DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

vendredi 28 mai 2010

P. 288. "Kayn aynorè" : que le mauvais oeil épargne Maurice Winnykamen !

Maurice Winnykamen,
Hommage, Récit d'un enfant caché,
Ed. des Ecrivains, 2001, 145 p.

Non pas une
mais 145 pages nomades
signées Maurice Winnykamen

Son blog "Déferlantes et écumoire" figure dans les liens. Maurice Winnykamen n'est pas venu déposer ici une page mais tout un livre. Son histoire authentique d'enfant caché. Car ses parents cumulaient les qualités de juifs, de résistants et de communistes. Tous trois et tous ceux de leur famille constituaient, si l'on ose écrire, des cibles de choix pour la Shoah.
Alors Charlotte et Aisik Winnykamen prirent la plus déchirante des décisions : se séparer de leur fils - le temps de la guerre - pour le mettre si possible à l'abri. Là-haut, en Savoie. Chez des paysans, les Pegaz, qui savaient pertinement bien risquer leur propre vie pour avoir accueilli comme l'un des leurs ce petit persécuté.

Voici quelques galets ramassés au fil de ce récit qu'un(e) documentariste cinéma pourrait suivre sans même devoir le retravailler...

Dédicace de Maurice Winnykamen :

- "Je dédie ce témoignage à tous les enfants du monde.
Qu'ils inventent la paix !"
(P. 7).

La défaite de 1940 :

- "C'était, maintenant, de la faute aux étrangers si la France était trahie. Si elle avait perdu la guerre. On se mit à guetter les accents. Les accents ne manquaient pas. Il y avait les accents des démocrates condamnés dans les pays totalitaires, comme celui de mon grand-père Lazare. Ceux de simples gens qui avaient fui la peste brune. Ceux de l'immigration habituelle. Ceux des Alsaciens aussi. Et puis, il y avait les accents de sincérité. Ceux-là étaient les pires. Il y eut des exactions.
Ces cadavres de chevaux :
- "la faute aux communistes".
Ces cadavres d'enfants, de femmes et d'hommes :
- "la faute aux Juifs."
J'entendais tout cela sans rien comprendre d'autre que ma peur. J'avais six ans."
(P. 30).

Repli à Lyon :

- "Charlotte - c'est la mère de Boris - porte les valises d'armes et, plus tard, prend soin des enfants cachés. Aisik est devenu "Julien". Le lieutenant Julien. L'instruction militaire clandestine de la M.O.I., la préparation, l'exécution des "actions" et le maniement des armes, voilà ce dont il s'occupe, ce lettré qui ne rêvait que de poésie.
Les parents de Boris ont changé de nom de famile. De Winnykamen, ils ont fait Winny. Ca sonne plus Français bien que l'on puisse y déceler une consonance étrangère. Moins juif, en tout cas. Ce nom - il ne sera pas le seul qu'ils porteront pendant la période de la Résistance -, ils le garderont plus tard. Ils se le sont fait eux-mêmes. Ils peuvent en être fiers.
(...)
La mère de Boris voyage. Il est souvent seul, à la maison.
Son "za dé Douvit" (grand-père David) tient enfermé, dans un galetas, son accent Yiddish très marqué. Ses doutes : "Tzou-tzou-tzou", ses plaintes : "OÏ vaï mit", les petites folies et les grandes dont est peuplé le monde : "michiguouné", "ganz michigué", et aussi les emmerdements dont nous sommes entourés : "les tzourès". On n'est ni au temps des souhaits : "mazel'tov !", ni à celui de porter le toast : "lé h'aim", ni en mesure de respecter la cuisine casher : "la cachrout".
Avec David, Loniè. Ses cheveux longs, déjà blancs, coiffés en chignon, son visage pâle et lisse, son odeur de propreté, dans le taudis où ils vivent, attirent immédiatement Boris. Il reconnaît et il aime ça, entre son grand-père et elle, une entente parfaite et qui le stabilise."
(PP 36-37).

