Meillant. Impossible de se réchauffer avec un grand crème ou un petit noir. Tout semble à l'abandon. Le ciel ne nous tombe pas sur la tête. Il est plus bas que terre (Ph. JEA / DR).
Il fallait bien un déluge
pour laver les traces de Papon
et révéler celles des Justes...
Le Cher...
Routes et rues métamorphosées en canaux. Carrefours comme des écluses.
Les forêts sont remplacées par des futaies de parapluies.
Pas un chat dehors ni même aux fenêtres.
La pluie ne joue pas des claquettes. Elle se prend pour les tambours du Bronx alors que le centre de la France n'en demande pas tant, lui qui se prêterait plutôt aux voix d'un violoncelle baroque !
Enfilades de façades claquemurées.
Plus consommateurs de gris que de blancs, les lavoirs noyent profondément leur chagrin.
Meillant (Ph. JEA / DR).
Seraient-elles acides ces averses qui se déversent ? Au point d'effacer tout passant. Les oiseaux aussi, disparus sans exception. Ne parlons pas du soleil, inconnu au bataillon de cette météo guerrière, peut-être otage embastillé derrière un autre horizon.
Quand une porte reste entrebaillée (d'ennui ?), elle ne s'ouvre sur... rien, sinon sur des silences prolongés.
Place de Thaumiers (Ph. JEA / DR).
La pluie dresse des grilles aiguisées.
Frappe des millions de fois les trois coups d'un spectacle son sans lumière. Déguise les flaques en lacs.
Elle ne se contente pas de faire des ronds dans l'eau mais s'exerce à des bonds de saltimbanque.
Mord dans les décors bucoliques comme en de vulgaires chiques.
La pluie s'offre une crise de mégalomanie.
Meillant (Ph. JEA / DR).
Ce 5 mai 2010 à Saint-Amand-Montrond, où il porta l'écharpe de Maire entre 1971 et 1983, Papon sombre définitivement corps sans âme.
Les silhouettes de 1.560 hommes, femmes, enfants, vieillards arrachés à Bordeaux pour mourir en déportation s'étaient donné rendez-vous sous la pluie pour voir le dernier naufrage d'un complice de crimes contre l'humanité.
Dans le Cher aussi, l'histoire finissait par renverser la statue arrogante d'un zélé serviteur de Vichy et qui choisit les horreurs dans le déshonneur.
Esplanade des Justes avant son inauguration (Ph. JEA / DR).
A son procès encore, Papon déclarait :
- "J'ai préféré salir mes mains dans les affreux drames collectifs et individuels" (1).
Voilà bien des taches indélébiles, sans oubli ni sans pardon.
Mais tandis qu'un fonctionnaire comme lui remplissait un rôle de pièce efficace dans l'engrenage de la Shoah, d'autres la sabotaient. Ceux-là prenaient par la main des persécutés sinon programmés pour les chambres à gaz.
A Saint-Amand-Montrond, ces citoyennes et ces citoyens de l'ombre, ces bienfaiteurs d'étoiles, ces Justes parmi les Nations (2) ont désormais leur Esplanade et une Stèle.
Que des couples viennent maintenant y promener leur bébé étonné, que des gosses y réinventent le monde qui en a bien besoin, que des amoureux y partagent leurs utopies fragiles, que des passants s'y arrêtent un instant laissant le temps en suspens, que des artistes y trouvent aussi leur inspiration, que des opprimés y respirent un peu de liberté malgré tout, que des désespérés y retrouvent au moins une approche de lueur, que des vieillards se retournent sur le passé sans uniquement en souffrir... Que tous aient aussi une pensée pour ceux qui les accueillent sur cette Esplanade : Justes et juifs que ceux-là ont libérés de la Shoah.
Cérémonie du 5 mai 2010. Inauguration de la Stèle en hommage aux Justes (Ph. non retouchée : JEA / DR).
Maire de Saint-Amand-Montrond, Thierry Vinçon a porté d'abord seul la décision de "laver" (selon son expression) la Ville des souvenirs troubles de son ancien édile et de lui "redonner la fierté de son passé".
Il eut la force et la sagesse non pas de tourner une page d'histoire, mais de la déchirer. Et d'ajouter en beauté un chapitre sur les Justes de Saint-Amand-Montrond :
- Juliette et Pierre-Aimé Laneurie,
ceux de la région :
- Pierrette et Roger Jurvillier, Marie et Etienne Boissery ainsi que leurs filles Annette et Pierrette, Léontine et Isidore Boyau, Henriette et Maurice Fagnot, Louise Labussière (Soeur Guillaume), Hermine Lasne-Durand, Suzanne Mercier, Germaine Vigne, Hélène Zemmour...
