DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

lundi 23 novembre 2009

P. 198. Dominique Hasselmann : "Une si jolie carte postale".

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Pages nomades... (Photo : Noyers sur Serein, JEA / DR).

Grand chasseur de clous devant l'éternité. Photographe mettant un Paris authentique en chambre noire. Attentif à libérer grâce à son objectif des envolées entières d'oiseaux qui sortent de tous les ordinaires. Ecriture acide pour les pouvoirs qui s'imaginent déjà (presque) tout permis. Poète randonneur. Illustrateur de nos heures les plus grises comme les plus arc-en-ciel.
Tel est Dominique Hasselmann. Son "Chasse-clou" est un canard déchaîné quotidiennement sur la toile.
Il est le premier à (dé)couvrir un nouvel horizon de ces "Mo(t)saïques" : "les pages nomades". Chacune de celles-ci portera la signature manuscrite d'un(e) invité(e) que n'aura pas rebuté une publication de son billet (aller certes pas simple) sur ce blog frontalier ("border line").

Page nomade de
Dominique Hasselmann :
"Une si jolie carte"...

Durant les vacances de l’été 1987, j’avais entrepris un petit périple dans la « France profonde » avec ma femme et ma fidèle 2 cv.

Un jour, nous fîmes un crochet par Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher) : je me souvenais que c’était là que le Maréchal Pétain avait rencontré Hitler, et j’étais curieux de voir comment se présentait le lieu où fut échangée la fameuse poignée de main le 24 octobre 1940.

Photo capturée sur le site de Wikipédia.
Abgebildete Personen :
Hitler, Adolf: Reichskanzler, Deutschland,
Pétain, Philippe: Staatschef, Marschall, Frankreich,
Ribbentrop, Joachim von: Außenminister, NSDAP, Deutschland,
Schmidt, Paul Otto Gustav Dr.: Chefdolmetscher von Hitler, Pressechef im Auswärtigen Amt, Deutschland.

Date : 24 octobre 1940 (1940-10-24).
Source : Deutsches Bundesarchiv (German Federal Archive),
Bild 183-H2521.


D’abord nous allâmes jusqu’à la minuscule gare, et je pris quelques photos, avec mon Yashica 6 x 6, du bâtiment tout à fait ordinaire, sans même une plaque commémorative de l’événement.

(Gare de Montoire-sur-le-Loir, photo http://www.montoire-sur-le-loir.net/fran/accueil.htm.).

Comme j’étais curieux de savoir s’il existait aussi une carte postale de ce « monument » qui en mentionnerait peut-être le rôle dans l’Histoire de France, je me dirigeai alors vers la Maison de la presse, au milieu de la place principale du bourg.

Là, sur un tourniquet, je ne pouvais pas la manquer car il y en avait un bon paquet. « La » gare était là, désolante fixe, je regardais le verso et tombai alors sur le commentaire reproduit ici :


(Document D.H.)

Mon sang ne fit que deux tours : le révisionnisme était encore présent dans la France de 1987 !

Je relisais et n’en croyais pas mes yeux : « Durant cette rencontre, le Maréchal (comme on disait à l’époque !) réussit à sauvegarder une partie de l’indépendance politique française (?) et à éviter (sic) la collaboration que prétendait (sic) obtenir le Führer. Cette victoire diplomatique (!) fut longtemps et volontairement méconnue (sic). »

Les révisionnistes n’étaient donc pas ceux que l’on croyait !

Il est vrai que Robert Faurisson étalait partout, notamment à Lyon, une ville symbole de la Résistance, ses thèses mensongères sur la deuxième guerre mondiale, et notamment sur l’existence des chambres à gaz. Le Pen allait reprendre le refrain au pas cadencé.

Réécoutons le discours radiodiffusé du Maréchal Pétain le 30 octobre 1940 et ses explications :



Le commentaire de la carte postale a donc tout faux, mettons-nous au garde-à-vous et recueillons-nous tandis que sortent derechef du poste de radio en bakélite noire les paroles suivantes : « C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française, une unité de dix siècles, dans le cadre d’une activité constructive du nouvel ordre européen, que j’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration. »

L’ébauche dactylographiée et corrigée de l’intervention maréchaliste a même fait l’objet d’enchères. En voici la reproduction :

L’Histoire avait cependant tranché depuis.

