La collection Bouquins propose un nouveau volume sur les Français en Résistance, Carnets de guerre, correpondances, journaux personnels. (1)
Cette édition établie et présentée par Guillaume Piketty, rassemble des écrits de :
- Charles d'Aragon, Journal de guerre (1940-1942) ;
- Diego Brosset, Carnets de guerre, correspondances et note (1939-1944) ;
- Pierre Brossolette, Lettres à son épouse (1939-1943) ;
- Gabriel Brunet de Sairigné, Carnets et lettres (1940-1945) ;
- François Garbit, Lettres à sa mère (1940-1941) ;
- René Génin, Lettres (1939-1941) ;
- Claire Girard, Lettres (1939-1944) ;
- Philippe Leclerc de Hautecloque, Lettres et discours (1940-1945) ;
- Louis Martin-Chauffier, Journal et lettres (1939-1944) ;
- René Pleven, Correspondances (1939-1945) ;
- Lazare Rachline, Carnets et lettres (1940-1944).
Les lecteurs de ce blog n'y trouveront pas d'éventuels échos quant à des querelles sur le choix et la représentativité de ces résistants.
L'intérêt de leur lecture réside dans l'importance individuelle de chaque témoignage. Maintenant que les acteurs de cette époque noire se raréfient en conséquence des outrages du temps. Maintenant que les chapes de plomb de non-dits, de non-diffusions se fissurent voire même partent en éclats.
A une lecture successive de ces témoignages, il a été préféré ici une lecture transversale. Comment ces quelques résistants ont-ils vécu à des dates précises, les deux premiers mois de Mai de la Seconde guerre mondiale ?
Stèle au nom de Claire Girard (2) à Courdimanche, là où elle fut abattue après avoir participé à la libération de Paris (DR).
Claire Girard, Mai 1940 :
- "Dans ce chaos de souffrances, de misère, tes fiançailles sont comme une lueur. L'amour, la paix existent malgré tout. Malgré tout ce que nous avons subi et pourrons subir encore, la vie vaut la peine de vivre. Tout à l'heure, j'entendais à la TSF un concerto de Mozart, que c'était donc joli ; les valeurs de la vie, l'art, la beauté sous toutes ses formes (le soleil levant sur la mer, quand tu pars le matin et que l'eau nappe tout doucement les premiers rayons) et l'amour existent encore, ou autrement...ou plutôt non, il n'y a pas d'autrement, cela n'est pas possible."
(P. 646).
Louis Martin-Chauffier (3), L'homme et la bête, folio, 1995, 225 p.
Louis Martin-Chauvier, 20 mai 1940 :
- "Trois militaires casqués : Nicolas et deux copains. A la débandade. Tel. Point de fuyards. Des hommes à qui l'on a dit : "Débrouillez-vous." Désespérés. De n'être pas commandés ; d'être trahis par leurs chefs (trahis veut dire abandonnés). Nicolas, comme un homme ivre, hurlant (et il avait raison) : "C'est toute la France qu'il faut refaire." Vingt-sept fois, il faillit être tué ; il pleurait de peur sous les bombes, et pourtant n'aurait pas lâché sans ce "sauve qui peut" des officiers. Ils ont, avec leur voiture (la sienne est bousillée) évacué des civils. Il souffre atrocement, le pur, ce désarroi d'un pays dont la tête flanche. Je n'ai, pendant la dernière guerre, rien vu de si affreux que le désespoir de ces trois bons soldats arrivés dans un immeuble de l'avenue Henri-Martin quand ils veulent sauver le pays qui ne mérite peut-être pas tant de sacrifices.
C'était fatal. Les nationalistes étaient, demeurent (c'est eux les lâches officiers) antipatriotes : crève la république et la France avec elle."
(P. 730). Général Diego Brosset (4), timbre de 1971 (DR).
Diego Brosset, 24 mai 1940 :
- "Les troupes allemandes après avoir franchi la Meuse, s'être frayé un passage à travers les troupes françaises sur une largeur de 200 km, ont atteint les bords de la mer, enveloppant les troupes alliées de la région de Lille et du nord-ouest de la Belgique. Amiens, Arras, Abbeville après Saint-Quentin sont tombées et voici qu'on parle de Boulogne et de Calais. Or on nous avait dit tantôt qu'Arras n'est occupée que par quelques motocyclistes, tantôt que le couloir foré au coeur de nos arrières n'est occupé que par 50 000 Allemands, alors on ne comprend plus. Pourtant il est aisé de comprendre que nous nous sommes lourdement trompés. Manquant d'imagination et de vitalité nous n'avons pas voulu admettre la supériorité de l'audace et l'audace méprisée a été versée au magasin d'accessoires. Le courage pour les Français se résume depuis vingt ans dans la volonté de tenir (...).
