DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

dimanche 21 décembre 2008

P. 58. 80 pièces au puzzle d'Agnès Varda

"Les plages d'Agnès"

Elle est née Arlette. A Bruxelles, voici très exactement 80 ans. Européenne avant l'heure (avant même cette Deuxième guerre mondiale qui nous sauva d'une autre Europe, celle maquillée par le nazisme, le fascisme, le pétainisme, le franquisme, le salazarisme...ouf...). D'un père d'origine grecque et d'une mère française.

Agnès Varda propose le sablier de sa vie. De la mer du Nord pas encore défigurée en mur de béton armé (là où l'Organisation Todt a échoué, les promoteurs ont triomphé) à la rue Daguerre de Paris, métamorphosée en plage fragile.

Depuis 1950, la rue Daguerre est aussi la rue Varda (DR).

Aux spectateurs-voyageurs à écouter les réinventions des vagues toujours nouvelles, les confidences des coquillages qui n'ont pas honte de leur âge...

Jean-Luc Douain :

- "La plage, chez elle, est irréductiblement liée au couple, celui qu'elle forma avec Jacques Demy, qui lui fit découvrir Noirmoutier, où elle réalisa, pour une exposition en 2006, un documentaire, Quelques veuves de Noirmoutier.

Le sable, la pêche et les coquillages jalonnent aussi une chronologie qui la mène des bords de la mer du Nord (elle est née en Belgique) à Sète (en exode), Ajaccio (une fugue de jeunesse), du côté de la Côte d'Azur (pour un court métrage), Los Angeles (période hippie)... et son refuge actuel, la rue Daguerre, dans le 14e arrondissement parisien, qu'elle transforme en site estival à parasols, y faisant apparaître en maillot de bain les collaboratrices de sa maison de production."
(Le Monde, 17 décembre).


Olivier de Bruyn :

- "La cinéaste de "Cléo de 5 à 7" et du documentaire "Les Glaneurs et la glaneuse" invite à un voyage au cœur de sa création, qui est aussi une promenade dans le demi-siècle écoulé. Elle y mélange tout : les époques, les lieux, les événements, la vie privée et l’existence publique. Elle cherche à y rendre compte du travail par nature intermittent de la mémoire, et signe une merveille d’imagination et de sensibilité aigue.

Une oeuvre pour happy few? Une incitation à l’onanisme cinéphile? Certainement pas. "Les Plages d’Agnès" raconte plusieurs histoires qui, toutes, peuvent intéresser le plus grand nombre. Souvenirs de 40 et de l’exode. Réminiscences des années 50 et de son ébullition artistique. Examen des décennies suivantes et de ses combats.

Passant constamment de l’intime au collectif et de la vie au cinéma, Varda assemble patiemment les pièces de son puzzle personnel. Miracle: le résultat regarde dans le blanc des yeux le spectateur et ses propres expériences."
(Rue 89, 14 décembre).


Photo Les Films du Losange (DR).

Jérôme Garcin :

- "Victor Hugo, ce beau patriarche, disait que le privilège de la vieillesse, «c'est d'avoir, outre son âge, tous les âges». Il aurait aimé Agnès Varda, dont la faculté à gambader dans sa vie en 1h50, à jongler en 35 mm avec les bonheurs et les malheurs, à faire des galipettes dans le temps, à être à la fois une fillette mutine de Bruxelles, une jeune photographe à Avignon, la compagne de Jacques Demy, une grand-mère poule, une veuve joyeuse de La Guérinière n'ayant abdiqué ni son insolence ni ses audaces, est proprement stupéfiante.
A 80 ans, elle dispose des miroirs sur les bords de mer, des coquilles Saint-Jacques sur les tombes et des pellicules de films sur les baies vitrées. Elle met tous les collaborateurs de sa société de production sur le sable, rue Daguerre, à Paris. Elle installe un écran de projection sur une carriole qui progresse du passé au présent. Elle se promène en patate sonore à la Biennale de Venise et descend la Seine, entre la tour Eiffel et Notre-Dame, sur une barque à voile sétoise. Tout lui est bon, dans cet autoportrait, pour piéger la complaisance, détourner le narcissisme, narguer les conventions, fuir le pathos et demeurer, malgré les orages et les tempêtes, plus légère que l'air."
(Le Nouvel Observateur, 18 décembre).