On était lundi, et immédiatement je mis la carte postale sous enveloppe à l’adresse du Canard enchaîné, avec un petit mot adressé à Claude Angeli, le rédacteur en chef.

Deux jours après (La Poste était diligente !), ce document paraissait dans l’hebdomadaire satirique daté du 19 août 1987 :

(Document D. H.).

De retour de vacances, je m’amusais à le diffuser au sein du département « Promotion et action commerciale » dont j’étais responsable dans un service public de télécommunications.

La semaine suivant la publication de l’image révisionniste, Le Canard enchaîné indiquait que la Maison de la presse de Montoire-sur-le-Loir avait été dévalisée de tout son stock de cartes postales (images précieuses à conserver) reproduisant la gare locale.

Un courant de la même veine alimenta Le Canard enchaîné pendant plusieurs semaines soit avec la photo d’une bouteille de vin portant une étiquette « pétainiste », soit avec la reproduction d’autres objets douteux en vente libre dans notre beau pays.

Comme l’avait proclamé le Maréchal Pétain, le 17 juin 1941 : « Français, vous avez vraiment la mémoire courte ! »


Le film de Marcel Ophuls Le Chagrin et la Pitié vint plus tard, en 1971, rafraîchir les souvenirs ou les connaissances historiques des Français, parfois bizarrement en proie à une certaine défaillance.

Dominique Hasselmann.





23 commentaires:

Brigetoun a dit…

j'aime beaucoup l "chasse clou", seulement là il faudrait savoir POURQUOI les gens achetaient la carte

D. Hasselmann a dit…

@ brigetoun : parce qu'en France il y a beaucoup de collectionneurs de cartes postales et d'amateurs indéfectibles des chemins de fer !

Chr. Borhen a dit…

Bravo Dominique pour ton oeil si vigilant - à ce propos, je me permets de reprendre à mon compte toutes les paroles de JEA qui nous présentent le Chasse-clou.
Ah oui, je me souviens avoir eu entre les mains un dépliant, genre ceux que l'on trouve dans les offices du "tourisme", concernant Oradour-sur-Glane, lequel dépliant publié par je ne sais plus qui - désolé. On y parlait bien sûr du massacre du 10 juin 1944, mais en ces termes : "le méfait perpétré par les ennemis"...

Par ailleurs, je vois que notre JEA a déjà mis les pieds à Noyers-sur-Serein, non loin de cette véritable pépite qu'est Vézelay, cette autre "colline inspirée", comme eût dit ce con de Maurice Barrès. Bref, je vois que nous fréquentons aussi les mêmes lieux envoûtants et je m'en réjouis.

D. Hasselmann a dit…

@ Chr. Borhen : dommage que tu n'aies pas conservé et publié ce document sur Oradour-sur-Glane car l'auteur de la formulation "le méfait..." en eût reçu alors une gloire méritée.

Elisabeth.b a dit…

Pourquoi cette carte s'est vendue ? Parmi les amateurs des fidèles au pire. Pourquoi des ouvrages interdits, délires antisémites, apologie de l'abjection, continuent à circuler ? Malgré les lois. Les nouvelles techniques facilitent leur propagation. Pour un site signalé, combien d'autres ouvrent leur écran ?

Le bréviaire de la haine, pour reprendre les mots de Léon Poliakov, ne cesse de se réciter. Des pages se relisent, d'autres s'ajoutent. De l'indifférence, une carte laissée là, à la propagande qui s'adapte aux temps, une question de degrés.
Des mots faussement anodins aux plus violents. Tous sont meurtriers.

Pourquoi 'Mein Kampf' est-il un best-seller en Turquie ?
Pourquoi...

Tania a dit…

Bravo pour cette histoire édifiante - le passé est décidément bien présent.

Lyvie a dit…

encore un très bel article. J'en aime beaucoup le ton, la promenade, la 2CV, la carte postale... et brutalement le pavé dans la mare... excellent !

