DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

samedi 27 septembre 2008

P. 32. Mort de Robert Maistriau

(Photo : Robert Maistriau. DR)

Disparition du dernier des trois belges à avoir arrêté le XXe convoi chargé de 1.632 juifs pour Auschwitz...
Une action de résistance - hélas - unique en Europe occupée !

Le Soir :

- "Cet ancien de l’ULB (1) avait fait parler de lui en attaquant le XXe convoi, dans la nuit du 19 au 20 avril 1943, alors qu’il n’était âgé que de 22 ans. Armés d’un seul revolver et de sept cartouches (2), lui et deux de ses camarades ont réussi cette nuit-là à sauver plusieurs dizaines de Juifs qui se trouvaient à bord d’un train parti de la caserne Dossin à Malines pour rejoindre Auschwitz.

Au sein du Groupe G des résistants de l’ULB, Robert Maistriau était chargé de la Direction nationale du Recrutement et de l’Organisation. Arrêté le 21 mars 1944 à Bruxelles, il connaîtra l’enfer de Breendonk, de Buchenwald, onze longs mois à Ellrich et Harzungen, des camps annexes de Dora et, enfin, Bergen Belsen, d’où il sera libéré le 15 avril 1945. Il ne pesait alors que 39 kilos.

Après la guerre, il a notamment constitué une forêt au Congo avec des semences du monde entier.

Né le 13 mars 1921 à Ixelles, Robert Maistriau était le dernier survivant du trio qui avait attaqué le XXe convoi. Une cérémonie d’adieu aura lieu le mercredi 1er octobre prochain, à 11h30, en l’église de Woluwe-Saint-Lambert, située place Saint-Lambert à 1200 Bruxelles."
(27 septembre 2008)
(Photo : gare de Boortmeerbeek. Venant de Malines les rails partaient vers l'Allemagne puis
Auschwitz... C'est après cette gare que fut arrêté le XXe convoi. DR)

Dans son Volume II de "La traque des juifs. 1942-1944" (3), Maxime STEINBERG consacre plusieurs passages au convoi XX, plus exactement dans le chapitre III : "Les rebelles à la solution finale"...

Car l'histoire de ce transport restera unique dans la longue persécution des juifs. De tous ces convois qui en Europe occupée, prirent la direction d'Auschwitz, il fut le seul à être arrêté pour permettre des évasions...

Quelques chiffres :

- Le convoi XX part de Malines le 19 avril 1943.
- Des wagons à bestiaux emportent 1.631 Juifs au nombre desquels 262 enfants.
- Parmi ceux-ci figure le plus jeune bébé qui sera déporté de Belgique sur Auschwitz : Suzanne KAMINSKI, née le 11 mars 1943 (n° 215).
- Le n° 584 du même convoi XX est porté par Jacob BLOM. Né le 7 août 1842, lui sera le doyen des déportés de Malines.
- Non moins de 231 Juifs du transport vont s'en évader avant qu'il ne passe en Allemagne. Les premiers retrouvent la liberté entre la gare de Boortmeerbeek et Wespelaer. En effet, trois jeunes intrépides parviennent à l'arrêter en agitant une lampe tempête recouverte d'un papier rouge. Ils ont pour nom :
Jean FRANKLEMON
Georges LIVSCHITZ
(le seul armé : un 6,35, il sera fusillé en février 1944) et
Robert MAISTRIAU (qui parvient à débloquer la fermeture extérieure d'un wagon)...


(Photo : Wagon ayant servi à la déportation des juifs depuis la Belgique. DR).

Selon l'estimation de Maxime STEINBERG, "une bonne quinzaine de déportés" s'échappent grâce à l'héroïsme des trois jeunes résistants.

Toutes les autres évasions s'expliquent par la présence d'outils emportés et dissimulés à cette fin : pince, barre de fer, scie, lime...
L'un des wagons se distingue comme celui dit "de la résistance". Il contenait six ou sept résistants parmi les évadés. Leur rassemblement ne doit rien au hasard. Eva FASTAG, au Sammellager de Malines, n'a pas hésité à "trafiquer" les listes à cet effet.
Enfin, se révèle courageuse la conduite du machiniste Albert SIMON. Ce cheminot a compris que des déportés tentent de retrouver la liberté et applique volontairement le règlement à la lettre : mise au pas de la locomotive pour les franchissements de passages à niveaux, ralentissement dans les courbes, arrêt d'une demie-heure à Borgloon en attendant une signalisation adéquate...

