Pour situer Landouzy-la-Ville en Thiérache.
Carte d'après : Sur une frontière de la France. La Thiérache. Aisne, Textes, Photographies et Cartographie, sous la direction de Martine Plouvier, Association pour la généralisation de l'Inventaire régional en Picardie, 2003, 287 p.
(Montage JEA / DR).
8e étape sur une route
des églises fortifiées de Thiérache :
Landouzy-la-Ville
et son franc-maçon...
La route qui vous est proposée sur ce blog, se sait fantaisiste et n'en éprouve aucun complexe. Aussi, vous décrit-elle aujourd'hui un détour au départ de la page 172 et de l'église de Plomion. Quatre petits kilomètres en remontant au nord...
Plomion : grâce à N. Greno, l'église fut sauvée d'une destruction barbare par les occupants allemands de 1871 (Ph. JEA / DR).
Donc à jet de brique de Plomion : Landouzy-la-Ville.
Sans vouloir blesser aucune susceptibilité, l'architecture de l'église (XIXe s.) n'a pas de quoi enthousiasmer. Elle se dresse au milieu d'une localité éclatée. La place est superbe d'étendue. Ce qui s'explique par l'espace destiné à une vaste halle, hélas détruite dans les années 20...
A mi-route entre Vervins et Aubenton, Landouzy-la-Ville se dresse au centre d'une circonférence de lieux aux noms qui (en)chantent :
- les Prés aux Lièvres, la Petite Rue aux Boeufs, le Chêne Bourdon de Bas, la Cense des Nobles, le Saule Jean Blanc, le Fossé Malbrough, le Chaudron...
Vous aurez compris que ce n'est pas l'église qui aura aimanté vos pas jusque-là. Mais le cimetière. En effet, dans l'ouvrage sur la Thiérache cité en introduction, une page relative à "L'architecture funéraire", consacre cinq lignes à la tombe de Narcisse Greno. Si vous le voulez bien, nous allons nous y arrêter.
Au lieu-dit "La Huguenoterie", le cimetière communal de Landouzy-la-Ville. Il s'étend sur le site de l'ancienne forteresse du seigneur de Vervins. Les murs se dressèrent là de 1168 à 1423. Leur destruction est liée aux guerres de religions.
Au centre du cimetière : la tombe de Narcisse Greno (Ph. JEA / DR).
Inventaire du patrimoine culturel de Picardie :
- "Ce monument funéraire est celui du négociant en vin Narcisse Greno, bienfaiteur de la commune, qui possédait sur la commune une maison (étudiée), située 12 rue de Plomion. Sa situation au milieu du cimetière, est liée aux conditions d'installation du cimetière sur le site du château des Coucy-Vervins, Narcisse Greno ayant fait don de cet emplacement à la commune sous réserve que son tombeau soit le premier à être mis en place. En effet, par son testament du 6 juillet 1890 il léguait " à la commune de Landouzy-la-Ville un terrain lieu-dit le Vieux Bosquet ou le Vieux Château pour l'installation d'un nouveau cimetière ".
Le legs fut accepté après sa mort, survenue le 22 octobre 1892, par le biais de ses cousines Aglaé et Elisa Olivier dont le tombeau est à proximité immédiate de celui de Narcisse Greno. Le legs fut formalisé le 8 juillet 1893, le tombeau de Narcisse Geno a été vraisemblablement construit au cours des derniers mois de 1892. Les plans ont vraisemblablement été exécutés par un architecte, non identifié, suivant les volontés de Narcisse Greno. Les deux éléments taillés, base de colonne ou fragment architectural, encadrant l'escalier central, sont localement réputés provenir des vestiges de l'abbaye de Foigny. Ce tombeau a été restauré en 1992."
Epitaphe de la tombe de Narcisse Greno (Ph. JEA / DR).
Inventaire du patrimoine culturel de Picardie :
- "Ce tombeau, affectant la forme d'un tumulus antique, est constitué d'un monticule de terre comportant un solin de moellon calcaire grossièrement taillé qui soutient une butte dotée d'une couverture végétale, et encadrant un escalier central permettant d'accéder à une base en brique rectangulaire supportant une pierre d'apparence mégalithique. Cette base comporte en son centre une plaque de bronze portant l'épitaphe suivante " 1810 Greno 1892/Travail Loyauté Bienfaisance ". Deux éléments en pierre de taille calcaire blanche, base de colonne ou d'élément architectural, sont disposés de part et d'autre de l'escalier.
Ce monument funéraire est caractéristique de l'influence des courants de pensée de la franc-maçonnerie. Il (…) peut être rapproché de celui d'Allan Kardec (1) au cimetière du Père Lachaise."
Or donc, dès vos premiers pas dans ce cimetière nettement à l'écart de la localité, en un lieu silencieux, accueillant pour les vents, impossible de ne pas remarquer ce tombeau-tumulus. Surmonté d'une pierre brute.
