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Détail d'un portrait d'Albert Londres (Cadr. JEA / DR).
Dans l'Excelsior :
"Scènes orientales de révolution
au Caire."
Avant de publier ses premiers livres, Albert Londres (1) se confirma, dès ses trente ans, comme un reporter laissant courir son porte-plume aux quatre coins du monde. Que ce soit pour la guerre de 14-18, dans la Russie en révolution, au milieu des secousses qui font trembler l'Italie, les Balkans, le Levant, ou encore l'Inde.
En janvier 1920, le journaliste est arrivé au Caire après un réveillon de Noël à Bethléem (2).
Et là gronde une "révolution" dont sera victime Francesco Marengoni, bien oublié depuis...
Albert Londres :
- "Le Caire, janvier 1920.
Figurez-vous une révolution à Nice, au beau milieu de la saison ; une révolution bien élevée, non l'un des chambardements à la bolchevique qui vous démolissent toutes les porcelaines d'une maison, mais un bon petit coup de brise qui par moment vous retourne la voile, et vous aurez le spectacle du Caire.
Nous donnons ce renseignement à l'usage de nos aimables compatriotes qui, las de la crise du charbon (3), désireraient venir se chauffer, ces mauvais mois, en Egypte. Qu'ils n'aient pas peur, ils le peuvent - s'ils obtiennent le pass anglais. Et cela est une autre affaire !
(...) De onze heures du soir à une heure du matin, on assiste au Caire au jeu de cache-cache entre les camions anglais et les manifestants égyptiens. Le gros camion arrive toujours trop tard. C'est très amusant. Il ne faut pas se coucher sans avoir vu ça, au moins une fois car on s'en lasse.
Il y a aussi des spectacles de plein jour. L'affaire touchante des tramways, par exemple.
Les nationalistes, on ne sait trop pourquoi, s'en prenaient régulièrement aux tramways. Ce sont souvent de braves petits tramways, qui vous conduisent pour par cher à Héliopolis, aux Pyramides, à Helouan, suivant vos goûts ou votre mauvais goût. A chaque occasion, cependant, ils étaient retournés.
Or, l'autre jour, devant l'un de ces cadavres d'innocents véhicules, un homme s'est levé.
- Manifestants égyptiens, a-t-il dit, pourquoi démolissez-vous ainsi ces humbles voitures ! Elles n'appartiennent pas aux Anglais, comme vous avez pu le croire. C'est une compagnie belge qui en est propriétaire. Or, est-ce que la Belgique ne s'est pas bien conduite pendant la guerre ? Voulez-vous faire du tort à un aussi loyal petit peuple ?
Ce fut une révélation. "Non !", crièrent les révolutionnaires. Et ils redressèrent la voiture.
Et depuis, parmi les pires désordres, fiers comme ils ont le droit de l'être, et sonnant de tous leurs timbres, circulent les loyaux petits tramways belges." (4)
Tramway belge des années 1920, photo prise à Bruxelles (DR).
Albert Londres :
- "Mais il y a des incidents plus sombres, et qui vous donnent à réfléchir. Vous, voyageurs, qui auriez l'intention de venir fouler l'antique terre des pharaons, avant de vous embarquer, faites sonder votre crâne, vous allez comprendre pourquoi.
Francesco Marengoni, joueur de triangle à l'orchestre italien du Kursaal, se promenait, l'autre matin, au Mouski. Il était content. Le soleil était d'or. Il avait cinquante ans, un engagement en bonne forme. Pour cet hiver, enfin, il s'en était tiré.
Passe une compagnie de soldats anglais. Pressé, un indigène veut la traverser. Un military-police tire de derrière son dos le manche de pelle qui l'accompagne partout et l'assomme.
Francesco Marengoni est Italien. Il a le coeur bon, l'indignation prompte. Il proteste. Le military-police, du même manche de pelle, assomme Francesco Marengoni. On transporte Francesco Marengoni à l'hôpital. Il meurt.
Le consulat italien dépose une plainte. Les obsèques sont grandioses, toute la jeunesse enflammée suit le cercueil du pauvre joueur de triangle. Une enquête est ouverte. Les Cairotes en attendaient le résultat, quand, ce soir, les journaux ont publié la note suivante : "L'autopsie a révélé que Francesco Marengoni avait le crâne excessivement fragile. Dans ces conditions, l'incident est clos."
Je fais examiner le mien immédiatement. S'il n'a pas l'épaisseur voulue pour l'incident diplomatique, je saute dans le premier train." (5).
Le Caire, 1920 (DR).
NOTES :
(1) Albert Londres, 1884-1932. Ce reporter ne pouvait s'éteindre dans un lit. Sa vie s'est terminée dans l'incendie du Georges Philippar naviguant entre la Chine et la France.
