DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

vendredi 16 avril 2010

P. 268. 12 avril 1941 sur les ondes de la Radiodiffusion nationale

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Longueurs d'ondes et programme de la Radiodiffusion nationale en 1941 (Doc. JEA / DR).

En zone dite "libre",
le 12 avril 1941,
la "Radiodiffusion nationale"
recourt au fantasmatique
complot judéo-maçonnique
pour se vautrer dans l'antisémitisme...

On ne se gardera jamais assez des anachronismes. Ainsi, s'imaginer que la sensibilité actuelle vis-à-vis de la Shoah était déjà vive à la libération, au retour des quelques rescapés (2% des juifs déportés de France)... Alors qu'il fallut attendre le tournant entre la fin des années 60 et le début des années 70, pour qu'enfin ne soient pas seulement évoqués, reconnus et honorés que les prisonniers de guerre et les déportés politiques mais enfin les persécutés raciaux.

A propos de l'antisémitisme, la plus grande prudence critique s'impose devant les témoignages de contemporains de l'occupation et qui répètent n'avoir jamais entendu ni vu la moindre manifestation raciste de la part de Vichy et d'autres collabos français...
A moins que ces gens ne fussent par exemple tous dépourvus de la TSF ?
Mais non, en zone outrageusement appelée "libre", la radio représentait un vecteur d'informations essentiel dans un contexte de repli sur soi, d'étouffement, d'attentisme prudent ou d'engagements relativement précoces.
Considérée comme la voix de la France, comprenez celle du régime de Vichy, la "Radiodiffusion nationale" se trouvait en conséquence sous contrôle direct et donc rattachée à la vice-présidence du Conseil.

Or, qu'ouïrent celles et ceux qui, le samedi 12 mars 1941 à 20h45, écoutèrent la "Radiodiffusion nationale" ?

1941. Affiche publicitaire pour un hebdo, Radio National, reprenant les programmes des ondes contrôlées par Vichy (Doc. JEA / DR).

Emission de la "Radiodiffusion nationale" :

- "Nous ne nous lasserons jamais de le répéter : les communistes, les juifs et les francs-maçons (...) nous ont entraînés dans la guerre après avoir tout fait pour que nous la perdions. Ils collaborent avec les gaullistes pour se faire les artisans de nos misères à venir.
Savez-vous les noms des speakers des émissions de la BBC qu'ils appellent imprudemment "Les Français parlent aux Français", "les Français Libres", et quoi d'autre encore ?
Le principal est Georges Boris (1), juif d'origine russe, fondateur de la Revue de 1923, artisan de la banqueroute qui a coûté 40 millions aux petits épargnants français. En récompense, Blum l'avait nommé son directeur de cabinet.
Le second est Louis Lévy, un autre juif. Il était rédacteur au Populaire (2). Dans ses articles incendiaires, il incitait les Français à faire une guerre à laquelle il a lui-même refusé de participer.
Enfin, le père et le fils Gombault, encore des juifs d'origine étrangère dont le vrai nom est Weisskopf. Le père s'est fait donner la cravate de commandeur de la Légion d'honneur. Le fils, gras et florissant, avait trouvé la guerre trop dangereuse et s'était embusqué." (3)

La pub et l'autopromotion de Vichy ne sont pas ponctuelles mais continuelles. En conséquence, ce morceau d'anthologie haineuse du 12 mars 1941 fut précédé d'un appel faussement grand-paternel du Maréchal sur les mêmes ondes, le 7 avril :

- "Une propagande subtile, insidieuse (...) vise à détruire l'unité nationale (...). Des discordes fratricides seraient la suite naturelle de cette division des esprits. C'en est assez (...). Ceux qui essaient de détruire l'unité nationale et l'unité de la Mère patrie et de l'Empire ne servent pas la France. Il n'y a pas plusieurs façons d'être fidèle à la France."

Dès le 2 avril 1941, la "Radiodiffusion nationale" avait d'ailleurs déjà frappé sur le clou du complot juifs-francs maçons-métèques :

- "La clique de l'état-major de De Gaulle (...) tire les ficelles, juifs, francs-maçons et fugitifs de tout acabit (...) révèlent devant les micros de la BBC un courage dont ils n'ont pas fait la preuve sur les champs de bataille de France."

Gringoire. "Pour la France, il n'y a pas d'autre cause à défendre et à servir que celle de la France. Maréchal PETAIN" (Doc JEA / DR).

Cette offensive menée par la "Radiodiffusion nationale" s'inscrit dans un plan de guerre des ondes (4) plus large, incluant l'hebdomadaire non pas imprimé à Paris sous la botte allemande mais bien en zone pseudo "libre" et au tirage vertigineux de 475.000 exemplaires... on aura reconnu Gringoire (avec des signatures comme Béraud, Brasillach, de La Varende, Henriot, Lorédan, Suarez...) ! Lequel hebdo prend le relais le 17 avril 1941.