Plus de 20 cadavres marqueront aussi le trajet de ce convoi XX, abattus par les gardes de la Shutzpolizei (souvent confondus avec des SS).
Une nonantaine d'évadés seront ensuite repris.

Cependant, parmi celles et ceux qui échappèrent aux recherches, se détache la personnalité de Simon GRONOWSKI. Il avait 11 ans lorsqu'il sauta du convoi où restèrent sa mère et sa soeur disparues ensuite à Auschwitz. Ses souvenirs sont publiés par les Editions Luc Pire sous le titre de : "L'enfant du 20e convoi". Avec une adaptation pour les enfants de primaire : "Simon, le petit évadé".

(Photo : Simon Gronowski. DR).

Témoignage de Simon Gronowski, le 23 avril 2006 à Boortmeerbeek :

- "Il y a bien longtemps de cela, 63 ans... ! Mais ce drame d'hier, d'aujourd'hui et de demain, il est impossible de l'oublier.
Il était une fois un petit garçon qui s'appelait Simon. Il vivait heureux avec ses parents et sa grande soeur Ita à Bruxelles, dans un beau pays, la Belgique. Il faisait parfois des bêtises mais il était très gentil et les gens l'aimaient bien. Il allait à l'école, aux scouts, au cinéma. Il aimait Laurel et Hardy, Robin des Bois, Blanche-Neige, Tarzan, King-Kong, Fernandel. Il lisait beaucoup.
Sa soeur étudiait le latin et le grec, jouait du piano, écrivait des poèmes, dessinait, aimait le jazz et apprenait tout ce qu'elle pouvait à son petit frère qu'elle adorait.
C'était un enfant ordinaire d'une famille ordinaire mais un jour on a voulu le tuer pour une seule raison: il était juif.

On l'a pris, on l'a mis dans un cachot, puis dans une caserne.
Dans cette caserne, il y avait beaucoup d'enfants. C'est normal : dans un génocide il faut surtout tuer les enfants car les enfants sont l'avenir d'un peuple.
Avec tous ces enfants, Simon ne s'ennuyait pas. Lors des appels dans la cour, les hommes devaient se mettre en rang par trois, au garde-à-vous. Les enfants en étaient dispensés. Simon restait alors dans sa salle ou rejoignait des petits amis dans une autre. Ce n'est qu'après le deuxième appel, à 14h30, qu'on pouvait se détendre et se promener. Simon courait alors dans la cour avec d'autres enfants. Un jour, poursuivi par un petit copain, il cogna légèrement le SS BODEN, qui le repoussa de sa cravache sans lui faire mal.

Sachant que sa seule chance de s'échapper était de sauter du train, Simon s'entraînait avec des camarades à sauter de la couchette du haut.
Quand on l'a mis dans le train, il ne savait pas qu'il était condamné à mort et conduit sur les lieux de son exécution. Mais lui, petit louveteau débrouillard, a sauté du train et s'est enfui. Il avait juste onze ans et demi. Malheureusement, ils ont tué ses parents et sa soeur et il est resté seul.

Alors il a voulu oublier le passé et vivre pour le présent et l'avenir, pour la joie et l'amitié. Il a fait des études et maintenant il est père et grand-père.
Pendant plus de 50 ans, il n'a presque pas parlé du passé. Il parle maintenant car il doit témoigner de ces crimes. Il voudrait que les révisionnistes aient raison car en ce cas il aurait gardé sa famille.
Il veut remercier les héros qui l'ont sauvé au péril de leur vie et en ont sauvé beaucoup d'autres.
Il parle au nom des victimes de la barbarie. Dans le 20e convoi, il y avait 262 enfants. Il parle pour tous les enfants victimes de la barbarie...

Il dit aux jeunes d'aujourd'hui : gardez notre patrie, la Belgique, comme elle est, libre, démocratique, pacifique, tolérante, pour que vous, vos enfants et petits-enfants ne connaissiez pas un jour la barbarie comme il l'a connue.
Moi, "Simon, le petit évadé" devenu grand, je dis aux enfants de mon pays:
Travaillez bien à l'école car vous êtes la Belgique de demain.
Aimez vos parents, vos frères, soeurs, familles, vos amis, vos professeurs.
Aimez votre pays. Respectez les autres, soyez tolérants. Soyez heureux.
Paix et amitié entre les hommes !"

