DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

lundi 1 septembre 2008

P. 24. En Champagne, 1916 : Louis Barthas

La Société d'Etudes Ardennaises propose un colloque : "L'Autre Résistance. 1914-1928" les 26 et 27 septembre prochains. Ce qui motive pour (re)lire au préalable des ouvrages tels que "Vie des martyrs et autres récits des temps de guerre" de Georges Duhamel (Ed. Omnibus) ou "Lettres à sa femme. 1914-1917" d'Henri Barbusse (Buchet/Chastel).

Mais les 19 cahiers d'écolier remplis par Louis Barthas restent LA référence pour une connaissance de la (sur)vie quotidienne des poilus. En effet, ce tonnelier-humaniste connut presque tous les fronts du Nord à la bataille de Verdun, et ce, de la mobilisation à l'armistice de ce premier abattoir à l'échelle mondiale que fut la guerre de 14-18. Son témoignage n'a rien de ponctuel ni d'anecdotique. Il relate jour après jour, les horreurs et les malheurs vécus par un "simple" caporal. Lequel parvint à rester lucide, intellectuellement honnête, et sans faiblesse devant les censures ou les tentations des affabulations.
Fidèle à des valeurs de gauche, les mêmes qui avaient valu à Jaurès son assassinat, Louis Barthas est à la fois acteur et écrivain de ce suicide collectif dans lequel s'enfonça l'Europe. Elle qui se voulait pourtant donneuse de leçons de civilisation.
Louis Barthas, ce poilu à qui "on ne la faisait pas", laisse donc en héritage plus de 550 pages sans cocoricos ni effets de plume. Une lueur au milieu des barbaries.

Quatrième de couverture :

- "En 1914, Louis Barthas a trente-cinq ans. Tonnelier dans son village de l'Aude - Peyriac-Minervois -, il est mobilisé au 280e d'infanterie basé à Narbonne. Il fera toute la guerre comme caporal. Il connaîtra le secteur sinistre de Lorette, Verdun, la Somme, l'offensive du Chemin des Dames ; la boue, les rats et les poux ;les attaques au devant des mitrailleuses et les bombardements écrasants; les absurdités du commandement, les mutineries de 1917, les tentatives de fraternisation. Au front, Barthas note tout ce qu'il voit, tout ce qu'il ressent. De retour chez lui, survivant, il va rédiger au propre son journal de guerre, à l'encre violette, sur dix-neuf cahiers d'écolier. Sens de l'observation précise, lucidité, émotion et humour mêlés, révèlent chez le caporal tonnelier un talent d'écrivain qui n'est gâté par aucune recherche d'effets littéraires. Le livre, présenté par Rémy Cazals, est devenu un classique depuis sa première édition en 1978, réalisée avec l'aide des petits-enfants de Louis Barthas et de la Fédération audoise des oeuvres laïques."
(Réédition La Découverte/Poche, 2003).

Jean Clémentin, Le Canard enchaîné :


- "Depuis 60 ans, des milliers d’auteurs, romanciers, historiens, mémorialistes, l’ont racontée, cette guerre de 14, mais parmi eux, pour ainsi dire pas de témoins de tout en bas, de "poilus", faute à ceux-ci d’avoir eu la plume littéraire. C’est pourquoi les Carnets de Barthas sont précieux. Après s’être farci les quatre années au front et en être ressorti entier, il a passé ses soirées à transcrire par le menu, sur des cahiers d’écolier, et d’une belle écriture moulée, comme pour le certif, ce qu’il a vu, subi, vécu avec ses camarades."
(Article annonçant l'édition originale. Ed. François Maspero, 20 décembre 1978).


Photo : Front de Champagne, 1916 (DR).

Des cahiers de Louis Barthas, n'en ont été retenus que deux pour ce blog.
Le 11e : "le 296e régiment en Champagne, 19 mai - 12 juillet 1916"
et
le 12e : "13 juillet - 29 août 1916".

En voici quelques extraits significatifs et arbitrairement présentés sous forme d'abécédaire.

