DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

dimanche 31 mai 2009

P. 125. 1er juin 1944

Souvenir de Normandie. Le débarquement va bientôt mettre fin à leur villégiature (DR).

Messages codés. Tous furent diffusés le 1er juin 1944.
Ils mettaient en alerte les réseaux du Special Operations Executive (SOE)
en prévision du proche débarquement de Normandie.

Cette liste est partielle, subjective. Mais tous ces messages sont authentiques et in extenso.

Après la soupe, un verre de vin.

Chantez dans la baignoire.


C’est une insolence de sa part.


C’était le sergent qui fumait sa pipe en pleine campagne.

Dansez gracieusement.

Faut-il qu’un si grand cœur montre tant de faiblesses.

Frappez deux fois à la porte puis entrez.

Gribouille porte un monocle.

Il ne faut jamais entrer par la porte de sortie.

Jeanne est la reine des Loucherbaines.


Je préfère me servir d’un stylo bleu.


Jupiter rencontra Mercure et le déluge commença.



Sur les plages, une profusion d'"asperges de Rommel" destinées à contrer tout débarquement amphibie (Graph. JEA / DR).

La Corse ressemble à une poire.

La cuisinière vient d’avoir des quintuplés.

La lune est pleine d’éléphants verts.

La vache m’a fait de l’œil.

L’arrosoir est percé.

L’espoir brûle toujours.

Le chien du voisin aboie très fort.

Le hérisson se ramasse en boule.

Le ramoneur a pris un bain.

Le rouge saute aux yeux.

Les enfants de l’école sont très intelligents.

Les sanglots longs des violons de l’automne.

Les visites font toujours plaisir.

Lorsque mon verre est vide, je me plains.

Le Maréchal Rommel en inspection en Normandie. Le mur va céder... (DR).

Mettez le couvert.

Mon chien a une queue de loup.

Monsieur, dit-il, j’en suis désolé.

Nous gaverons les canards.

Nous irons à Paris voir le feu d’artifice.

Quel bel homme ce pompier !

Satan, s’ennuie depuis hier.


Toujours rouliez-vous sous la table.

Source :
Michael R. D. Foot - J.-L. Crémieux-Brilhac, Des Anglais dans la Résistance, Le Service Secret Britannique d'Action, SOE en France 1940-1944, Tallandier, 2008, 799 p.


vendredi 29 mai 2009

P. 124. Abécédaire (révélateur) du général Brosset

Le général Diego Brosset (1898-1944), mort accidentellement alors qu'il commandait dans les Vosges, la 1e Division Française Libre (DR).

Carnets de guerre, correspondances et note (1939-1944).

La page 117 de ce blog a proposé une lecture transversale (limitée aux mois de mai 1940 à 1943) des Français en Résistance, Carnets de guerre, correspondances, journaux personnels dans une édition établie par Guillaume Piketty et publiée par Robert Laffont dans la collection Bouquins.
Au nombre des dix auteurs retenus pour cette anthologie, le général Diego Brosset. Ses écrits sont consultables des pages 103 à 412, soit environ un quart du volume.
Cet officier espérait que les lignes qu'il noircissait au fur et à mesure de ses campagnes militaires, ne seraient pas oubliées :

- "Ce cahier est un document d’histoire qui n’est pas sans intérêt, je voudrais qu’il pût trouver la voie pour ne pas disparaître."
(14 mars 1942).


Les extraits qui vont suivre ne sont donc pas "volés", telles des atteintes à une vie privée. Et encore moins manipulés ni déformés. Il en a été retiré une forme d'abécédaire non prévu par le général Brosset mais qui participe à une postérité lucide.

Avant de vous laisser (re)découvrir les pensées de ce général participant à la libération de la France, quelques dates qui ponctuent ses écrits :
- décembre 1939 : Diego Brosset est chef de bataillon,
- avril 1940 : professeur de stratégie et de tactique à l'Ecole supérieure de guerre de Bogota,
- 27 juin 1940 : ralliement à de Gaulle,
- décembre 1940 : lieutenant-colonel,
- octobre 1941 : colonel,
- 1er juin 1943 : général de brigade,
- 1 août 1943 : commandant de la 1e Division Française Libre,
- avril 1944 : débarquement en Italie,
- 16 août 1944 : débarquement en Provence,
- 20 novembre 1944 : se tue au volant de sa jeep à Champagney (Haute-Saône).

Ecriture de Diego Brosset sur ses Carnets (DR).

A la chronologie, il a été préféré ici un
abécédaire subjectif des notes du général Brosset :

Capitant René, commisaire à l'Education nationale :

- "On reproche à de gaulle d’écouter un certain Capitan (1) qui représente la juiverie d’Alger".
(2 juin 1943).

Cassin René, membre du CNL :

- "Cassin (2) qui passe comme un rat et qui pourtant ne veut pas qu’on l’oublie, dont le rôle est peut-être occulte et important."
(10 février 1941).

Dietrich Marlène :

- "Pour corser le paradoxe de ce jour J (3) qui s’écoule dans le calme nous devons recevoir à déjeuner Marlène Dietrich. (…) Elle ne doit plus être toute jeune, 7 ou 8 ans plus tôt, je ne l’eusse pas attendue sans émotion, son type m’impressionne."
(11 mai 1944).

Etat-Major du général de Gaulle :

- "Ces officiers nous ont apporté des nouvelles de Londres. L’esprit juif et politicien militant y domine l’état-major de Gaulle."

(9 mars 1943).

De Gaulle décorant le général Brosset (DR).

Falvy, général :

- "Il y en a qui mériteraient qu’on leur crache au visage : le général Falvy, par exemple, général de cabinet, franc-maçon notoire, responsable de l’avancement dans la défunte armée coloniale, prisonnier de guerre relâché par les Allemands."
(21 mars 1941).

Femmes :

- "Il ne faut courir ni après les femmes ni après les tramways ; il en passe toutes les cinq minutes."
(21 juin 1941).

Français :

- "Ignorance totale des Français de ce que fut notre résistance ; désintéressement de la guerre qu’ils croient finie ; exactions des FFI (4). Tout le drame d’un affreux désordre. Un phénomène de discordance d’une extraordinaire ampleur entre nous qui avons quatre ans rêvé de vaincre et ceux qui, quatre ans, ont accepté d’être vaincus. Impudente inflation de la résistance qui dans la réalité fut exceptionnelle. Cupidité atroce des paysans. Crainte honteuse de la mobilisation chez la plupart. Ingrate rancune contre les Alliés. Indulgence criminelle vis-à-vis des Allemands."
(3 novembre 1944).

Freydenberg Henry, général :

- "J’ai pensé brusquement que si Freydenberg (5) est juif, toute son attitude s’explique ; il serait, humilié, aussi plat qu’il peut être méprisant – intelligemment méprisant puisque juif – et sans classe."
(3 janvier 1940).

Intelligence militaire :

- "Intelligent ou pas (6), quelle importance cela a-t-il pour conduire une brigade au feu ?"
(5 mai 1943).

Juifs :

- "Un réseau militaire et policier a été mis en place pour nous empêcher de recruter autre chose que des Juifs or ils sont nombreux qui viennent de retrouver la nationalité française (7) et qui peut-être veulent s’engager : problème de les accepter et de n’avoir plus qu’une troupe de seconde zone."
(25 avril 1943).


La 1e DFL à St-Etienne, premiers jours de septembre 1944 (DR).

Midi / Nord de la France :

- "Il est évident que l’aptitude du midi de la France aux intrigues politiques, aptitude faite du goût du bavardage et de la réunion électorale continue à jouer et qu’il y faut voir la raison profonde de la prééminence des vieux partis politiques dans les affaires du pays ; tandis que les gens du Nord travaillent opiniâtrement, silencieusement, farouchement à la résistance, le Midi combine, s’exprime, manifeste…"
(10 novembre 1943).

