DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

samedi 19 décembre 2009

P. 211. "Des immigrés défendant la France..."

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Libération, 11 décembre 2009.

Chronique de Paul Hermant :
"Ces photos qui se mettraient
à parler beaucoup"...

Il a accepté d'être régulièrement l'hôte de ce blog (1). Lui qui, en radio, a inventé les "chroniques nomades"... Celles qui sortent des studios, se passent des tables de montage... Pour une radio tous terrains, assez proche des auditeurs que pour aller les écouter chez eux et non inverser les rôles : parler en leur lieu et place, jouer à la vedette intouchable, au chevalier blanc redresseur de tous les torts, au donneur de leçons comme il y a des sonneurs de cloches...
Paul Hermant participe des éveils matinaux comme l'envol des premiers oiseaux diurnes, le café ou le thé qui vous réconcilient avec la fin des rêves, le volet que l'on écarte pour respirer l'air qui vous attend dehors.
Dommage si j'agace, mais je persiste à répéter que la radio reste un service public quand vers 7h20, elle préfère cette chronique (2) aux bouillons blablateurs d'inculture, aux grenouilles qui se prennent pour des boeufs de la variété et/ou de la politique.
Evidemment, il y a des "esprits" chagrins pour estimer devoir écrire :
- "Que Paul Hermant soit votre ami ne change rien aux conneries qu'il débite sur un ton patelin." (MCA).
L'auteur de ce jugement sans appel me collant au passage l'étiquette de "Belgicain"...
Eh bien, des "conneries" à la Paul Hermant, en voici encore sur la page 211 de ce blog. Ce ne seront même pas les dernières. Parce qu'en semaine, toutes les aubes que le jour finit par accoucher, la Radio-Télévision belge d'expression francophone, sur sa "grille" de Matin Première, persiste à diffuser de telles chroniques dérangeantes. Et que ce ton-là, nous accroche, jusque dans nos "patelins" les plus reculés des Ardennes !

L'Affiche rouge (Bibliohèque nationale de France).

Avec ces portraits et mentions :

- "Grzywacz : Juif polonais, 2 attentats"
- "
Elek
: Juif hongrois, 8 déraillements"
- "Wajsbrot
: Juif polonais, 1 attentat, 3 déraillements"
- "Witchitz
: Juif polonais, 15 attentats"
- "Fingerweig
: Juif polonais, 3 attentats, 5 déraillements"
- "Boczov
: Juif hongrois, chef dérailleur, 20 attentats"
- "Fontanot
: Communiste italien, 12 attentats"
- "Alfonso
: Espagnol rouge, 7 attentats"
- "
Rayman
: Juif polonais, 13 attentats"
- "
Manouchian : Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés."


Léo Ferré - Aragon.

Paul Hermant :

- "Que dire après cela ? Après quelques secondes de l'Affiche rouge de Léo Ferré, une mise en musique d'un poème de Louis Aragon ? Que faire, sinon continuer avec un autre poète, René Char, qui écrivit un jour : "Ils refusaient les yeux ouverts ce que d'autres acceptent les yeux fermés" ?

Et là, pourtant, leurs yeux sont fermés. Enfin, on imagine car ils sont bandés, cagoulés, cachés. Et de toute façon, ces hommes sont morts ou vont mourir.

Il y avait une affiche, rouge. Il y a aujourd'hui trois photos, noir et blanc, et dessus, un peloton d'exécution et ce qu'il reste de 4 hommes qui viennent d'être fusillés ou qui attendent de l'être. On dit "ce qu'il reste" parce que les poses sont à la fois grotesques et nobles. C'est peu de choses un homme qui meurt attaché, et c'est beaucoup.

Ces photos que je vois dans la presse sont légendées. On trouve des noms dessous. Des noms qui "à prononcer sont difficiles" : Emeric Glasz, Marcel Rajman, Tomas Elek ou Rino Della Negra. On se dit peut-être, on se dit sans doute… Serge Klarsfeld, lui, affirme les avoir identifiés.
Ces photos dormaient dans des tiroirs, elles étaient connues, on pensait à des documents de reconstitution. Mais non, dit-il, ce serait donc là des membres du groupe de Missak Manouchian, 12 des 22 exécutés le 21 février 1944 dans la clairière du Mont Valérien. Leurs visages que l'on ne voit pas, on les retrouve, pour certains d'entre eux, sur cette affiche rouge haineuse qui fut placardée dans la France de Pétain."


