DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

mercredi 27 mai 2009

P. 123. Tintin pour les images du Musée Hergé

(Graphisme : JEA)

La signature d'Hergé a figuré aussi sur les buvards de la presse collabo ...

Les histoires belges se suivent et ne se ressemblent pas.
Une des dernières ?

- "Les médias interdits de montrer le musée Hergé.

Le musée Hergé, qui ouvrira ses portes en juin, était montré lundi matin aux médias. Mais l'interdiction de le filmer ou de le photographier a quelque peu gâché la présentation de ce temple dédié à Hergé.

« C'est une décision qui a été prise pour éviter une multitude de prises de vue des originaux qui sont exposés dans les salles », justifiaient les responsables face à des photographes et des cameramen ne comprenant pas qu'on les ait invités sans les avertir de ces restrictions majeures. Certains ont finalement décidé de quitter les lieux."

(Agence Belga, lundi 25 mai 2009).

Une bonne dose de surréalisme : inviter reporters photographes ainsi qu'équipes de télévision pour une promotion du musée Hergé tout en bannissant toute tentative d'illustrer in situ les reportages.

Faute de mieux, les frustrés pourraient se rabattre sur un passé décomposé : l'occupation et la collaboration.

En Belgique, avec les journalistes, pas de clair obscur sous la botte allemande, pas de demi-mesure, pas d'aller et retour, pas d'équivoque. Ils brisèrent leur plume. Refusant de rédiger une seule ligne, de publier un seul dessin dans les journaux saisis par les nazis. Leur honneur, leurs seules contributions, furent de préférer l'anonymat de la clandestinité et les journaux de la résistance. Les nazis ne s'y trompèrent pas qui condamnèrent à mort pour leur écriture, leur impression, leur diffusion.

Le cas Hergé ne souffre pas de doute.
Une fois l'envahisseur vainqueur, "Le Soir" - quotidien francophone de référence - se saborda dignement dès le 9 mai 1940. Le titre fut aussitôt "volé" par l'occupant qui le transforma en organe de propagande confié à des collaborateurs patentés et stipendiés.
Un "Le Soir Jeunesse" fut adjoint au quotidien bruxellois et Hergé ne connut aucun état d'âme à publier Tintin dans ce supplément au "Soir emboché", selon l'expression de l'époque.
Il s'y défoula en signant par exemple une "Etoile mystérieuse" avec des cases d'un antisémitisme décomplexé mêlé d'antiaméricanisme (ah le pseudo complot judéo-machin) qui illustrent ses choix dans le contexte de la Seconde guerre mondiale.

A la libération, Hergé s'en sortit sans grandes difficultés. Après un attentisme couleur de muraille, il vient en aide à des affidés des nazis tombés dans l'opprobe et le besoin. Il abrita ainsi au journal "Tintin" un collabo aussi dur et infréquentable que Jacques Van Melkebeke.
De cette époque, ne restent que quelques archives dont une parodie sortie de presses de la résistance : "Tintin au pays des nazis" (voir ci-après).
Hergé n'avait évidemment plus sa place au "Soir" renaissant. Puis le temps a estompé l'attitude sans excuse d'Hergé. Il n'empêche. Le "Père de la bande dessinée belge" est encore évoqué à propos des Droits de l'homme au Tibet. Difficile de ne pas s'indigner. Evidemment pas vis-à-vis d'une défense et d'une illustration du Tibet libre, mais parce qu'Hergé a totalement ignoré ces Droits sous le nazisme. Il en reste totalement disqualifé pour donner des leçons d'humanisme et d'histoire.



Tintin au pays des nazis, version résistante :
Ici Londres... Tintin : "Capitaine, enfin libérés. Hergé a levé le pied". Milou : "Moi aussi" (DR).


Le capitaine H. : "Hergé est un marin d'eau douce, un bachibouzouk, un canaque. Au fond, j'ai toujours été anglophile".
Tintin : "Moi, Hergé n'a jamais pu m'empêcher d'aimer les cow-boys".
Milou : "Et moi, il n'a jamais pu me faire passer pour un berger allemand" (DR).