Notre imagination engourdie est si longue à se mettre en branle que nous n'imaginons pas encore l'attaque de l'Angleterre peut-être imminente et moins encore la défaite, ses conséquences, l'occupation allemande en France, la disparition des fortunes, l'impossibilité de vivre comme des hommes libres.
Il serait curieux de vivre pour voir ces choses et, tristement, il faut avouer qu'il est vain de mourir avec résignation."
(PP. 134-135).
René Génin (5), 27 mai 1940 :
- "Quoique je sois, par ma fonction, au centre de nouvelles défavorables, puisque j'ai la charge de surveiller l'adversaire, je t'assure que je ne mets pas en doute notre prochaine victoire. Les Allemands jouent le grand jeu, abattent toutes leurs cartes, mais ils s'épuisent et bientôt le colosse aux pieds d'argile roulera par terre."
(P. 608).
Timbre à l'effigie de Pierre Brossolette (6) qui s'est suicidé par volonté de ne pas risquer de parler sous la torture. (DR)
Pierre Brossolette, 28 mai 1940 :
- "La mesure du malheur et de la bassesse est aujourd'hui à son comble. Je croyais avoir prévu le pire, et le pire est maintenant dépassé. Mais que veux-tu ? Il n'y a qu'à continuer dans la douleur, l'angoisse et le courage. Je crois qu'il n'y a rien d'autre à dire aujourd'hui, si ce n'est de redire que nous nous aimons, prêts à faire face à tout."
(P. 428).
Louis Martin-Chauffier, 17 mai 1941 :
- "19h15. Il semble bien que le déshonneur soit accompli, et que l'amiral Darlan, à Berchtesgaden, ait fait de la France une complice. Après avoir perdu la guerre contre les ennemis, le gouvernement veut en perdre une autre, avec eux. Rejeter la France dans la guerre, dont la capitulation prétendait la sortir et renier tous les engagements pris par ce même chef au pouvoir. Pétain peut dire : "Je tiens les promesses, même celles des autres", dans un français douteux, ce n'est qu'un mensonge de plus. A quoi bon vivre si vieux, pour survivre à son honneur ?"
(P. 831).
Aux eaux de Vichy, le Maréchal, l'amiral Darlan et l'inévitable cravatte blanc douteux de Laval (DR).
Gabriel Brunet de Sairigné (7), 18 mai 1941 :
- "Nous (8) entrons en Palestine à Beersheba (l'ancienne Bethsabée) ; premières oranges. Le pays, déshérité s'il en fut, est couvert de cultures qui iront s'amplifiant lorsqu'on approche de la côte. La route côtière est atteinte à Gaza, ville sans caractère. C'est désormais une suite interminable de camps australiens. L'un d'eux nous est réservé : celui de Qastina."
(P. 485).
René Pleven, 18 mai 1941 :
- "J'ai passé la plus grande partie de la journée au bureau, tâchant de prévoir les réactions et conséquences de l'ultime capitulation du Maréchal, qui risque d'avoir dans l'histoire de France la page réservée aux fossoyeurs de la nation. Rien de ce qui arrive ne me surprend. Les capitulations en entraînent d'autres (...)
Pour le moment, nous luttons partout. En Afrique, en France, dans les deux zones, ici et dans le monde entier pour résister à la vague de mépris qui monte chez les autres peuples pour ce pays qui en pleine guerre, se roule aux pieds du vainqueur. A tous, nous répétons que Vichy n'est pas la France, mais arriverons-nous à le faire croire ?"
(PP. 992-993).
Charles d'Aragon (10), La résistance sans héroïsme, Genève, Ed. du Tricorne, 2001, 256 p. (DR).
Charles d'Aragon, 19 mai 1941 :
- "J'ai suivi les dernières étapes de l'agonie de la France. A moins d'un miracle, la liberté et la dignité de mon pays sont choses qu'on ne peut plus espérer revoir que dans une ère nouvelle. Les entretiens de Berlin laissent croire que dans peu de jours la France sera amarrée avec des rivets de fer au char du vainqueur. Collaboration économique, politique, demain collaboration militaire, collaboration spirituelle déjà. La tragique farce de la Révolution nationale n'aura évoqué les grands souvenirs de la France chrétienne et chevaleresque que pour les ensevelir "dans un linceul de pourpre où dorment les Dieux morts". Hélas ! ce n'est même pas un linceul de pourpre.
Jours de honte où tout ce qui faisait le patrimoine spirituel de ce pays et de ce temps est perdu dans je ne sais quel misérable trafic. Fini, tout ce qui rendait la vie belle. Nous connaîtrons des années de fer, mais pour nous, ce sera le fer dont on charge les esclaves."