C - CHAMPAGNE :

- "Le paysage n'était guère riant, en pleine Champagne pouilleuse : pins rachitiques, clairières dénudées, ravins et vallons sans ruisseaux ni prairies ; en temps ordinaire, quelques corbeaux misanthropes et quelques rats ermites habitaient seuls ces lieux tristes comme les confins du désert.
... Toute la Champagne pouilleuse ne vaut pas une goutte de ce sang si précieux qui a coulé pour conquérir ce coin de désert."

F - FRATERNISATION :

- "De relève en relève, on se transmettait les usages et coutumes de ces petits-postes, les Allemands de même et toute la Champagne pouvait s'embraser, il ne tombait jamais une grenade en ce coin privilégié.
... Quelquefois il y avait échange de politesses, c'étaient des paquets de tabac de troupe de Régie française qui allaient alimenter les grosses pipes allemandes ou bien des délicieuses cigarettes "made in Germany" qui tombaient dans le poste français.
On se faisait passer également chargeurs, boutons, journaux, pain.
Voilà une drôle d'affaire de commerce et d'intelligence avec l'ennemi qui aurait fait bondir d'indignation patriotes et super-patriotes depuis le royaliste Daudet jusqu'au fusilleur de Narbonne Clémenceau en passant par le caméléon Hervé.
Affaire d'ailleurs d'appréciation. Les uns jugeront cela sublime et les autres criminel suivant que l'on place l'idéal d'Humanité au-dessus ou au-dessous de l'idéal de Patrie."

G - GENERAL :

- "...on écouta religieusement la parole du foudre de guerre le général Gouraud.
Le pape faisant un sermont à Saint-Pierre n'est pas écouté plus respectueusement au milieu de cette foule. J'entendis le cri d'un grillon, j'entendis aussi quelques bribes du discours car un simple caporal ne pouvait aller au premier rang se planter impertinemment sous le nez d'un aussi haut personnage.
... sur un ton confidentiel il répéta les paroles de l'ambassadeur d'Espagne à Berlin, à savoir que si les Français connaissaient l'état d'épuisement et de découragement du peuple allemand, nous pavoiserions partout notre joie. Il devait être bien renseigné cet ambassadeur ! Ou il se payait bien notre tête."

Photo : 1916, tranchées de Champagne (DR).

O - OFFICIERS :

- "Autour des PC des commandants et des capitaines, on voyait de plus en plus des gars solides et jeunes pour la plupart remplir de vagues fonctions, de plantons, de cuisiniers, ordonnances, signaleurs, ravitailleurs, tailleurs, coiffeurs, etc..., tous flattant, se courbant devant les officiers, ces nouveaux seigneurs du XXe siècle qui en échange les tiraient de la première zone du premier cercle de ce nouvel enfer de Dante : les tranchées."

P - PUNITION :

- "C'était un lieutenant quelconque d'une quelconque compagnie qui faisait sa ronde et il venait de surprendre la sentinelle au périscope, un petit Breton, en train de dormir.
... Le coupable était là, accablé; il aurait pu insinuer que s'il avait succombé au sommeil et à la fatigue les plus coupables étaient ceux peut-être qui ne savaient ou ne voulaient pas donner aux hommes un repos suffisant.
... Timidement j'invoquai son jeune âge, sa fatigue, son état d'orphelin... mais l'officier coupa court à ma plaidoirie. "On verra ça", dit-il sèchement en s'éloignant.
Ce ne fut pas une petite affaire quand le lendemain la hiérarchie militaire prit connaissance du motif de punition porté par cet officier.
Quoi ! une sentinelle en première ligne n'avait pu résister au sommeil ? Quel châtiment exemplaire allait-on lui infliger ? La prison ? Mais toutes les sentinelles étaient bien capables de s'endormir pour quitter les tranchées et aller à l'abri des obus, des gaz, des poux, du froid, de la pluie, dans une prison si sombre, si lugubre soit-elle.
Il n'y avait que la mort pour punir un tel crime. Cependant il ne fut point fusillé, on ne fut point féroce à ce point ou plutôt on voulut que sa mort serve à leur dessein.
En prévision du lancement de gaz... on constituait dans le régiment une section "franche" charge d'aller explorer les lignes allemandes après l'émission.
... Ces hommes étaient en quelque sorte sacrifiés. Les punis pour quelque infraction grave à la displine furent désignés d'office."

