DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

dimanche 16 mai 2010

P. 282. Mai 1940 : Exodes d'Ardennais

.
Contrairement à la légende de cette carte : pas vraiment dans la Vallée de la Meuse mais la surplombant entre Renwez et Bourg-Fidèle, le village des Mazures (DR).

Témoignages de Mazurois
obligés en Mai 1940
de prendre les routes
d'un exode aussi douloureux
que dangereux...

Les calendriers l'affirment unanimement : nous serions en mai. Le nez à la fenêtre ou un pied dehors en feraient douter mais des historiens confirment. Les professionnels qui ouvrent les albums souvenirs d'un autre mai, vieux de 70 ans et maudit : 1940.
Commémorations et publications se succèdent particulièrement dans les Ardennes de France. Sedan synonyme de "percée" n'y est pas étrangère, pour se limiter à un seul exemple...
Pour apporter notre goutte d'eau, voici quelques témoignages sur la roue du moulin à moudre le passé. Ils se limitent à un village : Les Mazures. Ces souvenirs ont été recueillis en complément d'une étude portant sur le seul "camp pour juifs" (1942-1944) de Champagne-Ardenne et qui se dressa sur le territoire de cette commune.

Marguerite Henon :

- "Ma belle-mère nous dit :
"Oh, c'est mauvais : voilà les Belges qui se sauvent par notre village. Ca me rappelle 1914..."


Mireille Colet-Doé :

- "Le 10 mai, des Belges passent par les Mazures pour prendre les chemins de l'exode.
Le 12, à 8h30, je ne commence pas mes cours et j'avertis les enfants qu'il est trop dangereux de rester à l'école . Des avions allemands passent à basse altitude. Ces rase-mottes pourraient être suivis de bombardements. Il faut éviter une éventuelle hécatombe...
Le 13, départ pour la Vendée où se replie la Préfecture des Ardennes."

(NB : On l'aura compris, témoignage de l'institutrice du village).

11 mai 1940 : bombardement de Rethel (Doc. JEA / DR).

Louis Baudrillard :

- "Aux Mazures, on voyait des soldats passer sans arrêt. J'avais encore mes deux grands-mères et elles faisaient du café notamment pour les spahis qui gelaient sur leurs chevaux.
Je me souviens aussi de l'artillerie. Ils réquisitionnaient des chariots. Nous avons perdu des chevaux dans cette histoire. Mes parents n'ont jamais été indemnisés car il fallait un témoin et personne n'a accepté de se porter garant.
Puis des avions allemands sont venus lâcher des bombes. L'une est tombée sur la première maison du village en venant de Revin. Dans la prairie, il y avait en effet un canon pointé pour la défense du village. Puis ce fut la débâcle...
Le Maire, Marcel André, a lancé un appel pour partir. Me voilà avec mes parents et les deux grands-mères dont Marguerite pour qui c'était la troisième guerre..."


Alberte Pernelet :

- "Venant de la Mairie, des papiers officiels imposent l'exode. Nous devons abandonner les bêtes : une douzaine de vaches laitières. Et nous prenons le départ avec les deux chevaux qui tirent le chariot qui déborde de nos affaires mais aussi de celles de voisins."


Des Ardennes vers l'Aisne (Doc. JEA / DR).

Alberte Pernelet :

- "Alors que nous sommes encore dans les Ardennes, nous sommes bombardés pour la première fois à St-Marcel. Pour échapper aux avions, notre famille éclate en quatre groupes. Mon père s'abrite dans une cabane à cochons pour empêcher les chevaux de s'emballer sous le fracas des bombes... Ma mère et mon frère se réfugient au presbytère où se fêtait un baptême. Ma soeur et moi, nous nous sommes littéralement retrouvées dans les murs extérieurs de l'église. Je me souviens qu'une dame est tombée à côté de nous...
Beaucoup avaient peur mais j'ai toujours été curieuse et je voulais voir ce qu'était la guerre. Depuis, je suis d'ailleurs restée hardie !
Pour échapper aux Allemands, il est décidé de ne plus se déplacer que la nuit. Deux garçons nous précédaient sur le côté des routes avec des piles électriques. Ils devaient repérer les bombes non éclatées ainsi que tout autre obstacle.
Nous parvenons finalement à Rethel, mais en avançant de plus en plus difficilement et surtout en évitant le centre de la ville à cause des bombardements."


