DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

jeudi 2 octobre 2008

P. 33. "Entre les murs", y compris des salles obscures


Non pas un reportage mais une fiction. Soit le huis clos d'une classe qu'un prof ne veut pas confondre avec le radeau de la Méduse...

Synopsis :

- "François est un jeune professeur de français d'une classe de 4ème dans un collège difficile. Il n'hésite pas à affronter Esmeralda, Souleymane, Khoumba et les autres dans de stimulantes joutes verbales, comme si la langue elle-même était un véritable enjeu. Mais l'apprentissage de la démocratie peut parfois comporter de vrais risques."

Le Nouvel Observateur (22 septembre 2008) :

- "Entre les murs", qui était le troisième et dernier film sélectionné pour représenter la France à Cannes, a surpris tout le monde lors de sa présentation sur la Croisette.

Aucun acteur connu ne figure à l'affiche de ce cinquième long-métrage de Laurent Cantet, qui avait déjà réalisé "Les sanguinaires" (1997), "Ressources humaines" (1999), "L'emploi du temps" (2001) et "Vers le sud" (2005).

Les plupart des comédiens sont des élèves et des professeurs du collège Françoise Dolto, situé dans le XXe arrondissement de Paris. De novembre 2006 jusqu'à la fin de l'année scolaire, les élèves de quatrième et de troisième de l'établissement ont été invités à participer à des ateliers les mercredis après-midi pour travailler l'improvisation et préparer le tournage. Sur les cinquante qui se sont présentés, 25 (ceux qui se sont le plus accrochés) ont été retenus pour former la classe."


Sur le site du film (cliquer : ICI), montage de portraits des jeunes élèves (DR).

Nicolas Crousse, Le Soir (1 octobre 2008) :

- "À l'instar des récents films de Bertrand Tavernier (Ça commence aujourd'hui, emmené par un Philippe Torreton aussi militant que prof), de Nicolas Philibert (Être ou avoir, docu tourné dans une toute petite classe du Massif central) ou d'Abdellatif Kechiche (L'esquive, plongeant le monde de Marivaux dans les tchatches de banlieue), le quatrième film de Cantet filme de façon aussi frontale que chaotique et vitaliste une bande d'enfants sauvages. D'ados turbulents confrontés le temps des cours au regard de leur prof, François Bégaudeau (dans son propre rôle), qui pourrait être un cousin d'Olivier Besancenot. Entre les deux, prof et élèves, complices et ennemis traditionnels, c'est à qui aura le dernier mot. Le langage est l'enjeu de joutes qui flirtent tantôt avec la chienlit et la violence nue, tantôt avec l'harmonie et le gai savoir.

En somme, nous dit Cantet – qui confesse avoir voulu filmer les cours tels des matches de tennis –, quand l'école est cette caisse de résonance des enjeux et des conflits du monde, elle est d'abord une école de la vie. Un endroit irremplaçable, qui produit certes de l'injustice et de la discrimination, mais un des seuls et derniers endroits capables de relever le défi du « vivre ensemble », au-delà des différences de race, de couleur ou de religion."

Serge Kaganski, les inrocks.com (24 septembre 2008) :

- "Le pivot par lequel passent tous les enjeux du film est évidemment François, professeur qui n’est ni un maître en blouse grise à la Jules Ferry, ni un baba-cool barbu à pull marin prêt à copiner et "jeunismer". La barrière prof-élèves est marquée, l’idée que l’on est là pour travailler et apprendre aussi. François est bien une figure d’autorité, mais dont le pouvoir ne passe pas par les gueulantes, les punitions ou les coups de règle : il s’agit plutôt de parler aux élèves comme à des adultes, de leur faire sentir que l’instruction scolaire est une des conditions de leur émancipation, de leur autonomie et de leur avenir.

Basée sur un dialogue ferme mais respectueux, la méthode de François semble bonne, mais elle n’est pas toujours couronnée de succès, certains élèves persistant à être "ailleurs". Le rapport de François à l’autorité sera mis à mal lorsqu’il réalisera que la décision d’expulser trois jours un élève peut entraîner son expulsion définitive du territoire. Entre la nécessité de faire respecter certains principes de vie commune au sein du collège et le désastre possible d’un refoulement aux frontières, le dilemme est cornélien."

Elèves-acteurs (Photo site du film. DR).

Dominique Guy, professeure à Argenteuil, Cahiers pédagogiques (24 septembre 2008) :

- "Ce film est à voir car il faut lui reconnaître une qualité : le réalisme d’une classe. Les élèves y sont plus vrais que nature, les enseignants de ZEP y reconnaîtront leurs élèves. Pourtant, d’après le dossier de presse, les jeunes acteurs ont joué leur rôle pour la plupart à contre-emploi. Un bon point donc pour le réalisateur Laurent Cantet. Un autre bon point : la réalisation dynamique. On ne s’ennuie pas une seconde et pourtant il s’agit presque d’un huis clos : tout se passe dans la classe avec quelques incursions dans les autres lieux du collège. C’est sans doute ce qui a convaincu le jury de Cannes pour la palme d’or.

Mais voilà, ce qui gêne c’est le prof, son comportement, ses valeurs. Non, les élèves ne sont pas les égaux de l’enseignant dans la relation d’apprentissage et d’ailleurs, éclair de lucidité, F. Marin ira se plaindre auprès du principal qu’un élève l’a tutoyé. Mais il oublie alors de préciser qu’avant l’élève avait insulté une camarade. Il manque de rigueur et c’est ce que je lui reproche le plus car, en ZEP plus qu’ailleurs, il faut faire preuve de rigueur. On ne laisse pas les élèves s’insulter, quand on demande à enlever les casquettes, on tient bon, et on ne laisse pas une salle de classe dans l’état où on la voit sur le générique de fin.