Photo Les Films du Losange (DR).

Stéphane Delorme :

- "Varda affirme : «Moi, si on m’ouvrait, on trouverait des plages.» Peut-être, mais ces plages n’ont de sens que devant la maison, comme le montre cette plage improvisée pour le tournage devant son immeuble à Paris. D’une maison à l’autre, il n’y a qu’un pas. La maison d’enfance bruxelloise avec le bassin en forme de poire, la péniche le long du quai de Sète, la maison habitée avec Demy dans les années 1970 à Los Angeles, et surtout la maison-cinéma du 14e : à gauche Varda répète Les Créatures, à droite Michel Legrandcompose avec Demy; au milieu la cour se transforme en studio.

Logiquement le film se termine sur une cabane d’images, les bobines des Créatures débobinées à la Fondation Cartier dressant de grands murs transparents. On pense alors à la maison du maître le plus admiré, Jean Vilar, à son bureau, sa grande fenêtre et son travail face à la mer. On se dit qu’il faut peut-être prendre les choses à l’envers : les plages d’Agnès donnent toutes sur les maisons de Varda."

(Cahiers du cinéma.com).

Les hasards des lectures me conduisent, ce jour même, aux pages 109 à 112 de la "Mémoire cavalière" de Philippe Noiret (Le Livre de Poche, n° 30921, 2008) :

- "A peine Avignon terminé {juillet 1954}, c'est Georges Wilson qui est tombé malade. Or il devait jouer le rôle principal dans le premier film d'Agnès Varda, La Pointe courte, qui allait se tourner en août. Agnès m'a donc téléphoné pour me proposer de le remplacer au pied levé. Elle avait tout préparé ; si elle ne tournait pas ce serait une catastrophe, car elle produisait elle-même et avait fait plusieurs emprunts. J'ai accepté tout de suite, en camarade. Après tout, l'aventure était inédite, et je n'avais rien de prévu pour les vacances. Je connaissais Agnès depuis mon arrivée au TNP ; elle était notre photographe officielle. Pour la presse, et surtout pour les programmes, Vilar l'avait chargée de conserver une trace de tous les spectacles. Petit bout de femme dotée d'une forte personnalité, elle était brune comme un pruneau, avec de grands yeux et des cheveux aile-de-corbeau coupés à la Jeanne d'Arc. Elle s'acquittait de sa tâche avec son style bien particulier : ses photos étaient très posées, éclairées spécialement. Elle ne les prenait jamais sur le vif.
(...)
Au bout du compte, La Pointe courte a été une vraie réussite cinématographique. Film pionnier, il anticipe la Nouvelle Vague. A Paris, le montage avait été assuré par Alain Resnais. Ce que j'ai aimé, et ce que j'ai recherché par la suite, c'est l'atmosphère de troupe qui régnait sur ce tournage. Il y avait un côté TNP en vacances. Le travail d'Agnès avait cet aspect artisanal que j'apprécie tant dans notre métier."




3 commentaires:

Anonyme a dit…

Vite, il est temps que je me bouge: je n'ai plus que 18 ans devant moi pour atteindre l'âge d'Agnès Varda et, qui sait?, devenir une petite vieille qui a fait quelque chose dans sa vie.
Agnès Varda, je l'ai découverte dans un ciné-club, place de l'Ange à Namur, où l'on projetait "Cléo de 5 à 7".
Par après, je me souviens aussi du "Bonheur", film fort controversé à l'époque. Interviewée - peut-être dans les Cahiers du Cinéma? - elle avait dit que pour elle: "le bonheur, c'était comme manger du roquefort avec des raisins". Il me semble que cette phrase la représente bien. Edith

Anonyme a dit…

Ce film est une petite merveille et loin d'être élitiste, il ouvre au contraire à d'autres films, il se souvient de comédiens que tout le monde connait, il est une réflexion universel sur le temps qui passe....

Anonyme a dit…

Merci à Cathe.
En cliquant sur l'URL de ma réponse,
vous trouverez un lien direct avec la page de Cathe sur les plages d'Agnès Varda...

JEA