(2) Reportage sur la Noël d'un cardinal de France à Bethléem : Louis, cardinal Dubois, archevêque de Rouen.
(3) La France peine à faire face à ses besoins en charbon. Du fait de la trop lente remise en état des charbonnages du Nord endommagés par les occupants allemands et de la baisse de la production anglaise.
En conséquence, rien qu'en 1920, 3.649.000 tonnes de charbon sont achetées aux USA, la France devenant ainsi la 2e importatrice de houilles américaines après le Canada.
(4) Excelsior, 25 janvier 1920.
in Albert Londres, Câbles & Reportages, arléa, 2007, 944 p., pp. 499-500.
(5) Id. P. 500.
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25 commentaires:
j'ai longtemps été une fan d"Albert Londres mais j'ai été gênée, longues années de cela, par la lecture d'un reportage sur la Chine que j'ai trouvé, même en tenant compte de l'époque, un peu trop bourré de clichés (e souviens plus du titre et peut être, la relecture, ceci me paraîtrait il moins évident)
@ brigetoun
Sans doute s'agit-il de :
- "La guerre à Shangaï".
En réalité les derniers reportages d'Albert Londres à la fin du mois de janvier 1932. La mort l'attend au retour quand un incendie se déclare sur son bateau à l'entrée du golfe d'Aden (67 morts).
Au nombre des clichés qui émaillent ces textes :
- "Les commandements {des Japonais} sont très curieux ; ils se traduisent par une espèce de long miaulement, de ces miaulements de chat qui, la nuit, vous font peur."
(10 février 1932).
Fichus coups de pelle ! Braves tramways belges...
@ Tania
Les cadavres que la military police ramasse à la pelle...
Par contre, franchement, à propos des tramways, je m'interroge. Quelle fut vraiment la sensibilité d'Egyptiens révolutionnaires au sort de la Belgique dont la neutralité avait été violée par les envahisseurs teutons ???
Il n'en reste pas moins qu'Albert Londres reste un modèle pour les journalistes dits d'investigation.
Ses articles sur le bagne, on en attend de semblables sur les prisons françaises, à la "une" de nos grands quotidiens nationaux (quand elle n'était pas une... mosaïque d'infos disparates destinée à ratisser large).
"Ici Londres !"
Les phrases de votre aventurier sont courtes, pleine d'humour et quel beau visage !
pleineS d'humour, merci de corriger
@ D. Hasselmann
Vous avez lu qu'à Gonneville-sur-Mer, dans le Calva qui a bon dos, le Maire refuse de retirer le portrait de Pétain de la salle des mariages ??? De là ce qu'il en propose de "jolies cartes postales" ???
http://www.liberation.fr/politiques/0101612097-un-maire-s-accroche-a-son-portrait-de-petain
@ Claire
ici, moins 10°
les claviers commencent à coincer
le vôtre se montre peut-être solidaire ?
Sans doute oui, solidaire... hum je me suis permise de vous envoyer l'adresse de mon site de peinture, je vous invite à le parcourir quelques instants, merci.
Après un rapide sondage : les chats ne trouvent pas la comparaison désobligeante. Ils se disent honorés de ce cousinage avec des guerriers japonais (89,7%). Ils ne saisiront donc pas la Halde.
Pour des oreilles occidentales il est des sons surprenants. On a vu des enfants musiciens porter les mains à leurs oreilles en écoutant une chorale d'écoliers chinois. Aigus inhabituels, douloureux. En quoi serait-ce un cliché ?
Je n'ose m'aventurer sur le terrain de la sensibilité nationaliste égyptienne...
Merci JEA de nous parler de ce magnifique reporter que fut Albert Londres. Londres, Kessel,exigence si rare. devenue improbable.
Articles signés par ceux qui ne sont pas sur place, copies de dépêches d'agence reprises par tous les bords avant même d'être vérifiées.
Ainsi l'Occident applaudissant les génocidaires cambodgiens : le travail du journaliste s'était résumé à écouter la radio des vainqueurs. Idolâtre ravi de conforter ses croyances politiques.
@ Claire
Sur votre site (trilingue), une présentation qui se conclut ainsi :
- "Bien que formée à la peinture (cours aux Ateliers Malou à Bruxelles avec Viviane Cangeloni, Véronique De Coster et Anne Desobry), M-H assume pleinement son statut de peintre amateur, évoluant souvent en marge du monde des galeries. Mais elle revendique tout autant le droit de s’approprier les images de notre quotidien – réel ou virtuel –, pour les modifier et les intégrer dans son œuvre : le « droit à l’image » est universel. Chacun, à sa manière, est un artiste amateur qui participe au grand cirque du monde. « C’est ce que nous sommes tous, des amateurs, on ne vit jamais assez longtemps pour être autre chose » : cette citation de Charlie Chaplin prend ici tout son sens."
