Publiée chez Robert Laffont en 2007, la Mémoire cavalière de Philippe Noiret vient d'être rééditée dans Le Livre de Poche (n° 30921).
Cet anarchiste (il insiste) en... Rolls Royce, cancre total ayant taillé sa voie au théâtre (TNP de Vilar) puis au cinéma (lire la page 58 des plages d'Agnès Varda), éclaire de l'intérieur chacun des très nombreux films qu'il a imprégnés de sa silhouette et de sa voix uniques.
Pour vos projections de fin d'année, le blog programme quatre de ces films qui cultivèrent ce superbe paradoxe de rendre lumineuses les salles obscures.
1967 : Alexandre le Bienheureux.
Philippe Noiret :
- "A l'origine, il y avait une nouvelle qu'Yves {Robert} avait écrite. Je l'avais trouvée formidable... Une fois de plus, nous étions dans ce territoire cher à Yves, pas très loin de Louis Pergaud, ou du Jules Romains des Copains. Comme on sait, Alexandre est un agriculteur surexploité par une épouse autoritaire, la Grande, que jouait Françoise Brion. Lorsque cette dernière passe l'arme à gauche dans un accident de 2CV, il décide tout bonnement de cesser de travailler, et la fureur scandalisée d'une bonne partie du village ne change rien à l'affaire. Avec ce désir de bousculer l'ordre établi, de revendiquer le droit à la paresse et d'accéder à la jouissance, le film reniflait déjà de façon prémonitoire l'atmosphère de Mai 1968." (PP. 205-206).
- "Nous tournions dans un village de la Beauce, et l'atmosphère était celle des grandes vacances. Les habitants étaient joués par d'excellents acteurs comiques. Paul Le Person était formidable en paysan accablé d'enfants binoclards... Quant à Pierre Richard, curieusement vêtu de treillis militaires, c'était son premier film... Tsilla Chelton jouait une terrifiante épicière... Pour la première fois, je tournais avec Jean Carmet, ce merveilleux fou surréalisant..." (PP. 206-207).
1975. Le Juge et l'Assassin.
Philippe Noiret :
- "Pour jouer l'assassin Emile Bouvier, le choix de Michel Galabru a pu étonner bien des gens, sauf ceux du métier. nous savions tous, en effet, que Galabru était un immense acteur... Tout de suite j'ai senti que Michel serait prodigieux en "anarchiste de Dieu", appuyé sur le verbe. Mon personnage du juge Rousseau, en revanche, était d'une telle complexité larvée, toute en retenue, qu'il fallait dessécher les choses. Sa personnalité, peu ragoûtante, obligeait à faire passer les choses en contrebande. Tout l'enjeu était de réussir un équilibre avec l'exubérance de Bouvier, l'assassin. En terme de spectaculaire, je savais que le personnage que brosserait Michel serait plus payant que le mien. Désireux de servir le film, je n'ai pas voulu me laisser tenter par la compétition et orienter mon personnage dans une voie analogue." (PP. 342-343).
- "Pour la première fois, j'avais pour partenaire Isabelle Huppert, qui était Rose, ma jeune maîtresse. Je l'ai trouvée parfaite... Le procureur était interprété par Jean-Claude Brialy. Il avait composé un très beau personnage de désespéré souriant, léger, ignoble et humain, porteur d'une blessure secrète, retour des pays chauds. Il avait le trac, et j'avais été très touché de découvrir cela chez un acteur de cette qualité... Sous la défroque d'un chanteur des rues, je retrouvais Jean-Roger Caussimon, que j'avais croisé autrefois dans les cabarets... Accompagné par un grand de l'accordéon, Marcel Azzola, il chantait la légende du tueur. Dans le cinéma français, il existe une vieille tradition qui consiste à faire appel à des chanteurs populaires. Jean Renoir, par exemple, y recourait souvent, à la fin de La Chienne, par exemple, ou au début de La Grande Illusion. Tavernier s'inscrivait dans cette tradition."(PP. 343-344).
Philippe Noiret :
- "Un jour de 1988, il {Alexandre Mnouchkine} m'a fait passer le scénario d'un réalisateur italien, Guiseppe Tornatore, qu'il s'apprêtait à coproduire et qui s'intitulait Cinema Paradiso. Je m'y suis immédiatement plongé, et j'ai été absolument emballé par ma lecture, au point d'avoir, dans les dernières pages, les larmes aux yeux... Cinema Paradiso était un mélodrame pur et dur, implacable. il est impossible de ne pas être bouleversé par cette histoire, chronique d'une amitié entre un simple artisan, projectionniste de cinéma nommé Alfredo, et un petit garçon cinéphile, Savatore dit Toto. A travers un cinéma de la campagne sicilienne, le film suit l'évolution du septième art, de l'époque où il était le spectacle populaire par excellence, jusqu'à son déclin et sa fin. Lorsque le vieil Alfredo meurt, la télévision a pris la place du cinéma de façon irrémédiable. Plus que celle du cinéma en général, Cinema Paradiso établit le constat mélancolique de la mort d'un certain cinéma, celui qui était au centre des joies et des peines des hommes, qui touchait toutes les classes sociales et qui réussissait cette prouesse de les réunir dans une salle obscure." (PP. 435-436).
- "Ce n'était pas forcément évident de transformer un acteur bourgeois français en artisan paysan sicilien. Je crois que nous avons gagné notre pari. La silhouette, la tête à moustache, le crâne ras, tout cela était plutôt vraisemblable. Je portais une chemise sans col, un bleu, de grosses chaussures. Lorsque nous sommes arrivés sur le lieu de tournage, un village perdu au centre de la Sicile, non loin de Corleone, qui s'appelait Palazzo Adriano, nous avons eu tout loisir de conforter nos intuitions... Tout au long du film, on voit vieillir Alfredo. Mis à part la lente progression du gris dans les cheveux, les transformations étaient à peine apparentes. Cela passait moins par le physique que par la psychologie. J'étais anxieux de ne pas le rater, d'arriver à donner ce que je reniflais de sa richesse." (P. 436).
1994. Il Postino - Le Facteur.
Philippe Noiret :
- "Physiquement, Pablo Neruda était très différent de moi. Pas très grand, un peu rondouillard, il était très brun de cheveux avec un profil d'aigle. Nous avons donc évité de faire un portrait. Nous nous sommes contentés de nous inspirer de détails glanés dans les photographies d'époque, le col de chemise étalé sur la veste, la casquette de toile... Grâce au costume, on pouvait y croire. Je ne voulais pas donner de Neruda une image enjolivée. Dans le film, le militant communiste, l'opposant chilien est moins présent que le poète, délégué en consultation au chevet de l'amour. Je voulais aussi rendre le comportement d'un personnage important qui décide de s'occuper d'une personne du commun. Car il a beau être communiste, il y a des moments où cela fatigue un petit peu, cette affaire-là. Chez lui, on ne sent pas une disponibilité entière, spontanée, de tous les instants..." (P. 490).
- "Au large de la Sicile, très proche de la côte africaine, le chapelet des îles Eoliennes est particulièrement beau. Salina {lieu du tournage} se trouve juste en face de l'île de Stromboli... Ce tournage a été un moment très fort. Cela s'est terminé par la mort de Massimo. Il a fini de tourner son film un vendredi soir, à Rome. Il s'est éteint le lendemain, pendant la sieste du samedi. Sa vie s'est arrêtée avec son film." (P. 491).
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