Palewski Gaston, directeur de cabinet du général de Gaulle :

- "Le désordre que l’on entrevoit est digne de l’enthousiasme d’un juif russe décadent et c’est peut-être Palewski (8) en qui il faudrait voir le prototype conscient de ce qu’est par inconscience le Français de la classe dirigeante : l’agent efficace du désastre."

(11 août 1943).

1e Division Française Libre (9) :

- "Les trotskystes comme je les appelle, par leur crainte de se mettre en concurrence avec qui pourrait les égaler ou les battre sur un plan plus général, deviennent des êtres absolument stériles et stérilisés par l’importance essentielle qu’ils donnent au passé (…).
Comme en somme ces hommes sont des esprits assez étroits, ils sont pourtant maniables puisque, ayant besoin de la passion « pour les pousser à faire les choses » il suffit de leur en fournir le combustible et d’en diriger la flamme."
(15 juillet 1944).

- "Cette division, la mienne, m’amuse ou me flatte pour la confiance qu’elle me montre, pour l’exagération de ses exigences, pour la vivacité de ses réactions ; elle m’irrite par son esprit romanesque, son refus de comprendre, son manque de souplesse et pour tout dire d’intelligence."
(3 août 1944).


(Montage JEA / DR).

Vercors, auteur du Silence de la mer (1942) :

- "Jean {Bérard} s’est conduit comme un salaud. Collaborateur avoué il travaille avec et pour les Boches (…). Un ami qui disparaît ! Je préfère le juif Jean Bruller" (10).
(4 août 1943).

Victoire :

- "Il ne faudra jamais oublier que la victoire sera due à deux peuples nouveaux, le russe de la révolution soviétique et l'américain. Tous deux portés par une mystique de la puissance. L'Angleterre, la France si elle revit, devant ces deux grands mâles n'auront qu'un rôle de femme."

(16 mai 1942).


_______________


NOTES :

(1) Les orthographes des noms propres ne sont pas le fort de l’auteur. Il malmène d'ailleurs régulièrement le général de Gaulle.
Roger Capitant, rattaché au mouvement de résistance Liberté, fut commissaire à l’Education nationale du Comité français de Libération nationale.
(2) Grand mutilé de la guerre de 1914. Membre du Conseil de défense de l’Empire français et du Comité national français.
(3) Débarquement en Provence.

(4) Forces Françaises de l'Intérieur, mouvements unis de la résistance.
(5) Alors commandant du corps d’armée colonial français.
(6) Avis sur le commandant de la 154e Brigade anglaise.
(7) Juifs d’Afrique du Nord venant de retrouver la nationalité française qui leur avait été retirée par l'Etat français de Vichy.
(8) Directeur de cabinet de 1942 à 1945.
(9) Diego Brosset commande la 1e DFL depuis le 8 août 1943.
(10) Ce dernier a consacré un Portrait de l'amitié (1946) au général Brosset. En connaissance de cause ou en ignorant les fixations de cet officier à propos des juifs ???


Constat :

Rassembler et proposer à la lecture ces extraits, s'inscrit dans une esquisse historique. Dès les premier mots, on aura compris que toute hagiographie est écartée de même que tout discours aux cocoricos camouflant la nature profonde d'un Diego Brosset.
Or, ce général n'appartint jamais au camp de Vichy. Ce rappel n'est peut-être pas superflu après avoir pris connaissance des Carnets. Avec leurs passages choquants et leurs jugements définitifs, leurs préjugés bien enracinés et leurs mépris largement distribués...

mercredi 27 mai 2009

P. 123. Tintin pour les images du Musée Hergé

(Graphisme : JEA)

La signature d'Hergé a figuré aussi sur les buvards de la presse collabo ...

Les histoires belges se suivent et ne se ressemblent pas.
Une des dernières ?

- "Les médias interdits de montrer le musée Hergé.

Le musée Hergé, qui ouvrira ses portes en juin, était montré lundi matin aux médias. Mais l'interdiction de le filmer ou de le photographier a quelque peu gâché la présentation de ce temple dédié à Hergé.

« C'est une décision qui a été prise pour éviter une multitude de prises de vue des originaux qui sont exposés dans les salles », justifiaient les responsables face à des photographes et des cameramen ne comprenant pas qu'on les ait invités sans les avertir de ces restrictions majeures. Certains ont finalement décidé de quitter les lieux."

(Agence Belga, lundi 25 mai 2009).

Une bonne dose de surréalisme : inviter reporters photographes ainsi qu'équipes de télévision pour une promotion du musée Hergé tout en bannissant toute tentative d'illustrer in situ les reportages.

Faute de mieux, les frustrés pourraient se rabattre sur un passé décomposé : l'occupation et la collaboration.

En Belgique, avec les journalistes, pas de clair obscur sous la botte allemande, pas de demi-mesure, pas d'aller et retour, pas d'équivoque. Ils brisèrent leur plume. Refusant de rédiger une seule ligne, de publier un seul dessin dans les journaux saisis par les nazis. Leur honneur, leurs seules contributions, furent de préférer l'anonymat de la clandestinité et les journaux de la résistance. Les nazis ne s'y trompèrent pas qui condamnèrent à mort pour leur écriture, leur impression, leur diffusion.

Le cas Hergé ne souffre pas de doute.
Une fois l'envahisseur vainqueur, "Le Soir" - quotidien francophone de référence - se saborda dignement dès le 9 mai 1940. Le titre fut aussitôt "volé" par l'occupant qui le transforma en organe de propagande confié à des collaborateurs patentés et stipendiés.
Un "Le Soir Jeunesse" fut adjoint au quotidien bruxellois et Hergé ne connut aucun état d'âme à publier Tintin dans ce supplément au "Soir emboché", selon l'expression de l'époque.
Il s'y défoula en signant par exemple une "Etoile mystérieuse" avec des cases d'un antisémitisme décomplexé mêlé d'antiaméricanisme (ah le pseudo complot judéo-machin) qui illustrent ses choix dans le contexte de la Seconde guerre mondiale.

A la libération, Hergé s'en sortit sans grandes difficultés. Après un attentisme couleur de muraille, il vient en aide à des affidés des nazis tombés dans l'opprobe et le besoin. Il abrita ainsi au journal "Tintin" un collabo aussi dur et infréquentable que Jacques Van Melkebeke.
De cette époque, ne restent que quelques archives dont une parodie sortie de presses de la résistance : "Tintin au pays des nazis" (voir ci-après).
Hergé n'avait évidemment plus sa place au "Soir" renaissant. Puis le temps a estompé l'attitude sans excuse d'Hergé. Il n'empêche. Le "Père de la bande dessinée belge" est encore évoqué à propos des Droits de l'homme au Tibet. Difficile de ne pas s'indigner. Evidemment pas vis-à-vis d'une défense et d'une illustration du Tibet libre, mais parce qu'Hergé a totalement ignoré ces Droits sous le nazisme. Il en reste totalement disqualifé pour donner des leçons d'humanisme et d'histoire.



Tintin au pays des nazis, version résistante :
Ici Londres... Tintin : "Capitaine, enfin libérés. Hergé a levé le pied". Milou : "Moi aussi" (DR).


Le capitaine H. : "Hergé est un marin d'eau douce, un bachibouzouk, un canaque. Au fond, j'ai toujours été anglophile".
Tintin : "Moi, Hergé n'a jamais pu m'empêcher d'aimer les cow-boys".
Milou : "Et moi, il n'a jamais pu me faire passer pour un berger allemand" (DR).

Pierre Assouline :

- "Le 17 octobre 1940, les aventures de Tintin et Milou paraissent dans Le Soir, contrôlé par les Allemands. Un citoyen belge écrit à Hergé son désarroi.