Pierre Assouline :

- "Le 17 octobre 1940, les aventures de Tintin et Milou paraissent dans Le Soir, contrôlé par les Allemands. Un citoyen belge écrit à Hergé son désarroi.

«Permettez, monsieur, à un père de famille nombreuse de vous dire sa tristesse et sa déconvenue à voir "Tintin et Milou" paraître dans le nouveau Soir. Avez-vous réfléchi à la responsabilité que vous assumez ainsi? Sans Tintin, le nouveau Soir-Jeunesse tombera à plat en six semaines. Avec vos amis, il tiendra parce qu'on les connaît, parce qu'on les aime, parce qu'on achètera le journal pour suivre leurs aventures.
Et alors, les enfants subiront peu à peu la nouvelle influence. Perfidement, sournoisement, en marge de vos amusants dessins, on leur infiltrera le venin de la religion néopaïenne d'outre-Rhin. On ne leur parlera plus de Dieu, de la famille chrétienne, de l'idéal catholique... Et vous pourriez accepter de collaborer à cette mauvaise action, véritable péché contre l'esprit?
Ah, monsieur, songez-y! Si vous le pouvez encore, faites machine arrière. Vous trouverez, j'en suis certain, cent, mille familles catholiques qui vous aideront à faire revivre Tintin et Milou dans leur vrai milieu, qui s'uniront pour couvrir les frais de votre petit journal à condition qu'il reste dans la tradition. Excusez-moi de ne pas signer. Les temps sont trop incertains et je ne sais qui lira ces lignes. Mais s'il en est temps encore, écrivez un mot poste restante AZR/55, à Bruxelles. Je ferai l'impossible pour vous aider.»
(Hergé, Gallimard, Folio 3064, 1998, 820 p.)


Alain Colignon, historien au CEGES :

- "Les années 40-44 furent les meilleures pour Hergé. Il n’a jamais autant dessiné. De plus, parmi le lectorat du "Soir", il fidélisera un public de plus en plus tintinophile. Avec des dessins, en règle générale, apolitiques qui n’évoquèrent que rarement la guerre ou l’occupation. Si ce n’est bien sûr dans "L’Etoile mystérieuse", aventure de Tintin où effectivement une touche clairement anti-américaine et antisémite se manifeste sans complexe. Les rafles visant à déporter les Juifs de Belgique vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau s’organisèrent durant cette même période…
Les traits d’antisémitisme que l’on pouvait déceler dans les aventures du jeune reporter belge dessinées sous l’occupation et la nature de l’engagement collaborationniste d’Hergé n’ont pas été jugés suffisamment graves pour justifier son renvoi devant un tribunal. Le "cas Hergé" fut rapidement oublié par les magistrats qui avaient alors de plus lourds dossiers à boucler. Toutefois, selon moi, le "dossier Hergé" méritait tout de même une véritable sanction. Les deux nuits qu’il passa en prison sont vraiment très faibles. Pour son engagement dans les rangs des collaborateurs, marqué certainement par son ambition professionnelle - mais cela n’excuse pas ses actes -, on aurait dû le condamner à une sanction civique en lui retirant, pour quelques années, ses droits civils et politiques. Un plus long séjour en prison lui aurait aussi permis de réfléchir à son soutien artistique aux nazis.
(Propos recueillis par Manuel Abramowicz, RésistanceS, Bruxelles, 15 mars 2001).


Dans l'édition originale, on trouvait une caricature honteuse de juifs (nez crochu et toute la panoplie).
Salomon : "Tu as entendu, Isaac ?... La fin du monde ! Si c'était vrai ?.."
Isaac : "Hé, hé ! Ce serait une bonne bedite avaire, Salomon. Che tois 50 000 frs à mes vournizeurs. Gomme za, che ne tefrais bas bayer."
(Cette case peut être envoyée sur demande).