Tract diffusé en complément de l'Affiche rouge : "L'ARMEE DU CRIME contre la France" (Musée de la Résistance nationale).

- "Des jeunes gens. Offerts à l'opprobre et à l'insulte. Parce que juifs ou Arméniens, enfin étrangers. Car il y avait, il faut dire, très peu de Français chez Manouchian et dans les réseaux de résistance des FTP-MOI, qui veut dire Francs-Tireurs et Partisans-Main d'œuvre Immigrée.
A l'époque, cette affiche avait secoué les esprits occupés. Des immigrés, défendant la France...
Ils étaient entrés dans la mémoire avant d'être un peu oubliés et on se demande ce qu'elles veulent nous dire, ces photos qui reviennent aujourd'hui, en plein non débat sur l'identité nationale. Et si, par hasard, dans leur parfaite mutité, elles ne se mettraient pas à parler beaucoup.
On termine avec René Char : "Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri".
Allez belle journée et puis aussi bonne chance."
(RTBF, Matin Première, 17 décembre 2009).


Le Matin des 19 et 20 février 1944 (Graph. JEA / DR).

Il est alors des journalistes français pour écrire en première page du "mieux informé des journaux français" que des résistants - enfin, forcément des "terroristes" - ne constituent qu'une "tourbe internationale"...

NOTES :

(1) Chroniques de Paul Hermant sur ce blog
- P. 186 : Charters pour la guerre.
- P. 193 : Les SS meurent aussi.
- P. 59 : Montesquieu, Paul Hermant et la Belgique.
- P. 5 : P. Hermant, A. Rollin.

(2) Chroniques sur le site de Matin Première.



24 commentaires:

Brigetoun a dit…

tellement réconfortant, et un rien étonnant vu ce que nous sommes trop souvent, cet amour que l'on peut porter à la France, quand il est un choix (pas instinctif)

D. Hasselmann a dit…

J'ai gardé les deux pages de "Libération" avec ces trois photos de neige et de noirceur.

Merci pour cette chronique, à l'heure où un porte-parole de l'UMP donne des leçons d'engagement aux Afghans "dans la force de l'âge", ceux que l'on expulse vers un riant paradis touristique.

JEA a dit…

@ brigetoun

s'il y a une exception française, ce serait dans cette attirance exercée par la France sur celles et ceux qui rêvent de libertés...
et puis
quoi de plus bouleversant que cette devise : "liberté, égalité, fraternité" ?

JEA a dit…

@D. Hasselmann

Ma seule incompréhension, c'est la conclusion de l'article signé par Thomas Hofnung (dans Libé, p. 37).
A propos des photos prises par Clemens Ruther :
- "Le 21 février, il convoya les condamnés à mort jusqu'au mont Valérien. Et décida de fixer sur la pellicule leur exécution. Comme un acte de résistance silencieux."
L'acte de résistance = les cadavres des fusillés restés attachés à leur poteau ? Ou l'acte de résistance = réaliser les photos ?
Dans ce dernier cas, le mot "résistance" est plus que galvaudé !

Elisabeth.b a dit…

Le mot résistance est galvaudé depuis si longtemps...
Je n'ai pas davantage compris son utilisation à la fin de l'article. Volonté de témoigner, peut-être. Encore faudrait-il en porter la preuve.

Il ne fallait aucun courage aux soldats allemands pour filmer ou photographier leurs crimes. Tant d'images en témoignent. Tant d'images atroces.

La monstruosité filmée de sang-froid.