«Permettez, monsieur, à un père de famille nombreuse de vous dire sa tristesse et sa déconvenue à voir "Tintin et Milou" paraître dans le nouveau Soir. Avez-vous réfléchi à la responsabilité que vous assumez ainsi? Sans Tintin, le nouveau Soir-Jeunesse tombera à plat en six semaines. Avec vos amis, il tiendra parce qu'on les connaît, parce qu'on les aime, parce qu'on achètera le journal pour suivre leurs aventures.
Et alors, les enfants subiront peu à peu la nouvelle influence. Perfidement, sournoisement, en marge de vos amusants dessins, on leur infiltrera le venin de la religion néopaïenne d'outre-Rhin. On ne leur parlera plus de Dieu, de la famille chrétienne, de l'idéal catholique... Et vous pourriez accepter de collaborer à cette mauvaise action, véritable péché contre l'esprit?
Ah, monsieur, songez-y! Si vous le pouvez encore, faites machine arrière. Vous trouverez, j'en suis certain, cent, mille familles catholiques qui vous aideront à faire revivre Tintin et Milou dans leur vrai milieu, qui s'uniront pour couvrir les frais de votre petit journal à condition qu'il reste dans la tradition. Excusez-moi de ne pas signer. Les temps sont trop incertains et je ne sais qui lira ces lignes. Mais s'il en est temps encore, écrivez un mot poste restante AZR/55, à Bruxelles. Je ferai l'impossible pour vous aider.»
(Hergé, Gallimard, Folio 3064, 1998, 820 p.)


Alain Colignon, historien au CEGES :

- "Les années 40-44 furent les meilleures pour Hergé. Il n’a jamais autant dessiné. De plus, parmi le lectorat du "Soir", il fidélisera un public de plus en plus tintinophile. Avec des dessins, en règle générale, apolitiques qui n’évoquèrent que rarement la guerre ou l’occupation. Si ce n’est bien sûr dans "L’Etoile mystérieuse", aventure de Tintin où effectivement une touche clairement anti-américaine et antisémite se manifeste sans complexe. Les rafles visant à déporter les Juifs de Belgique vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau s’organisèrent durant cette même période…
Les traits d’antisémitisme que l’on pouvait déceler dans les aventures du jeune reporter belge dessinées sous l’occupation et la nature de l’engagement collaborationniste d’Hergé n’ont pas été jugés suffisamment graves pour justifier son renvoi devant un tribunal. Le "cas Hergé" fut rapidement oublié par les magistrats qui avaient alors de plus lourds dossiers à boucler. Toutefois, selon moi, le "dossier Hergé" méritait tout de même une véritable sanction. Les deux nuits qu’il passa en prison sont vraiment très faibles. Pour son engagement dans les rangs des collaborateurs, marqué certainement par son ambition professionnelle - mais cela n’excuse pas ses actes -, on aurait dû le condamner à une sanction civique en lui retirant, pour quelques années, ses droits civils et politiques. Un plus long séjour en prison lui aurait aussi permis de réfléchir à son soutien artistique aux nazis.
(Propos recueillis par Manuel Abramowicz, RésistanceS, Bruxelles, 15 mars 2001).


Dans l'édition originale, on trouvait une caricature honteuse de juifs (nez crochu et toute la panoplie).
Salomon : "Tu as entendu, Isaac ?... La fin du monde ! Si c'était vrai ?.."
Isaac : "Hé, hé ! Ce serait une bonne bedite avaire, Salomon. Che tois 50 000 frs à mes vournizeurs. Gomme za, che ne tefrais bas bayer."
(Cette case peut être envoyée sur demande).

José Fontaine :

- "Hergé est mobilisé puis démobilisé pour raisons de santé. Il fuit l’armée allemande comme tout le monde, mais regagne la Belgique dès le 30 juin. Les aventures de Tintin au Congo sont publiés dans des journaux flamands collaborateurs dès septembre. Quand le supplément du Soir « jeunesse » se met en place, Le Soir volé accuse les adultes de ne pas avoir pu sauver la Belgique de la défaite et du désordre et appel est fait à la nouvelle génération. Benoît Peeters signale un édito signé cette fois du pseudo dont se sert Hergé et où il est question de l’Europe qui se transforme et de l’Ordre nouveau (p.120). Une rubrique encourage les jeunes lecteurs à envoyer des histoires (anti) juives…
C’est dans les premiers mois de l’attaque de l’URSS par le Reich que paraissent les premières vignettes de L’Etoile mystérieuse. Il y a vraiment correspondance parfaite sinon idéologique, du moins géopolitique entre le thème de cet album et la situation internationale puisque l’expédition internationale à laquelle participe Tintin ne compte que des pays neutres ou membres de l’Axe (le Doktor Schulze de l’université d’Iéna). Leur déloyal concurrent est sous pavillon américain et financé par un certain Blumenstein, nom à la fâcheuse - vu le contexte – connotation juive (le nom de Blumenstein sera dans des versions ultérieures remplacé par Bohlwinkel et le pavillon américain par celui d’un pays imaginaire). Tintin l’emporte et ses compagnons du « bon » camp. Le financier Blumenstein apprend par la radio qu’il va être « puni ». Bien que Benoît-Jannin ne le dise pas, cette annonce de la « punition » d’un Juif, dans le contexte de l’époque – qu’Hergé s’en soit rendu compte ou non – fait songer aux allusions à la solution finale qu’Hitler émit dans ses fameux discours où il l’annonce de façon voilée.
(A propos de : Maxime Benoît-Jannin, Les Guerres d'Hergé, Ed. Aden, Bruxelles, 2006, 256 p.

Chronique sur Vigile.net, 3 mars 2007).


Courage, fuyons les photographes et les cameramen (Parodie JEA / DR).

lundi 25 mai 2009

P. 122. Fantômes sur le chemin d'Yves Gibeau

Gérard Rondeau, Les Fantômes du chemin des dames : Le Presbytère d'Yves Gibeau, Seuil, 2003, 286 p.

Sur le Chemin des Dames, avec en tête la Chanson de Craonne, Allons z'enfants jusqu'au Presbytère de Roucy...

Présentation par l'Editeur :

- "Gérard Rondeau : un regard qui se perd à l'horizon du Chemin des Dames, un livre mémoire dans les pas d'Yves Gibeau, l'auteur du mythique Allons z'enfants. Antimilitarisme fasciné par la guerre 14-18, Yves Gibeau en a inlassablement parcouru les lieux, collectionné les souvenirs, depuis sa retraite, le presbytère de Roucy.
Un homme pris dans ses obsessions, hanté par les fracas de la guerre.
A partir de 1981, Gérard Rondeau l'a suivi dans pérégrinations immobiles, puis au-delà de sa mort, en 1994, a continué de photographier sa maison agonisante, ces lieux tant de fois arpentés, son univers balayé par les traces de la der des ders, pour tenter de trouver l'ultime fantôme du Chemin des Dames.
Une photobiographie subjective et passionnée, nourrie d'archives et née de 15 ans d'amitié. Images d'une vie, de rencontres, d'une oeuvre, du temps qui passe, comme autant de portes ouvertes sur Gibeau.
Le travail de Gérard Rondeau est évident, mélange de réalisme et d'émotion, toujours lumineux. Il nous fait partager l'intimité de l'homme et l'universalité de la guerre."


Ce livre voyageait en rond dans ma bibliothèque. Il s'en est évadé (avec ma complicité) pour guider Noël Desmons et sa moto à remonter le temps sans le défigurer.

Photo Noël Desmons (DR).

Isabelle Martin :

- "Gibeau, ancien enfant de troupe, détestait l'armée. Les lieux hantés par les combats de 14-18 le fascinaient, il ne cessait de les parcourir, comme pour comprendre la folie des hommes. Son grenier était "un dépôt de mémoire active", dit l'historien Philippe Dagen. Ce livre est donc autant une photo-biographie de l'écrivain qu'une évocation du conflit, des champs de bataille, des villages et des champs désertés par les hommes, laissés aux soins des femmes, des monuments aux morts, des affiches de propagande belliciste."
(Le Temps, 1 novembre 2003).

