omnibus, 2008, 964 p.
Succession de portraits :
- Gaston Bonheur, Charles de Gaulle, biographie.
- Jean-François Revel, Le style du Général.
- Jean Daniel, De Gaulle et l'Algérie. La tragédie, le héros et le témoin.
- Georges Izard, Lettre affligée au général de Gaulle.
- Michel Cazenave, De Gaulle et la terre de France.
- Jean Mauriac, Mort du Général de Gaulle.
- Régis Debray, A demain De Gaulle.
- Maurice Agulhon, De Gaulle, histoire, symbole, mythe.
C'est la "loi" du genre. Une recette avec ses facilités et ses exceptions. Mettre sous la même couverture des auteurs qui se sont parfois ignorés si pas détestés mais dont les plumes ont gratté sur des sujets identiques. Parfois, le lecteur (masc. gram.) se demande s'il ne subit pas des remplissages et si du côté des éditeurs, on ne se paie pas un rien sa tête. Parfois, reviennent à la surface des livres injustement oubliés, passionnants.
Ainsi dans ce volume de portraits, se distinguent les journalismes respectifs de Jean Mauriac et de Jean Daniel. Des styles différents mais tous deux à la fois légers à la lecture, travaillés à l'écriture, rigoureux dans la pensée, non complaisants vis-à-vis du sujet.
Quant à Régis Debray, il entend payer une dette morale envers un Président de la République qui intervint vigoureusement pour lui éviter de connaître le sort du Guevara. Cette admiration d'un gauchiste pour un général droitier est émouvante. Même si "demain De Gaulle", c'est aujourd'hui Sarkozy !
Par contre, quelle pénible surprise de "tomber" sur la "biographie" de Charles de Gaulle par Gaston Bonheur.
En ouverture des textes choisis et présentés par ses soins, Jean-Pierre Rioux annonce :
- "Gaston Bonheur, jeune journaliste au rocailleux accent audois, juste sorti de son maquis et de son comité de Libération, avait dès 1946 publié chez Gallimard une petite biographie très enlevée du Général, et pas pédante pour un sou, qui crépitait comme un feu de sarments. Reprise et augmentée, il l'a réassortie avec succès en septembre 1958, par accompagner lestement le lancement de la nouvelle République. Gaston Bonheur est alors directeur de Paris Match, après avoir fait ses classes à Paris Soir puis à Paris Presse l'Intran. Comme on va le voir, il a du métier."
(P. IV).
Du métier ? Comme conteur, fébuliste, fébulateur, certes... Journaliste ? Alors dans un style Paris Match très involontairement caricatural. Par contre, lui-même sème des doutes sur ses qualités de biographe (le parlons pas d'historien).
Churchill et de Gaulle. Eisenhower (Mont. JEA / DR).Gaston Bonheur ne se prive pas de broder dès les premières pages de sa "biographie" :
- "L'enfant {de Gaulle}, agenouillé au pied de son petit lit de chêne ciré, priait pour qu'on lui accordât de faire un jour de grandes choses, d'avoir sa place dans ce monde prodigieux où l'on parle en alexandrins qui riment bien, de découvrir le pôle Sud, de secourir les petits Chinois ou de délivrer Strasbourg - cette dame de pierre si triste, assise dans un coin de la Concorde et à laquelle on apportait des fleurs le dimanche matin. Et cette prière, l'apprenti paladin l'adressait à Notre-Dame-de-la-Foy qui, il y a juste dix ans, présida à sa naissance, du haut de la niche creusée dans la façade d'une maison du vieux Lille, près du quai de la Basse-Deule.
- N'importe quoi, Notre-Dame-de-la-Foy, mais quelque chose de grand...
Avant de se coucher, il écarta le rideau de la fenêtre et, son front fièvreux collé à la vitre froide, il regarda, au-dessus des tours familières de Saint-François-Xavier, les étoiles du ciel de novembre, ses étoiles..."
(P. 11).
