DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

mercredi 24 décembre 2008

P. 60. Autres temps, autres Noëls.

(Photo JEA, RV. DR).


1940.

Jean Zay.
Souvenirs et solitude, Ed. de l'aube, La Tour d'Aigues, 2004.
Extrait de son Journal rédigé alors au Haut-Fort Saint-Nicolas de Marseille où il est incarcéré sur ordre de Vichy.
Jean Zay sera assassiné par la Milice le 21 juin 1944.

- "Soir de Noël. Je n'attendais rien et, cependant, quand, à 7 heures du soir, comme à l'ordinaire, la lumière fut brutalement coupée, alors que je n'avais pas encore gagné mon lit, ce fut comme si je recevais un coup. Dans la nuit, nous avons entendu les cloches de Marseille. Personne ne dormait. Derrière leurs grilles, mes voisins se sont mis à chanter et ce n'était point des cantiques. Pourtant le moindre refrain de music-hall avait une allure solennelle. Couché sur le dos, dans ma minuscule cellule qui ressemblait à une boîte sans couvercle, je contemple la voûte lourde et élevée; des reflets de lune se jouent sur les pierres blanchies à la chaux, leur donnent une profondeur étrange et l'on dirait le plafond "atmosphérique" d'un cinéma parisien dernier cri."

1941.

L'Appel (25 décembre).
Hebdomadaire créé par Pierre Costantini,
organe de la Ligue française d'épuration, d'entraide sociale et de collaboration européenne.

- "C'est dans les couloirs d'une très importante maison de films qui fournit au marché européen et français la majeure partie de sa production qu'on peut rencontrer le principal délégué du Parti communiste au cinéma, membre directeur de la maison de la culture et, de plus, Juif célèbre, Jean-Paul Dreyfus. A quoi servent les camps de concentration ?"

1942.

Georges Waysand.
Estoucha, Récit. Denoël, Paris, 1997.

- "Noël 1942 approchait. Mauricette {amie d'Estoucha} invita officiellement pour le réveillon {à La Bassée} un Soviétique {prisonnier de guerre mis au travail dans une mine du Nord} qui ne lui déplaisait pas. Estoucha {mère de l'auteur} se lança pour l'occasion dans un exercice de sémiologie pâtissière militante. Avec zéro % de farine elle prépara une tarte qui valait sûrement plus par sa décoration que par son goût. C'était une étoile rouge en purée de betterave entourée d'un marteau et d'une faucille découpés dans un navet. L'emblème de l'armée rouge fit son petit effet, le Soviétique était un capitaine. Dans son langage d'organisatrice Estoucha ajoute : "Son passage dans les rangs de FTP {francs-tireurs et partisans} fut décidé".

C'est-à-dire qu'il fut d'accord pour s'évader."

1943.

Pierre Dac.
Compte de Noël, journal France, publié à Londres.

- "Noël d'exil. Noël pendant lequel mon coeur et ma pensée s'en vont réveillonner avec tous mes camarades enchaînés, avec ceux qui célèbrent la nuit du divin amour en cellule, dans un camp, dans le maquis ou dans la pauvre terre des suppliciés. Je sais, par expérience, comment se passe Noël entre quatre murs ou en marge de ce que la voyoucratie de Vichy appelle la légalité. Je sais aussi que Noël prochain reprendra sa véritable signification et que ce Noël de liberté, beaucoup des meilleurs d'entre nous ne seront plus là pour le fêter. Alors, vous comprenez, n'est-ce pas, pourquoi, malgré mon désir, je n'ai pu écrire, cette fois, un article amusant. Il y a en moi trop de peine, dans mes yeux trop de larmes refoulées à force de serrer les poings, trop d'affection pour tous ceux avec qui j'ai mené tant que j'ai pu, le combat quotidien."

Léon Werth.
Déposition, Journal 1940-1944, Viviane Hamy, 1992.

- "25 décembre.
Qui, considérant les actes de cruauté des Allemands, peut ne pas haïr l'Allemand ? Regarder cette haine en face. Il faut regarder cette haine en face. Faut-il céder complètement ? Peut-on croire qu'un monde nouveau, un monde moins abject peut naître de cette haine ? Que faut-il faire de cette haine qui est en nous ? Que faudra-t-il faire de cette haine, quand les motifs n'en seront plus que dans le passé ? Le pire serait d'oublier. Le pire serait de tout abandonner à cette haine. Et comment faudra-t-il punir ? Quelles punitions seront efficaces ? Oui, comment faudra-t-il nous comporter avec notre haine ? Avec notre haine des Allemands, qui tuèrent et torturèrent, avec notre haine des Français qui furent leurs complices ?
...
Message du maréchal. La voix ne chevrote pas, elle tremble, comme tremble un bloc de gélatine."


Caricature de Philip Zec (The Daily Mirror) DR.

Aucun commentaire: