DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

samedi 22 novembre 2008

P. 50. Mort de Georges-Henri Lallement

L'on se couvre de rouille, l'acier tombe en poussière et le marbre s'effrite. Tout est prêt pour la mort, ce qui résiste le mieux sur la terre, c'est la tristesse.
Anna Akhmatova


Fausse carte d'identité (1943) de Georges-Henri Lallement.
Document extrait de La Résistance sur le plateau de Rocroy et ses versants, Marie-France Barbe, Ed. Au Pays des Rièzes et des Sarts, 3e Ed., s. d., 200 p. Voir Bibliothèque de ce blog.

Aux Archives départementales des Ardennes, ce 21 novembre, Marie-France Barbe présentait une conférence sur des figures ardennaises de la résistance. Un travail rigoureux et sensible d'historienne. Pas d'hagiographe. Le recueil parfois in extremis de témoignages précieux car les dernières voix en viennent à s'éteindre, vaincues par l'âge. Des histoires modestes, souvent restées inconnues, ayant néanmoins construit l'histoire authentique de la résistance dans les Ardennes.

En ouverture à cette conférence illustrée et comportant des lectures de Mme Laverdine, Marie-France Barbe annonça avec émotion la mort de Georges-Henri Lallement. Capitaine FFI. Officier de la Légion d'Honneur.

A titre personnel, je ne puis évoquer sa figure qu'à travers les recherches entamées en 2002 pour tenter de sauver de l'oubli total le Judenlager des Mazures (seul "camp pour juifs" de Champagne-Ardenne). La priorité de ce travail de reconstruction, fut de retrouver les identités de chacun des déportés de cette antichambre avant Auschwitz. Puis de retracer le destin individuel de ces 288 juifs arrachés à Anvers (Belgique) pour les Ardennes de France, avant "la solution finale". (1)
C'est dans ce contexte que Georges-Henri Lallement se confia entre janvier 2003 et l'été 2005.
Car ce vrai résistant avait été l'adjoint d'Emile Fontaine dont le réseau sauva au moins dix évadés du Judenlager.

Les documents d'archives et les témoignages recoupés à propos d'Emile Fontaine, de sa compagne Annette Pierron et de la mère de celle-ci, Camille Pierron, ont convaincu l'Institut Yad Vashem de Jérusalem de leur attribuer le titre de Justes parmi les Nations.
Dans le dossier de reconnaissance figurait une synthèse des souvenirs de Georges-Henri Lallement (entretiens oraux, mises par écrit attestées, courrier) :

- "Je soussigné Georges-Henri Lallement,
né le 7 mai 1913
à 08370 La Ferté sur Chiers

veux porter témoignage du courage et des actions entreprises sous sa responsabilité par Emile Fontaine en faveur de Juifs du Camp des Mazures.

Emile Fontaine est entré dans la Résistance dès 1941. Il avait pris le pseudonyme de "Tanguy", du nom d’un ministre socialiste d'avant guerre (2)…
Fin décembre 1942, il a été appelé à succéder à Adrien Fournaise qui, jusque-là, dirigeait la Résistance pour les secteurs de Rumigny, Signy-l’Abbaye, Aubenton et Rozoy. En effet, Adrien avait été dénoncé, arrêté, puis sera déporté sans retour…
Je suis alors devenu l'adjoint d'Emile. Mon pseudo était "Georges".


J'atteste qu'Emile Fontaine fut particulièrement actif comme chef de secteur de la Résistance. Il prit notamment la responsabilité de faire récupérer, héberger, nourrir et évacuer des aviateurs alliés abattus lors de raids menés depuis l'Angleterre. Cette expérience va servir aussi pour les Juifs des Mazures.

Un jour qui se situe dans la seconde moitié de 1943, Emile Fontaine qui travaille pour la Coopérative agricole d'Aubenton, se rend en camion dans une colonie agricole de la WOL (3), à Château-Porcien très exactement. Là, il embobine le chef de culture allemand, plus précisément il l'enivre et profite de cette situation pour charger le camion de produits agricoles. Ceux-ci étaient destinés aux maquis locaux qui comprenaient des réfractaires au STO (4) et des aviateurs alliés abattus à renvoyer vers l’Angleterre…
Sur la route du retour de Château-Porcien, Emile Fontaine tombe malheureusement sur un contrôle de gendarmerie. Il ne peut évidemment pas justifier la finalité du chargement. Se laissant dès lors accuser et poursuivre pour marché noir, il est emprisonné à Rethel puis interné aux Mazures…C’est là qu’il découvre de l'intérieur l'existence du Camp pour Juifs. Malgré l'interdiction de communiquer avec eux, il laisse ses coordonnées aux Juifs et leur promet de les aider en cas d’évasion.


Alors qu'il était lui-même interné dans ce Camp, Emile Fontaine arriva à amadouer le chef OT (5) ce qui lui facilita les contacts avec les internés Juifs auxquels il proposa d'ailleurs de fournir du matériel d'évasion telles que des pinces et cisailles pour franchir les fils barbelés de clôture. Une vingtaine de ces internés raciaux marquèrent leur intérêt...