J’ai eu tout le long du film l’impression que F. Bégaudeau et L. Cantet pensent qu’on ne peut pas faire grand chose pour ces élèves. Certes, ils sont difficiles, on devine que beaucoup sont dans des situations personnelles délicates, mais ce sont des élèves attachants, capables - c’est parfois suggéré mais trop furtivement - de montrer de l’intérêt, alors ils mériteraient qu’on ait un peu plus d’ambition pour eux.

Ce film est à voir et à décortiquer. C’est un excellent document de travail pour des stages de formation, pour des débats sur la difficulté d’enseigner dans certains établissements. Car, comme on le proclame dans les mouvements pédagogiques - auxquels j’espère on n’assimilera pas le fonctionnement de François Marin - enseigner est un métier qui s’apprend."

(Article complet, cliquer ICI).

Extrait du film : le vrai prof, écrivain et acteur F. Bégaudeau avec ses élèves (DR).

Philippe Meirieu, Café pédagogique (1 octobre 2008) :

- "La question de l’autorité sera (...) au cœur du débat que va susciter le film. Car nous savons bien que ce film n’arrive pas dans une sorte d’apesanteur sociale et idéologique. Il arrive dans un contexte saturé d’idéologie. Notre société a laissé se développer de tels phénomènes de dérégulation sociale et de surexcitation pulsionnelle qu’elle prend peur devant sa propre jeunesse. Les partisans de l’éducation – qui osent parler de prévention et expliquer qu’une « pédagogie par le projet » avec de vraies ambitions culturelles n’a jamais encore été tentée sérieusement et sur la durée – sont ringardisés systématiquement par les spécialistes du « y a qu’à » dépister, repérer, orienter, médicaliser, sanctionner, réprimer, contenir… « Tenir » : tout est là ! Il faut les « tenir » !

(...) Notre École manque de médiations : les savoirs enseignés n’ont souvent aucune saveur, pour reprendre le titre d’un beau livre récent de Jean-Pierre Astolfi (La saveur des savoirs, ESF, 2008) et les dispositifs proposés sont souvent absurdes ou obsolètes : comment mobiliser des élèves sur le travail intellectuel dans des établissements qui vivent au rythme des sonneries stridentes, d’emplois du temps absurdes, sous le signe de l’anonymat généralisé et de la déresponsabilisation permanente ?
La pédagogie est, justement, le travail sur les médiations : sur les œuvres, les savoirs et les institutions… tout ce qui permet de se mettre en jeu « à propos de quelque chose ». La pédagogie institue ce qui, à la fois, relie les êtres entre eux et leur permet de se distinguer. Elle est un travail de longue haleine sur « la table » autour de laquelle les hommes peuvent tenter des relations pacifiées en se coltinant avec des enjeux forts. Ainsi comprise, elle est peu présente dans le film…

Il n’est pas question d’en faire le moindre reproche aux auteurs et réalisateur. Mais il faut absolument refuser que ce film soit interprété par les uns comme un acte de foi dans une pédagogie compassionnelle qui se suffirait à elle-même et, par les autres, comme la dénonciation implicite d’une démission éducative orchestrée par quelques pédagogues irresponsables.
La pédagogie est un travail inlassable pour organiser le travail intellectuel en structurant le cadre et en proposant des contenus exigeants et mobilisateurs… Elle nécessite une éthique et des savoirs professionnels, une passion pour les contenus qu’on enseigne et la capacité à construire des situations de travail. Visiblement, sous cet angle elle est encore peu connue du « grand public ». Les pédagogues ont encore du travail."
(Pour lire cet article in extenso, cliquer : ICI).

Nestor Romero, Rue 98 (30 septembre 2008) :

- "La réalité n'est pas en couleurs, sauf moments d'exception. Il y en a. Leur fréquence dépend du professeur, le plus souvent. Le professeur, justement, François, plus vrai que nature lui-aussi. Au point que Philippe Meirieu manque de s'étouffer d'indignation à l'idée que le spectateur puisse penser que la pédagogie c'est ça, cette gesticulation permanente, cette plongée dans « l'affectif », cette agitation langagière, ce spectacle comme mode de vie dans l'école.

C'est vrai, tout cela n'a rien à voir avec la pédagogie. Pourtant, c'est bien là la réalité, mais en gris et en plus terne dans les classes de collèges «difficiles ». Le professeur, fort jeune le plus souvent, fait ce qu'il peut avec ce qu'il sait, avec ce qu'il est.
Ici, dans le film, comme il le faisait « en vrai », j'en suis sûr, il joue de son physique, j'allais dire de son corps, de son bagou (comme le dit Bégaudeau lui-même), de son sens de l'humour et de son amour évident pour ces adolescents, tellement évident dans le film.


D'autres enseignants jouent autrement, se déguisant en Autorité (vêture sobre, langue sobre, pas un sourire) pour tomber très vite dans l'autoritarisme absurde comme François tombe dans la familiarité intempestive et d'autres encore tombent dans le laxisme ou le colérique irrépressible, dans la démission.


Et toutes ces attitudes sont sans cesse perturbées, bouleversées par l'irruption du désir des adolescents, de leur désir d'être autres que ces « élèves » derrière leurs tables, interminablement, à longueur de journées grises, et las, tellement las de tous ces jeux."

Bande annonce du film (128').
Réalisateur : Laurent Cantet.
D'après le roman de François Bégaudeau.
Palme d'or au Festival de Cannes, 2008.

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