Marie-Rose Maquin :

- "Chacune de nos deux familles avait son équipage : un chariot tiré par trois chevaux, ce n'était pas de trop car nous avions l'obligation de prendre les bagages d'autres habitants du village. A tel point que les chevaux n'arrivaient pas à tirer le tout, vous savez c'était lourd.
Nous avons déjà été bombardés sur la route de Renwez. C'est qu'ils nous visaient vraiment ! En arrivant à la côte d'Hardoncelle, nous avons sauté en bas du chariot tellement les avions nous cherchaient. J'avais une tante et une cousine qui ne pouvaient descendre tellement elles étaient vieilles...De son côté, un poulain de 18 mois avait rompu son licou et il courrait comme un fou à travers tout tellement il avait peur des bombes...
On a abandonné les vaches. Et pour pouvoir quand même avancer, il a fallu mettre 6 chevaux à un seul chariot puis recommencer ensuite avec le deuxième, tout ça sous les bombardements...Finalement, les colis ont même été déchargés."


Instructions pour la gendarmerie de l'Indre afin d'"aiguiller" l'exode :

- "Prière aux gradés et aux gendarmes de bien étudier toutes les directions de manière à donner à ces malheureux des renseignemenst exacts et à ne pas les aiguiller sur n'importe quel chemin d'où ils ne pourraient sortir ni se diriger. Soyez polis, corrects, compatissants (...).
Départements évacués :
Aisne -...-Département d'accueil Mayenne
Ardennes -...- Vendée 2Sèvres."

Marguerite Henon :

- "Nous voilà partis le plus souvent à pied, parfois dans un camion. Nous avons connu les attaques de l'aviation allemande. Ainsi, à Berry-au-Bac, lors du franchissement de l'Aisne. Ce sont des chevaux tués le long des routes...On filait au plus vite et on couchait dans des granges. "

Louis Baudrillard :

- "En route, ça tirait de partout. J'ai vu des gens touchés. Une bombe est tombée sur un chariot de Belges. Ca m'est resté, ces pauvres gens qui hurlaient..."

Exode de grabataire (Doc YV / DR).

Marie-Rose Maquin :

- "L'exode a duré 15 jours. On n'en pouvait plus. Finalement, les chariots ont été mis sur un train et les chevaux enfermés dans des wagons. Nous, on nous a mis dans des cars. Tout ça par Mantes puis La Roche-sur-Yon.
Nous sommes finalement arrivés à La Tranche où nous avions des maisons individuelles. Les hommes avec les chevaux avaient fait le tour par Paris avant La Tranche."


Alberte Pernelet :

- "Nous avons été jusque dans le Loiret mais en route nous entendions répéter que ceux de Paris fuyaient la capitale, que tout était abandonné... Et arrivés aux ponts sur la Loire, on reculait plus qu'on avançait. Impossible de passer avec tous ces réfugiés dont beaucoup de Parisiens.
Après huit - dix jours passés dans la région de Montargis, on décide de rebrousser chemin.
C'est ainsi qu'après trois mois d'exode, nous retrouvons les Mazures.
Chez nous, tout, absolument tout avait été pillé. Même par des gens du village... Je me souviens avoir accompagné ma mère à une vente publique à Bourg-Fidèle.
Ma mère reconnaît soudain un pantalon en velours de mon père. Elle interpelle le notaire : "Mais...C'est à mon mari ! Vous pouvez vérifier. Dans une poche, j'ai ajouté une pièce verte. Impossible de se tromper !"
Et c'était vrai, le notaire retourne les poches et trouve une pièce verte...Mais il s'excuse et dit devoir continuer quand même la vente du pantalon..."