JEA a dit…

@ Elisabeth.b

Ce qui suscite une profonde perplexité, c'est d'apprendre que l'auteur des clichés, Clemens Ruther, "était chargé de la sécurité du tribunal militaire allemand et surveilla le procès du groupe Manouchian"...
Pas le profil d'un "résistant" !!!

claire a dit…

Les chroniques de Paul Hermant à la radio belgicaine sont toujours très pertinentes... heureuse de pouvoir aussi les lire.
A propos de la photo, acte de résistance ou non, si vous passez à Bruxelles, je vous conseille vivement de voir l'exposition
"Controverses", une histoire juridique et éthique de la photographie. Elle a lieu au Botanique et se prolonge, je crois jusque fin janvier(à vérifier). L'Exposition interpelle à plus d'un titre. Et bien sûr on y retrouve de nombreuses photos des temps de guerre.
Une phrase de Bakounine en exergue du catalogue pose question:
"Tout ce qui, en langage politique, s'appelle le droit n'est rien d'autre que l'illustration du fait créé par la force".

JEA a dit…

@ Claire

Pour beaucoup, cette exposition a représenté notamment la "découverte" de phoos montrant Masha Bruskina. Exhibée en rue avant d'être pendue à l'âge de 17 ans par les nazis et leurs collabos (le 26 octobre 1941 dans la région de Minsk).

claire a dit…

Oui, l'acte de cette photographie est un meurtre.

JEA a dit…

@ claire

à chacun(e) sa lecture de photos mais ce qui frappe c'est la jeunesse de Macha Bruskina dont la vie s'arrête ainsi et si tôt...
du moins juive et résistante n'aura-t-elle pas été plongée dans un autre horreur, celle des camps d'extermination
mais il y a tous ces uniformes qui l'entourent pas des SS, pas des Gestapistes
des soldats et des policiers "de base" et qui participent à cette exécution comme si elle relevait de la plus grande des banalités

claire a dit…

Oui, le mal est banal.

JEA a dit…

@ claire

dans une expo ouverte actuellement aux Invalides, Boris Cyrulnik (enfant caché) demande aussi à réfléchir à la "banalité du bien" (en prenant l'exemple des Justes)...

Chr. Borhen a dit…

Eh bien, l'ami Cyrulnik soulève là une question énorme, très énorme.
Vous pourriez nous en dire plus JEA ?

JEA a dit…

@ Chr. Borhen

Boris Cyrulnik :

- "A l'âge de six ans et demi, j'ai été arrêté à Bordeaux, la nuit, chez la famille Farges qui me cachait. J'ai le souvenir de quatre ou cinq policiers, autour de mon lit, lunettes noires (la nuit), arme au poing et torche électrique. Dans le couloir des soldats allemands, fusil à l'épaule regardaient le plafond. Mon souvenir est ainsi.

Madame Farges a dit : "On ne lui dira pas qu'il est juif". Un policier a répondu : "Il faut l"arrêter parce que plus tard, il commettra des crimes et deviendra un ennemi d'Hitler".

C'est ainsi qu'à l'âge de six ans j'ai appris que j'étais condamné à mort pour un crime que j'allais commettre.

Après mon évasion, au moment du transfert vers les trains qui emportaient les adultes et d'autres enfants à Drancy, relais vers Auschwitz, toute une chaîne de solidarité m'a protégé jusqu'à la Libération.

Récemment, j'ai découvert qu'une des premières personnes à participer à cette chaîne était un gardien de la paix (...). Il a gardé chez lui, un enfant qu'il ne connaissait pas et dont la simple présence compromettait sa carrière et peut-être même sa vie (...). D'autres policiers ont sauté sur leur vélo ou couru pour prévenir de l'heure de la rafle. Puis ils rentraient mettre leur uniforme et obéir : "Ca alors, l'appartement était vide !"

Parfois, c'est l'humanité d'un gardien qui s'exprimait plus fort que sa contrainte à obéir (...).

Par bonheur, il y aura toujours des Justes pour prouver la banalité du Bien."