(Photo : Eva Fastag. DR).

Témoignage d'Eva Fastag, le 23 avril 2006 à Boortmeerbeek :

- "Oui, nous sommes de moins en moins de témoins à nous souvenir et à pouvoir rapporter ce que nous avons vu et vécu en ces années terribles de l'occupation nazie en Belgique, de 1940 à 1945. Mais je crois qu'il faut répéter nos témoignages encore et encore, malgré le malaise, l'ennui ou la satiété que certaines peuvent éprouver. Et surtout, pour faire taire tous ces négateurs et révisionnistes qui craignent l'évidence.

Je suis venue pour témoigner de la grande importance qu'a eue, à mes yeux, cette attaque du XXe convoi. Au cours de ma détention à la Caserne Dossin, pendant près de 2 ans, j'ai côtoyé quotidiennement la détresse, la misère et, surtout, le désespoir des détenus qui, tous, étaient destinés à la déportation, tôt ou tard.
La plupart avaient été pratiquement tirés de leur lit pour être amenés à la Caserne Dossin.
Pourquoi ?
Parce qu'ils étaient Juifs, tout simplement !

Le fait que nous ignorions (sauf quelques "initiés") le sort qui nous était réservé, augmentait encore notre angoisse. Nous étions des femmes, des hommes, des jeunes, des vieux, de très vieux, des malades, des grabataires et des enfants, des enfants avec ou sans parents ou quelqu'un pour prendre soin d'eux.
Imaginez-vous tous ces enfants en bas âge, abandonnés à leur sort dans de telles circonstances ?
Il y a toujours cette image qui me hante : des rangées d'êtres humains, femmes, hommes, enfants, épuisés, abasourdis, entourés de soldats et de SS armés, qui sont poussés à travers le portail de la Caserne Dossin, vers les trains de la mort.

Il est vrai qu'aujourd'hui il est difficile de croire que cela fut et c'est sans doute là-dessus que les négationnistes comptent pour proclamer que cela n'a jamais existé. En effet, un esprit sain peut-il imaginer qu'une telle abomination a été inventée par l'homme ?

Je ne peux pas non plus oublier les veilles de départ des convois, l'atmosphère d'angoisse qui régnait dans la Caserne et surtout dans les salles. Les SS voulaient nous faire croire qu'on allait vers des endroits bien aménagés pour les familles !

Dans le camp, des groupes de résistance s'étaient formés avec en partie des résistants qui l'avaient déjà été à l'extérieur. Par divers moyens, on essayait de se procurer toutes sortes d'outils qui devaient servir à réaliser une ouverture du wagon qui permettrait une évasion. On essayait de rassembler dans le même wagon ceux dont on savait ou croyait qu'ils étaient décidés à risquer l'évasion.

L'attaque du XXe convoi par les héroïques Georges Livschitz, Jean Franklemon et Robert Maistriau s'est alors conjuguée avec cette volonté de libération.

Le courage des détenus était celui du désespoir, celui des trois jeunes libres était le courage de sauver des vies. Cette attaque du train par l'extérieur a créé une psychose d'évasion : dans plusieurs wagons, des "candidats" à la fuite, ont pris courage en se doutant de ce qui se passait et d'autre part, des indécis ou même des "réfractaires" à l'évasion se sont joints aux fuyards et ont sauté du train.
Le grand mérite de nos trois héros n'est donc pas seulement d'avoir, par leur attaque du train, libéré directement et individuellement des hommes voués à l'extermination, mais également d'avoir, par leur action héroïque, provoqué un sursaut de résistance face à leurs bourreaux et à leur objectif criminel.

HOMMAGE à :
Georges Livschitz
Jean Franklemon
Robert Maistriau
ainsi qu'à tous ceux qui ont sauté du train.

Je voudrais ici encore rappeler qu'exactement le même jour, soit le 19 avril 1943, a débuté le soulèvement du ghetto de Varsovie ! Quelle coïncidence !"


Notes :
(1) Université Libre de Bruxelles. "Libre" = Laïque.
(2) A la rédaction de cette nécrologie, il semble que Robert Maistriau ait été confondu avec Georges Livschitz. En effet, les résistants n'avaient pour eux trois qu'un seul revolver !
(3) Vie Ouvrière, Collection "Condition humaine". Bruxelles. 1986.
Mes remerciements réitérés à Simon Gronowski et à Eva Fastag pour m'avoir confié leurs témoignages.


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