DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

mercredi 15 octobre 2008

P. 37. Brèves (9)

L'Ardennais : de Gaulle, l'OAS, le commissaire Roger Gavoury...
Le Canard enchaîné : une indemnisation de 0,26 centimes d'Euro dans le contexte de la Shoah sous l'Etat français.

(Collage : JEA)

Scoop de "L'Ardennais" : De Gaulle portait un silice !!!

Ce "Quotidien républicain d'information" en exerce de plus le monopole (de l'information) pour le département. Dans son numéro du 11 octobre, pour meubler les brouillards persistants du week-end, il a publié un scoop un rien tardif. Car couverte sans aucun doute par le secret d'Etat, la nouvelle, aussi extra-ordinaire soit-elle, avait résisté jusqu'ici aux investigations les plus pointues...
Pour donner plus de poids à cette révélation, ce n'est pas un plumitif qui la signe. Que non. Mais l'éditorialiste lui-même : Monsieur Hervé Chabaud.
Dans un style très "Honneur et Patrie", Chabaud, plus fort que Malraux, ne compare plus le général de Gaulle à un chêne abattu, mais préférant le minéral au végétal, à "Un géant de Granit" !
Voici la prose éditorialiste et tricolore qui suit un titre aussi sculptural :

- "... de Gaulle se dresse (...) tel un géant de granit inébranlable représentant une certaine idée de la France.
Ne portait-il par comme un cilice le service de la Nation, le sens de l'histoire, le sens de l'Etat, le sens de l'Honneur ?"


Nation, Etat, Honneur, toutes ces majuscules (à l'exception d'histoire) comparées à... des "poils". Car l'Académie française (8e édition) définit comme suit un cilice :

- "Espèce de plastron ou de large ceinture, qui est faite d'un tissu de poil de chèvre, de crin de cheval, ou de quelque autre poil rude et piquant, et que l'on porte sur la chair par mortification. Porter le cilice. Prendre le cilice. Se revêtir d'un cilice. "

Notez qu'à l'Opus Dei, le cilice est aussi à la mode mais sous forme de ceinture métallique garnie de pointes si pas blessantes du moins agaçantes.
Devrions-nous nous préparer à un prochain éditorial de Monsieur Chabaud nous dévoilant l'appartenance de de Gaulle à l'Opus Dei ???

Autre titre de L'Ardennais : "Stèle de l'OAS : à chacun sa mémoire".

Décidemment source intarissable d'informations, le même numéro 19948 de L'Ardennais contient un titre qui interpelle : "à chacun sa mémoire"...

- Une stèle glorifiant des membres de l'OAS au cimetière municipal de Béziers (Hérault) indigne des responsables politiques locaux et la Ligue des Droits de l'Homme (LDH).
(...) Sur cette stèle, érigée peu après la guerre d'Algérie à la mémoire des morts civils et militaires en outre-mer, ont été ajoutées fin 2003 les photos de Jean-Marie Bastien-Thiry, qui organisa en 1962 l'attentat du Petit-Clamart contre le général de Gaulle, du créateur des commandos Delta Roger Degueldre, d'Albert Docevar et de Claude Piegts qui ont participé à l'assassinat du commissaire central d'Alger Roger Gavoury en mai 1961.
"N'oubliez jamais leur sacrifice", enjoint le monument.

"Détail" de la stèle de Béziers (NB : l'article de L'Ardennais n'est pas illustré). DR.

Suite de l'article :

- "Pas question que l'on touche à cette stèle. Celui qui profane la stèle est un homme mort pour moi", a averti André Troise, ancien combattant en Algérie qui s'autoproclame ancien membre de l'OAS."

Ce qui surprend de prime abord un lecteur étranger, c'est l'absence complète, dans cet article non signé, de précisions sur l'assassinat du commissaire Roger Gavoury. D'autant que sa famille était ardennaise. C'est d'ailleurs de Charleville qu'il partit pour Alger, un mois seulement avant sa mise à mort par l'OAS.
Oubli ?
Silence pour ne pas réveiller des souvenirs aussi douloureux que dérangeants, ceux d'une guerre civile ne disant pas son nom ?
Ou encore politique rédactionnelle pour n'indisposer ni des lecteurs nostalgiques d'une "Algérie française" à tout prix, ni des victimes d'une organisation terroriste tricolore ?