Le ciel est occupé à nuancer tous ses gris. Les arbres ont rendu toutes leurs feuilles pour l'examen du proche hiver.
Quelque photos. Un couple âgé passe d'une tombe à l'autre pour s'y recueillir. Puis, lui, s'approche timidement, elle en retrait, très attentive :
- "Vous connaissez Monsieur Gréno ?"
C'est le genre d'endroit où vous vous sentez à l'envers des bavardages. Mais le ton est si marqué d'étonnement que vous bafouillez :
- "Connaître ? Je ne suis pas de la famille..."
- "C'est tellement rare de voir de gens qui ne sont pas du village, venir ici, pour lui."
- "Pour être étranger, ça oui, je ne suis même pas Français."
- "Mais alors, comment le connaissez-vous ? Il est un bienfaiteur pour nous. Vraiment. Un grand. Mais vous ?"
Ce villageois parlait du défunt au présent. Or Narcisse Greno est décédé en 1892.
Que répondre sinon que le patrimoine, vous ne le laissiez pas gisant dans des livres. Et qu'une tombe de franc-maçon au milieu des églises fortifiées, voilà qui donnait un relief particulier à votre itinéraire.
- "Vous savez que sa maison existe toujours ? Au 12 de la rue de Plomion. Vous la reconnaîtrez aussitôt avec ses signes maçonniques sur la façade..."
Narcisse Greno est mort inopinément à l'âge de 82 ans, le 20 octobre 1892. Il parcourait les caves Pommery à Reims. En effet, en 1856, il s'associa avec Louis-Alexandre Pommery pour consolider une maison de champagne appelée à la célébrité. Selon ses volontés, le défunt a été incinéré puis son urne déposée dans ce monument "inaugurant" le cimetière de Landouzy-la-Ville (Ph. JEA / DR).
Vous remontez vers la place par la rue du Cimetière, puis choisissez la rue des Juifs, tout droit, un peu de patience, et débute la rue de Plomion. Le 12 se situe à droite (dans nos campagnes, ce n'est pas une évidence), juste avant un vilain tournant.
Patrimoine de France :
- "Cette maison est liée à la personnalité de Narcisse Greno (1810-1892) . Originaire de Neuve-Maison, mais ayant passé son enfance à Landouzy-la-Ville, il prend la direction en 1836 de la maison champenoise Dubois-Gossart. En 1856, il s'associe avec Louis-Alexandre Pommery pour constituer la célèbre entreprise de champagne rémoise. Greno devient le courtier et le représentant de ces champagnes.
Se retirant des affaires en 1860, il se consacre alors à de nombreuses oeuvres de bienfaisance et à la constitution de l'une des plus importantes collections privées d'objets d'art de l'époque (2).
En organisant les obsèques d'un officier prussien au temple de Landouzy (3), il réussit en 1871 à éviter la destruction programmée des églises de Jeantes, Plomion et Landouzy.
Par son testament, il lègue à la commune le site du château des Coucy-Vervins, transformé en cimetière, une bourse d'apprentissage pour les jeunes et le produit financier de la vente du bois de la Huguenoterie.
Résidant à Reims, il se fait bâtir à Landouzy-la-Ville, au cours du 3e quart du 19e siècle, une maison entourée d'un vaste parc, sur le site d'un ancien ermitage. Pour en perpétuer le souvenir, Greno décora l'écurie d'une fenêtre de style néo-gothique. Ce bâtiment jouxtait la maison de ses cousines Aglaé et Elise Olivier qui a été détruite au début des années 1990, la grange seule subsistant."
La maison Greno (Ph. JEA / DR).
Patrimoine de France :
- "Ses convictions de libre-penseur et de franc-maçon, que l'on retrouve dans son monument funéraire (étudié) dans le cimetière de Landouzy-la-Ville, s'illustrent ici par les fers d'ancrage en forme de triangle maçonnique.
La maison a perdu ses décors intérieurs à l'exception de certains de ses volets intérieurs en bois. Le toit était autrefois surmonté d'un belvédère qui servit de lieu d'observation aux allemands lors de la 1ère Guerre Mondiale, il a été démonté au lendemain de la deuxième Guerre Mondiale et partiellement entreposé en pièces détachées."
N'ayant pas eu connaissance d'études sur ce personnage peu commun (en milieu rural, qui plus est), je puis cependant vous préciser que les archives municipales abritent quelques documents dont le testament de Narcisse Greno.
Le déplacement vous serait d'autant plus léger que les lieux préservent des images au nombre desquelles ces quelques instantanés.
Le parc de la maison Greno n'est plus. Mais cet arbre solitaire en porte peut-être des bribes de mémoire (Ph. JEA / DR).
Au cimetière, une tombe dans l'oubli avec les noms glissant vers un monde illisible (Ph. JEA / DR).
