Exode.
Directeur de la publication, Jean-François Saint-Bastien donne à connaître un journal écrit par un couple de septuagénaires : Xavier Choay et son épouse.
Débutant le 11 mai 1940, ces pages personnelles vont se succéder jusqu'en juin 1941. Elles permettent de suivre leur pénible exode - d'abord avec une brouette chacun - depuis Alland'huy jusqu'à Tonnay en Charente.
Ces descriptions nous parlent comme en tête-à-tête d'une France qui fuit et s'effondre, des incertitudes angoissantes sur chaque lendemain, des problèmes de ravitaillement, des difficultés pour recevoir des nouvelles (rarement bonnes) des Ardennes, des conditions atmosphériques qui rendent encore plus douloureuses les rigueurs de la guerre et ses suites ... Il sera retenu ici des preuves que dans la population, tous ne courbaient pas le dos et que s'il n'est pas question dans ce journal de résistance organisée, du moins était-elle déjà spontanée et crainte par l'occupant. Puisque celui-ci abandonnait vite ses discours paternalistes et protecteurs pour laisser tomber le masque et recourir aux répressions, y compris par les armes.
Instantané d'Ardennais en exode (DR).
9 septembre 1940 :
- "Une sentinelle allemande ayant été tuée devant le poste de Royan et l'auteur étant resté inconnu, la ville a été condamnée à payer une amende de 3 millions. A La Rochelle le câble ayant été coupé et l'auteur trouvé, il est condamné et passé par les armes deux jours après. A Nantes, le même fait s'étant produit mais l'auteur inconnu, la ville a été condamnée une première fois à 2 millions d'amende et une seconde fois à 5 millions. Des gardiens de câbles (requis français) qui ont été trouvés endormis, sont tous condamnés à des peines de prison."
5 décembre 1940 :
- "Un marchand de vin de Bordeaux qui a insulté un officier allemand a été condamné à mort et fusillé ce matin".
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Résistance.Infatigable, Marie-France Barbe ne cesse de se plonger dans les archives mais aussi - car, hélas, le temps manque de plus en plus - de recueillir de derniers témoignages (encore inédits) sur les mille et une facettes de la Résistance dans les Ardennes.
Avec Sylvie Laverdine, elle a rassemblé sept éclats de lumière dans la nuit de l'occupation.
Premier portrait tracé, celui d'Etienne Brice (1917-2006). Dès janvier 1941, cet industriel de Charleville entra vraiment en Résistance. Les circonstances dictant leurs nécessités immédiates, il devint membre actif d'un réseau d'évadés. Puis agent de liaison entre les chefs de groupe des secteurs de Rumigny ainsi que d'Auge et le commandement.
Maurice Ognois (1896-1968), résistant de l'Organisation Civile et Militaire (OCM) puis de Libération-Nord. Pseudo : Maurice Deneuville. Un imprimeur typographe pendant l'occupation : nul besoin d'insister sur son apport essentiel. La Gestapo ne s'y est pas trompée qui l'embarqua le 8 juillet 1944 en pleine réunion clandestine. Au nombre des arrestations : Marie, l'épouse de Maurice Ognois, de même que leur fille Denise. Tous vont être incarcérés à la prison Carnot de Charleville.
Tombent également dans les filets allemands Paul Schleiss (1913-1944), chef départemental de Libération et André Schneiter (1914-1944), chef de l'Arrondissement de Reims. Tous deux seront fusillés avec Marie Ognois, le 29 août 1944, au bois de la Rosière à Tournes.
Sous l'occupation, la prison Carnot à Charleville. Dessin Charleville-Mézières Magazine / Crdp Reims (DR).
Denise Richard-Ognois a rédigé en mémoire de sa mère, Marie Ognois, un témoignage à vous arracher les larmes. 56 ans après qu'aient claqué les balles du peloton d'exécution à Tournes, la fille monologue devant sa mère martyr, sans laisser le temps atténuer les souvenirs et les douleurs. C'est aussi pudique que bouleversant.