En 1943, Emile Fontaine arrive à Rumigny où je suis officiellement receveur à l'enregistrement (mais aussi l'adjoint d'Emile dans la Résistance).
Il me dit : "En voilà un qui s'est évadé du Camp. Il faut s'en occuper."
Je lui trouve une ferme, celle du Tambour, en bordure de la forêt de Rumigny...
Quelques mois après, mon chef et ami emmène un deuxième Juif. Il est caché chez une dame, ex-commerçante de la localité. Tous deux ont connu la Libération sains et saufs (6)."

La ferme du Tambourin à Rumigny. Photo de Yaël Reicher, présidente de l'Association pour la Mémoire du Judenlager des Mazures (7), fille d'évadé de ce camp.

- "Nous avions alors pris conscience des crimes particuliers commis par les Allemands sur les Juifs. Ceux des Mazures qui se sont évadés près de Rethel avaient retenu le nom et les coordonnées d'Emile Fontaine. Certains d'entre eux (les noms n'étaient forcément pas connus à ces moments dangereux) furent donc pris en charge par notre réseau.
Après la guerre, 12 de ces Juifs qui eurent la vie sauve, ont voulu saluer la mémoire d'Emile Fontaine. Ils firent fabriquer une plaque de bronze inaugurée dans la Mairie même d'Aubenton. Le texte de cette plaque parle sans contestation possible d'Emile Fontaine puisqu'il a été écrit par les rescapés Juifs eux-mêmes (8).

Malheureusement, Emile Fontaine fut abattu par la Gestapo le 30 mars 1944. Lui et moi, nous nous étions fait la promesse réciproque de ne jamais tomber vivants dans leurs mains. A partir de ce jour-là, nous avions toujours une balle dans le canon de notre revolver...Et finalement, Emile est tombé l'arme à la main, en vrai Résistant.
Soixante ans après, sa reconnaissance comme Juste viendrait raviver la mémoire de ce Résistant qui avait un courage formidable !"


De ce témoignage signé de la main de Georges-Henri Lallement, se dessine en creux son propre portrait : courageux et déterminé, refusant les fausses fatalités, républicain dans l'âme, allergique à tout racisme, nullement immodeste...
Il a pris les mêmes risques qu'Emile Fontaine. Hélas, il ne fut pas possible de proposer à Yad Vashem de lui remettre également la Médaille et le Diplôme de Juste parmi les Nations. En 2002, des dix évadés sauvés par le réseau, un seul était encore en vie : Nathan Szuster. Il décéda en octobre 2004. Sans avoir gardé en mémoire le nom de Georges-Henri Lallement. D'abord parce que celui-ci était très secret quant à son identité réelle, ensuite du fait que Nathan Szuster, lui, fut dissimulé à Buirefontaine (Aubenton), dans la ferme de Camille Pierron, et non à Rumigny.
Or, pour la reconnaissance dépendant de Yad Vashem, il est attendu le témoignage d'au moins un juif encore en vie et pouvant attester de son sauvetage par celle ou celui dont le dossier est proposé à l'Institut.

La maladie rendit longuement cruelle la fin de vie de Georges-Henri Lallement. Le voici en paix. Une paix qu'il partage aussi avec ces juifs anversois promis à Auschwitz et que son réseau a protégés de la Shoah.

Notes :

(1) Mémorial des déportés du Judenlager des Mazures. TSAFON. Revue d'études juives du Nord, n°3 hors-série, Villeneuve d'Ascq, Octobre 2007, 155 p.
(2) Plus exactement : Francis-Tanguy Prigent, l'un des plus jeunes députés élus en 1936 dans l'élan du Front Populaire. Il fut des 80 parlementaires refusant de voter les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940. Créateur en 1943 de la "Confédération générale de l'agriculture", syndicat forcément clandestin.
(3) Wirtschaftoberleitung, Direction générale de l'agriculture. Dans les Ardennes, cette WOL organisa une mise en colonisation de non moins de 110.000 hectares dont furent privés des agriculteurs de 380 communes.
(4) Service de Travail Obligatoire imposé par Vichy le 16 février 1943. Plus de 200.000 réfractaires refusèrent de participer directement à l'effort de guerre allemand.
(5) La direction du Judenlager était SS : le Frontführer SS Siegfried, Obersturmbanführer (lieutenant-colonel). Mais l'organisation et la mise en application du travail forcé relevaient d'un Lagerführer de l'Organisation Todt.
(6) Jacques (Siegfried) Springer et ? (David Stockfeder).
(7) Loi 1901. Journal Officiel du 20 décembre 2003. Siège social dans les Ardennes. Malgré ses demandes écrites, jamais l'Association n'a été invitée par la Préfecture à la cérémonie annuelle d'hommage aux déportés (pour le Judenlager des Mazures, ils furent 288 !).
Aucune aide officielle ne lui fut accordée par le département ou la région pour ériger une pierre de la mémoire sur le site même du camp...
(8) Noms en relief sur la plaque d'hommage : SPRINGER S. J., SZUSTER N., REICHER H., ARON L., LEMER S., KOGEL S. , STOCKFEDER D., LIEBERMAN V. B., LIPSCHITZ S., KOGEL CH., GRUN H., KASSERES A.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour Jean-Emile,

Je suis toujours très heureuse de lire ton blog. C'est non seulement très instructif, mais on y perçoit aussi beaucoup de sensibilité (je n'ai pas dit "sensiblerie"). Merci de continuer.
Amicalement.
Edith