Lors de la cérémonie marquant l'aboutissement des rêves humanistes de Thierry Vinçon et de toute la Municipalité, la seule Juste encore en vie, Pierrette Jurvillier, a voulu conclure ainsi son témoignage :
- "Si vous trouvez que ce qui a été fait devait l'être, un combat n'est jamais terminé. A vous tous de continuer."
Il était là, lui aussi. Porteur d'un message de Simone Veil, son amie depuis Auschwitz. Président du Comité Français pour Yad Vashem et donc garant du travail de mémoire élaborant des reconnaissances de nouveaux Justes de France.
A la fin de la guerre, seul encore en vie d'une famille ayant fui l'Autriche quand elle se nazifia. Une famille de juifs confiant dans une France synonyme des droits de l'Homme.
Paul Schaffer fut arrêté le 26 août 1942 par deux gendarmes français et à Revel, donc en zone affirmée "libre", sans présence ni pression allemande. L'adolescent voulut auparavant se réfugier auprès d'un militaire réputé "gaulliste", mais en vain. Ce dernier n'en deviendra pas moins l'un des responsables de la résistance locale.
Paul fut déporté via Drancy. Mis au camp de Tarnovitz (3). Puis dans celui de Schoppinitz. Transféré en novembre 1943 à Auschwitz. Jusqu'à la "marche de la mort" marquant l'évacuation de ce camp d'extermination en janvier 1945. Il s'en évade avec son ami Zev...
Depuis, Paul Schaffer n'a cessé de veiller à la mémoire de la Shoah ainsi que sur la lumière des Justes.
Retour apaisé, la pluie s'est enfin retirée sur la pointe de ses gouttes (Ph. JEA / DR).
Avec Viviane, avec Michel, avec Suzy aussi, nous avions entouré Paul, Jenny et Jean-Yves, Pierrette, Nicole, Monique, François... Des amitiés se sont ressourcées. D'autres vont peut-être fleurir ? Le ciel sort de sa désespérance. Nous avons d'autres rendez-vous, l'histoire continue à s'écrire.
Hauteurs de Rethel vers Seraincourt. Cliquer sur la photo pour lui rendre sa dimension (Ph. JEA / DR).
Au bout du retour : les Ardennes.
Nous ne nous battons pas contre des moulins à vent.
Les éoliennes transmettent leurs messages avec une grâce apaisante.
Il y a comme de la douceur dans les humeurs de l'air et dans les couleurs sans douleurs...
NOTES :
1) Audience du 4 novembre 1997.
2) Non juifs reconnus officiellement par l'Institut Yad Vashem pour avoir sauvé des juifs alors que ceux-ci étaient destinés à disparaître dans le judéocide. Ces Justes parmi les Nations ont risqué leur vie et ce, de manière totalement désintéressée.
3) Camp annexe d'Auschwitz.
22 commentaires:
la pluie, pleurs - s'étend, s'étend sur le pays - et vos premiers paragraphes la feraient presque aimer - presque.
Pour les justes, eux, ils nous aident à aimer l'homme, tel qu'il doit être, tel que nous devons être
Votre billet est joliment écrit. Si cela vous intéresse, il est possible d'écouter les discours prononcés ce 5 mai, sur mon blog ( http://imagesetsonsduberryleblog.owni.fr/ )
ainsi que sur le site du Berry républicain (deux vidéos http://www.leberry.fr/editions_locales/saint_amand_montrond/justes_l_hommage_de_saint_amand@DRlBLDtUMisAFxw-.html
Philippe Cros
@ brigetoun
auriez-vous des antennes ?
à peine revenu pour publier ce billet trempé et comme le répète un rituel déjà ancien, vous êtes la première à répondre...
vos mots pour les Justes sont parmi ceux que je préfèrerais pour les décrire dans un dictionnaire
@ philippe cros
soyez remercié pour les liens avec votre blog autrement plus pointu, côté technologie, que celui-ci
Votre billet est très émouvant et la photo des éoliennes fait du bien, on sent le souffle de l'espoir.
@ MH
Après la voie rapide venant de Reims, sortie Rethel. Par là, les routelettes ardennaises ne jouent pas de coudes pour se faufiler. Et la lumière était ainsi saupoudrée sur le paysage.