Bernard Frank :

- "La Champagne est triste comme un cimetière. Et on s’est battu à mort pour elle. Au Chemin des Dames. Et ailleurs. Gibeau était une sentinelle dans sa maison."
(Le Nouvel Observateur, semaine du 13 novembre 2003).

Presbytère de Roucy (Aisne), printemps 2009 (Photo : Noël Desmons / DR).

Anarlivres :

- "Né à Bouzy (Marne) en 1916, à 30 kilomètres de Craonne, des amours le temps d’une nuit de sa mère et d'un soldat au repos, le petit Yves sera adopté par l'adjudant-chef Gibeau. De 1929 à 1934, il est placé dans différentes écoles d’enfants de troupe. Militaire de carrière par obligation de 1934 à 1939, il est cassé du grade de brigadier-chef pour inaptitude. Enfin libéré en 1939, il est mobilisé la même année, connaît la guerre, puis la captivité et ne revient à Paris qu’en décembre 1941.


A la Libération, c’est Albert Camus qui le pousse à choisir le journalisme et il entre à « Combat » comme critique de variétés. Afin de garder du temps et l'esprit libre pour écrire, il devient correcteur de presse. La littérature lui permet ainsi d’exorciser ses souvenirs d’enfance et de se livrer à un réquisitoire implacable des milieux militaires.

Rebelle, antimilitariste, Yves Gibeau s’est installé en 1979 dans un ancien presbytère, à Roucy, non loin de Craonne et de ses champs de bataille qu’il parcourait à la recherche de traces et d’objets. Veilleur, expert, historien, témoin à charge, il est aussi l’auteur des textes d’un livre de photos sur le Chemin des Dames. Collectionneur de mots et de définitions également, il a livré chaque semaine, jusqu’au jour de sa mort, le 14 octobre 1994, une grille de mots croisés à « L'Express »."

Presbytère : porte du jardin (Photo : Noël Desmons / DR).

Fabienne Nouira-Huet, interview de Gérard Rondeau :

- "Je l'ai beaucoup vu. Cet enfant de troupe, antimilitariste de façade, né des amours d'un soldat de passage avec sa mère, épicière à Bouzy, a hanté toute sa vie, tous ses week-ends le Chemin des Dames. Peut-être à la recherche de son père.

(...)
Bouleversé par la tragédie, Yves a fini par être rejoint par son obsession. Il est enterré dans le cimetière du village détruit de Craonne : il a rejoint lui-même le Chemin des Dames, c'est un véritable destin".(L'Union, 5 octobre 2008).

Cimetière d'un Craonne effacé des cartes par la guerre (Photo : Noël Desmons / DR).

Anarlivres :

- "Bouleversé par la tragédie, Yves a fini par être rejoint par son obsession. Il est enterré dans le cimetière du village détruit de Craonne : il a rejoint lui-même le Chemin des Dames, c'est un véritable destin".

Tombe d'Yves Gibeau, 1916-1994 (Photo Noël Desmons / DR).

En creusant cette tombe dans le sous-bois abritant feu le cimetière du vieux Craonne, les fossoyeurs retirèrent intact un obus. Cette terre-là a connu trop d'égorgements, tant de bombardements aveugles et rendant aveugle, de telles horreurs inimagineables qu'elle ne cesse de vomir son dégoût définitif.
Alors que l'un puis l'autre merle passaient en boucle leurs ritournelles, Noël a tourné une heure sous les feuilles de printemps avant de (re)trouver cette non-croix (approxipmativement à 150 m. de la D. 895).

Lieudit "Bois des Buttes" (Photo Noël Desmons / DR).

Un éclat d'obus y avait percé le casque de Guillaume Apollinaire, le 17 mars 1916. Yves Gibeau se battit comme un beau diable d'écrivain pour qu'une stèle marque la terre où débuta la fin du poète. C'est au "Bois de Buttes", en bordure de la D. 89...

Stèle Apollinaire (1880-1918) "du temps qu'il était artiflot à la guerre" (Photo : Noël Desmons / DR).

Apollinaire :

- "Il siffle des obus dans le ciel gris du nord,
Personne cependant n'envisage la mort."
(Lettre à Lou).



Un livres et un ami, confondus, voyagent pour vous. Cette page l'illustre. Mille et un remerciements à Noël Desmons. Mes excuses de ne pas avoir évoqué, faute d'espace, Lucas Belvaux, Tardi et Jean-Paul Kauffmann.

samedi 23 mai 2009

P. 121. Disparus (en forêt ardennaise)

André Dhôtel
Les Disparus
Phébus libretto
2005, 304 p.

Un geste généreux peut entraîner des conséquences catastrophiques. Ainsi ce "Pays où l'on n'arrive jamais", roman d'André Dhôtel reçu lors d'une remise de prix scolaires. Le livre et son auteur s'en trouvèrent involontairement catalogués bons pour fin d'enfance romantique, pour la cave d'un grenier. Surtout quand Villon, Vian, Conrad, Rabelais et autres Prévert vous brûlaient délicieusement les mains...
Mais Jean Paulhan, mais Jean-Claude Pirotte ne s'y sont pas trompés. Les lecteurs reviennent à Dhôtel. S'excusent de leur frivolité. Ouvent un premier volume presque au hasard. Se remplissent les yeux. Se vident des bruits extérieurs. Partent en vagabondage loin et longtemps...

Donc ces disparus.

Vous y apprendrez "à quoi ça sert" une boussole, objet magique quelque peu négligé par nos temps postmodernes :

- "C'est un malheur à notre époque de mépriser les points cardinaux. On ne fait même plus attention au soleil (...). Tu situes les gens dans la nature. D'abord les commerçants qui se trouvent orientés à l'ouest-sud-ouest sont plus aimables que les autres."
(P. 14).

Vous ne serez nullement surpris d'y retrouver des paysages ardennais à la fois familiers et devenus avec le temps si lointains :

- "L'allée semblait canaliser tous les courants d'air de la plaine, et ça entrait dans le coeur. Casimir regardait avec attention l'ouverture très lointaine de la route à la limite des arbres qui se rapetissaient là-bas. Ce qui dégoûtait Maximin c'était que tout marquait une fin d'histoire, les environs décolorés sans lumière ni ombre, ni rien pour signaler l'heure. On avait l'impression qu'il n'y avait jamais eu d'aurore et que la nuit ne tomberait même pas."
(P. 36).

Et si vous vous sentez avides de vides :

- "Certes on se distrait comme on peut dans un bourg. Si occupé qu'on soit il reste des temps indécis que les gens des grandes villes se croient obligés d'ignorer. Ces champs et ces bois c'était aussi le vide après tout. Alors ce qu'on s'ingénie à faire le plus souvent, sans l'avouer, c'est non pas à remplir ce vide mais à l'agrandir. Idiot de prétendre qu'un vide s'agrandit. C'est pourant comme ça, songea Maximin, lorsqu'il eut lancé son premier air de trompette. Enfin une nécessité apparente."
(P. 82).

Forêt de Saint-Michel (Photo JEA / DR).

- "Morts, crimes ou disparitions avaient eu pour cadre la forêt. Ce fut aussi de l'horizon de la forêt que vinrent les tempêtes qui avaient ravagé le pays. La forêt domaniale, qui comprenait maintes enclaves appartenant au seigneur du lieu, n'avait pas été exploitée depuis longtemps dans les environs de Someperce parce que le terrain, très accidenté et par endroits marécageux, n'aurait permis qu'un rendement médiocre au prix de grandes difficultés. Il y avait presque un siècle les de Rouzy avaient tenté de dégager les alentours d'une vaste clairière, afin d'établir des voies de pénétration qui auraient pu permettre de contourner la région la plus accidentée et de parvenir à exploiter une longue bande parallèle à la lisière également difficile à pénétrer à cause des irrégularités du terrain, falaises de craie, mamelons et gouffres masquaient les premiers arbres. Lors de cette tentative étaient survenus maints accidents dont le souvenir se transmettait de génération en génération. A cette époque on voyait encore des loups. Aussi le mal qui s'attachait aux de Rouzy et du même coup aux Someperçois semblait provenir de la profondeur des bois."
(P. 136).