Pourquoi Epinal n'a-t-elle point reconnu Gaston Bonheur comme citoyen d'honneur ? Il l'aurait amplement mérité. Mais pardon, tout est fiction ou du moins accumulation de suppositions tout au long de cette description du 10e anniversaire du petit de Gaulle "au front fiévreux".
Rien de sérieux, rien de bien méchant. Que pensa de Gaulle dans la solitude de sa chambre au soir de cet anniversaire ? Mystère perdu. Et rester dans cette ignorance-là ne risque pas de freiner les progrès de l'humanité...
Sautons à la page 117. Nous voici le 4 juin 1944. Churchill a conduit de Gaulle au quartier général d'Eisenhower.
- "Le commandant en chef, assis d'une jambe sur un coin de sa table, expose avec beaucoup de clarté le "débarquement". La vaste machinerie du départ, de la traversée, de la mise à terre des huit divisions et du matériel qui forment le premier échelon, est agencée dans ses moindres ressorts. De Gaulle, en même temps qu'il l'écoute, regarde avec attention et confiance l'homme qui porte une si lourde responsabilité, ses yeux clairs, sa tête ronde, rase, plissée, vaguement tibétaine."
(PP. 117-118).
Débarquement de troupes canadiennes (1) à Courseulles (DR).
Eisenhower - de Gaulle :
- "Il faut que l'ordre de déclenchement, ou de surseoir, soit donné au plus tard demain. Qu'en pensez-vous, général de Gaulle ? (...)
Et voici la réponse de De Gaulle :
"La décision relève exclusivement de vous et, quelle qu'elle soit, je l'approuve par avance sans réserve. Mon avis ne vous engage à rien. Je vous dirai seulement qu'à votre place je ne différerais pas. Les risques de l'atmosphère me semblent moindres que les inconvénients d'un délai de plusieurs semaines qui prolongerait la tension morale des exécutants et compromettrait le secret."
Eisenhower reste un long moment, comme prostré, dans sa méditation.
"Je tâcherai de faire pour le mieux."
Il a tendu ses mains aux visiteurs qui maintenant s'éloignent dans le sentier, l'un étrangement raide et grand surmonté encore de son képi et l'autre trapu, son chapeau sur les épaules."
(P. 118).
Saisissant, n'est-il pas ? Criant de vérité. La scène se déroule directement sous nos yeux. Un spectacle son et lumière.
Gaston Bonheur nous livrerait là le secret le mieux gardé de l'histoire du débarquement. Car aucun historien n'a jamais évoqué ni même fait allusion à cette rencontre historique. Avec un Eisenhower prenant conseil auprès de De Gaulle et ce dernier pesant directement sur la décision de fixer l'opération Overlord au 6 juin 1944.
En fait, le "scoop" de Bonheur est bidon.
Les relations avec de Gaulle avec Roosevelt étaient détestables. Avec Churchill, elles se confirmaient plutôt cyclothymiques.
Le général resta totalement tenu à l'écart de la préparation du débarquement (2). Il fallut attendre le 2 juin 1944, pour qu'à Alger, de Gaulle reçoive de Churchill un message lui demandant de venir à Londres le plus vite possible et dans le plus grand secret :
- "Je vous donne personnellement l’assurance que c’est dans l’intérêt de la France."
Deux jours plus tard, le 4 juin, de Gaulle était donc à Londres où Churchill lui annonçait l’imminence d’un débarquement en France. Mais sans entretien au quartier général d'Eisenhower. La rencontre décrite de manière si détaillée par le biographe Bonheur relève de la fiction.
De Gaulle conçut un tel dépit de cet ostracisme qu'il refusa de s'exprimer sur les ondes de la BBC, le 6 juin, avec les autres chefs d'Etat. A leurs populations encore occupées, ont successivement lancé des appels le Roi de Norvège, la Reine de Hollande, la Grande-Duchesse de Luxembourg, le Premier ministre de Belgique et forcément le général Eisenhower. A la France, de Gaulle décida de ne délivrer son message qu'à 6 heures du soir, en solitaire.
