est déclaré ultime "mort pour la France"
de la Première guerre mondiale
mais paradoxalement et 90 années après...
la date de cette mort
- soit le 11 novembre 1918 -
n'est toujours pas reconnue officiellement !
Si, parmi les ombres de tous ses camarades qui ne sont jamais revenus vivants de la guerre 1914-1918, Augustin Trébuchon échappe encore et toujours à l'anonymat, c'est au titre de dernier poilu tombé sur le front s'étendant entre la Mer du Nord et la Suisse. C'était dans les Ardennes...
Dans la très vaste littérature consacrée à la fin de la Première guerre mondiale mais aussi parmi les nombreux blogs et leurs commentaires portant sur ce conflit qui entraîna la perte de près de 1.350.000 Français, aucune fausse note ne met en doute l'identité du dernier poilu tombé sous une balle allemande : Augustin Trébuchon, fantassin au 415 RI.
Ce constat objectif débute par la comparaison de quelques écrits retenus à titre d'exemples, parmi les centaines publiés sur la fin d'Augustin Trébuchon.
Alain Fauveau (Le dernier combat : Vrigne-Meuse, 10 et 11 novembre 1918, Revue Historique des Armées, n° 251, février 2008) :
L'Ardennais (AFP - 12 mars 2008) :
Le Figaro (11 novembre 2003) :
Pierre Miquel (Les poilus. La France sacrifiée, Pocket N° 11537) :
- "Le village de Dom-le-Mesnil, où se terrent les survivants du 415e, est violemment bombardé. Douze soldats vont mourir : parmi eux, Auguste Joseph Trebuchon, natif de la Lozère, tué par balle un quart d’heure avant la sonnerie de la fin des combats."
QUID :
- "11.11.18. Augustin-Joseph Trébuchon, agent de liaison, dernier mort officiel, est tué à 10h50 à Dam-le-Mesnil (enterré à Vrigne-Meuse)."
Première Guerre Mondiale, le guide (Casterman, 1996) :
WIKIPEDIA :
Commentaires :
1. Heure :
Ces écrits font donc remonter cette dernière mort à 15 minutes, à 10 minutes, ou à "quelques minutes" avant que le clairon ne sonne l'armistice... Il ne sera pas sacrifié ici à une vaine querelle sur une poignée de secondes, faute de source(s) citées en référence(s).
Pour l'essentiel, mémoire collective et historiens s'accordent sur un espace temps très réduit entre cette dernière mort et la sonnerie de clairon du "cessez le feu".
En bas, à gauche, sous la colline, Vrigne-Meuse.
En face, vers la droite, le barrage sur lequel les fantassins français traversèrent la Meuse.
Sur la rive gauche du fleuve, tout à droite, Dom-le-Mesnil).
2. Lieu :
Passons sur une coquille (QUID) telle que "Dam" pour "Dom-le-Mesnil". Les bords de Meuse ne sont pas contestés comme cadre des derniers échanges de tirs.
Selon Pierre Miquel, le 415e RI "se terrait" le 11 novembre sous les bombardements à Dom-le-Mesnil, et donc Augustin Trébuchon serait tombé là au champ d'honneur.
Cette version ne résiste pas à une lecture critique. En effet, dès la nuit du 9 au 10 octobre, tout le 415e quitta la rive gauche (Dom-le-Mesnil), franchit la Meuse pour prendre possession d'une bande de terre sur la rive droite (à l'ouest de Vrigne-Meuse). Les fantassins n'ont pas reculé ensuite, malgré les contre-offensives allemandes. Une stèle a été dressée au signal de l'Epine, sur les hauteurs de Vrigne, pour garder en mémoire leur percée qui résista jusqu'au 11 novembre à 11 heures.
Les notes prises à l'époque même par des officiers du 415e en auraient convaincu Pierre Miquel s'il les avaient consultées. Et voici dix ans, une publication comme celle de Gérald Dardart : Mourir un 11 novembre : Vrigne-Meuse, la dernière bataille de 14-18 (Ed. Les Cerises aux Loups).
On objectera que le soldat Trébuchon était estafette. Donc pouvait avoir été porteur d'un message pour l'arrière. Mais les témoignages concordent : il relève de la 9e compagnie, à la pointe la plus avancée du 415e. Son corps a été relevé après l'armistice, par des habitants de Vrigne, sur le territoire de leur commune. Sa dépouille, après avoir été exposée à l'église de Vrigne fut mise en terre dans le petit cimetière municipal.
Vrigne-Meuse (du moins le territoire de cette commune) semble donc bien plus vraisemblable que Dom-Le-Mesnil, sur l'autre rive de la Meuse.
(Carte : A. Masset, Passage de la Meuse. Surcharges : JEA. Echelle : 1 cm = 200 m.
Au sud, rive gauche de la Meuse : Dom-le-Mesnil avec le 53e.
Flèche rouge : écluse puis barrage sur lesquels fut traversée la Meuse par le 415e.
3. Récits sur les actions menées par le 415e les 9, 10 et 11 novembre :
- 9 novembre 1918, 21h, témoignage du lieutenant Bonneval (Almanach du Combattant, Durassié et Cie, 1968) :
"Dans le bureau des PTT de Dom-le-Mesnil, le chef de bataillon de Menditte, grand mutilé, s’appuyant sur sa canne, nous reçoit : les lieutenants Bernard (9e cie), Boyer (11e cie) et moi-même.