José Fontaine :

- "Hergé est mobilisé puis démobilisé pour raisons de santé. Il fuit l’armée allemande comme tout le monde, mais regagne la Belgique dès le 30 juin. Les aventures de Tintin au Congo sont publiés dans des journaux flamands collaborateurs dès septembre. Quand le supplément du Soir « jeunesse » se met en place, Le Soir volé accuse les adultes de ne pas avoir pu sauver la Belgique de la défaite et du désordre et appel est fait à la nouvelle génération. Benoît Peeters signale un édito signé cette fois du pseudo dont se sert Hergé et où il est question de l’Europe qui se transforme et de l’Ordre nouveau (p.120). Une rubrique encourage les jeunes lecteurs à envoyer des histoires (anti) juives…
C’est dans les premiers mois de l’attaque de l’URSS par le Reich que paraissent les premières vignettes de L’Etoile mystérieuse. Il y a vraiment correspondance parfaite sinon idéologique, du moins géopolitique entre le thème de cet album et la situation internationale puisque l’expédition internationale à laquelle participe Tintin ne compte que des pays neutres ou membres de l’Axe (le Doktor Schulze de l’université d’Iéna). Leur déloyal concurrent est sous pavillon américain et financé par un certain Blumenstein, nom à la fâcheuse - vu le contexte – connotation juive (le nom de Blumenstein sera dans des versions ultérieures remplacé par Bohlwinkel et le pavillon américain par celui d’un pays imaginaire). Tintin l’emporte et ses compagnons du « bon » camp. Le financier Blumenstein apprend par la radio qu’il va être « puni ». Bien que Benoît-Jannin ne le dise pas, cette annonce de la « punition » d’un Juif, dans le contexte de l’époque – qu’Hergé s’en soit rendu compte ou non – fait songer aux allusions à la solution finale qu’Hitler émit dans ses fameux discours où il l’annonce de façon voilée.
(A propos de : Maxime Benoît-Jannin, Les Guerres d'Hergé, Ed. Aden, Bruxelles, 2006, 256 p.

Chronique sur Vigile.net, 3 mars 2007).


Courage, fuyons les photographes et les cameramen (Parodie JEA / DR).

19 commentaires:

Lajoe a dit…

C'est bien de remettre, de temps en temps, les pendules à la bonne heure...

JEA a dit…

@ Lajoe

Pom...pom...pom...
Les aiguilles de l'horloge sont des piquants de cactus...

Elisabeth.b a dit…

Merci. Je savais qu'Hergé avait affiché son antisémitisme, mais ignorais avec quel zèle.
Tintin au pays des nazis et l'édition originale de L'Étoile mystérieuse ont leur place dans quel musée ?

JEA a dit…

@ Elisabeth.b

Les jardins et chemins d'un autre musée viennent d'être ouverts. A Bruxelles et au nom de Magritte. Il paraît qu'une ronde de nuit y rencontra l'ombre de Tati.

Anonyme a dit…

@ Bravo pour ce rappel et ces précisions historiques.

On peut dire aussi que "Tintin au pays des Soviets", le premier album d'Hergé, montre bien qu'il n'était pas vraiment un révolutionnaire, mais un adepte de la ligne... claire !

Ronde de nuit à la Rembrandt : Tati n'avait pourtant pas allumé sa pipe pour se faire repérer aussi facilement... Sans doute la société de surveillance s'appelait-elle Métrobus ?

JEA a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
JEA a dit…

@ D. Hasselmann

Précision : une trahison technique a rendu anonyme le commentaire ci-avant. Alors qu'il est signé D. Hasselmann.

Avant guerre, Hergé a illustré un bouquin de Degrelle (vous le savez, mais précision pour d'autres lecteurs) fondateur du Rexisme, mouvement fasciste en Belgique francophone.
Vous avez raison de le souligner : la pipe de Tati n'est jamais allumée en public. Et la société de surveillance confond métro et rétro.