Maurice Winnykamen se retourne sur son passé d'enfant caché (Ph. Arch. fam. M. Winnykamen, mont. JEA / DR).

Boris devient Marcel :

- "Boris est mort, vive Marcel. Le voici donc arrivé dans sa nouvelle demeure, en montagne, au Montcel, chez Lili et Raymond {Pegaz}. A peine sa maman a-t-elle eu le temps de passer une courte nuit dans son lit. Elle redescend, tôt le matin, furtivement, vers la vallée, vers l'enfer, le laissant seul avec ses huit ans et ses interrogations.
(...)
Quelle différence avec la ville ! Pour les foins comme pour la moisson, le battage et les vendanges, tout le village travaille ensemble, un jour dans une ferme et le lendemain dans l'autre. C'est qu'ils ne sont pas "d'ava", ils ne sont pas de cette ville d'en bas, où les gens s'enferment dans la solitude que crée la peur, se méfient les uns des autres, craignant la délation, et le qu'en dira-t-on.
Comment pouvais-je, à mon âge, penser et dire des choses pareilles ! C'est simple. C'est que, ces choses-là, je les avais vues, je les avais vécues ! Je n'avais qu'une hâte : les oublier, devenir Savoyard, un vrai, un Savoyard normal, pas un Juif en Savoie."
(PP 41-42).

En classe, au catéchisme :

- "En vérité, Marcel se souvient de moins en moins qu'il est Juif. Cela dépend des jours. Il se sent, seulement, un peu différent. Mais tous les premiers de la classe sont un peu différents, non ? Les meilleurs en catéchisme, aussi. Alors ! Lui, il est les deux. Il a les meilleures notes en classe, il chante fort et clair le chant du Maréchal et il est l'élève préféré du curé qui a un faible, justement, pour le Maréchal.
(...)
Monsieur le curé a appris aux jeunes paroissiens, au catéchisme, que Jésus est né pauvre et nu dans une étable. Souvent, Marcel regarde entre les pattes de la Noiraude, de la Blanchette et de la Roussette, les bêtes (les vaches) des Pegaz. Il espère apercevoir sur la paille fraîche, un bébé et peut-être la Sainte Vierge, Joseph et les Rois Mages. C'est pour ça qu'il aime changer la litière des bêtes. mais il est toujours déçu."
(PP 49-50).

Albert, son camarade arrêté par la Gestapo :

- "Marcel et son ami ont une discussion musclée :
Tu chantes comme un pied, dit Albert.
- C'est pas vrai, répond Marcel. Même que Monsieur le curé me l'a dit et aussi le Maître, pas, que je chante juste.
- Justement, dit Albert. Ca, t'as pas le droit.
- Tu dis ça parce que t'es jaloux et que t'es pas cap de le faire.
- Tes chansons sont idiotes"
(...)
- "Tu n'es qu'un petit Juif, comme moi, dit Albert. Et un traître. Tu n'as pas le droit de servir la messe le dimanche. Ni les vêpres. Ni de chanter le Maréchal."
(...)
Dans leurs tractions noires, les hommes de la Gestapo vinrent le chercher. Un enfant de dix ans, Albert et avec lui sa famille adoptante. Ils déculottèrent Albert et constatèrent sa circoncision... Les Massonnat d'en haut manquent à l'appel.
Albert ! Je repense à tes galoches à semelles de bois qui concoururent avec les miennes sur nos chemins empierrés. Sont-elles montrées, anonymes, accusatrices, incluses dans les tas de souliers trouvés à Auschwitz-Birkenau ?"
(PP. 60-62).

Plus de 12 ans :

- "Marcel a plus de douze ans. Il est devenu un vrai paysan. Forcément, pas ! Pas ! En bon Savoyard, il ajoute ce "Pas !" à presque toutes les phrases. Comme pour en renforcer le sens. Ceux de la ville "d'ava" diraient : ""n'est-ce pas !". Ici, on dit : ""Pas !". "T'es dev'nu un homme, pas !". "Ainsi, pas !", "forcément, pas !". Pour jouer, les gamins inventent leurs propres jeux. Les jeux de la ferme commencent au petit matin. Ils finissent à la nuit tombée.
(...)
Marcel ne joue pas aux gendarmes et aux voleurs. il ne joue pas à la guerre, non plus. Il ne pourrait pas mettre un enfant en joue, même au bout d'un simple morceau de bois."
(PP. 113-114).

