me souviens qu'une dame est tombée à côté de nous...
Beaucoup avaient peur mais j'ai toujours été curieuse et je voulais voir ce qu'était la guerre. Depuis, je suis d'ailleurs restée hardie !
Pour échapper aux Allemands, il est décidé de ne plus se déplacer que la nuit. Deux garçons nous précédaient sur le côté des routes avec des piles électriques. Ils devaient repérer les bombes non éclatées ainsi que tout autre obstacle.
Nous parvenons finalement à Rethel, mais en avançant de plus en plus difficilement et surtout en évitant le centre de la ville à cause des bombardements."


Marie-Rose Maquin :

- "Chacune de nos deux familles avait son équipage : un chariot tiré par trois chevaux, ce n'était pas de trop car nous avions l'obligation de prendre les bagages d'autres habitants du village. A tel point que les chevaux n'arrivaient pas à tirer le tout, vous savez c'était lourd.
Nous avons déjà été bombardés sur la route de Renwez. C'est qu'ils nous visaient vraiment ! En arrivant à la côte d'Hardoncelle, nous avons sauté en bas du chariot tellement les avions nous cherchaient. J'avais une tante et une cousine qui ne pouvaient descendre tellement elles étaient vieilles...De son côté, un poulain de 18 mois avait rompu son licou et il courrait comme un fou à travers tout tellement il avait peur des bombes...
On a abandonné les vaches. Et pour pouvoir quand même avancer, il a fallu mettre 6 chevaux à un seul chariot puis recommencer ensuite avec le deuxième, tout ça sous les bombardements...Finalement, les colis ont même été déchargés."


Instructions pour la gendarmerie de l'Indre afin d'"aiguiller" l'exode :

- "Prière aux gradés et aux gendarmes de bien étudier toutes les directions de manière à donner à ces malheureux des renseignemenst exacts et à ne pas les aiguiller sur n'importe quel chemin d'où ils ne pourraient sortir ni se diriger. Soyez polis, corrects, compatissants (...).
Départements évacués :
Aisne -...-Département d'accueil Mayenne
Ardennes -...- Vendée 2Sèvres."

Marguerite Henon :

- "Nous voilà partis le plus souvent à pied, parfois dans un camion. Nous avons connu les attaques de l'aviation allemande. Ainsi, à Berry-au-Bac, lors du franchissement de l'Aisne. Ce sont des chevaux tués le long des routes...On filait au plus vite et on couchait dans des granges. "

Louis Baudrillard :

- "En route, ça tirait de partout. J'ai vu des gens touchés. Une bombe est tombée sur un chariot de Belges. Ca m'est resté, ces pauvres gens qui hurlaient..."

Exode de grabataire (Doc YV / DR).

Marie-Rose Maquin :

- "L'exode a duré 15 jours. On n'en pouvait plus. Finalement, les chariots ont été mis sur un train et les chevaux enfermés dans des wagons. Nous, on nous a mis dans des cars. Tout ça par Mantes puis La Roche-sur-Yon.
Nous sommes finalement arrivés à La Tranche où nous avions des maisons individuelles. Les hommes avec les chevaux avaient fait le tour par Paris avant La Tranche."


Alberte Pernelet :

- "Nous avons été jusque dans le Loiret mais en route nous entendions répéter que ceux de Paris fuyaient la capitale, que tout était abandonné... Et arrivés aux ponts sur la Loire, on reculait plus qu'on avançait. Impossible de passer avec tous ces réfugiés dont beaucoup de Parisiens.
Après huit - dix jours passés dans la région de Montargis, on décide de rebrousser chemin.
C'est ainsi qu'après trois mois d'exode, nous retrouvons les Mazures.
Chez nous, tout, absolument tout avait été pillé. Même par des gens du village... Je me souviens avoir accompagné ma mère à une vente publique à Bourg-Fidèle.
Ma mère reconnaît soudain un pantalon en velours de mon père. Elle interpelle le notaire : "Mais...C'est à mon mari ! Vous pouvez vérifier. Dans une poche, j'ai ajouté une pièce verte. Impossible de se tromper !"
Et c'était vrai, le notaire retourne les poches et trouve une pièce verte...Mais il s'excuse et dit devoir continuer quand même la vente du pantalon..."


Mireille Colet-Doé :

- "A La Tranche-sur-Mer, les Mazurois ne sont pas vraiment bien reçus. On nous appelait "les Boches du Nord". Le directeur de l'école à laquelle je suis rattachée comme institutrice, me demande même si je viens prendre des vacances.
Heureusement, les gens simples de la côte vendéenne se montrent plus chaleureux.
En mai 1941, nous sommes revenus grâce à la voiture conduite par mon père. Nous devons franchir la ligne de la zone interdite à Vouziers. Le pont sur l'Aisne avait été coupé et une passerelle le remplaçait.
Mon père passe sans problème avec la voiture. Mais je suis repoussée malgré ma petite fille que je porte dans les bras. Alors, j'ai attendu le changement de garde pour une deuxième tentative qui sera la bonne. Voilà comment nous sommes revenus en fraude ! Nous étions devenus indésirables chez nous !
Les Mazures ont triste allure."