Vos photos sont somptueuses et votre texte empreint de cet humour poétique qui est votre marque et sonne juste pour cet hommage aux humains qui ont résisté à la lâcheté
@ zoé lucider
Zoé, si vous saviez... J'ai vraiment craint perdre mon appareil photos. D'abord une éponge. Ensuite à tordre (et ce n'était pas de rire). Il est enfin resté au moins une heure (de discours, il est vrai) en coma dépassé.
Je viens de vous lire trois fois, une boule énorme dans la gorge et des yeux brûlants.
Je vous aime énormément JEA. Enormément.
Au nom de qui vous savez et au nom de moi-même.
@ Chr. Borhen
Promesse tenue.
Très belles photos (j'aime particulièrement le lavoir désespérément gris) et belle écriture.
Merci aux Justes d'avoir sauvé des vies. Ils redonnent un peu confiance dans le genre humain.
Votre page est très émouvante, moi qui étais à la cérémonie, je ressens toute votre émotion pour ces JUSTES, Hommes et Femmes d’un grand courage qui n’ont jamais hésités à sauver leur prochain en grand danger de mort. Ces étoiles ne s’éteindront jamais dans l’histoire de l’humanité, elles brilleront pour l’éternité. Que leur mémoire perdure à tout jamais.
Un grand merci à vous aussi d’avoir évoqué le passé douloureux de notre très cher ami, Monsieur Paul Schaffer qui malgré son douloureux passé et son enfance martyrisée, n’a jamais cessé de travailler afin que la jeunesse sache ce qui s’est passé. Espérons que son travail ne soit pas inutile, « contre l’oubli »
@ Daniéle Duteil
Hors sujet, enfin pas trop, puis-je vous réitérer l'invitation pour une page nomade parmi ces mo(t)saïques ?
Photo de Meillant : la pluie fait les gros yeux, plutôt que des claquettes...
"Face au nazisme qui a cherché à rayer le peuple juif de l'histoire des hommes et à effacer toute trace des crimes perpétrés, face à ceux qui, aujourd'hui encore, nient les faits, la France s'honore, aujourd'hui, de graver de manière indélébile dans la pierre de son histoire nationale, cette page de lumière dans la nuit de la Shoah." (Simone Veil, Discours du 18/1/2007 à l'occasion de la cérémonie du Panthéon en hommage aux Justes de France)
@ Viviane Saül
Mozart écrivait :
- "Le vrai talent sans coeur est un non-sens..."
Or vous avez tant de talent pour humaniser ce genre de cérémonie et tant de coeur pour toutes celles et ceux qui ont alors des nuages dans les yeux...
@ Tania
Merci à vous d'avoir fait entendre aussi la voix de Simone Veil. Elle pour qui "il ne se passe pas un jour" sans de longues pensées pour celles et ceux qui ne sont jamais revenus, mais encore pour celles et ceux qui osèrent faire passer leur conscience bien avant les ordres de Vichy et des occupants.
Merci Jean, j'y songe. Mais à vous lire je me sens toute petite.
@ Danièle Duteil
Certes les haïkus ne tombent pas dans le gigantisme, mais vos poèmes David sont infiniment plus inspirés que bien des Goliath qui écrasent internet de leur suffisance...
@ JEA : je savais que vous ne reviendriez pas les mains vides mais le coeur plein, et l'écriture à l'unisson de vos photos (celle des éoliennes a un côté Seurat assez troublant).
Il ne pouvait s'agir que du billet forcément le plus juste sur la question.
@ D. Hasselmann
Suites de la semaine dernière ? Il fallut ramer dur sur blogspot pour qu'un bug opiniâtre finisse par libérer votre commentaire...
Je suis partie travailler avec votre texte en moi ce matin.
J'y reviens maintenant.
Ecouter l'écho, qui n'est ni le son même, ni différent.
Ce qu'on a reçu ne peut être rendu qu'à d'autre, autre part, autrement.
Je serais toujours redevable au monde de la générosité de quelques uns.
Je vous embrasse
Beaucoup de beauté et de poésie dans ces descriptifs de paysages naturels et humains à travers les mots et les images.
Beaucoup d'émotion face à la dignité qui a combattu l'horreur et la violence.
Et le devoir du souvenir mais aussi l'éveil constant face à la violence toujours présente en ce monde. Il ne suffit pas de se souvenir d'hier, aujourd'hui, d'autres souffrances même plus discrètes méritent d'être soulagées.
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