(PP 57-58).
NOTES :
(1) Robert Laffont, 2009, 1168 p.
(2) Claire Girard, 1921-1944. Directrice - femme et à 22 ans - de coopérative agricole. Venant de Paris libéré, est arrêtée le 27 août 1944 par les Allemands en déroute lors d'un contrôle à Cergy. Abattue comme "terroriste" à l'orée d'un bois de Courdimanche.
(3) Louis martin-Chauffier, 1894-1980. Directeur littéraire de Match et éditorialiste politique à Paris-Soir. Ses expériences professionnelles lui donnent une place singulière au sein de la rédaction du Libération clandestin. Arrêté en qualité de résistant. Fort-Monluc (Lyon), Compiègne, Neuengamme, Bergen-Belsen. Rescapé de la déportation.
(4) Diego Brosset, 1898-1944. En mission militaire française en Colombie, gagne Londres pour rejoindre de Gaulle et recevoir le grade de lieutenant-colonel. Campagne de Tunisie. Promu général de brigade en juin 1943. A la tête de la 1ère Division Française Libre pour la campagne d'Italie. Débarquement de Provence. Libérations successives jusqu'aux Vosges. Se tue au volant de sa jeep à Champagney, Haute-Saône.
(5) René Génin, 1900-1941. A la déclaration de guerre, chef de bataillon affecté au 2e Bureau de l'état-major du Grand quartier général. En 1941, rejoint les FFL de la brigade d'Orient. Tué par une balle française mais vichyste le 17 juin 1941. Mort "stupide" lors de la prise d'Ezraa et ce, dans le cadre de la campagne du Levant.
(6) Pierre Brossolette, 1903-1944. Journaliste de vocation mais aussi militant socialiste. Mobilisé, le capitaine Brossolette refuse d'être capturé par les troupes allemandes. Il entre en résistance organisée dans le groupe du "Musée de l'homme". Appelé à Londres en avril 1942. D'Angleterre, il va effectuer trois missions en France. Et reculer malgré les demandes de Londres son retour en Grande-Bretagne. Arrêté le 3 février 1944 après un échec de départ par mer en Bretagne. Transféré à Paris, se suicide le 22 mars après plus de deux jours de tortures.
(7) Gabriel Brunet de Sairigné, 1913-1948. En juin 1940, a participé à la campagne de Norvège au sein de la Légion étrangère. Volontaire pour les FFL en Angleterre. Lybie, Bir Hakeim, El Alamein, Tunisie, Italie, débarquement de Provence, Vosges, Alsace. La fin de la guerre le voit chef d'état-major de la Division Française Libre. Perd la vie au combat en Indochine.
(8) La 1ère division légère française libre sous les ordres du général Lengentilhomme.
(9) René Pleven, 1901-1993. A la mobilisation, est à Londres comme adjoint de Jean Monnet qui dirige le Comité de coordination franco-britannique. Devient le second de de Gaulle. Après la libération, assumera une foultide de fonctions ministérielles (Colonies, Finances, Garde des sceaux etc). Fut aussi président du groupe libéral à l'Assemblée parlementaire européenne.
(10) Charles de Bancalis de Maurel, marquis d'Aragon, 1911-1986. Engagé dans le mouvement Liberté. Après une fuite obligée en Suisse, revient à Paris fin de l'hiver 43-44 comme adjoint de Pierre-Henri Teitgen. Puis commande une des quatre zones militaires dans le Tarn et devient vice-président du Comité départemental de libération.
4 commentaires:
Pleven, ministre de la Justice... Dati, même titre...
Plus dure fut la chute !
Merci pour ce panorama édifiant pour hier et aujourd'hui.
@ D. Hasselmann
Ce blog étant inflammable, souffrez que je n'allume que deux bougies pour votre anniversaire.
Vous le savez, jamais je n'oublierai vos photos de la rue des Rosiers.
J'ai noté ce livre, merci pour cette présentation. je ne sais pas encore si je le lirai, mais je vais le consulter.
@ sylvie
Comme vous l'avez compris, ce "pavé" présente des facettes inégales.
Certes, tous ces écrits ne sont consultables que dans ce volume. Leurs intérêts reposent et sur le caractère des auteurs, et sur leur implication dans des formes variées de résistance. Se lisent dans ces pages des spontanéités pas retouchées au contraire de mémoires rédigées et corrigées en vue d'une improbable "postérité".
Mais les yeux des lecteurs (masculin grammatical) gardent leur spécificité. Et nul doute que des lassitudes guettent au passage...
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