Cactus , ciné-chineur a dit…

pour vous dire que quand je joue à " Saint-Simon said ", je dis maintenant " JEA a dit " !
sissi , le Comte est bon !!!!!

JEA a dit…

@ Cactus

Heureux, vraiment, d'apprendre que la prise d'otage et la séquestration à Cannes se terminent par votre retour !

Zoë a dit…

Merci pour cette mise au point détaillée. J'ajouterai que j'ai toujours trouvé Hergé misogyne, sa Castafiore une caricature aucunement compensée par une image un peu sympathique d'une femme (à ma connaissance, mais je n'ai jamais été tintinophile même avant de connaître son passé) et je préférais lire Philémon à mes chéris, le soir avant le sommeil réparateur.

Elisabeth.b a dit…

On ne tend pas de pomme à n'importe qui ! De plus aucune variété ne serait adaptée. La Jacques Lebel n'est pas un fusil. La Russet Pippin (une reinette) refuse d'être le porte-greffe d'une Russet Tintin.
La minute de pomologie est terminée. Belle journée à tous.

Anonyme a dit…

Merci pour ces précisions sur le passé d'Hergé. Il valait mieux ne pas en parler pendant 60 ans,évidemment cela aurait entâché son "image de marque"
Il y aurait aussi beaucoup à dire sur ces "collabos" restés dans l'anonymat. N'oublions pas "la Grande COCO Chanel, cette femme libre." On se garde bien de parler de ses amitiés sous l'occupation.

JEA a dit…

@ Elisabeth.b

En m'excusant pour cette remarque personnelle mais quel plaisir de parcourir la toponymie d'ici pour en distiller quelques pages sur ce blog...
A vous lire, grande serait l'envie de savourer sur votre blog cette fois (une fois de plus)une lecture s'inspirant de votre pomologie. En y perdant la notion du temps...

JEA a dit…

@ Anonyme

Evidemment, tout le monde n'a pas choisi de passer la guerre entière au Ritz...
Et pas seule, mais en compagnie d'un officier allemand mouillé jusqu'aux coudes dans le sang du renseignement.
En tentant sans vergogne de voler commercialement des juifs frappés par les loins antisémites !
Ce site l'évoque :
- http://boomer-cafe.net/version2/index.php/Modes-de-vie-des-annees-50/1954-Mademoiselle-est-de-retour.html
A quand un film sur "l'exil" de Mme Chanel en Suisse, les dix années succédant à l'après-guerre ?

JEA a dit…

@ Zoé

Ce qui est chouette avec les commentaires, c'est de les voir élargir les horizons d'une page de blog.
Par déformation professionnelle sans doute, le RG vert-de-gris fut évoqué ici. Mais vous soulignez ce qui se confirme être un commun dénominateur de tous ses albums sans exception. Soit l'absence de femmes. Soit quelques apparitions plus que marginales.
Tintin ne vieillit pas dans un monde sans sexualité (pour s'exprimer trop platement). Il est resté le scout toujours catho très versé à droite que dessinait Hergé à ses débuts. Loin des filles d'Eve, celles qui ne lui feront croquer aucune pomme...

Lyvie a dit…

encore un article très intéressant, merci pour les citations...
Et c'est vrai que les commentaires sont riches aussi, je viens d'ailleurs de faire un tour sur la page coco citée, et j'y ai aussi appris des choses

JEA a dit…

@ sylvie

avec les commentaires, une autre toile se tisserait, toute en dentelles et non en tissus de banalités.

HK/LR a dit…

Herr G facho sur les bors on sait ! macho (picho) itou
là n'est pas le blème !
imaginez qu'il ait écrit les Tintins sans ce sinistre petit corniaud de Tintin ! juste avec le Captain , Milou et les Dupont(d) !

JEA a dit…

@ HK/LR
Question du professeur Tournesol : imaginer Tintin sans Tintin ?!?