De g. à dr. : Willy Winnykamen offrant son livre à Lili Pegaz, celle qui le sauva (Arch. fam. W. Winnykamn / DR).

Les larmes de son père :

- "Une traction avant noire, avec l'inscription "F.T.P." peinte en blanc sur les portes et un drapeau tricolore fiché en haut du gazogène, quitte la route et s'arrête devant la porte de la ferme (...). Plusieurs hommes, jeunes, mal rasés, assez joyeux mais attentifs au moindre bruit, l'oeil aux aguets, l'arme à la bretelle, mettent pied à terre. L'un d'eux appuie sa mitraillette contre l'aile du véhicule et prend Marcel dans ses bras. Il le lève au ciel et le fixe un bon moment. Puis il lui dit : "Boris, je suis ton père, tu te souviens ? Embrasse papa."
Lui, il couvre son fils de baisers. Gauchement, Marcel se débat.
(...) Les autres pressent leur chef :
- "Laisse, Jilien ! Il est encore què ounè kind. Il faut lé comprondre. Plis tard, til'verras ça s'arrongera siremont."
(...) La visite n'a duré que deux minutes. Aujourd'hui, soixante ans plus tard, ce sont deux minutes d'éternité. Mon père a de l'eau sur les joues. Il est sans honte devant ses hommes. Moi, je hais la guerre. Je la hais de m'avoir montré, quand j'avais treize ans, les larmes de mon père."
(PP. 125-126).

C'est pratiquement la fin :

- "On retrouvera un certain Bousquet dans l'entourage d'un Président de la République et un Papon au poste de préfet de la même République. D'autres encore seront élus du peuple. Non, le national-socialisme n'a pas tout perdu. Beaucoup de ses ennemis d'hier lui font encore un lit pour demain.
C'est pratiquement la fin. La victoire est à la porte. Cette victoire que ne verront pas les petits gars du plateau des Glières, ni ceux du Vercors, ni des milliers de leurs copains. J'ai appris qu'il y avait différents mots pour parler d'eux. Camarades, chez les communistes, en est un. Frères, chez les catholiques, aussi. Et puis, potes dans les faubourgs. Amis, chez les bourgeois. Compagnons chez les gaullistes. Copain est le plus employé parce qu'il est, à lui seul, tous les autres réunis."
(P. 127).

La guerre est finie :

- "La guerre est finie. Marcel retrouve un Papa et une Maman, miraculeusement indemnes. Ils viennent le prendre pour le ramener en ville. Définitivement.
Son Père qui s'est souvenu de sa réticence quand il voulait l'embrasser, lui tend la main, comme à un homme. Sa Maman, après l'avoir couvert de baisers, ne le lâche plus.
Comme Marcel s'accroche à Lili et à Raymond, elle lui explique :
- "Boris, les Pegaz ne sont pas ta mère et ton père. Ta mère, c'est moi, la grande dame brune qui te rendait visite, parfois."
(...) On arrache Michel au Montcel. Pour lui, le verbe arracher sonne juste.
Il n'est plus un Pegaz. Il n'est plus un Monctcellois. Il n'est plus Marcel. Il est devenu ou redevenu, il ne sait plus, Boris."
(PP 137-138).

- "Marcel le goïm était Juif mais Boris le Juif avait laissé le passé derrière lui en partant du Montcel. il l'avait laissé avec ses Pegaz et ses Massonnat ; avec tous ses Savoyards. Il l'avait laissé avec la dépouille de son ancienne vie. Avec les animaux de la ferme. Avec ses vaches : la Blanchette, la Noiraude et la Roussette. Avec Pompon et son cheval et boby son chien. Et surtout, surtout, il l'avait laissé avec l'ombre d'Albert."
(P. 143).