(Extrait de la page 194 du blog du CF pour Yad Vashem)

Zoë Lucider a dit…

Pardon, ça n'a rien à voir directement , encore que; je viens de lire un article dans Politis sur l'arrachement de jeunes Indochinois de 1939 jusqu'à 1952 importés pour combler l'absence de bras dans les champs et qui seraient à l'origine de la mise en route des rizières de Camargue. Ils ont été traités comme des esclaves et nous ne savons rien de cette souche d'étrangers dans notre belle identité nationale.
Sion, je ne peux jamais écouter Ferré sans frissonner.
Bonne journée à vous

JEA a dit…

@ zoé lucider

L'histoire des Vietnamiens en France est éclatée entre :
- Ceux qui ont été "utilisés" pendant la guerre de 14-18, au front même où à l'arrière comme bras "supplétifs".
- Ceux qui, dès 1939, se retrouvèrent comme pions dans la "gestion coloniale" et mis dans des camps de travail à Marseille certes mais encore à Agde, Bergerac, Montauban, Oissel, Roanne, St-Florentin etc.
Soit près de 20.000...
- Ceux qui ayant collaboré avec les coloniaux, durent fuir l'Indochine en 1954. Eux, se retrouvèrent dans les camps de Ste-Livrade et de Noyant.
Et très objectivement, aucun de ces camps pour ces générations successives et différentes, aucun ne fut en l'honneur de la France.

Elisabeth.b a dit…

Les camps qui accueillirent les Espagnols fuyant la guerre civile ne furent pas plus en l'honneur de la France.
De l'Indochine à l'Espagne, de l'Asie à l'Europe, des milliers d'enfants, de femmes et d'hommes venus chercher refuge. Accueillis dans des camps. Envoyés à la mort quand ils étaient Juifs.

Des milliers d'enfants, de femmes et d'hommes qui pourtant refusèrent la haine et participèrent à la richesse de ce pays comme des citoyens qu'aucune discrimination n'aurait frappés. Si remarquables par leur choix et leur respect. Si remarquables dans leur volonté de construire.

Je ne partage pas votre mépris pour ceux qui entre la France et leur pays firent le choix de l'amitié. La colonisation est chose complexe. Il y eut des femmes qui choisirent la liberté en nous choissant. Mais un blog ne se prête guère aux développements interminables.

JEA a dit…

@ Elisabeth.b

N'éprouvant pas ce sentiment, je ne sais où j'ai été assez maladroit pour exprimer ce qui ressemblerait à du mépris ?
Ici ?
- "Ceux qui ayant collaboré avec les coloniaux, durent fuir l'Indochine en 1954..."
C'est un constat objectif, pas un avis personnel qui serait d'ailleurs sans intérêt.

Elisabeth.b a dit…

Veuillez m'excuser JEA pour cette lecture si sotte. Bien qu'elle soit sans excuse.
Je suis vraiment confuse.

D. Hasselmann a dit…

@ JEA : comme vous, cette phrase de conclusion m'a laissé dubitatif. Je pense néanmoins que l'auteur a voulu parler de "témoignage", même venant d'un nazi.

Ces photos n'en restent pas moins une contribution historique si - mais on peut faire confiance à Serge Klarsfeld - elles correspondent exactement aux faits.

JEA a dit…

@ Elisabeth.b

L'auteur ayant émis, nous savons que les distances déforment... Entre Ardennes et pieds des Pyrénées (au hasard...), l'étonnant serait que le commentaire parvienne intact. D'autant qu'ici, avions, trains, transports en commun s'engluent dans les neiges et les froids...
Dès lors, pas de lecture critiquable mais nécessité de réécrire le commentaire pour éviter les flous non artistiques...

JEA a dit…

@ D. Hasselmann

votre lecture est la plus vraisemblable, en réalisant les photos, l'auteur ne "résiste pas" mais veut garder un "souvenir" et ce dernier prend une dimension historique
ne serait-ce que parce qu'aucun autre cliché des fusillades au Mont Valérien ne nous est parvenu (jusqu'ici)...

Elisabeth.b a dit…

Ô JEA les Pyrénées doivent être belles, mais que les autochtones me pardonnent, je leur préfère une plaine. La neige ne l'oublie pas. Elle est très généreuse.
Merci tout de même pour ce voyage imaginé.

J'ai simplement cru que vous aviez utilisé la notion de collaboration dans un sens négatif. D'où ma remarque. Mon amitié pour les Harkis m'aura enflammé l'esprit, même s'il s'agissait d'une autre terre.

jedaen a dit…

bonjour JEA merci j'ai aimé surtout les mots de Paul Hermant -puissant-oui il y a les gens qui acceptent les choses les yeux fermés.j'aime l'ironie la.

Joyeux Noël -belle saison de santé de joie bien sucré....