Zoë a dit…

Messieurs les révisionnistes, si vous voulez dormir en paix, je vous conseille de vous saisir d'un trio infernal qui sévit sur le ouèbe, DH, JEA et CB continuent de prétendre que le diable est dans les détails

JEA a dit…

@ Chr. Borhen

je vais aussi à Vézelay
- en période dite creuse (comme une coquille d'huître sans les perles noires de touristes), très tôt et très tard, -
par fidélité à Max-Pol Fouchet
et avec Rostropovitch dans l'oreille...

JEA a dit…

@ D. Hasselmann et Chr. Borhen

Oui, confirmation !!! Ce regard-là sur Oradour, serait une autre "page nomade" à inviter sur ce blog (avec les Alsaciens de la Das Reich comme "ennemis", ce ne serait pas évident comme approche).

JEA a dit…

@ Elisabeth.b

Respect pour "Le bréviaire de la haine" de Léon Poliakov.

Les lecteurs, de la première à la dernière page d'Hitler sont-ils légions ???
C'est le symbole qui serait recherché à travers ce livre-discours-programme. Celui d'un antisémitisme poussé jusqu'à l'extrême de sa logique. Soit l'extermination.
Il y a des gens qui deviennent des parasites de cette volonté génocidaire. Qui s'en nourrissent. Des obsédés. Qui actualisent leurs méthodes. Des perfectionnistes. Qui s'imaginent et se veulent racés supérieurement...

JEA a dit…

@ Tania

A (re)lire sur votre blog, depuis ce lundi :

http://textespretextes.lalibreblogs.be/archive/2009/11/19/un-resistant.html

un hommage juste à votre Oncle que les nazis n'ont pas voulu laisser en vie si près de Bruxelles, capitale libérée le jour même de cet assassinat
sauf problème technique imprévu, votre billet sera la prochaine "page nomade" (mercredi 24) de ce blog

JEA a dit…

@ Sylvie

Transmis devant témoins à Dominique Hasselmann...

D. Hasselmann a dit…

@ Elisabeth B. : cette carte postale, je l'ai vue en 1987, mais peut-être était-elle là depuis quelques années ?
Depuis, d'autres documents du même type ont aussi circulé, comme l'a remarqué Chr. Borhen.

Il reste à espérer que cette "révision" de l'Histoire soit de moins en moins active et de plus en plus dénoncée.

C'est pourquoi tout ce qui favorise le Front National et sa nouvelle cavalière, ou cherche à les flatter dans le sens du poil dur, est à combattre.

D. Hasselmann a dit…

@ Chr. Borhen : voici quelques "visions" qui te rappelleront sans doute des souvenirs, ainsi qu'à JEA :

http://dominiquehasselmann.blog.lemonde.fr/2008/04/30/visions-de-vezelay-en-coup-de-vent/

@ JEA : grand merci pour votre accueil (je n'ose dire... "collaboration" !) et la mise en page impeccable de l'ensemble.

claire a dit…

Dominique, alors en '87 vous chassiez déjà le clou ?
Oui, une si jolie carte mais aussi... une si charmante mairie, une si belle petite madame à l'écoute, le beau meuble empire tout lisse derrière le mignon petit maréchal, héros de la grande guerre, quelques écrits revus et corrigés et une si franche poignée de main... tout cela est si lisse, si normal.

Merci aussi pour ce lien vers le film de Marcel Ophuls.

Cactus , ciné-chineur a dit…

à Vézelay , on pourrait s'y rencontrer par un heureux hasard , alors ( pas que pour prier )!

JEA a dit…

@ Zoé

"DH, JEA et CB" : nous sommes un triangle des Bermudes !?!

JEA a dit…

@ Cactus homme lézard

A Vézelay aussi pour une salade de crêtes de coq. Dans les Ardennes, j'imaginais que nous ne perdions rien en cuisine. Mais là, ces dames (il s'agit de cuisine dite "de femme"), sont encore plus fortes.
Il faudrait aussi vous conter la rencontre avec un énorme blaireau, vers une ou deux heures du matin. C'est assez proche d'une hallucination.