Résistants :

- "Valeureux parmi les braves, vous fûtes l'honneur de mon pays.
Vous, les oubliés, les "sans médaille", les simples, vous à qui je dois d'être encore vivant, et par qui ce témoignage peut, aujourd'hui, près de soixante ans après, voir le jour, il me vient pour vous un seul mot : HOMMAGE. Hommage aux Justes !
Vos noms, je veux les citer à l'ordre de la Mémoire. A l'ordre de l'Emotion. Ils y trouveront pleinement leur place :
"Résistants de tous les temps : Pegaz et Massonnat, mes Savoyards ; et vous, les Parisiens, les Normands, les Bretons, les Lyonnais", je vous cite et je vous aime ;
"Résistants de tous les lieux  de France, Résistants d'Allemagne et de tous les pays d'Europe ; Résistants d'Afrique, d'Asie, d'Amérique, vous tous", je vous cite et je vous aime."
Je veux chanter pour vous (...) le chant des partisans.
(P. 131).

Amélie Pegaz (Arch. fam. M. Willykamen / DR).

Sur base du dossier constitué et remis à Yad Vashem par Maurice Winnykamen :
Amélie Pegaz, Raymond, Marie-Thérèse et Renée ont été reconnus Justes parmi les Nations.

A propos des Droits Réservés :

Suite à un article consacré à ces quatre Justes et publié sur un autre blog, les photos en ont été recopiées sans autorisation sur un site, lequel a volontairement tronqué sa source. Or ces photos nous avaient été confiées par Maurice Winnykamen pour le blog en question et pour Mo(t)saïques. Les clichés, retravaillés et recadrés par nos soins, sont donc parfaitement identifiables. Un problème de Droits Réservés se posait dès lors. 
La responsable du site en question, s'est défendue en répondant par écrit : "ces photos sont dans le livre".
Seul problème, cet "Hommage, récit d'un enfant caché" ne comprend aucune illustration.
   

8 commentaires:

Brigetoun a dit…

à travers ça il est resté beau, et capable d'amour - raison d'espérer en l'homme ?

D. Hasselmann a dit…

Certains ne respectent pas plus les droits de l'édition que d'autre ont fait fi du droit à la vie (toutes proportions gardées, bien entendu).

Mais l'honnêteté, concernant particulièrement ce sujet, devrait s'y appliquer de manière exemplaire.

Merci pour la transmission de ce témoignage, hélas pas unique.

JEA a dit…

@ brigetoun

en toute subjectivité, je puis même ajouter que sa voix aussi, est restée belle...

JEA a dit…

@ D. Hasselmann

Mais la même "historienne" avait publié sur son site une page entière sur des recherches que j'ai menées seul pendant six années non stop.
Du premier au dernier mot, tout était de ma plume. Les photos aussi.
Malgré quoi, cette responsable de site mit le tout en ligne sans mon nom ni aucune autre référence que : "source inconnue"...
Incroyable ? Hélas non.

Vérité a dit…

Voilà le manque de professionnalisme de certaines personnes qui se couronnent "historiens", ne connaissant pas grand-chose à la grande Histoire. Ils n'ont d'autres recours que celui de plagier des écrits trouvés chez les vrais historiens qui eux ont étudié et savent de quoi ils parlent. Ils ont même le culot d'ajouter (DR) "droits réservés" pour des illustrations qui ne
leur appartiennent pas.
Quand on ne connait pas, il vaut mieux ne rien écrire que de faire un COPIER/COLLER bêtement.

JEA a dit…

@ Vérité

La vérité... c'est effectivement l'absence de méthodologie et de déontologie.

Danièle Duteil a dit…

Une très belle histoire en tout cas.

JEA a dit…

@ Danièle Duteil

Maurice Winnykamen :
- "Cette histoire est celle de mon enfance telle que je la vis dans ma tête d'adulte.
L'important, c'est l'Emotion."
(P. 11).