Samedi 29 août {1944} après-midi :
- "La nouvelle se répand. Les Allemands se résignent enfin et ouvrent les portes de la prison {de Charleville}. Les Alliés sont proches. Sur cette place Carnot, la foule est nombreuse. Détenus, familles, on se bouscule. Je te cherche Maman, je t'appelle. J'aperçois Georges {gardien allemand de la prison}, je m'agrippe à lui : "Maman, où est Maman ?". "O ! Mama", me dit-il, les larmes aux yeux. Tu venais d'être fusillée le matin même à Tournes. Il le savait, évidemment, mais ne pouvait rien dire. (...) C'est le soir seulement que je fus mise au courant, chez la famille Roth. J'étais effondrée. Pourquoi ce massacre, à la veille, pour les Allemands de quitter Charleville ?"
Guy Roy (1922-1944). Réfractaire au STO devenu agent de liaison à Rumigny. Arrêté à la mi-août par la Feldgendarmerie. Torturé ensuite par la Gestapo. Puis l'un des treizes fusillés de Tournes. Retrouvé agonisant par des habitants du village venus sur les lieux du drame. A survécu jusqu'au lendemain en gardant toute sa lucidité et pouvant décrire les heures de sévices infligées par les occupants.
Andrée Broutée-Roth et ses parents, arrêtés pour avoir sauvé des aviateurs alliés. La mère de Mermoz, châtelaine de Rocquigny, fut l'auteur de la dénonciation qui conduisit la famille Roth à la prison de Charleville.
Marie-Hélène Cardot dont le groupe organisa d'abord une filière d'évasions (soldats Nords-Africains puis aviateurs alliés). Ce groupe passa ensuite à des sabotages de lignes de chemin de fer. Le 18 juin 1944, les Allemands frappent. Avec Mme Jacquemin, sa mère, Mme Cardot est mise derrière les barreaux de la prison de Charleville d'où elles seront libérées le 30 août.
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Justes et résistants.
Cette communication se présente comme un fil rouge (historique).
A l'origine : une phrase prononcée le 6 août 2002 aux Mazures. Institutrice de ce village pendant la guerre, Mireille Colet-Doé est entendue sur le Judenlager des Mazures (18 juillet 1942-5 janvier 1944) et ses déportés. Et précise : "Grâce à un passeur d'Aubenton dans l'Aisne (...) des évadés seront ensuite cachés dans des fermes isolées. Le passeur, lui, fut dénoncé et fusillé."
Pour aboutir le 3 décembre 2007 à une cérémonie de reconnaissance de Justes parmi les Nations à l'Assemblée nationale (Hôtel de Lassay).
D'abord un processus d'identification. Ensuite et complémentairement, le recueil d'archives et de témoignages sur Emile Fontaine, capitaine FFI (Organisation civile et militaire), abattu par la Gestapo le 30 mars 1944. Un héros. Mais lentement oublié.
Les recherches confirment dans quelles conditions lui-même a été mis au travail forcé pendant au moins cinq mois derrière les barbelés d'un "Camp pour juifs" (alors qu'il n'était pas, selon le vocabulaire administratif de l'époque, un "israélite" mais un "aryen"). Là, il découvre de l'intérieur les réalités de la déportation depuis Anvers (Belgique) de 288 juifs. A ceux avec lesquels il parvient à entrer en contact - malgré les interdictions - , Emile Fontaine promet de venir en aide en cas d'évasions.
Parole tenue. L'attestent la réunion des preuves d'au moins dix sauvetages de persécutés de l'unique Judenlager en Champagne-Ardenne.
De g. à dr. : Camille Pierron, sa fille Annette Pierron, Emile Fontaine, compagnon de cette dernière. Tous trois reconnus Justes parmi les Nations (arch. Jean-Emile Andreux/ DR).
Après plus de quatre années consacrées plus largement à retracer le destin individuel des 288 juifs anversois des Mazures, un dossier proposant une reconnaissance d'Emile Fontaine comme Juste parmi les Nations est confié au Comité Français pour Yad Vashem.
N'a-t-il pas sauvé des juifs d'une mort programmée (leurs camarades devaient être déportés sur Auschwitz via Malines ou Drancy) ? De manière totalement désintéressée mais par humanisme. Au péril de sa vie (une parenthèse pour confirmer que sa mise à mort découle de ses responsabilités au sein de l'Organisation civile et militaire, sans lien direct avec les évadés des Mazures que son réseau a arrachés à la Shoah).