Gringoire :

Titre : "NAIFS AUDITEURS DE LA RADIO GAULLARDE, connaissez du moins les individus qui vous bourrent le crâne".

En première page et sur six colonnes s'étalent six caricatures signée "carb" (7).
De gauche à droite :
"Ceux de Londres"
- "Goldenberg dit Georges Boris, embusqué, faux démocrate, pillard de l'épargne et socialiste calamiteux",
- "Weisskopf dit Gombault, dans les couloirs de la Chambre l'oeil de la Franc-Maçonnerie",
- "Louis Lévy, gras, cynique, machiavélique, antimilitariste".
"Ceux de Boston"
- "Cot, fossoyeur de l'aviation française, l'homme des bassesses, franc-maçon" (5),
- "La femme Tabouis, vendue avant guerre à l'ambassade d'URSS, elle formait le Syndicat agence de fausses nouvelles destinées à provoquer la guerre" (6),
- "Géraud dit Pertinax, métèque."

475.000 journaux trouvent donc lecteurs pour ce genre de littérature délatrice :

- "Nous avons démasqué les trois gaillards - trois juifs francs-maçons - qui, avec l'approbation de De Gaulle et de Churchill, règnent sur les émissions en langue française de la radio de Londres".

Georges Boris tel que présenté aux lecteurs de Gringoire, le 17 avril 1941 (DR).

Et pour en rester là, gardez-vous de conclure que seuls les affidés de Vichy se régalent. A Londres aussi, d'aucuns prennent les injures de Gringoire au pied de la lettre.
Le chef de la censure au quartier général de De Gaulle, soit un certain commandant Mabille, fait ouvrir le courrier de Georges Boris. Ce militaire pond même un rapport tirant sa source directement dans Gringoire et à son tour, il affirme pouvoir "révéler" que Boris ne s'appelle pas Boris mais très exactement... "Goldenberg" !!!

Lamentable exemple d'un faux et usage de faux que se partagent Vichy et Londres avec pour trait commun l'antisémitisme.

NOTES :

(1) Lire : Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Georges Boris, Trente ans d'influence, Blum, de gaulle, Mendès France, Gallimard, 2010, 460 p.

(2) Le Populaire, journal fondé en 1916. Devenu l'organe officiel de la SFIO en 1921. Léon Blum en assura la direction politique jusqu'au sabordage du Populaire en 1940 et devant la victoire des nazis.

(3) J-L Crémieux-Brihac, op. cit., p. 131.

(4) Lire : Hélène Eck et Jean-Louis Crémieux-Brilhac (dir.), La guerre des ondes, Armand Colin, 1985, 381 p.

(5) Pierre Cot, 1895-1977. Entame sa carrière politique en 1932 comme Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. A organisé une aide clandestine aux républicains espagnols lors de la guerre civile. Ministre de l'aviation du gouvernement de Front Populaire.

(6) Geneviève Lequesnes dite Tabouis, 1852-1985. Journaliste à L'Oeuvre jusqu'en 1940. Emigrée aux USA par antinazisme. Directrice du journal La Victoire à New-York.

(7) Ci-après, une caricature de "carb" pour le Gringoire du 1er mai 1941. Un juif dessine le V de la victoire sur une vespasienne. Un franc-maçon sur le dos du juif. Un communiste sur le dos du franc-maçon. A peine obsédés, les adeptes de la "Révolution nationale"...

Humour vichyste, mais qui ne peut cacher le sang et les cendres des déportés, des fusillés et des autres victimes.
Avec des excuses pour la qualité médiocre de la reproduction (Doc. JEA / DR).

8 commentaires:

Brigetoun a dit…

POUAH

JEA a dit…

Avant de suffoquer, pour un courant d'air frais, rien ne vaut votre blog...

MVC a dit…

Même quand on le sait, tout ceci reste édifiant.....

JEA a dit…

@ MVC

Et à la Mairie de Gonneville-sur-Mer, eux aussi savent mais s'obstinent à décorer la salle des mariages avec un portrait de Pétain...

MH a dit…

Pour en savoir plus sur Vera Lynn et la BBC, un petit tour par wiki : http://fr.wikipedia.org/wiki/Vera_Lynn

JEA a dit…

@ MH

Soyez remerciée pour ce lien vers une voix qui fut aussi celle de Londres sous les bombes...

Liberté a dit…

Merci. Je suis allée de suite sur le site, écouter la douce voix de Véra Lynn pendant ces années si graves remplies de malheurs.
D'une part pour respirer et d'autre part pour oublier la voix nasillarde non pas, du "sauveur", mais du "tueur de la France"

JEA a dit…

@ Liberté

La propagande de Vichy collait des affiches avec le portrait de Pétain et cette questin "seriez-vous plus Français que lui ?"
Tant qu'à faire, la même affiche aurait pu porter cette autre interrogation : "Seriez-vous plus antisémite que son régime ?"