Cactus homme lézard a dit…

Veinard !

claire a dit…

Le révisionnisme peut se détecter précisément, c'est une chose précise; l'ambiance en est une autre, de l'orde du ressenti.
Hier j'ai été au Théâtre du Parc (Théâtre à Bruxelles où l'on joue plutôt du classique, avec de très grands acteurs mais fréquenté par un public pas toujours très branché et un peu âgé) voir "La Folle de Chaillot" de Jean Giraudoux. Les décors étaient
somptueux et les acteurs fabuleux. La pièce a été écrite pendant la guerre. Je ne connais pas bien les implications politiques de Giraudoux ... je lis qu'il est diplomate, germanophile et qu'il s'est engagé sur le tard dans la résistance. Il a écrit la pièce pour Jouvet (aux sympathies suspectes, ça je ne le lis pas). On y parle du 'veau d'or', qu'il n'y a plus que les fous pour sauver le monde... on attaque les riches, la justice et le programme parle même de premier pacte écologique ! Mais ce récit qui relate comment une vieille folle (=vraie sage) liquide les mauvais en les cadenassant dans les égouts de Paris m'est apparu si radicale ! Bien sûr c'est une farce et c'est pour rire... la folie du profit s'est emparée de tout le monde, le pétrole rend fou... spéculateur, banquier, pdg, administrateur de tout poil doivent disparaître pour créer un monde meilleur !! Tout de même, pourquio fallait-il que les trésoriers à éliminer étaient caricaturés avec des barbes, un chapeau et un imper ? L'allusion était claire et les gens assis à mes côtés riaient de bon coeur; il suffisait de sauter ce passage ambigu ? Cela n'aurait pas suffi. Il faut sauver la planète était le message... mais sous ses dehors de bienveillance pour un développement durable la fable m'est apparue dans son ensemble comme une revendication pour du plus pur, du plus propre de tout et je me suis sentie très mal en sortant; mon mari et mon fils aîné (26 ans) aussi et cela m'a rassurée un peu.

claire a dit…

Je précise ma pensée: les actes et les idées révisionnistes sont aussi ressentis évidemment... je parle de l'ambiance 'ressenti' dans le sens d'intuition.
(Pardon, hum, un récit radical, sans e;-))

JEA a dit…

@ Claire

A propos de J. Giraudoux, ces premières lignes.
Il n'a pas été en odeur de sainteté auprès des collabos impurs et durs. Un exemple.

Jean Théroigne :
« Malgré lui, et cela prouve et la ruse et le danger juifs, Jean Giraudoux fut entraîné dans les rangs des embusqués aux cheveux crépus du Continental et devint leur homme de main.
Pourtant Giraudoux n’est plus un enfant : s’il a obéi à Mandel, s’il a accepté trop de juifs dans ses services qui contrôlaient la vie spirituelle de la nation en guerre, il est out de même un peu responsable. »
(Au Pilori, 9 juillet 1942).

Mais Giraudoux fut vichyste (ce qui n'est pas synonyme d'antisémite, mais bien d'au moins un silence et d'une absence de réaction sur le génocide mis en application ) :

- Il figure en 1942 dans le conseil de direction de « France Amérique », organe de propagande vichyste. Ainsi quatre « Cahiers de la politique nationale » sont consacrés à Pétain et l’armistice, au nouveau régime, à l’éducation sous l’Etat français, à la « reconstruction » du pays…

- Il est co-auteur d'un « De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain », ouvrage hagiographique dirigé par Sacha Guitry.

Puis il s'est éloigné - sans faire de vagues - de la dictature au pouvoir.

Ce témoignage d'un authentique résistant pèse dans la balance de l'histoire. A sa mort, Jean Guéhenno qui avait évoqué la « distraction lâche » de Giraudoux et au moins sa « soumission apparente », notait dans son Journal qu’il s’était montré « injuste et bête » vis-à-vis du défunt !

Pour le reste, je n'ai jamais étudié les écrits de Giraudoux sous l'occupation. Des reproches flottent sur son emploi du mot "race(s)" qui prêterait à équivoques. Mais je ne sais rien de plus.

Maintenant, qu'un metteur en scène replonge aujourd'hui dans l'eau glauque des caricatures à connotations antisémites, il y de quoi à la fois s'indigner et se répéter que ce n'est pas la dernière fois, loin s'en faut !