Elu Président, il n'en perdit pas sa rancune. Jamais il n'a commémoré le 6 juin.
Même pour le vingtième anniversaire du débarquement, en 1964, il refusa de se rendre en Normandie (3). En revanche, il célèbra en grande pompe le débarquement en Provence du 15 août 1944 (4).
14 juin 1944. De Gaulle retrouve le sol français dans la zone de débarquement anglaise de Courceulles (Cadr. JEA / DR).
La question de cette réédition de portraits par omnibus repose sur la crédibilité ainsi donnée à la fantaisie, à la fatrasie de Gaston Bonheur. Méconnaître le sujet, se fier à l'étiquette de "biographe", lire au premier degré, revient à être grugé. Hélas...
NOTES :
(1) Courseulles se situait dans la zone de débarquement anglais entrée dans l'histoire sous le nom de "Juno Beach", entre "Sword" et "Gold Beach".
(2) De même de Gaulle sera soigneusement écarté du sommet de Yalta. Là, du 4 au 11 janvier 1945, se réunirent Staline, Roosevelt et Churchill pour évoquer les lendemains de la guerre, quand le IIIe Reich se serait effondré.
(3) Le 6 juin au soir, avaient débarqué sur les plages de Normandie :
- 73.000 soldats anglais,
- 59.000 américains,
- 117 français du commando Kieffer.
(4) En Provence, débarquèrent 94.000 hommes dont une majorité portait l'uniforme français. Il fallut du temps au temps pour rappeler qu'une majorité de cette majorité provenait de la France d'outre-mer.
18 commentaires:
se fier au titre "portraits" soit visions subjectives et non Histoire, non ?
@ brigetoun
Alors se méfier de l'affirmation : "biographie"...
La subjectivité n'est pas en cause. C'est l'invention totale de situations et de mots pseudo-historiques.
En fait, Bonheur a tenté de mettre un peu de baume sur l'amour-propre bafoué de De Gaulle snobé comme pas possible lors du débarquement...
Comme par hasard, ce "portrait" est publié alors que le général est élu Président de la République. Peut-être ne faut-il pas y voir une tentative de flatterie ?
La meilleure biographie du général de Gaulle : ses Mémoires "de guerre" puis "d'espoir".
Ce Bonheur-là s'est ridiculisé. Mais je présume que Jean Daniel, Jean Mauriac (au temps de l'AFP glorieuse), Régis Debray relèvent le niveau.
Il aurait fallu que l'éditeur "débarque" à temps l'importun dans ce commando rassemblé.
« Citoyen d'honneur de la ville d'Épinal »: charmante idée. Mais la ville aurait plus de citoyens dits d'honneur que d'administrés.
Le titre se donnant aussi à des criminels, l'introduction d'une nouvelle catégorie, les fabulateurs, reste à considérer.
PS : en les soumettant à la taxe professionnelle découragerait-on les vocations ?
@ D. Hasselmann
Et dans les mémoires de De gaulle, bien évidemment pas la moindre trace de cette rencontre au sommet Churchill-Eisenhower-de Gaulle le 4 juin 1944. Si le général avait pesé aussi peu que ce soit sur la date du débarquement, il n'aurait pas "oublié" un tel "détail"...
@ Elisabeth.b
Il est vrai que des villes supportent des réputations leur portant préjudice. Pour ne s'en tenir qu'à la 2de guerre mondiale : Vichy décroche de loin le pompon mais sur la carte de France, se détachent aussi Riom (procès), Sedan (catastrophe militaire), Dunkerque (plages sanglantes)...
Chère JEA, je ne suis pas spécialiste mais il me semble que CdeG, sachant que les Américains avaient l'intention de s'installer en France en y mettant un gouvernement ad hoc, (comme ils l'ont fait d'ailleurs en Italie via la Mafia) aurait débarqué en France en devançant les décisions de façon à couper l'herbe sous le pied aux "libérateurs yankees". Il faudrait que je retrouve les sources mais Howard Zin, disait que des dollars français étaient en préparation. Vous qui semblait spécialiste qu'en pensez-vous?
