DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

dimanche 18 avril 2010

P. 269. Le cadavre de Franco bouge encore

.
Baltasar GARZON, Un monde sans peur, Calmann-Lévy, 2006, 310 p.

Almodovar :
"Une nouvelle victoire de Franco",

celle contre le Juge Garzón
accusé de "prévarication"
pour oser soulever les tapis
des fascistes espagnols...


Jean-Paul Marthoz (journaliste et essayiste) :

- "Le juge Baltasar Garzón sommé de s’asseoir au banc des accusés pour prévarication : l’amicale internationale des terroristes et des tortionnaires croit tenir sa vengeance. Les sympathisants de l’organisation séparatiste basque ETA applaudissent, les nostalgiques du général Pinochet sabrent le champagne, les réseaux extrémistes islamiques exultent, les héritiers du franquisme lèvent le bras, cara al sol (face au soleil).
(…) {Le juge a ouvert} en 2008 une enquête sur les exécutions sommaires et les disparitions perpétrées lors de la guerre civile (1936-1939) et sous le règne du général Franco (1939-1975), des faits couverts par la loi d’amnistie et d’amnésie de 1977. Même s’il a dû abandonner cette enquête, suivant ainsi l’avis du parquet, Baltasar Garzón a été accusé par le Tribunal suprême d’avoir abusé de ses prérogatives et agi « de mauvaise foi ». Depuis l’annonce de cette procédure, les défenseurs des droits de l’homme sont sur le pied de guerre, non seulement parce que le juge espagnol est leur icône, mais aussi parce que pour eux, les lois d’amnistie sont une félonie.
(…) Peut-on construire une démocratie sur l’impunité ? Le débat oppose depuis des décennies ceux qui prônent l’oubli et ceux qui exigent la justice. Baltasar Garzón a toujours exigé la justice, persuadé non seulement que l’impunité est un déni de l’Etat de droit et une insulte aux victimes, mais aussi qu’elle maintient en place la bureaucratie du « terrorisme d’Etat » et crée « une démocratie à temps partiel » en instaurant un système d’intimidation permanente à l’encontre des autorités civiles."
(Le Soir, 13 avril 2010).


Jean Ortiz (maître de conférence) :

- "Les « organisateurs de l’oubli », belle formule du poète argentin Juan Gelman, sont à l’œuvre. Ils veulent en finir avec le juge Baltasar Garzon. La menace imminente de « suspension » de l’emblématique et turbulent juge concerne tous les démocrates. Elle relève d’une opération de basse vengeance, de lynchage d’un juge reconnu dans le monde entier comme indépendant, rigoureux et courageux. Elle constitue une insulte pour toutes les victimes du franquisme. Il règne au sein de l’appareil judiciaire espagnol un climat de croisade contre les « hérétiques » et ces « rouges » qui relèvent la tête. L’ombre du franquisme, encore et toujours.
La commission permanente du conseil général du pouvoir judiciaire a décidé unanimement de donner suite aux requêtes contre Garzón déposées par trois groupuscules fascisants, dont l’ex-parti de Franco  : Phalange espagnole. Ces fascistes, en toute liberté, veulent la peau du juge. Chacun le sait, il n’y a pas eu en Espagne d’« épuration » anti-franquiste, ni de mise en place d’une « commission vérité-justice-réparation » pour décréter illégaux les tribunaux d’exception franquistes et leurs sentences, pour poursuivre les bourreaux, etc. La loi de Mémoire historique du 31 décembre 2007 a marqué une avancée, mais bien tardive et timorée. Alors qu’aucun coupable des crimes contre l’humanité n’a été inquiété, celui qui a voulu que justice passe se retrouve sur le banc des accusés, pour « prévarication ». Ahurissante inversion des valeurs  !"
(L’Humanité, 23 février 2010).


Bruits de bottes que des fascistes continuent à faire reluire (DR).

Le Nouvel Observateur :

- "Au moment où certains mouvements de droite critiquent une campagne "anti-démocratique" et d'"intimidation de la justice", la gauche dénonce la mise en avant de la Phalange, organisation d'extrême-droite alliée du général Franco. Présent à l'université et soutien emblématique, le cinéaste Pedro Almodovar a estimé mardi que "la société espagnole a une dette morale envers les victimes du franquisme. Elle n'offre rien aux familles pour pleurer leurs disparus". Il est allé plus loin en affirmant que la condamnation du juge Garzon serait "une nouvelle victoire de Franco".
"Aucune loi ne peut amnistier ni protéger le génocide qui a été commis. Aujourd'hui en Espagne, l'état de droit est remis en question", a déploré l'acteur argentin Juan Diego Botto, dont le père fait partie des 30.000 disparus lors de la dictature argentine."
(16 avril 2010).