Silence ?

- "Repanlin se tut longuement. Il ne voulait pas répondre, mais il avait aussi un grand désir de parler, d'autant plus que parler ça ne mène pas beaucoup plus loin que le silence."
(P. 151).

Hiver ardennais :

- "Le temps d'hiver c'est vraiment inépuisable. Vers la fin de décembre, il y eut des gelées. Cela ne donna pas une nouvelle clarté aux jours, malgré le contraste avec les précédents déluges, car il y eut d'abord des brumes basses. Lorsqu'elles se dissipèrent le vent du nord se mit à souffler en tempête et sous un soleil si pâle qu'il semblait encore plus désolant que la pluie."

Portraits d'André Dhôtel, à g. : par Dubuffet (montage JEA / DR).

Vous l'avez deviné, les bois et une clairière sont les personnages principaux :

- "Il y a les bois, dit Repanlin.
- Toujours ces bois, s'écria Maximin.
- La clairière.
- On sait, on sait.
- Vous ne savez rien, dit l'homme."
(P. 204).

Sans jardins et presque sans chemins :

- "Dans la clairière il y avait une floraison d'une folle abondance, digitales, séneçons des forêts, petites centaurées, mélittes, roses de toutes sortes, même des fleurs comme dans la plaine, marguerites et coquelicots. Elles formaient des zones soudain éclatantes, si bien qu'on pouvait se croire soudain au milieu d'une prairie ou d'un parc.
- C'était rassurant si vous voulez, disait Repanlin, mais on se savait encore mieux perdu."
(P. 207).

Clap de fin :

- "Ils regardèrent encore la route. Une voiture passa devant eux après quoi la campagne sembla plus déserte encore qu'elle ne l'avait jamais été. Ils comprenaient maintenant comment Casimir était parti, dans le souvenir de la clairière et de l'amour (...).
De nouveau l'ombre d'un petit nuage s'avança. Après quoi ce fut l'éclairage démesuré des collines et de l'horizon. L'immense clairière était partout (...).
Ils n'arrivèrent à Aigly que dans la soirée par un faubourg de la petite ville. Ils ne savaient pas, ils ne cherchaient pas à savoir qu'ils étaient à Aigly. C'était n'importe quelle ville avec ses voix d'enfants qui jouaient, ses passants emplis de patience à l'approche de la nuit d'été, ses hirondelles, ses trottoirs qui semblaient infinis. Ils dormirent sous l'auvent du magasin de la gare désaffectée. Jamais on ne les revit."
(P. 303).
Landouzy-la-Cour (photo JEA / DR).

jeudi 21 mai 2009

P. 120. J'ai vu le Testament du curé Meslier (100 Euros pour tapage ?)

Jean Meslier. 1664-1729 (DR).

"Mourir pour une religion ne prouve pas qu'une religion soit véritable ou divine; cela prouve tout au plus qu'on la suppose telle. Un enthousiaste, en mourant, ne prouve rien sinon que le fanatisme religieux est souvent plus fort que l'amour pour la vie."
(Le bon sens).

Soit, en langue postmoderne :
"Casse-toi pauv'dieu !"

Quand ils sortent des forêts et de leurs gonds, il y des Ardennais qui secouent comme pas possible les bocaux de formol des certitudes et les idées empaillées. Voyez les voyelles de Rimbaud. Et, avant lui, non pas en enfer mais contre (presque) tous, Jean Meslier, prêtre... athée.

Ed. Julliard :

- "Jean Meslier (1664-1729) curé d’Etrépigny, village des Ardennes, est l’auteur du Mémoire contre la Religion (édition Coda), copieuse somme philosophique débouchant sur une virulente critique sociale et politique de l’Ancien Régime annonciatrice des bouleversements révolutionnaires qui le suivirent, qu’il annonce et qu’il espère.
Son message restera un temps occulté : Meslier n’a rien dévoilé de son vivant, remplissant régulièrement son office sacerdotal. Mais il a laissé trois volumineux manuscrits à découvrir après sa mort, qui vont lentement circuler et où il taille en pièces la religion qu’il a servie durant sa vie au prix d’un drame de conscience.
(Présentation de : Maurice Dommanget, Le curé Meslier. Athée, communiste et révolutionnaire sous Louis XIV).

Un bon sens que d'aucuns préfèrent interdit (DR).

Jean Meslier :

- "Vous connaissez, mes frères, mon désintéressement ; je ne sacrifie point ma croyance à un vil intérêt. Si j'ai embrassé une profession si directement opposée à mes sentiments, ce n'est point par cupidité : j'ai obéi à mes parents. Je vous aurais plus tôt éclairés si j'avais pu le faire impunément. Vous êtes témoins de ce que j'avance. Je n'ai point avili mon ministère en exigeant des rétributions qui y sont attachées.
J'atteste le Ciel que j'ai aussi souverainement méprisé ceux qui se riaient de la simplicité des peuples aveuglés, lesquels fournissaient pieusement des sommes considérables pour acheter des prières. Combien n'est pas horrible ce monopole ! Je ne blâme pas le mépris que ceux qui s'engraissent de vos sueurs & de vos peines témoignent pour leurs mystères & leurs superstitions ; mais je déteste leur insatiable cupidité & l'indigne plaisir que leurs pareils prennent à se railler de l'ignorance de ceux qu'ils ont soin d'entretenir dans cet état d'aveuglement.
Qu'ils se contentent de rire de leur propre aisance, mais qu'ils ne multiplient pas du moins les erreurs, en abusant de l'aveugle piété de ceux qui par leur simplicité leur procurent une vie si commode. Vous me rendez sans doute, mes frères, la justice qui m'est due. La sensibilité que j'ai témoignée pour vos peines me garantit du moindre de vos soupçons. Combien de fois ne me suis-je point acquitté gratuitement des fonctions de mon ministère ! Combien de fois aussi ma tendresse n'a-t-elle pas été affligée de ne pouvoir vous secourir aussi souvent & aussi abondamment que je l'aurais souhaité ! Ne vous ai-je pas toujours prouvé que je prenais plus de plaisir à donner qu'à recevoir ? J'ai évité avec soin de vous exhorter à la bigoterie ; & je ne vous ai parlé qu'aussi rarement qu'il m'a été possible de nos malheureux dogmes. Il fallait bien que je m'acquittasse, comme Curé, de mon ministère. Mais aussi combien n'ai-je pas souffert en moi-même, lorsque j'ai été forcé de vous prêcher ces pieux mensonges que je détestais dans le coeur ! Quel mépris n'avais-je pas pour mon ministère, & particulièrement pour cette superstitieuse messe, & ces ridicules administrations de sacrements, surtout lorsqu'il fallait les faire avec cette solennité qui attirait votre piété & toute votre bonne foi ! Que de remords ne m'a point excités votre crédulité ! Mille fois sur le point d'éclater publiquement, j'allais dessiller vos yeux ; mais une crainte supérieure à mes forces me contenait soudain, & m'a forcé au silence jusqu'à ma mort."

De la main de Jean Meslier (DR).

- "Unissez-vous donc, ô peuples ! unissez-vous tous, si vous avez du cœur, pour vous délivrer de vos misères communes. Commencez d'abord par vous communiquer secrètement vos pensées et vos désirs. Répandez partout le plus habilement possible des écrits semblables à celui-ci par exemple, rendez odieux partout le gouvernement tyrannique des princes et des prêtres. Secourez-vous dans une cause si juste et si nécessaire et où il s'agit de l'intérêt commun de tous les peuples..."

