André Dhôtel
Les Disparus
Phébus libretto
2005, 304 p.
Un geste généreux peut entraîner des conséquences catastrophiques. Ainsi ce "Pays où l'on n'arrive jamais", roman d'André Dhôtel reçu lors d'une remise de prix scolaires. Le livre et son auteur s'en trouvèrent involontairement catalogués bons pour fin d'enfance romantique, pour la cave d'un grenier. Surtout quand Villon, Vian, Conrad, Rabelais et autres Prévert vous brûlaient délicieusement les mains...
Mais Jean Paulhan, mais Jean-Claude Pirotte ne s'y sont pas trompés. Les lecteurs reviennent à Dhôtel. S'excusent de leur frivolité. Ouvent un premier volume presque au hasard. Se remplissent les yeux. Se vident des bruits extérieurs. Partent en vagabondage loin et longtemps...
Donc ces disparus.
Vous y apprendrez "à quoi ça sert" une boussole, objet magique quelque peu négligé par nos temps postmodernes :
- "C'est un malheur à notre époque de mépriser les points cardinaux. On ne fait même plus attention au soleil (...). Tu situes les gens dans la nature. D'abord les commerçants qui se trouvent orientés à l'ouest-sud-ouest sont plus aimables que les autres."
(P. 14).
Vous ne serez nullement surpris d'y retrouver des paysages ardennais à la fois familiers et devenus avec le temps si lointains :
- "L'allée semblait canaliser tous les courants d'air de la plaine, et ça entrait dans le coeur. Casimir regardait avec attention l'ouverture très lointaine de la route à la limite des arbres qui se rapetissaient là-bas. Ce qui dégoûtait Maximin c'était que tout marquait une fin d'histoire, les environs décolorés sans lumière ni ombre, ni rien pour signaler l'heure. On avait l'impression qu'il n'y avait jamais eu d'aurore et que la nuit ne tomberait même pas."
(P. 36).
Et si vous vous sentez avides de vides :
- "Certes on se distrait comme on peut dans un bourg. Si occupé qu'on soit il reste des temps indécis que les gens des grandes villes se croient obligés d'ignorer. Ces champs et ces bois c'était aussi le vide après tout. Alors ce qu'on s'ingénie à faire le plus souvent, sans l'avouer, c'est non pas à remplir ce vide mais à l'agrandir. Idiot de prétendre qu'un vide s'agrandit. C'est pourant comme ça, songea Maximin, lorsqu'il eut lancé son premier air de trompette. Enfin une nécessité apparente."
(P. 82).
Forêt de Saint-Michel (Photo JEA / DR).
- "Morts, crimes ou disparitions avaient eu pour cadre la forêt. Ce fut aussi de l'horizon de la forêt que vinrent les tempêtes qui avaient ravagé le pays. La forêt domaniale, qui comprenait maintes enclaves appartenant au seigneur du lieu, n'avait pas été exploitée depuis longtemps dans les environs de Someperce parce que le terrain, très accidenté et par endroits marécageux, n'aurait permis qu'un rendement médiocre au prix de grandes difficultés. Il y avait presque un siècle les de Rouzy avaient tenté de dégager les alentours d'une vaste clairière, afin d'établir des voies de pénétration qui auraient pu permettre de contourner la région la plus accidentée et de parvenir à exploiter une longue bande parallèle à la lisière également difficile à pénétrer à cause des irrégularités du terrain, falaises de craie, mamelons et gouffres masquaient les premiers arbres. Lors de cette tentative étaient survenus maints accidents dont le souvenir se transmettait de génération en génération. A cette époque on voyait encore des loups. Aussi le mal qui s'attachait aux de Rouzy et du même coup aux Someperçois semblait provenir de la profondeur des bois."
(P. 136).
Silence ?
- "Repanlin se tut longuement. Il ne voulait pas répondre, mais il avait aussi un grand désir de parler, d'autant plus que parler ça ne mène pas beaucoup plus loin que le silence."
(P. 151).
Hiver ardennais :
- "Le temps d'hiver c'est vraiment inépuisable. Vers la fin de décembre, il y eut des gelées. Cela ne donna pas une nouvelle clarté aux jours, malgré le contraste avec les précédents déluges, car il y eut d'abord des brumes basses. Lorsqu'elles se dissipèrent le vent du nord se mit à souffler en tempête et sous un soleil si pâle qu'il semblait encore plus désolant que la pluie."