Jean-Sébastien Mora :

- « En 1976, la mort de Franco et le retour du roi Juan Carlos ne se traduisent pas par une rupture symbolique avec l’idéologie franquiste, comme cela a pu être le cas en Allemagne en 1945 avec le procès de Nuremberg », explique David Dominguez, doctorant à Madrid en philosophie politique. « Trente ans après la transition « démocratique », le PP (Parti Populaire) refuse toujours de condamner les crimes du franquisme, certains politiques comme Manuel Fraga sont passés sans encombre de la dictature à la démocratie. »
L’écho juridique donné à une plainte de l’extrême illustre bien la logique décrite par l’universitaire. Le 3 novembre 2009 dans un nouveau rapport, Amnesty International dénonçait les autorités espagnoles « de manquer de volonté de faire face aux problèmes des actes de torture et autres formes de mauvais traitements imputables aux forces de l’ordre ». La Cour européenne des droits de l’homme a aussi été saisie à plusieurs reprises en 2009 pour « violation du droit à un procès équitable, torture et discrimination » à l’encontre de militants basques, mais aussi d’immigrés, de manifestants et de militants écologiques ou d’extrême gauche.
Samedi 13 mars 2010 à Madrid, 1400 juges, soit quasiment la moitié des juges exerçants en Espagne, dénonçaient à leur tour une politisation de la justice et un manque d’indépendance. En mettant Baltasar Garzón devant les tribunaux, la justice espagnole brille à nouveau par son prisme idéologique.
(Bakchich Info, 13 avril 2010).


Comme si la dictature et son cortège de victimes représentaient une parenthèse intouchable dans l'histoire de l'Espagne (DR).

Adrien Chauvin :

- "La presse hispanique est profondément divisée sur le sujet. Certains titres voient dans cette affaire une attaque faite à la démocratie à travers la personne de Garzón, tandis que d'autres déplorent le non-respect de la Constitution et des organes judiciaires.
Pour
El País, quotidien de centre gauche, Garzón "siégera sur le banc des accusés pour avoir voulu donner satisfaction aux familles des victimes de la guerre civile et de la dictature, qui n’acceptent pas – en accord avec l’Etat démocratique – que leurs proches demeurent anonymement dans des fosses communes". Cette affaire, estime le quotidien, "revêt une symbolique insultante pour la démocratie espagnole".
Quant à Público, quotidien de gauche, il présente l’affaire comme "un cas de l’histoire universelle de l’infamie". "Le rapport de Varela constitue un avertissement catégorique à tout juge qui prétend fouiner dans les crimes du franquisme : dans l’Espagne du XXIe siècle, il existe des lignes rouges à ne pas franchir. L’Allemagne a pu juger le nazisme, parce que Hitler a perdu la guerre. En Espagne, Franco a non seulement gagné mais il a aussi dirigé pendant presque quarante ans, et, apparemment, il reste encore victorieux trente-cinq ans après sa mort. Une loi préconstitutionnelle d’amnistie [la Constitution espagnole a été adoptée un an après celle de l’amnistie, en 1978] fonctionne encore comme un rempart contre la vérité et la justice. Il manque quelque chose à une démocratie dans laquelle se produisent un tel affront et une telle humiliation."
Les quotidiens conservateurs et de centre droit font entendre un autre son de cloche. Pour
El Mundo (centre droit) il est regrettable que le gouvernement se soit joint "au chantage fait contre le Tribunal suprême", car Garzón "a utilisé la justice pour alimenter son immense ego, en profiter démesurément, tenter de bâtir une carrière politique et satisfaire ses rancœurs".
Pour
ABC (monarchiste et conservateur), "les accusations calomnieuses et injurieuses proférées contre les magistrats du Tribunal suprême ne sont rien d’autres que le début d’une campagne renouvelée contre la Constitution de 1978 et le système judiciaire organisé autour de l’indépendance des juges et des magistrats". "A nouveau, le manichéisme s'est emparé de la gauche qui attaque le pacte constitutionnel et réclame, trente-cinq ans plus tard, une nouvelle transition fondée sur les règlements de comptes et la revanche."
(Courrier International, 16 avril).


LibéToulouse :

- "Si l'Europe a un sens, alors l'appel des universitaires français, lancé depuis Pau, aura peut-être un écho jusqu'en Espagne. Le juge Baltazar Garzon y est sur le point d'être suspendu de ses fonctions pour avoir eu l'intention de poursuivre le franquisme au motif de «crimes contre l'Humanité».
Les signataires de la pétition datée du 14 avril, anniversaire de la IIème République espagnole, se déclarent «solidaires» du magistrat.
150 000 disparus dans les fosses communes, 30 000 enfants volés: c'est à la demande des familles des victimes que ce juge qui a déjà poursuivi le général chilien Pinochet a voulu ouvrir une enquête. Laquelle n'est pas du goût de tous, Outre-Pyrénées.
Pétition d’universitaires français :
«Pour avoir, à la demande des familles des victimes, voulu ouvrir une instruction contre le franquisme, ses crimes contre l’humanité : 150 000 disparus dans les fosses communes, 30 000 enfants volés, etc., le juge espagnol Baltazar Garzón est sur le point d’être suspendu de ses fonctions.Il est poursuivi pour «prévarication» par des groupuscules fascistes, «Mains propres», «Phalange»… relayés par l’appareil judiciaire.