- "Retenez pour vous-mêmes ces richesses et ces biens que vous faites venir à la sueur de votre corps, n'en donnez rien à tous ces superbes et inutiles fainéants, rien à tous ces moines et à ces ecclésiastiques qui vivent inutilement sur la terre, rien à ces orgueilleux tyrans qui vous méprisent... que vos enfants, vos parents, vos alliés quittent leur service, excommuniez-les de votre société. Ils ne peuvent pas se passer de vous, vous pouvez vous passer d'eux et n'ayez pas d'autre religion que de maintenir partout la justice et l'équité, de vous aimer les uns les autres et de garder inviolablement la paix et la bonne union entre vous."
(Extraits du Testament).


Masque funèbre de Jean Meslier (Graphisme JEA / DR).

Jean Meslier :

- "L'homme, aveuglé par des préjugés religieux, est dans l'impossibilité de connaître sa propre nature, de cultiver sa raison, de faire des expériences; il craint la vérité dès qu'elle ne s'accorde pas avec ses opinions. Tout concourt à rendre les peuples dévots; mais tout s'oppose à ce qu'ils soient humains, raisonnable, vertueux. La religion ne semble avoir pour objet que de rétrécir le cœur et l'esprit des hommes."

Bibliographie sommaire :

- Jean Meslier, Mémoire des sentiments et pensées de Jean Meslier, 3 tomes, éd. Anthropos.
- Curé Meslier, Mémoire, Exils.
- Maurice Dommanget, Le curé Meslier. Athée, communiste et révolutionnaire sous Louis XIV, Julliard. - Marc Bredel, Jean Meslier l'enragé. Prêtre athée et révolutionnaire sous Louis XIV, Balland
- Gustav René Hocke, Labyrinthe de l'art fantastique, Médiations.

- Ed. Coda :
"Nous reproduisons l'intégralité du Mémoire tel qu'il figure sur l'un des trois manuscrits originaux conservés, à l'exclusion de toute copie ou édition fragmentaire. Toutefois, considérant le combat du curé Meslier comme actuel nous avons actualisé l'orthographe et la ponctuation, devenues aujourd'hui obsolètes et parfois indéchiffrables. L'édition intégrale de cet ouvrage exceptionnel, unique, souhaite rendre justice au courage intellectuel et à la puissance visionnaire de cet humble curé, premier écrivain ouvertement athée de notre histoire."

NB : Que Noël Desmons soit remercié, lui qui, remontant l'histoire sur sa moto et avec panache, s'arrêta tout retourné à Etrépigny pour en ramener l'idée de cette page.

mardi 19 mai 2009

119. Cartes mises en seine et qui se moquent de l'heure


Cartes postales
pour celles et ceux qui,
au vu et au su de leur main tournée vers les nuages,
se sentent paumés...

Quand on ressemble à un clou planté dans le plancher des vaches
que les calendriers ont épuisé leurs réserves de patience et d'indifférence

une carte venue d'ailleurs
retournerait un instant le miroir de la solitude
contre le mur des silences fédérés.

La Mailleraye-sur-Seine (Photo JEA / DR).

Partout cidre, pommeau et calvados, à n'en avoir plus soif. Un bouquet épineux de six roses offert à la place du foie.
Mais à l'aboutissement de son impasse, une renardière ne distille que de l'eau de vie à base de regrets non éternels. Ce n'est pas gravement dramatique. Pas follement gai non plus. Léger. Réel. Le passé n'est pas joué aux dés. Il se plante parfois, dans un jardin, par les chemins.

Carrousel 1900 (JEA / DR).

Ah, Etretat ! Comment ne pas comprendre le nombre élevé et répété des suicides qui s'y succèdent ? Saccagé, le site est affreusement cafardeux. Avec un casino comme une énorme et affreuse crotte architecturale qui bouche (d'égoût) l'accès à la "plage" et la "vue imprenable" sur les aiguilles à tricoter les touristes.
J'y croisai des Asiatiques masque anti-peste porcine sur le visage. Et ne cessant de consulter par gsm leur hôpital préféré du soleil levant pour s'entendre confirmer qu'ils n'agonisaient pas encore.
D'où cet amical conseil : laissez tomber l'Etretat en si piteux état des cartes routières et montez sur un carrousel 1900 pour retrouver "les chevaux de la mer".

Fécamp (Photo JEA / DR).

L'amertume à marée haute
les flots rongent les ongles
de leur écume
et leurs yeux se rouillent

les marins ne sont plus au loin
rendus d'un grand si large
eux qui cherchent leurs mots
pour demander un avant-avant-dernier
au comptoir des quais délaissés.

Fécamp, Quai Bèrigny (Photo JEA / DR).

Attention, DANGER !
Il est prudent de passer une camisole de force avant d'oser poser un premier pas dans cette librairie... Sinon, pauvres de vous, munissez-vous de malles à bagages et de cartes de crédit, je vous le prédis.
Voici dix ans, j'y postulai à titre bénévole, un emploi de gardien de nuit. Ceux des phares disparaissent. Ce n'est pas une raison pour désespérer et généraliser. L'éclat des livres permet aussi de louvoyer parmi les recueils des écueils.
NB : Ma candidature est renouvelée. Rien ne vous interdit de l'appuyer amicalement.

Quillebeuf-sur-Seine (Photos JEA / DR).

Vous avez vu ? Les Animaux passent avant les Artistes !
Peut-être parce que les premiers sont capables de dévorer les seconds, eux qui n'osent pas leur rendre la pareille ?
Mais quel public va-t-il prendre place sur les gradins dans les parfums de sciure de bois et de toile de chapiteau humide ?
Quillebeuf est comme un oeuf vide ne se prenant même pas pour un boeuf. J'y parvins en même temps (et sans lien de cause à effet) qu'une grande échelle des pompiers, une ambulance, et quelques autres véhicules d'un rouge pétant des flammes. L'étroite rue centrale en était enkystée.
Vous imaginez le manque de discrétion des "soldats du feu". Eh bien. Si deux Quillebeufois ont mis la tête à leur fenêtre et si un troisième est descendu de son vélo, c'est le grand maximum.
D'où cette crainte que les 19 et 20, les Animaux et les Artistes ne soient bien plus nombreux que les spectateurs venus au Cirque Fricheteau.

Honfleur, Quai St-Etienne (Photo JEA / DR).

Mais non, ces chevaux ne pratiquent pas la langue de bois. Ceux d'Honfleur saluent d'ailleurs leurs copains de Barfleur.

Ici, il manque d'enfants. Seuls défilent des accablés par leur scolarité, des encadrés par quelques adultes visiblement responsables :
- "Vous regardez bien à gauche, là, c'est une bouée de sauvetage. Si vous tombez à l'eau, vous serez sauvé !" (Ah oui, une bouée pour trente gosses, pardon mais ça fait optimiste ou mesquin).
- "Y'en a qui se laissent distraire ! Ecoutez-moi plutôt que de regarder ce carrousel, enfin, voyons, ce n'est plus de votre âge " (Hélas pas non plus de l'âge des retraités en pagaille sur le quai. Rattrapés par leurs cheveux blancs, ils se laissent gentiment arnaquer par trois marchands de croûtes).

Si j'étais l'UNESCO (excusez du peu), je proclamerais ces carrousels : "bienfaiteurs de l'humanité".


Près St-Quentin (Photo JEA / DR).

Retour. Deux arcs-en-ciel levés du pied gauche, celui qui abrite un trésor unique : les Ardennes.
Un instantané qui rejoint ceux - talentueux - de Dominique Hasselmann et de Zoë Lucider.

vendredi 15 mai 2009

118. Les Ardennes ne manquent pas de fonds

Sous les nuages, une plage ardennaise (Photo JEA / DR).