Le monument aux Morts. Avec un étrange poilu. En uniforme de parade. Décorations sur le coeur. Et comme frappé par une balle en plein élan patriotique (Ph. JEA / DR).
Plus pacifiques, les rives du Thon à Eparcy. Reflets passagers clandestins. Il y a tant de douceur dans l'air (Ph. JEA / DR).
NOTES :
(1) Allan Kardec (1804-1869) fondateur du spiritisme. Sa tombe est toujours fleurie au Père Lachaise et sert de rendez-vous aux amateurs de sciences occultes et aux adeptes du "kardécisme". Personnellement, ni sur le plan des idéaux, ni sur celui de l'architecture, je ne vois pas de rapport avec la tombe de Narcisse Greno.
(2) Le mécène a offert deux tableaux au musée de Vervins, et trois à celui de Reims.
(3) Landouzy-le-Ville se distingue en Thiérache par la présence d'un temple et d'un cimetière protestant.
13 commentaires:
merveilleux billet, douceur du rose des briques, beau dialogue
'Narcisse Greno', nom aux consonnances sympathiques comme son tombeau de franc-maçon au milieu des tombes catholiques... voilà un cimetière sympathique !
Merci pour les très belles photos et pour le Mozart de Herreweghe.
@ brigetoun
c'est la Thiérache qui est une anthologie fort délaissée au fin fond de bibliothèques négligées...
et cependant, une fois ouverte, cette anthologie ne lasse jamais
@ claire
Voici les excuses qui vous sont dues. En effet, l'enregistrement d'Herreweghe disponible sur YT s'est révélé poser trop d'imperfections techniques. Il vient d'être remplacé par la version de Jordi Savall. Sans chercher débilement (je parle pour moi) à les mettre en concurrence. Uniquement pour ne pas massacrer les oreilles qui écoutent ce blog...
Plus méconnu que le soldat inconnu : sa femme.
@ Anna de Sandre
Son testament ne précise ni épouse ni enfants. Le monument funéraire est isolé, à son nom seul.
Seules ses deux cousines sont évoquées Aglaé et Elise Olivier. Elles ont leur tombe commune (avec une croix) en retrait, à gauche de celle de N. Greno. Quand on parle avec des villageois, eux aussi ne citent, comme parenté, que ces deux cousines.
Voilà pour la vie administrative de ce maçon. Celle affective ???
Belle rencontre ! et beau lieu... Ces gens parlant de leur bienfaiteur au présent, cet automne, ce cimetière tout cela est étrange, fascinant.
Une histoire et une couleur particulière qui nous embarquent. Par la grâce de votre écriture à la fois précise et très atmosphérique. Vraiment...
Toutes mes félicitations !
@ frasby
A Lyon, vous décrivez les gens de la campagne se reconnaissant car ils "demandent leurs chemins"...
Jusqu'ici, les gens des villes ne viennent pas, faute peut-être de boulevards, d'avenues, d'artères...
Superbe "Tombeau de Narcisse" illustré. Etonnante architecture funéraire, formidable devise: "Travail, loyauté, bienfaisance".
Vos photos parlent, merci pour la découverte partagée.
Rien de funéraire dans cette étonnante promenade, on aurait même envie de déboucher une bouteille de Pommery pour saluer son auteur.
Ce Narcisse devait se mirer dans des bulles et son tumulus vaut bien une cave où il aurait dû être "manipulé" tous les jours, si on l'avait confondu avec le grand cru dont il s'occupa un temps.
La pierre garde ses traces peut-être mieux que le verre... et grâce à un promeneur impénitent.
@ Tania
On peut supposer sans grand risque de se planter que la devise est maçonnique. Mais est-elle personnelle ou plutôt celle de la loge aux travaux de laquelle participait N. Greno ?
La première loge de Reims a été fondée en 1751 : "La Triple Union".
Et la seconde en 1765 : "La Parfaite Amitié".
Toutes deux inscrites au Grand Orient de France.
Si un commentateur (masc. gram.) en connaissait les devises ?
On peut encore supposer que ce maçon n'était pas membre de la Grande Loge Nationale dans la mesure où celle-ci est déiste. La tombe en aurait porté des symboles...
Ni membre du Droit Humain, la première loge de Reims remontant seulement à 1936...
A en croire une interview de François Reboud donnée à L'Express, il y avait en 2005 non moins de 14 Loges à Reims dont 5 du GOF et 3 de la GLNF (3 janvier 2005).
@ D. Hasselmann
Votre commentaire fait chanter à l'oreille un air estudiantin dont j'ignore s'il est connu en France ?
Il s'agit du "Semeur", dont voici le refrain :
- "Frère, lève ton verre
Et chante ta gaieté,
La femme qui t'es chère
Et la fraternité
A d'autres la sagesse,
Nous t'aimons, Vérité,
Mais la seule maîtresse,
Ah, c'est toi, Liberté..."
Allan Kardec:
http://espiritismohistoria.blogspot.com/
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