La page 234 du blog du Judenlager des Mazures (fermé en mai 2008) et celui du Comité Français pour Yad Vashem (page 36) ont proposé l'an passé un aperçu du travail de recherches photographiques et à travers lui, du travail de mémoire original mené par Nicole Bergé sur le camp de Rivesaltes.
Persistant dans son sauvetage par les images de "camps de la honte" (1), ceux ouverts dans le Midi de la France pour interner - dans des conditions indignes - d'abord des réfugiés espagnols ensuite aussi des persécutés juifs, Nicole Bergé élargit continuellement son champ d'investigations et de recueil de traces photographiques. Celles-ci attestent que la République puis l'Etat Français (avec sa zone dite "libre"), l'occupant enfin accumulèrent des inhumanités successives dans des camps qui représentèrent autant d'atteintes à la dignité puis devinrent des mouroirs organisés ou des antichambres avant Auschwitz.
Dépassant les instantanés, sur base d'éléments épars, Nicole Bergé a entamé une démarche très personnelle. Elle s'y confirme à la fois artiste talentueuse, sourcière d'émotions profondes qu'elle résume en ces mots :
- "Mon travail a consisté à me rendre sur les différents lieux où ont été internés les réfugiés
espagnols, les brigades internationales et ensuite les juifs ...
Endroits tellement lourds et souvent vidés de toute trace apparente.
Je me suis rendue à Gurs, Rivesaltes, Brens, Noé, Septfonds, Récébedou, Vernet d'Ariège, Bram, les Milles, Argelès, St Cyprien.
Je vais à Rieucros tout bientôt.
J'ai ensuite voulu "reconstruire" une image comme une nouvelle mémoire, en intégrant un lieu dans un autre pour montrer que l'histoire ne s'est pas produite à un seul endroit mais sur l'ensemble du territoire dans l’histoire générale de l’internement en France. Une histoire qui est celle des diverses
populations internées et qui est aussi une page d’histoire française.
Un état des lieux qui permet aussi de découvrir les autres camps."
(Courriel à l'auteur).
De fait, les photographies fusionnent des souvenirs encore visibles de sites différents par la localisation mais ayant appartenu au même système répressif et raciste.
Et de tous ces lieux de souffrances infligées autant aux bébés à peine nés qu'aux vieillards grabataires, de tous ces "camps de la honte", Nicole Bergé compose respectueusement mais précieusement un musée imaginaire. Une somme d'émotions nullement artificielles. Comme si les internés de St-Cyprien avaient pu trouver une compréhension et partager leurs larmes avec ceux du Vernet, et ceux du Vernet avec les femmes et les hommes de Noé ou encore d'Argelès-sur-mer, et les fantômes de Récébedou avec ceux de St-Cyprien, et les ombres des Milles avec celles de Gurs, partageant elles-mêmes leur abandon par tout monde civilisé avec les internés de Rivesaltes...
Photo : Nicole Bergé. DR.
- "La plage d'Argelès-sur-mer où j'ai mis la gare du Vernet d'Ariège."
Argelès : premier camp ouvert en février 1939 pour les réfugiés espagnols. Sur la plage. Sans même de baraques. Dès mars, 77.000 victimes de Franco étaient déjà entassées dans des conditions inimaginables en un décors auparavant paisible.
Le Vernet : 12.000 Espagnols furent les premiers prisonniers des barbelés de ce camp Ariègeois. En 1940, il sera élargi aux étrangers victimes des lois racistes de l'Etat dit Français. Puis en 1942, Le Vernet devint en plus un camp de transit pour juifs destinés à l'extermination.
Au total, les registres portent les noms de 40.000 personnes de 58 nationalités différentes.
Photo : Nicole Bergé. DR.
"Le camp de Gurs (les socles de l'ancien château d'eau) et au fond, j'ai mis la tuilerie du camp des Milles."
Gurs : construit à la hâte de mars à avril 1939. Ce camp a été le lieu de détention de plus de 26.000 juifs, de plus 25.000 Espagnols, de plus de 6.000 volontaires des Brigades internationales, de près de 1.500 Français et d'une soixantaine de Tsiganes.
Milles : ouvert en 1939. Comptait 3.500 internés en juin 1940. A partir de 1942, servit de départ vers Auschwitz via Drancy.
- "La forêt de Gurs où tout a disparu mais dans laquelle j'ai incrusté des baraques de Rivesaltes."
Rivesaltes : successivement camp militaire, camp "de transit" pour les réfugiés espagnols, "centre d’hébergement surveillé", centre régional de "rassemblement des Israélites", camp de dépôt de matériel allemand, camp d’internement pour prisonniers de guerre allemands et collaborateurs, camp de regroupement des Harkis et de leur famille, centre de transit pour les troupes du contingent…
Photo : Nicole Bergé. DR.
- "Vue d'où se trouvait le camp de Septfonds et dans le champs, j'ai posé la baraque (musée) du Récébédou, commune de Portet sur Garonne."
Septfonds (camp de Judes) : 45 baraques furent dressées à l'origine pour 16.000 Espagnols. Puis se retrouvèrent derrière les barbelés des "étrangers en surnombre" selon les (é)normes de Vichy, des officiers alliés (principalement des Polonais), des communistes et des juifs invariablement promis à l'extermination.
Récébedou : encore et toujours un camp destiné aux Républicains espagnols. Des civils belges et même français frappés par l'exode y seront de plus mis en baraques. Puis, dès l'application des lois de Vichy en 1940, des juifs et autres étrangers indésirables. En été 1942, trois convois partirent de Récébedou à destination de Drancy.
Photo : Nicole Bergé (2). DR.- "Une baraque de Noé transformée en gradins et le cimetière du camp du Vernet d'Ariège."
Noé : "centre de séjour surveillé prévu pour une capacité de 1.600 personnes. Au 1er avril 1941, les registres du camp comptaient 1.536 noms dont ceux de 701 juifs. Avec l'application de la Shoah en 1942, quatre convois quittèrent Noé pour Drancy.
Notes :
(1) Anne Grynberg, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français. 1939-1944, La Découverte.
(2) Plus que des remerciements à Nicole Bergé pour avoir autorisé la mise sur ce blog de ses photographies. Sa générosité n'en rend sa démarche de recherches photographiques que plus estimable encore.
3 commentaires:
J'ai toujours du mal à m'exprimer avec des mots sur mon travail et c'est un vrai bonheur de trouver votre complicité et compréhension .
Amicalement,
Nicole.
Je découvre ce travail et je suis touchée par la démarche audacieuse et originale.
@ Sylvie
Votre commentaire ainsi que les coordonnées de votre blog authentiquement littéraire, ont été transmis à Nicole Bergé qui est en déplacement professionnel ces jours-ci.
Merci à vous pour l'audacieux et l'original, deux adjectifs qui résument et décrivent avec grande justesse la démarche de cette photographe.
(s) JEA
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