DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

lundi 22 décembre 2008

P. 59. Montesquieu, Paul Hermant et la Belgique

La Belgique s'encalamine toujours plus calamiteusement dans sa mer des sargasses. Au milieu d'un concert de mouettes sarcastiques. Comme si les tonnes d'algues linguisitiques ne suffisaient pas, comme si la fosse marine de la crise économique n'était pas assez abyssale, voici le Premier ministre qui démissionne pour la quatrième fois. Un tic de capitaine au court cours. Motif de ce jet d'éponge poisseusement polluée ? Le mic-mac incroyable dont il porte la responsabilité et qui emmêle inextricablement pouvoir politique, justice et finances (avec le sauve qui peut la banque Fortis). La mêlée est générale. Reste dans cette tempête, une voix phare sur les antennes de la Radio-Télévision belge d'expression francophone (RTBF), le matin vers 7h17. Soit la chronique de Paul Hermant.

Paul Hermant (Photo RTBF. DR).

Chronique du 19 décembre 2008 :

- "Rue de la Loi (1), il y a un homme qui regarde par la fenêtre. Il compte dans sa tête les jours qui restent avant Noël. Il a fermé la porte de son bureau, il est seul. Il a une envie de massepain et de chocolat. Il pense à la lettre qu'il a écrite hier (2). A celle qu'il a reçue tout à l'heure (3). Il se demande à quoi il va occuper sa soirée, cette soirée-ci, la prochaine soirée. Marquez pas de chance, après quatre minutes, le Standard (4) a encaissé un but. S'il sortait, s'il se déportait un peu, s'il marchait un moment, il verrait au loin le Palais de la Justice, au bout de la rue qu'empruntent les tramways, sur la perspective qu'avait tracée Léopold. En y réfléchissant, il pourrait pousser jusqu'au Palais de la Justice. Du temps de Julie et Mélissa, les gens dressaient là des autels votifs (5). Il ferait bien un vœu. Tout ça pour avoir voulu réconcilier des pouvoirs séparés. Les rapprocher, les réunir, les unifier. C'était énervant, à la fin. Quand il pensait qu'il valait mieux diviser pour régner seul chez soi, les gens aussi lui en voulaient. Dans sa tête tournent des formules comme « intérêt général » ou « intérêt supérieur de la Nation ». Ce mot d'intérêt le fait sourire. Toute cette affaire, depuis le début, ce n'est que ça : une histoire d'intérêt. Ceux que l'on porte, ceux que l'on empoche, ceux qui vous font des trous dans les poches. Le sapin scintille derrière lui. Il se demande qui a bien pu y accrocher les guirlandes et les boules de Noël puis s'il y a vraiment quelque chose dans les paquets qu'on a déposés à son pied. Penser qu'il y a quelqu'un dans le Royaume qui est payé pour cela : emballer des cadeaux de Noël vides. Tout à l'heure, il lui a semblé entendre un peu de musique venant du Palais d'en face, derrière le Parc (6). Il traverserait bien le Parc aussi. Il y a encore quelques lumières au loin, derrière les grilles. Peut-être que des gens dansent, ou boivent, ou rient. Ça ne lui serait pas compliqué d'y entrer, on le reconnaîtrait vite. Mais qu'est-ce qu'il dirait ? Et qu'est-ce qu'il irait y faire ? Peut-être qu'il y a quelque chose, finalement, dans ces paquets sous le sapin. Il en prend un, le déballe. C'est un livre. A sa couverture de cuir fripée, on voit qu'il n'est pas tout neuf. Ça a dû coûter cher. Il se demande qui peut encore offrir des livres pareils. Il le feuillette, le papier est mince, presque friable. Et les lettres sont drôlement tournées. Sur la couverture, il est écrit « De l'esprit des lois » avec un x à lois, puis juste en dessous : « Ou du rapport que les lois doivent avoir avec la constitution de chaque gouvernement, les mœurs, le climat, le commerce ». Il trouve le nom de l'auteur à l'intérieur, un certain Montesquieu. La journée a été longue et puis la deuxième mi-temps va commencer. Il pose le livre. Il se dit qu'il le lira plus tard. Beaucoup plus tard. Tiens, on sonne. A cette heure, qui se peut-il être ? Peut-être une nouvelle lettre (7)...
Allez, joyeux noël et puis surtout bonne chance." (8)

S. : Paul Hermant.


La nette majorité des lecteurs de ce blog n'étant point Belges, quelques notes explicatives :


(1) Cabinet du Premier ministre Leterme.

(2) Lettre destinée au Parlement et par laquelle le Premier se défausse sur ses collaborateurs et sur le mari d'une juge de la Cour d'appel, mari qui est son (ex ?) ami.
(3) Rapport du Procureur général sur l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles dans l'affaire Fortis. Des pressions politiques sur le judiciaire y sont évoquées.
(4) Club de football de Liège. Rencontre Standard-Stuttgart, 0-3.
(5) Affaire Dutroux.

(6) Palais royal.
(7) Rapport du 1er président de la Cour de cassation sur le dossier Fortis. Il y confirme les empiètements du pouvoir politique sur le judiciaire.
(8) Publié sur ce blog avec l'autorisation de Paul Hermant. Qu'il en soit remercié.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Dans la mer des sargasses, il y a surtout des anguilles ...
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J'ai référencé votre génial site dans les liens de mon blog.

Anonyme a dit…

Pour paraphraser le titre : Alberdeux, Vile frite Martens et la belle Zigue !