DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

dimanche 14 décembre 2008

P. 55. Après ceux de Louis Barthas, les Carnets d'Edouard Coeurdevey


Quatrième de couverture :

- "Ecrites au fil de la plume, sans presque aucune rature, par un de ces fils de la IIIe République dont l'école permit à un jeune paysan franc-comtois de devenir un intellectuel profondément patriote et catholique engagé, très proche d'un Péguy, ces 900 pages frappent aussi par la qualité de l'écriture, capable de passer d'une hilarante scène de caserne aux réflexions les plus pénétrantes sur la nature du conflit, aux visions d'avenir, à la méditation sur ses propres conflits intérieurs".

Voilà pour une présentation officielle.

A la lecture de ces "Carnets", revenaient sans cesse en mémoire ceux de Louis Barthas (cliquer : ICI).
L'uniforme de l'armée française est le même mais sous celui-ci, deux hommes si opposés :
- Barthas est un manuel, poilu des tranchées, républicain de gauche, sincèrement démocrate, athée tolérant ;
- Coeurdevey, un intellectuel (instituteur méprisant la majorité de ses collègues), adjudant planqué pendant les trois premières années de guerre, élitiste, non pas proche de Péguy mais très exactement Maurrassien, d'un style Action française pure et dure.
Ce qui donne des lignes qui ne sont pas écrites avec le dos de la cuillère (à grenade). Et qui permettent, sans anachronisme, d'annoncer le régime de Pétain.

14 juillet :

- "Fête nationale qui n'est pas une fête."
(14 juillet 1918).

Catholiques :

- "Parmi toutes ces physionomies un peu ternes se détachent des têtes au front plus ample, au regard plus hardi, on devine la foi plus savante et plus ferme d'hommes qui ont subi l'épreuve de la vie du siècle, des critiques de la pensée libre et de la libre pensée et qui, en fin de compte, par besoin, par conviction, par volonté sont restés hardiment catholiques... Ils gardent une allure de combattants. C'est eux qui, à la tranchée, prouveront qu'un croyant se bat ou tient mieux qu'un athée. Quelques-uns sont gradés, d'autres laissent deviner une culture soignée, une position sociale relevée."
(29 septembre 1917).

Défaite :

- "Le cinéma...
L'incident attristant : bravos du "poulot" à l'apparition sur l'écran du buste de Jaurès. Coups de sifflets des mêmes quand se présente Clémenceau.
"Qui est-ce que ces saligauds-là ?" me demande Toussaint.
"C'est la France qui se déchire, s'ignore, renie et se prépare à la défaite."
(2 juin 1918).

Dictateur :

- "Les vices que Clémenceau pourchasse à l'intérieur semblent refluer en troupe envahissante dans les compartiments de la machine militaire. Où est le dictateur qui mettra au pas cette nouvelle féodalité, cette nouvelle franc-maçonnerie que devient peu à peu l'armée française ?"
(Notes de juin 1918).

Francs-maçons :

- "On sent que le meneur c'est le Grand Manitou du Grand-Orient, le ministre de la Guerre Painlevé. Les francs-maçons se sont bien rendu compte que le poids des fautes qui ont livré la France à l'invasion pèse sur leurs épaules, ils ont mesuré combien les "réactionnaires" reprenaient d'influence pour avoir vu juste ; qu'un homme de la trempe de Lyautey ne serait pas un indulgent "partageux".
(21 mars 1917).

Liberté, égalité :

- "Nous ne nous battons pas dans le camp qui correspond à nos idées."
Nous retournons cette idée que la France se meurt du poison de la liberté et de l'égalité. Celle-ci, qui a été mal comprise, a faussé tous les ressorts, tous les caractères. Liberté est devenue licence, rejet de toutes les disciplines, perte du sentiment de l'intérêt général. Egalité est devenue nivellement et jalousie par en bas, débrouillage et mensonge par en haut. "La France a besoin d'une raclée", ou, plutôt que la France, son personnel politique et politicien : c'est un tiers du pays au moins. Et d'une reprise en main, pour une nouvelle orientation, de nouvelles habitudes."
(3 juillet 1918).

Nègres, coloniaux :

- "Les boqueteaux étaient pleins de beaux nègres équipés de neuf, luisants, brillants. Leurs gradés ont tous ou presque cette allure caractéristique des vieux coloniaux, osseux, durs, secs, usés et abrutis. Rien qu'une volonté froide, à toute épreuve, leur laisse un cachet de civilisation européenne. Je les ai vu commander la carapace. Les coups de pieds, de crosse hâtaient les échines et les têtes qui ne se baissaient pas assez vite. Quelle tristesse ! Ces pauvres diables arrachés à leur steppe, voués au troupeau, et tous, bergers et bêtes, voués à la mort."
(19 mai 1916).

Palais-Bourbon :

- "Une chose m'étonne, c'est qu'un permissionnaire n'ait pas encore jeté quelques grenades au Palais-Bourbon ! C'est un projet qui est dans l'air et sur beaucoup de lèvres."
(23 janvier 1918).

Pinard :

- "Et voici au fond d'un trou quelque chose d'informe : un macchabée. C'est un soldat français en complète décomposition, que personne n'a enseveli ni ramassé. Avec un bâton je tâte malgré l'odeur cadavérique de trouver un numéro, un document. Une poche baille, un porte-monnaie : 64 francs, mais pas un nom. Je le montre au lieutenant : "Ce sera pour la caisse noire de la compagnie, pour payer un supplément de pinard aux hommes."
(9 septembre 1917).

Profil sémitique :

- "Notre sous-intendant avait pour conducteur de son auto un gommeux au profil sémitique fort accusé. Ce beau monsieur, le visage toujours impeccablement rasé, des verres montés sur or, des gants de peau, des vareuses en drap de bonne qualité et bien ajustées, avait éprouvé devant la menace de la guerre un accès de servilité remarquable."
(5 octobre 1915).

Trahisons :

- "Tous ceux qui avaient quelque influence, quelque valeur morale, ont fui les misères de l'infanterie. Ils ont filé vers l'intérieur, ou, plus adroitement, dans les armes savantes ou les états-majors, loin de la vie ascétique des fantassins. Ceux-ci, pour 95%, sont des paysans. Leurs officiers, de petits fonctionnaires. Déserteurs, les ouvriers, une force, les riches, une autre force les politiciens et ceux qui s'y rattachent, la principale force. Et la France tient malgré ces trahisons."
(13 juillet 1918).

Tranchée après un bombardement (DR).

"Terre humaine" proclame Edouard Coeurdevey : "témoin lucide". Et certes ses Carnets regorgent-ils d'annotations aux antipodes de l'humanisme d'un Louis Barthas ! Cette lucidité-ci esquisse et préfigure Vichy.

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