@ zoé lucider
Les USA avaient effectivement prévu l’AMGOT : "Allied Military Government of the Occupated Territories" (Gouvernement militaire allié des territoires occupés). Avec notamment une monnaie spécifique. Pour la France, cette monnaie ne faisant pas mention de la « République » au motif de ne pas préjuger du régime allant sortir des premières élections d’après guerre…
Seuls le Danemark et la France refusèrent cette administration traitant leurs territoires respectifs non comme « libérés » mais comme à nouveau « occupés ».
Pour la France, il faut se souvenir que les USA avaient eu leur ambassadeur auprès de Vichy. Puis après le débarquement d’Afrique du Nord, avaient traité avec Darlan. Ensuite avaient apprécié que le général Giraud se présente en rival de De Gaulle.
Bref celui-ci ne fut jamais en odeur de sainteté pour les autorités américaines.
D’où également l’impossibilité de la scène décrite par G. Bonheur…
En réaction face à l’AMGOT, de Gaulle veille à la création, le 2 juin 1944, d’un Gouvernement provisoire de la République Française (GPRF). Lequel, dès le 8 juin s’éleva contre les premiers billets AMGOT distribués en Normandie.
Le 14 juin, de Gaulle vient lui-même sur place (discours de Bayeux) et marque le territoire libéré avec une structure administrative spécifiquement française (libre). Sa volonté fera avorter les projets alliés qui prévoyaient un an et un effectif de 1.500 administrateurs militaires pour l’AMGOT.
JEA, moi non plus je ne suis pas spécialiste mais j'ai lu avec intérêt ces soubresauts de l'interprétation de l'Histoire...
J'aime beaucoup la photo de Eisenhower avec les mains sur les hanches et son demi sourire sous la casquette ! Merci pour les feuilles mortes, superbe.
@ claire
C'est aussi un clin d'oeil amical vers tous les blogs qui évoquent l'automne dérivant et les feuilles ne se cachant plus pour mourir...
C'est un bon billet fouillé et détaillé, mais pour cette lecture, je passe. Merci pour l'intermède musical , joli clin d'œil à l'automne .
@ sylvie
Vous avez tant de longueurs de bassins dans la piscine littéraire de la rentrée... Mais vos lecteurs (masc. gram.) savent que de cette marée d'équinoxe, vous retirerez quelques coquillages rares pour votre blog...
léger rectificatif :
"Sirkozy"
bien à vous !
@ Cactus comme lézard
Ah, depuis New-York, le Président vient de vous décréter "coupable"...
Billet très intéressant, l'histoire et ses brodeurs (masc. gram.) !
@ Tania
Sur votre blog c'est tous les jours dimanche sans voitures...
Mais pour revenir ici : après les Brothers in arms... voici les Brodeurs de croix de Lorraine...
Permettez-moi de leur préférer les Irlandais (masculin pas seulement grammatical) inventeurs de points de toute beauté. Ne pourrait-on conseiller aux brodeurs d'Histoire une activité plus manuelle ? Oui, façon cousette. C'est excellent pour libérer l'esprit.
Gloire aux Petits métiers !
Que sont donc devenus
La faiseuse d'embarras
L'accordeur de violons
Et la teneuse de jambe ?
Où donc se sont perdus
La liseuse de draps
L'ensommeilleur de plomb
Et le violeur de gambe ?
Qui donc les a revus ?
(...)
Extrait de la chanson de Juliette Noureddine ♪♪♪
@ Elisabeth.b
Les librairies proposent chez le même omnibus (2006, 791 p.) un
- "Dictionnaifre des métiers oubliés de la ville et de la campagne"
par Albine Novarino.
On y rencontre des ombres telles que :
- les cargueurs, les épinceteurs, les gouges, les longainers, les minageurs, les pendeurs, les regarts, les sayetteurs, les tiseurs, les vangeurs...
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