R - RATS :

- "Ces lieux {un trou de mine} étaient particulièrement infestés de rats qui venaient suivant leur habitude cambrioler nos musettes et la nuit promener leur museau, leurs pattes, leur queue sur nos figures.
On conçoit le dégoût que nous inspirèrent ces détestables rongeurs quand nous nous aperçûmes qu'ils avaient leur domicile dans un cimetière allemand qui était à proximité.
L'emplacement de chaque tombe était taraudé par leurs galeries et l'odeur infecte qui s'échappait de ce cimetière ne laissait aucune doute que les rats dévoraient ces cadavres quand le contenu de notre musette et les déchets divers d'une troupe stationnée ne suffisaient pas à leur nourriture.
Le jour, ils vivaient avec les morts et la nuit avec les vivants, avec nous, charmant voisinage !"

Paroles de Montéhus et musique de Georges Krier : "La butte rouge" interprétée par le groupe des Motivés-Zebda.
Dans le même esprit que Louis Barthas, un regard rétrospectif (1923) sur les combats en Champagne.
De manière assez incompréhensible, de multiples portails français situent cette "butte" en Champagne mais... à "Warlencourt". Soit répètent ces sites, près de "Bapaume en Champagne". Si Bapaume est certes une région couverte de cimetières militaires, même un étranger comme l'auteur de ce blog, se garderait bien confondre Pas-de-Calais et Champagne (et de faire pousser de la vigne si haut dans le Nord)...

La butte rouge

- "Sur c'te butte là, y avait pas d'gigolette,
Pas de marlous, ni de beaux muscalins.
Ah, c'était loin du moulin d'la Galette,
Et de Paname, qu'est le roi des pat'lins.

C'qu'elle en a bu, du beau sang, cette terre,
Sang d'ouvrier et sang de paysan,
Car les bandits, qui sont cause des guerres,
N'en meurent jamais, on n'tue qu'les innocents.

La Butte Rouge, c'est son nom, l'baptème s'fit un matin
Où tous ceux qui grimpèrent, roulèrent dans le ravin.
Aujourd'hui y a des vignes, il y pousse du raisin
Qui boira d'ce vin là, boira l'sang des copains.

Sur c'te butte là, on n'y f'sait pas la noce,
Comme à Montmartre, où l'champagne coule à flôts.
Mais les pauv' gars qu'avaient laissé des gosses,
I f'saient entendre de pénibles sanglots.

C'qu'elle en a bu, des larmes, cette terre,
Larmes d'ouvrier et larmes de paysan,
Car les bandits, qui sont cause des guerres,
Ne pleurent jamais, car ce sont des tyrans.

La butte rouge, c'est son nom , l'baptème s'fit un matin
Où tous ceux qui grimpèrent, roulèrent dans le ravin.
Aujourd'hui y a des vignes, il y pousse du raisin
Qui boit de ce vin là, boira les larmes des copains.

Sur c'te butte là, on y r'fait des vendanges,
On y entend des cris et des chansons.
Filles et gars, doucement, y échangent,
Des mots d'amour, qui donnent le frisson.

Peuvent-ils songer dans leurs folles étreintes,
Qu'à cet endroit où s'échangent leurs baisers,
J'ai entendu, la nuit, monter des plaintes,
Et j'y ai vu des gars au crâne brisé.

La butte rouge, c'est son nom, l'baptème s'fit un matin
Où tous ceux qui grimpèrent, roulèrent dans le ravin.
Aujourd'hui y a des vignes, il y pousse du raisin
Mais moi j'y vois des croix, portant l'nom des copains."

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