Mireille Colet-Doé :

- "A La Tranche-sur-Mer, les Mazurois ne sont pas vraiment bien reçus. On nous appelait "les Boches du Nord". Le directeur de l'école à laquelle je suis rattachée comme institutrice, me demande même si je viens prendre des vacances.
Heureusement, les gens simples de la côte vendéenne se montrent plus chaleureux.
En mai 1941, nous sommes revenus grâce à la voiture conduite par mon père. Nous devons franchir la ligne de la zone interdite à Vouziers. Le pont sur l'Aisne avait été coupé et une passerelle le remplaçait.
Mon père passe sans problème avec la voiture. Mais je suis repoussée malgré ma petite fille que je porte dans les bras. Alors, j'ai attendu le changement de garde pour une deuxième tentative qui sera la bonne. Voilà comment nous sommes revenus en fraude ! Nous étions devenus indésirables chez nous !
Les Mazures ont triste allure."



9 commentaires:

Brigetoun a dit…

le côté presque habituel, presque comme des saisons : les belges passent, signe qu'il faut partir - s'arrêter, non, Paris est en route

JEA a dit…

@ brigetoun

1870 puis 1914 et l'occupation jusqu'en 1918... et enfin 1940, vous avez raison et M. Baudrillard insiste : trois invasions en 70 ans !
comme des mouvements de balancier de l'histoire
et comme une fatalité heureusement écartée ensuite par la construction aussi imparfaite soit-elle de l'Europe
avec cette image de Mitterrand et de Kohl, main dans la main, à Verdun...

D. Hasselmann a dit…

Qu'un Baudrillard ait été là, dans cette débâcle, rassure quant à la confiance que l'on peut avoir dans les gens.

A l'époque, la gendarmerie était "compatissante" : elle ne marchait pas qu'au radar.

Chr. Borhen a dit…

Lire ici (aussi) :
http://42mazures44.over-blog.com/article-6794169.html

Danaelle a dit…

"A La Tranche-sur-Mer, les Mazurois ne sont pas vraiment bien reçus. On nous appelait "les Boches du Nord". Ce passage me rappelle un souvenir... Dans les années 57, à l'école primaire de l'île de Ré, l'institutrice disait à ma soeur aînée quand elle lisait : "Tu parles comme une Boche" ! Comme par hasard, mes grands-parents paternels étaient de l'Aisne, notre père aussi par conséquent. Troublantes similitudes.

JEA a dit…

@ D. Hasselmann

Hier lundi, je me suis rendu à Paris (aux Batignolles) pour cause relevant de l'historique.
Pitié, j'ai cherché en vain l'atmosphère, du moins un début d'atmosphère de vos photos ! Il y avait certes des clichés : le balayeur de rues très noir et vêtu de fluo, quelques clodos sur un banc, des vigiles plus flicards tu meurs. Mais vos photos, non. Je suis resté malgré moi à la surface des rues. Dans une espèce d'hystérie collective (à 17h, un carrefour à feux rouges, je ne vous dis pas...).
Alors vite de retour pour retrouver sur votre blog un Paris qui ne ressemble pas à une vaste mêlée de rugby.

JEA a dit…

@ Chr. Borhen

Merci de relier avec des recherches menées entre 2002 et 2008... Mais ce blog-là, s'est arrêté avec les recherches en question. Depuis, il est envahi de deux pubs au moins, ce qui me heurte et ne puis modifier.
A vous, je puis confier cette provoc et cette récupération indécentes : une pub pour un hôtel de... Nuremberg pour une page portant sur des rescapés de camps.

JEA a dit…

@ Danièle Duteil

Pour ne pas aller rechercher une montagne de références, les ordres donnés aux gendarmes de l'Indre et reproduits sur la page du blog montrent que pour le département de l'Aisne, l'évacuation était prévue en Mayenne. En théorie...
Reste ce constat objectif : d'une part les discours cocardiers. D'autre part les réalités : des réfugiés du N-E assimilés aux ennemis, du moins en mots. Ce fut déjà le cas en 14-18. Notamment pour les paysans obligés de fuir la Somme et étiquetés eux aussi comme "boches"...
Bref, les différences, réelles ou fantasmées, ne cessent de générer au moins autant de rejets que de solidarités.
Et qu'une enseignante de la République ait construit une discrimination blessante à l'intérieur même de sa classe en dit hélas long sur des mentalités obtues et racistes à leur triste manière.

Danaelle a dit…

Je suis bien d'accord.