(s) P-Y Desaive, octobre 09.
Voilà un an vraiment nouveau, avec, si vous excusez ce retard involontaire, la porte ouverte de votre galerie virtuelle...
Donc, CLIQUER sur le "Claire" en bleu !!!
@ Elisabeth.b
j'oubliais les chats siamois...
Je vous pardonne, mais parce que c'est vous. Chut, ne le dites à personne.
Un intermède musical ? Suivez les ♪♪♪
@ JEA : oui, j'ai lu ça et je suggère à ce édile de transformer sa mairie en maison de la presse avec un tourniquet révisionniste de cartes postales montrant le Maréchal sauveur de la France : il attirerait les visiteurs en nombre.
Et il remplacerait ainsi, par les recettes de ses ventes, la suppression (par le président de la République pour lequel il a certainement voté) de certaine taxe dont bénéficient encore les collectivités locales.
Va-t-il jusqu'à reprendre la coutume instaurée par un feu Président et fleurit-il la tombe du susdit chaque année ?
Si sa passion ne consiste qu'à afficher une galerie de portraits présidentiels, on ne peut nier que le maréchal, fleuri avec dévotion dans les années 80, n'ait été chef de ce pays. Un mot aimable sous l'image suffirait.
Je ne savais pas qu'il avait péri dans un incendie.
@ D. Hasselmann et Elisabeth.b
Les quotidiens se contentent actuellement de reproduire une dépêche de l'AFP.
Le maire, avocat de 44 ans, y affirme que ce portrait de Pétain est accroché depuis des lustres dans la salle des mariages... Sous-entendu, il n'a fait qu'hériter d'un état de fait (et d'un Etat français)...
@ annadesandre
Cette mort tragique fut entourée de vives polémiques car considérée comme "suspecte".
Alors que la navigation n'avait pas encore tourné au drame, Albert Londres aurait confié au maître d'hôtel des premières classes :
- "Ce travail sera la couronnement de ma carrière". Il évoquait une enquête sur les trafics chinois qu'il se promettait de faire publier dès son retour en France. Cette enquête n'a pas été retrouvée...
Le mystère n'est pas éclairci.
JEA mène l'enquête. AL oui ou non assassiné par les mafieux chinois.
Très beau le Mozart égyptien.
@ zoé lucider
l'enquête ? après Assouline, je n'ai aucune chance...
Quel personnage que ce journaliste qui a influencé tant de confrères ultérieurement !
Il paraît qu'il se destinait à une carrière de poète, il a donc pu combiner la forme et le fond en découvrant la rude réalité des actualités d'époque, dans des milieux de presse plutôt conservateurs, il a donné du piment à ses écrits ...
Des doutes sur les causes de sa mort ?
On en a pour chaque personne qui a marqué son temps, mais les preuves arrivent beaucoup plus tard ...quand elles arrivent, quand certains intérêts sont passés de mode et peuvent être dénoncés dans leur perfidie...
Je pense que j'ai lu trop de polars, JEA ...
@ JEA : le maire qui affiche (ou laisse l'affichage s'étaler depuis des années) dans une "galerie de tableaux" ce portrait de Pétain oublie que sa mairie représente l'Etat actuel... c'est-à-dire la République, depuis la quatrième du nom qui succéda au régime de la collaboration française avec les Nazis.
Or, si Pétain fut "Chef de l'Etat français" (voir même les pastilles "Vichy-Etat" de l'époque !), nous sommes en République, n'en déplaise à ce monsieur.
C'est donc seul un portrait de Nicolas Sarkozy (quoi que l'on en pense) qui doit figurer officiellement dans sa mairie et, même si ce maire veut jouer au guide de musée, il n'a pas à faire figurer Pétain parmi les présidents de la République, abolie justement par lui - et avec les conséquences que l'on sait.
Ceci n'empêche nullement les administrés de ce fonctionnaire municipal de lire tous les livres, de regarder tous les films, d'écouter toutes les émissions de radio et de suivre tous les sites Internet qui peuvent parler en bien ou en mal (donc librement, dans les limites de la loi qui condamne le racisme, l'antisémitisme et le révisionnisme...) de Pétain.
Mais l'image de ce dernier, avec képi sur le chef, n'a rien à faire dans une mairie alors que nous sommes sous la Vème République.
@ Saravati
Du Roi Albert dans les rochers de Marche-les-Dames à M. Monroe (ouf, quel rapprochement), vous avez raison, les morts de célébrités favorisent des halos de spéculations...
@ D. Hasselmann
Si vous le voulez bien, je transfère votre commentaire au billet de ce 8 janvier et intitulé :
"Maréchal, vous voilà à Gonneville"...
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