Carte envoyée le 13 juin 1943 par Cudik Zyntak depuis Jawischowitz, camp annexe d'Auschwitz et à destination d'Anvers. Ces cartes (censurées et sans texte significatif) furent imposées par les SS pour "rassurer" la Croix-Rouge Internationale (Arch. JEA / DR).
Primo Levi :
"Nous ne reviendrons pas. Personne ne sortira d'ici, qui pourrait porter au monde, avec le signe imprimé dans sa chair, la sinistre nouvelle de ce que l'homme, à Auschwitz, a pu faire d'un autre homme."
Auschwitz n'a pas été "libéré". Mais l'anniversaire symbolise la confirmation au monde des crimes contre l'humanité programmés et appliqués par le nazisme. Et plus singulièrement la Shoah. A travers le camp où l'extermination transforma le plus d'étoiles en cendres.
Pour le 65e anniversaire de la fin d'Auschwitz, voici trois témoignages symboliques. Ils proviennent de mes recherches en archives où ils n'avaient pas encore été consultés ni enregistrés pour des travaux.
Ces trois témoignages marquent chacun une étape :
- les convois ;
- la mise au travail forcé des déportés n'ayant pas été assassinés dès leur arrivée, et ici, il a été retenu un camp annexe d'Auschwitz, la mine de Jawischowitz ;
- le sort de quelques déportés dans l'impossibilité d'être astreints aux marches de la mort et que les SS n'eurent pas le temps d'éliminer avant l'arrivée des Soviétiques.
Cudik Zyntak :
- "Pour le convoi XV...nous avons reçu un pain pour 6 à 8 personnes. Nous avons eu également deux tomates, du miel ou de la gelée. Le pire, c'était la soif. Nous n'avions absolument rien à boire.
Le tri avait lieu à l'arrivée du train à Auschwitz-Birkenau. Dans notre convoi, aucune femme n'a été désignée pour le travail. Toutes les femmes, les enfants, les vieux et les mal portants étaient emmenés par camions au crématorium.
- Avez-vous été battu ?
Immédiatement." (1)
Les convois XIV et XV furent jumelés au départ de Malines (Belgique).
Date de départ : 24 octobre 1942.
Nombre de déportés : 1472 dont 321 enfants. 41 survivants.
Né à Lodz (Pologne) en 1902, Cudik Zyntak avait émigré à Anvers. Déporté le 18 juillet 1942 dans les Ardennes de France pour le Judenlager des Mazures. Renvoyé le 24 octobre 1942 pour le convoi XV dont il portait le numéro 231.
Matricule 70 812 à Auschwitz. Détaché au kommando de Jawischowitz.
Extrai de la ollection de photos prises à Auschwitz pour le SS Hocker (au centre). Ici, sa "visite" de la mine de Jawischowitz (DR).
David Kleinmann :
- "Le jour même de notre arrivée {à Auschwitz}, 180 hommes ont été désignés pour aller travailler dans les mines de charbon. D'après ce que j'ai entendu, les autres étaient envoyés dans les chambres à gaz...
Nous sommes donc allés, à 180 hommes, à la mine de Jawischowitz où on nous a mis en tenue de prisonniers et où on a été tatoués. Le matricule 70 790 a été tatoué sur mon bras.
Nous avons ensuite été obligés de descendre dans la mine sous la menace d'hommes armés... Nous devions extraire du charbon, à trois, sur 12 m de long, 2 m de largeur et 1m50 de hauteur.
Nous devions travailler de 6h du matin jusqu'à ce que le travail désigné pour un jour soit exécuté. J'ai, plusieurs fois, continué à travailler jusqu'à 23h.
Au lever, nous recevions 300 gr de pain avec du thé. Après le travail, nous avions quatre pommes de terre, un demi-litre de soupe aux lentilles et 300 gr de pain.
Dans cette mine, nous étions 400 de toutes nationalités.
Le jour de repos (le dimanche) mais aussi en semaine, nous étions obligés de subir des exercices-punitions pour des futilités. Ainsi, courir très vite, faire des sauts en position accroupie, se coucher et se relever etc... Pendant ces exercices, ceux qui ne satisfaisaient pas les chefs, recevaient des coups de bâtons.
Un jour, alors que j'étais allé me réchauffer auprès d'un poêle, on m'a fait sortir et j'ai été battu par un SS qui m'a cassé le nez. Une autre fois, c'était le 2/2/43, j'ai voulu aller me faire soigner à l'infirmerie et j'ai été battu par le docteur de service car je ne savais par dire de combien de bandages j'avais besoin pour soigner toutes les plaies que j'avais sur le corps." (3)
David Kleinmann était né en 1910 en Tchécoslovaquie. Son immigration en Belgique remonte à 1930. Déporté au camp pour juifs des Mazures, il fait partie du même groupe que Cudik Zyntak et donc reçoit le numéro 167 du convoi XV.
Matricule 70 790 à Auschwitz. Il survivra ensuite aux camps d'Oranienburg puis de Dachau (kommando de Schwerin).
Dans la mine de Jawischowitz, descendent d'autres Belges dont le père de Maxime Steinberg et des Français au nombre desquels Henri Krasucki...
Entrée du block 21 à Auschwitz (Graph. JEA / DR).
Meyer Klein :
- "Perpétuellement, les punitions corporelles rendaient la vie insupportable. Le travail était extrêmement dur avec une nourriture insuffisante.
Malade, je n'ai pas fait partie des convois des évacués d'Auschwitz.
Le 18 janvier 1944, je suis resté au block 21 où j'avais subi des expériences médicales.
Le 24, les Allemands sont venus chercher les malades mais, par suite d'un bombardement intensif, ce transfert n'a pu être effectué.
Le 27, les Russes sont entrés dans le camp et ont libéré les malades qui se trouvaient dans les blocks 20 et 21. Ceux-ci ont reçu des soins des femmes-médecins russes." (3)
Meyer Klein était de nationalité tchèque bien que né en Hongrie en 1922. Emigré vers la Belgique à l'âge de 5 ans.
Mis au travail forcé aux Mazures. Tout comme Cudik Zyntak et David Kleimann, transféré des Ardennes françaises vers Malines. Mais il s'évade de la gare de Schaerbeek à Bruxelles le 24 octobre pour être repris à Anvers et mis le jour même dans le convoi XV (n° 11).
Alors que les Soviétiques lui sauvent la vie le 27 janvier 1945, il sera rapatrié en Belgique le 7 septembre.
NOTES :
(1) Procès Verbal de Police, 28 mars 1951, Tr 72 937/Rap 497, Service des Victimes de la Guerre - Bruxelles.
(2) Interrogatoire de Police Judiciaire 3593, 8 décembre 1945, Rap 492, SVG.
(3) PV, 22 septembre 1952, Tr 102 805, SVG.
Fiche d'entrée à Buchenwald, le 22 janvier 1945 de Cudik Zyntak (Arch. JEA / DR).
"B Jude" en provenance d'Auschwitz, mat. 70 812.
Mat. 117 271 à Buchenwald.
Rapatrié le 25 mai 1945.
Son épouse Szifra ainsi que leurs deux enfants, Maurits (10 ans) et Sofia (7ans) ont été gazés à l'arrivée du convoi VII à Auschwitz (septembre 1942).
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