Toponymie (13) : aux fins fonds des Ardennes

Fond au Charme,

Fonds d’Arreux, d’Aubigny, d’Auge, d’Avançon, d’Avaux,
d’Outy,

Fonds de l’Hermite, de l’Homme Mort,

Fonds de Barbasse, de Baudet, de Bertrimont, de Blusson, de Bouge, de Bouzonval, de Brivaux,
de Caupy, de Chanveau, de Chaudière, de Chauvière, de Chauvigny, de Coirolle, de Courtval, de Crapeau,
de Flaba,
de Grand Val,
de Lame, de Lavau, de Limon, de Lobiet, de Logny, de Lor, de Lord de Magne, de Lorvinval, de Louvel, de Luison,
de Maugeart, de Merlan, de Mesancelle, de Morval,
de Naive, de Nant, de Nival, de Nivalette,
de Puiseux,
de Rangeval, de Ravau, de Relinval, de Renauvaux, de Rocan, de Rouge Poirier, de Rème Vaux,
de Scegeveaux, de Sénicourt,
de Theisse, de Tillu, de Trogne, de Turgeon,
de Verlet, de Vigile, de Vrainvau,


Les Mazures (Photo JEA / DR).

Fonds de la Borne Cornue, de la Broche d’Or,
de la Chaussée, de la Côte Cabaret, de la Croisette,
de la Fayene, de la Fosse au Mortier,
de la Gaulle, de la Gloie,
de la Louvette,
de la Maie, de la Mesancelle,
de la Naue, de la Noue des Planes,
de la Presle,
de la Racine,
de la Valette, de la Vau,

Fonds des Barres, des Bergers, des Bœufs, des Brousses, des Bruyères,
des Carreaux, des Clercs, des Crits,
des Deux Chênes,
des Evilliers,
des Hayes, des Houis,
des Nonnes,
des Rebroutins, des Ribauds,
des Suettes,
des Veaux, des Vignes,

Fonds du Bec du Clapier, du Bochet, du Baudet, du Bois Prouvé, du Bon Poirier,
du Caillou, du Coq,
du Gué,
du Moulin,
du Pain, du Part, du Petit Noyer,
du Radois,
du Sort,


Arc-en-ciel partant des Ardennes vers l'aventure... Grand Nord ? Plein Sud ? Midi ? Soleil de minuit ? (Photo JEA / DR).

Fonds Barré, Bida, Bodoux, Boron, Briquet,
Cahors, Catin, Casot, Cloet, Crampe,
Dagot, Delva, Gravier,
Magdeleine, Marat,
Notre-Dame,
Pau,
Raulet,
St-Vincent, Stamet, Soilu,
Thierry,
Vaudon.


mercredi 13 mai 2009

P. 117. Mai 1940 et 1941 sous la plume de "Français en résistance"

Ce ne furent vraiment pas de jolis mois de Mai...

La collection Bouquins propose un nouveau volume sur les Français en Résistance, Carnets de guerre, correpondances, journaux personnels. (1)
Cette édition établie et présentée par Guillaume Piketty, rassemble des écrits de :
- Charles d'Aragon, Journal de guerre (1940-1942) ;
- Diego Brosset, Carnets de guerre, correspondances et note (1939-1944) ;
- Pierre Brossolette, Lettres à son épouse (1939-1943) ;
- Gabriel Brunet de Sairigné, Carnets et lettres (1940-1945) ;
- François Garbit, Lettres à sa mère (1940-1941) ;
- René Génin, Lettres (1939-1941) ;
- Claire Girard, Lettres (1939-1944) ;
- Philippe Leclerc de Hautecloque, Lettres et discours (1940-1945) ;
- Louis Martin-Chauffier, Journal et lettres (1939-1944) ;
- René Pleven, Correspondances (1939-1945) ;
- Lazare Rachline, Carnets et lettres (1940-1944).

Les lecteurs de ce blog n'y trouveront pas d'éventuels échos quant à des querelles sur le choix et la représentativité de ces résistants.
L'intérêt de leur lecture réside dans l'importance individuelle de chaque témoignage. Maintenant que les acteurs de cette époque noire se raréfient en conséquence des outrages du temps. Maintenant que les chapes de plomb de non-dits, de non-diffusions se fissurent voire même partent en éclats.

A une lecture successive de ces témoignages, il a été préféré ici une lecture transversale. Comment ces quelques résistants ont-ils vécu à des dates précises, les deux premiers mois de Mai de la Seconde guerre mondiale ?

Stèle au nom de Claire Girard (2) à Courdimanche, là où elle fut abattue après avoir participé à la libération de Paris (DR).

Claire Girard, Mai 1940 :

- "Dans ce chaos de souffrances, de misère, tes fiançailles sont comme une lueur. L'amour, la paix existent malgré tout. Malgré tout ce que nous avons subi et pourrons subir encore, la vie vaut la peine de vivre. Tout à l'heure, j'entendais à la TSF un concerto de Mozart, que c'était donc joli ; les valeurs de la vie, l'art, la beauté sous toutes ses formes (le soleil levant sur la mer, quand tu pars le matin et que l'eau nappe tout doucement les premiers rayons) et l'amour existent encore, ou autrement...ou plutôt non, il n'y a pas d'autrement, cela n'est pas possible."
(P. 646).

Louis Martin-Chauffier (3), L'homme et la bête, folio, 1995, 225 p.

Louis Martin-Chauvier, 20 mai 1940 :

- "Trois militaires casqués : Nicolas et deux copains. A la débandade. Tel. Point de fuyards. Des hommes à qui l'on a dit : "Débrouillez-vous." Désespérés. De n'être pas commandés ; d'être trahis par leurs chefs (trahis veut dire abandonnés). Nicolas, comme un homme ivre, hurlant (et il avait raison) : "C'est toute la France qu'il faut refaire." Vingt-sept fois, il faillit être tué ; il pleurait de peur sous les bombes, et pourtant n'aurait pas lâché sans ce "sauve qui peut" des officiers. Ils ont, avec leur voiture (la sienne est bousillée) évacué des civils. Il souffre atrocement, le pur, ce désarroi d'un pays dont la tête flanche. Je n'ai, pendant la dernière guerre, rien vu de si affreux que le désespoir de ces trois bons soldats arrivés dans un immeuble de l'avenue Henri-Martin quand ils veulent sauver le pays qui ne mérite peut-être pas tant de sacrifices.
C'était fatal. Les nationalistes étaient, demeurent (c'est eux les lâches officiers) antipatriotes : crève la république et la France avec elle."
(P. 730). Général Diego Brosset (4), timbre de 1971 (DR).

Diego Brosset, 24 mai 1940 :

- "Les troupes allemandes après avoir franchi la Meuse, s'être frayé un passage à travers les troupes françaises sur une largeur de 200 km, ont atteint les bords de la mer, enveloppant les troupes alliées de la région de Lille et du nord-ouest de la Belgique. Amiens, Arras, Abbeville après Saint-Quentin sont tombées et voici qu'on parle de Boulogne et de Calais. Or on nous avait dit tantôt qu'Arras n'est occupée que par quelques motocyclistes, tantôt que le couloir foré au coeur de nos arrières n'est occupé que par 50 000 Allemands, alors on ne comprend plus. Pourtant il est aisé de comprendre que nous nous sommes lourdement trompés. Manquant d'imagination et de vitalité nous n'avons pas voulu admettre la supériorité de l'audace et l'audace méprisée a été versée au magasin d'accessoires. Le courage pour les Français se résume depuis vingt ans dans la volonté de tenir (...).
Notre imagination engourdie est si longue à se mettre en branle que nous n'imaginons pas encore l'attaque de l'Angleterre peut-être imminente et moins encore la défaite, ses conséquences, l'occupation allemande en France, la disparition des fortunes, l'impossibilité de vivre comme des hommes libres.