Messieurs, c’est simple. Avant demain matin 10 novembre, avant le lever du jour, il faut – je dis bien il faut – avoir franchi la Meuse (...) Actuellement la 10e compagnie (lieutenant Meynier) est en cours de passage, dans le plus grand silence, au nord du barrage, en vue de couvrir le passage du reste du bataillon. Dès qu’il aura franchi, il sera suivi du 1er bataillon puis du 2e bataillon. Vous recevrez de nouveaux ordres. Pour l’instant, une compagnie se portera sur Vrigne, une autre vers le Signal de l’Épine. La dernière se placera à gauche, en direction de Nouvion. Volontairement, l’artillerie restera silencieuse jusqu’à nouvel avis. J’insiste sur le silence. Effet de surprise."
Nuit de 9 au 10 novembre, chef de bataillon de Menditte (Carnets) :
- "Il fait une brume intense et un froid de chien, mais mes pionniers aidés par le Génie (…) ont mis deux planches sur la porte de l’écluse et ont aligné sur l’armature du barrage des planches mises bout à bout. Le Boche veille et tire de temps en temps, mais ça marche."
10 novembre, 13h, message de l'état-major de la 163e DI au général Marjouet :
- "La progression sur le front de la DI est, pour l’instant, arrêtée. Le combat est assez dur dans le secteur qu’elle occupe. Nombreux tirs de mitrailleuses et nombreux tirs d’artillerie. Le général demande quel est l’appui donné par les voisins."
11 novembre, Carnet du commandant Menditte :
- "8 heures 30 : L’avis {d'armistice} est officiel. Pendant ce temps, on continue à tirer sur le front du régiment (...) Je fais passer la bonne nouvelle au régiment et on attend !
- 10 heures 45 : Les obus tombent encore...
- 11h : - Un de mes clairons sonne "Cessez le feu", "Levez-vous" puis "Au Drapeau". Les autres clairons répètent. La Marseillaise monte dans le lointain. Des cris de joie et les cris plus éloignés des Boches qui sortent de leurs trous et veulent fraterniser. Quelle joie et quelle émotion ! Ici tout est en remue-ménage."
En résumé :
- depuis le 10 novembre au petit matin, le 415e occupe - seul - une bande de terrain entre Nouvion-sur-Meuse et Vrigne-Meuse ;
- le 11 novembre à 11 heures, l'avancée la plus marquante des poilus se situe au signal de l'Epine sur le territoire de Vrigne-Meuse ;
- le cimetière de cette commune abrite le dernier repos de fantassins du 415e tombés ces trois derniers jours de la guerre sur la rive droite de la Meuse. Sur la D 34, à l'entrée du village en venant de Novion, un panneau routier indique la direction à suivre.
(Photo : JEA, Vrigne-Meuse).
Un constat ne manque pas de perturber ceux qui s'arrêtent devant ce panneau explicite, sans risque de confusion.
Il mentionne bien des sépultures pour les trois derniers jours des hostilités : les 9, 10 et 11 novembre.
Or, dans le cimetière, aucune croix militaire ne porte la date du 11 novembre ! Pas même celle d'Augustin Trébuchon. S'il fallait en croire la plaque à son nom, il serait "mort pour la France le 10.11.1918" !!!
(Photo : Marie-France Barbe. Se dressant dans le cimetière de Vrigne-Meuse, la croix portant le nom d'Augustin Trébuchon. Date : 10 11 1918).
Une tombe telle que celle d'Augustin Trébuchon, démontre malheureusement à quel déni de la vérité une "histoire" officielle peut conduire pour perdurer déjà depuis 90 ans.
Force est de déplorer cette invraisemblance :
- l'Armée n'a jamais contesté qu'Augustin Trébuchon soit bien le tout dernier poilu mort au front (entre Hollande et Suisse)
- mais, selon elle, ce fantassin perdit la vie le 10 novembre (à 10h selon sa fiche de décès, voir ci-après).
En conséquence, les troupes françaises n'auraient eu à déplorer aucune perte après le 10 novembre à 10h... Alors qu'il restait encore 25 heures de combats.
Et que sur son Carnet, le commandant Menditte (415e RI), écrivait le 11 novembre à 10h57 :
- "La mitrailleuse tire encore."
On en est là !
Impossible pour l'Armée de décréter que tous les historiens se sont égarés pendant deux ou trois générations en retenant le symbole d'un Augustin Trébuchon abattu par une balle allemande le 11 novembre peu avant l'armistice.
Néanmoins, l'Armée persiste sciemment à antidater cette mort (et celle d'autres poilus du 415e RI) !
Qu'il y ait à tout le moins problème, les archives militaires en ont gardé cette trace : dans la base de données "mémoire des hommes" du Ministère de la Défense, la fiche d'Augustin Trébuchon a été récemment (et légalement) modifiée.
(Fiche de décès, "mémoire des hommes").
La mention originale de "Mort pour la France le 10 Novembre 1918" a été laissée intacte mais est dorénavant suivie d'une correction mécanique : "Vrignes sur Meuse (Ardennes) à 10h00". Tant pis pour l'orthographe du lieu. On s'étonnera au passage de l'indication d'une heure pour la mort car ce genre de précision est absente sur toutes les autres fiches que nous avons eu à consulter jusqu'à présent (cliquer : le monument aux morts de mon Village).
Ceux qui portent la responsabilité et de cette fiche et de la mention du 10 novembre 1918 sur la tombe d'Augustin Trébuchon, ont créé des faux, du moins pour l'Histoire. Dans ce cas, des faux tellement évidents qu'ils en deviendraient ridicules si le sujet n'était directement lié à la mémoire de "Morts pour la France".
Alors, pourquoi ces mensonges officiels (car d'autres "libertés" ont été prises avec la vérité à propos des 9, 10 et 11 novembre 1918) ? Des tentatives de réponses seront proposées sur une prochaine page de ce blog.
(Remerciements pour ses photographies à Marie-France Barbe, Vice-Présidente de la Société d'Etudes Ardennaises).
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