Le 21 avril 1961, quatre généraux séditieux lancent leur putch à Alger. Le commissaire Gavoury est nommé commissaire central de la ville.
Prenant ses fonctions, il prononce un discours humaniste, loin des barbaries ambiantes :

- "L’horizon commence à blanchir et bientôt, je l’espère, luira sur l’Algérie l’aube de la paix.
Je voudrais, de toute mon âme, être au Centre de la pacification, la vraie cette fois, celle des esprits.
Je rêve d’une Alger où les hommes s’entraiment enfin, sans plus être séparés par des races, des religions ou des mers."


Roger Gavoury et son rêve pacifique assassiné (DR).

La réponse de l'OAS tombera le 31 mai 1961 : la peine de mort pour ce serviteur de la République !
La décision releva de l'état-major même de l'OAS, soit de Jean-Jacques Susini pour citer un nom. Le chef des commandos "Delta" (chargés des attentats et des assassinats), Roger Degueldre, supervisa son application. Albert Dovecar et Claude Piegts en furent les exécutants principaux, au domicile même du commissaire. Claude Tenne se distingua en portant les coups mortels.
Ces gens de l'OAS savaient que le commissaire Gavoury refusait toute protection personnelle et même ne portait pas d'arme.

Après que l'Algérie soit devenue indépendante, et à l'heure des comptes, les chiffres officiels traduisirent une mansuétude certaine pour ceux ne promettant qu'un cerceuil à leurs ennemis. En effet, 3 680 personnes passèrent devant les tribunaux français. Toutes poursuivies pour des crimes commis au nom de l'Algérie française. 41 seront condamnées à mort. 4 exécutées. Ce sont les quatre noms portés sur la stèle de Béziers... L'OAS aura, pour sa part, plus de 2.000 morts sur la conscience.

Affiche explicite de l'OAS (DR).

Pour revenir au titre : "à chacun sa mémoire"... Quelles communes mesures établir entre une stèle "glorifiant des membres de l'OAS"
et celles perpétuant les noms d'Arméniens, de Juifs, de Tsiganes, d'Africains génocidés ?
sans oublier toutes celles élevées en souvenir de populations civiles massacrées par les troupes d'occupations, de résistants, de déportés, de soldats morts aux combats des guerres successives ?

Une illustration de "l'intelligence naine" dans le Canard enchaîné.

Laissant L'Ardennais cultiver l'image d'un de Gaulle style St-Louis, un coup d'oeil sur le Canard du 8 octobre glace le sang. Reviennent aussitôt à la surface des réalités ces malaises engendrés par les discordances entre les discours officiels fignolés sur la Shoah. Puis des applications médiocrement bureaucratiques, redoutablement scandaleuses.

Le Canard rappelle le sort de Monique. Gamine juive, elle et toute la famille (ses parents et ses deux frères) durent fuir Paris pour tenter d'échapper aux rafles.
A 74 ans, devenue une femme que l'âge oblige à envisager les échéances de la vie, elle demande une indemnisation en tant que victime des spoliations qui frappèrent officiellement les juifs sous l'Etat français. Concrètement, à Paris, tout les biens de la famille avaient disparu à la Libération :
- "Pas une petite cuillère dans l'appartement, pas une machine à coudre dans l'atelier".

Monique attendait donc une reconnaissance de cette persécution. Elle vient effectivement de se voir accorder la "qualité de victime de spoliations". Le courrier est à en-tête de Matignon car la décision appartient au Premier ministre.

Montant total de l'indemnité accordée : 0,26 centimes d'Euro.

Et Matignon, dans un élan de générosité spectaculaire, de préciser noir sur blanc :
- "Il vous appartiendra de faire votre affaire d'un éventuel partage {familial} de l'indemnité qui vous est allouée".

Oui, décidemment, "à chacun sa mémoire"...

Ravel : Kaddish. Avec la voix de José Van Dam.

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