Portraits d'André Dhôtel, à g. : par Dubuffet (montage JEA / DR).
Vous l'avez deviné, les bois et une clairière sont les personnages principaux :
- "Il y a les bois, dit Repanlin.
- Toujours ces bois, s'écria Maximin.
- La clairière.
- On sait, on sait.
- Vous ne savez rien, dit l'homme."
(P. 204).
Sans jardins et presque sans chemins :
- "Dans la clairière il y avait une floraison d'une folle abondance, digitales, séneçons des forêts, petites centaurées, mélittes, roses de toutes sortes, même des fleurs comme dans la plaine, marguerites et coquelicots. Elles formaient des zones soudain éclatantes, si bien qu'on pouvait se croire soudain au milieu d'une prairie ou d'un parc.
- C'était rassurant si vous voulez, disait Repanlin, mais on se savait encore mieux perdu."
(P. 207).
Clap de fin :
- "Ils regardèrent encore la route. Une voiture passa devant eux après quoi la campagne sembla plus déserte encore qu'elle ne l'avait jamais été. Ils comprenaient maintenant comment Casimir était parti, dans le souvenir de la clairière et de l'amour (...).
De nouveau l'ombre d'un petit nuage s'avança. Après quoi ce fut l'éclairage démesuré des collines et de l'horizon. L'immense clairière était partout (...).
Ils n'arrivèrent à Aigly que dans la soirée par un faubourg de la petite ville. Ils ne savaient pas, ils ne cherchaient pas à savoir qu'ils étaient à Aigly. C'était n'importe quelle ville avec ses voix d'enfants qui jouaient, ses passants emplis de patience à l'approche de la nuit d'été, ses hirondelles, ses trottoirs qui semblaient infinis. Ils dormirent sous l'auvent du magasin de la gare désaffectée. Jamais on ne les revit."
(P. 303).
Landouzy-la-Cour (photo JEA / DR).
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10 commentaires:
tentateur - vous êtes bon passeur
@ brigetoun
un passeur qui ne peut se passer, aux ors des aurores, des lignes d'écriture donc de vie, sur une paume marquant l'eau, le ciel et la terre en pays d'Avignon.
Le pays où l'on arrive jamais offrait la première échappée belle vers la littérature.
À hauteur exigeante d'enfant. Prodigieux. Nous n'étions pas habitués à être ainsi traités.
Non ce n'était pas un livre de prix. Il n'était pas si lourd. Et les livres de prix avaient souvent des titres déroutants.
Des rééditions pour continuer le voyage... Merci pour ces passages.
@ Elisabeth.b
Nos histoires parfois parallèles, parfois partagées...
Ce Pays m'a effectivement été remis, il est vrai dans une édition de poids et illustrée. Prix littéraire. Dans un Athénée où je retournai comme prof. Pour veiller à mon tour sur les prix...
Ça alors, il y en a encore pour lire du André Dhôtel. Je me sens moins seule pour le coup.
Je l'ai découvert tardivement, grâce à l'admiration de Christian Bobin pour sa plume.
@ Loïs de Murphy
Pour vous sentir encore moins seule :
http://www.andredhotel.org/
le site de "la Route inconnue", celle des Amis d'André Dhôtel.
Je l'avoue, André Dhôtel faisait partie à ce jour de très passés de la littérature. Je l'ai lu vers 16 ans et j'ai tout oublié. Merci de l'exhumer dans ma mémoire (car vous semblez l'avoir gardé vivant).
@ zoé lucider
nos mémoires possèdent des tiroirs secrets
ah Dhôtel ! je le relis régulièrement (heureusement que je ne savais pas que Bobin était fan !!!)
effectivement un de ces "trépassés" de la littérature , passé à la trappe des oublis , comme Henri Bosco (cent fois plus "puissant" que Dhotel - sorry)
@ HK/LR
Dhôtel cent fois moins puissant que...
A mes yeux (je ne boursicote pas), il est unique. Pas en concurrence. Sans maillot jaune ou autre. Il n'écrit ni comme A... ni comme B...
Et ses Ardennes à lui, je ne les retrouve nulle part ailleurs. Voilà qui n'exclut aucune autre littérature. Voici qui ne le dévalorise pas.
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