Nous, universitaires français, nous déclarons solidaires du combat du juge et des familles, et exigeons que la justice espagnole abandonne ces poursuites infondées.La destitution du juge Garzón hypothèquerait gravement le fonctionnement de la démocratie espagnole et de son système judiciaire».
Si vous souhaitez signer : jean.ortiz@univ-pau.fr.
(16 avril 2010).


Le sommeil du Caudillo au prix de, par exemple, 150.000 "disparus". Etrange facette d'une Espagne démocratique dont la justice elle-même est tenue à rester sourde, aveugle et muette sur les crime d'une dictature (Mont. JEA pour ce superbe roman consacré aux Voix du Pamano et bien trop ignoré / DR).

NB :

Soutiens en Espagne
http://www.congarzon.com/
et
http://www.facebook.com/group.php?gid=107978212568208&ref=ts

Pages de ce blog
- P. 233 : "Los Caminos de la Memoria", le film.
- P. 163 : "Les voix du Pamano", roman.
- P. 130 : "La Retirada".
- P. 110 : "Instants de guerre d'Espagne".
- P. 78 : "Hommage à la Catalogne".
- P. 8 : "Archivo rojo".




13 commentaires:

Brigetoun a dit…

je n'avais pas compris ce qu'on lui reprochait - soulagée - on peut espérer que ce procès tournera au ridicule des accusateurs, non ? plus le rappel de leurs éminentes qualités

D. Hasselmann a dit…

Les juges dérangent, en Espagne comme en France (revoir les films "Z" de Costa-Gavras ou "Le Juge Fayard" d'Yves Boisset).

On voudrait les faire taire, les faire disparaître : on ne pouvait leur donner d'"instructions" comme aux procureurs de la République.

Merci pour cet article qui montre combien il importe de rester vigilant ici ou là-bas : la démocratie n'est pas une victoire acquise une fois pour toutes : qu'on en juge !

colo a dit…

Merci pour ce billet. Vous faites parfaitement le tour de la polémique absurde et préoccupante qui a cours ici en ce moment.

JEA a dit…

@ brigetoun

ce qui soulève le coeur, c'est de voir un juge être accusé de "prévarication" au motif de chercher des preuves d'une certitude historique : la dictature franquiste est tout sauf innocente

JEA a dit…

@ D. Hasselmann

pour saluer la bonne nouvelle à propos de votre fils, j'aurais aimé proposer en vidéo (colonne de droite) l'un de ses enregistrements à la guitare...

JEA a dit…

@ colo

pour ne pas vous lire que ponctuellement, un lien est proposé dans la liste des blogs "pas tristes"...

colo a dit…

Merci JEA,je vous lis toujours avec intérêt...même si je vous le dis pas souvent.

D. Hasselmann a dit…

@ JEA : je sais qu'il a une page sur Facebook (avec musique) mais je ne sais comment y accéder...

JEA a dit…

D. Hasselmann

évidemment ces quelques mots avaient été mis à plat pour saluer son prochain rétablissement et sans savoir si les films d'Almodovar l'inspiraient

merci pour la suite de votre dernier commentaire avec ce lien vers la guitare de Virgile :

http://www.facebook.com/people/Virgile-Hasselmann/1474731115

MH a dit…

En Belgique, on parle du franquisme et ses crimes dans tous les médias! Et cela grâce à la sortie du film "Los Caminos de la Memoria", présenté ici dans un précédent et excellent billet.
Merci aussi pour le céleste Hable musical, voilà une injonction plus qu'actuelle...

La Feuille a dit…

Excellent article. Il n'y a pas dans le ciel que les scories du volcan islandais. L'extrême-droite se porte toujours bien et n'hésite pas à sortir bec et ongles lorsqu'elle en a l'occasion. Nombreux sont ceux parmi les descendants des militants et militantes républicains sommairement exécutés ou morts à petit feu dans des prisons ignobles qui avaient repris espoir grace à l'initiative de Garzon. ; espoir non pas de voir revivre les morts mais qu'un minimum de justice leur soit rendue.

JEA a dit…

@ MH

en Belgique, les années de la guerre civile espagnole furent aussi vécues de l'intérieur avec des oppositions farouches entre partisans de l'un ou de l'autre camp
et des Belges s'engagèrent par exemple dans les brigades internationales
puis, des villes comme Liège, accueillirent d'abord des orphelins puis des familles entières de républicains fuyant la dictature...

JEA a dit…

@ La Feuille

la dictature avait soigneusement cadenassé les suites de la mort de Franco
en prévoyant soigneusement d'empêcher autant que possible tout travail de mémoire sur les victimes des fascistes
des gens qui bien après guerre continuaient à condamner à mort par strangulation !