Il serait curieux de vivre pour voir ces choses et, tristement, il faut avouer qu'il est vain de mourir avec résignation."
(PP. 134-135).

René Génin (5), 27 mai 1940 :

- "Quoique je sois, par ma fonction, au centre de nouvelles défavorables, puisque j'ai la charge de surveiller l'adversaire, je t'assure que je ne mets pas en doute notre prochaine victoire. Les Allemands jouent le grand jeu, abattent toutes leurs cartes, mais ils s'épuisent et bientôt le colosse aux pieds d'argile roulera par terre."
(P. 608).
Timbre à l'effigie de Pierre Brossolette (6) qui s'est suicidé par volonté de ne pas risquer de parler sous la torture. (DR)

Pierre Brossolette, 28 mai 1940 :

- "La mesure du malheur et de la bassesse est aujourd'hui à son comble. Je croyais avoir prévu le pire, et le pire est maintenant dépassé. Mais que veux-tu ? Il n'y a qu'à continuer dans la douleur, l'angoisse et le courage. Je crois qu'il n'y a rien d'autre à dire aujourd'hui, si ce n'est de redire que nous nous aimons, prêts à faire face à tout."
(P. 428).

Louis Martin-Chauffier, 17 mai 1941 :

- "19h15. Il semble bien que le déshonneur soit accompli, et que l'amiral Darlan, à Berchtesgaden, ait fait de la France une complice. Après avoir perdu la guerre contre les ennemis, le gouvernement veut en perdre une autre, avec eux. Rejeter la France dans la guerre, dont la capitulation prétendait la sortir et renier tous les engagements pris par ce même chef au pouvoir. Pétain peut dire : "Je tiens les promesses, même celles des autres", dans un français douteux, ce n'est qu'un mensonge de plus. A quoi bon vivre si vieux, pour survivre à son honneur ?"
(P. 831).


Aux eaux de Vichy, le Maréchal, l'amiral Darlan et l'inévitable cravatte blanc douteux de Laval (DR).

Gabriel Brunet de Sairigné (7), 18 mai 1941 :

- "Nous (8) entrons en Palestine à Beersheba (l'ancienne Bethsabée) ; premières oranges. Le pays, déshérité s'il en fut, est couvert de cultures qui iront s'amplifiant lorsqu'on approche de la côte. La route côtière est atteinte à Gaza, ville sans caractère. C'est désormais une suite interminable de camps australiens. L'un d'eux nous est réservé : celui de Qastina."
(P. 485).

René Pleven (9), "fidèle parmi les fidèles à de Gaulle" (DR).

René Pleven, 18 mai 1941 :

- "J'ai passé la plus grande partie de la journée au bureau, tâchant de prévoir les réactions et conséquences de l'ultime capitulation du Maréchal, qui risque d'avoir dans l'histoire de France la page réservée aux fossoyeurs de la nation. Rien de ce qui arrive ne me surprend. Les capitulations en entraînent d'autres (...)

Pour le moment, nous luttons partout. En Afrique, en France, dans les deux zones, ici et dans le monde entier pour résister à la vague de mépris qui monte chez les autres peuples pour ce pays qui en pleine guerre, se roule aux pieds du vainqueur. A tous, nous répétons que Vichy n'est pas la France, mais arriverons-nous à le faire croire ?"
(PP. 992-993).

Charles d'Aragon (10), La résistance sans héroïsme, Genève, Ed. du Tricorne, 2001, 256 p. (DR).

Charles d'Aragon, 19 mai 1941 :

- "J'ai suivi les dernières étapes de l'agonie de la France. A moins d'un miracle, la liberté et la dignité de mon pays sont choses qu'on ne peut plus espérer revoir que dans une ère nouvelle. Les entretiens de Berlin laissent croire que dans peu de jours la France sera amarrée avec des rivets de fer au char du vainqueur. Collaboration économique, politique, demain collaboration militaire, collaboration spirituelle déjà. La tragique farce de la Révolution nationale n'aura évoqué les grands souvenirs de la France chrétienne et chevaleresque que pour les ensevelir "dans un linceul de pourpre où dorment les Dieux morts". Hélas ! ce n'est même pas un linceul de pourpre.

Jours de honte où tout ce qui faisait le patrimoine spirituel de ce pays et de ce temps est perdu dans je ne sais quel misérable trafic. Fini, tout ce qui rendait la vie belle. Nous connaîtrons des années de fer, mais pour nous, ce sera le fer dont on charge les esclaves."
(PP 57-58).

NOTES :

(1) Robert Laffont, 2009, 1168 p.
(2) Claire Girard, 1921-1944. Directrice - femme et à 22 ans - de coopérative agricole. Venant de Paris libéré, est arrêtée le 27 août 1944 par les Allemands en déroute lors d'un contrôle à Cergy. Abattue comme "terroriste" à l'orée d'un bois de Courdimanche.
(3) Louis martin-Chauffier, 1894-1980. Directeur littéraire de Match et éditorialiste politique à Paris-Soir. Ses expériences professionnelles lui donnent une place singulière au sein de la rédaction du Libération clandestin. Arrêté en qualité de résistant. Fort-Monluc (Lyon), Compiègne, Neuengamme, Bergen-Belsen. Rescapé de la déportation.
(4) Diego Brosset, 1898-1944. En mission militaire française en Colombie, gagne Londres pour rejoindre de Gaulle et recevoir le grade de lieutenant-colonel. Campagne de Tunisie. Promu général de brigade en juin 1943. A la tête de la 1ère Division Française Libre pour la campagne d'Italie. Débarquement de Provence. Libérations successives jusqu'aux Vosges. Se tue au volant de sa jeep à Champagney, Haute-Saône.
(5) René Génin, 1900-1941. A la déclaration de guerre, chef de bataillon affecté au 2e Bureau de l'état-major du Grand quartier général. En 1941, rejoint les FFL de la brigade d'Orient. Tué par une balle française mais vichyste le 17 juin 1941. Mort "stupide" lors de la prise d'Ezraa et ce, dans le cadre de la campagne du Levant.
(6) Pierre Brossolette, 1903-1944. Journaliste de vocation mais aussi militant socialiste. Mobilisé, le capitaine Brossolette refuse d'être capturé par les troupes allemandes. Il entre en résistance organisée dans le groupe du "Musée de l'homme". Appelé à Londres en avril 1942. D'Angleterre, il va effectuer trois missions en France. Et reculer malgré les demandes de Londres son retour en Grande-Bretagne. Arrêté le 3 février 1944 après un échec de départ par mer en Bretagne. Transféré à Paris, se suicide le 22 mars après plus de deux jours de tortures.
(7) Gabriel Brunet de Sairigné, 1913-1948. En juin 1940, a participé à la campagne de Norvège au sein de la Légion étrangère. Volontaire pour les FFL en Angleterre. Lybie, Bir Hakeim, El Alamein, Tunisie, Italie, débarquement de Provence, Vosges, Alsace. La fin de la guerre le voit chef d'état-major de la Division Française Libre. Perd la vie au combat en Indochine.
(8) La 1ère division légère française libre sous les ordres du général Lengentilhomme.
(9) René Pleven, 1901-1993. A la mobilisation, est à Londres comme adjoint de Jean Monnet qui dirige le Comité de coordination franco-britannique. Devient le second de de Gaulle. Après la libération, assumera une foultide de fonctions ministérielles (Colonies, Finances, Garde des sceaux etc). Fut aussi président du groupe libéral à l'Assemblée parlementaire européenne.
(10) Charles de Bancalis de Maurel, marquis d'Aragon, 1911-1986. Engagé dans le mouvement Liberté. Après une fuite obligée en Suisse, revient à Paris fin de l'hiver 43-44 comme adjoint de Pierre-Henri Teitgen. Puis commande une des quatre zones militaires dans le Tarn et devient vice-président du Comité départemental de libération.