Après examen de ce dossier, l'Institut Yad Vashem de Jérusalem décida que la compagne d'Emile Fontaine, Annette Pierron, soit elle aussi honorée comme Juste, de même que sa mère, Camille Pierron dont la ferme de Buirefontaine (Aubenton, Aisne) servit de plaque tournante à la prise en charge des Anversois s'étant échappé avant leur transfert vers Auschwitz.
Cette communication détaille les itinéraires croisés de juifs persécutés, d'Ardennais résistants (reconnus ou pas), de descendants porteurs des suites de cette histoire qui faillit officiellement sombrer pendant plus de 50 ans... pour briller d'un nouvel éclat le 3 décembre 2007 à l'Hôtel de Lassay lors d'un hommage émouvant mais solennel dont le Comité Français pour Yad Vashem fut le Maître de cérémonie.
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Evasions, arrestations, déportations.
Président de la Société d'Etudes Ardennaises, Jean-Pierre Marby met ses pas dans ceux de son grand-père Raoul Lambert. Artisan-taxi, celui-ci va se montrer indispensable pour l'évacuation de celles et de ceux qui vont oser franchir la ligne de démarcation entre zone interdite et zone occupée, une ligne qui coupe Vouziers en deux en suivant le tracé de l'Aisne. Car si les Ardennais ne l'ont point oublié, à l'échelle nationale, cette dure réalité n'est toujours pas encore assimilée par tous les historiens. A savoir que l'autorité occupante disséqua notamment les Ardennes. Une partie de celles-ci se retrouva avec un statut de "colonie" telles celles de Pologne et d'autres territoires mis totalement en coupe réglée.
A Vouziers, les franchissements clandestins s'effectuaient dans les deux sens. D'une part, des Ardennais voulant à tout prix retrouver leurs murs et leurs terres malgré l'interdiction de revenir chez eux après l'exode. D'autre part, des prisonniers évadés puis des aviateurs alliés qui tentaient de sortir de la nasse administrative allemande...
Raoul Lambert sera donc passeur intégré dans la filière de Micheline Huck et de Léon Habran.
Les Allemands ne vont pas rester inactifs qui procèdent à des arrestations le 9 juillet 1942, frappant simultanément aux deux extrémités de la filière : à Reims et à Vouziers. Tombés aux mains de la Gestapo, Micheline Huck, Arlette Lefèvre et Léon Habran ne parleront pas. Ils subissent alors l'itinéraire Charleville-Compiègne. Les deux Ardennaises sont ensuite transférées à Ravensbrück, seule la première reviendra de déportation. Léon Habran, lui, tombera mort d'épuisement à Dora après avoir été mis derrière les barbelés de Wittlich, de Breslau et de Gross Rosen.
Ouvrage auquel se réfère Jean-Pierre Marby dans son étude sur une filière d'évasion entre Vouziers et Reims (DR).
Sous la signature du Président de la SEA, deux autres communications donnent à connaître la fin tragique de deux jeunes résistants : Pierre Gribouva et Pierre Lambert. Tous deux sont tombés le 1 septembre 1944 sous les arbres du Premier Chaîneau (hauteurs de Charleville). Le lendemain, les Allemands avaient laissé place aux Alliés...
La libération et ses lendemains revivent aux dernière pages de ce Tome XL grâce aux lignes tracées par une écolière de Vouziers. Alors âgée de 14 ans, élève à l'école Abel Dodeman, Monique Lambert décrit la fin de l'occupation de sa ville :
- "Je me doutais que la libération approchait ; mais la bataille serait-elle rude ? Les ennemis toujours là effectuaient des représailles et préparaient le combat. Enfin c'était un grand soulagement pour moi lorsque j'entendis et vis les avions américains, mais, je craignis le bombardement, car trois chars ennemis encombraient le croisement, mais ils partirent.
Etant éloignée du pont je ne l'entendis pas sauter. C'est le bombardement des canons anti-chars qui me causa le plus d'angoisse.
Je ressentis une de mes plus grandes joies lorsque les Américains arrivèrent et lorsque quelques hommes entonnèrent la Marseillaise accompagnés ensuite par les autres hommes, les femmes et même les enfants."
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Volume disponible dans les librairies ardennaises. Ainsi qu'aux Archives départementales des Ardennes, 10 rue de la Porte de Bourgogne à F 08011 Charleville-Mézières Cedex.
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