Le bateau livre, graphisme JEA (DR).
Deux années durant, Laurence fut élève sur le banc de l'une mes classes. Et plus encore, embarquée comme louve de fleuves sur une péniche au pavois marquant la fin des examens. Pour deux navigations illustrant la "douceur mosane" et pour une échappée en pays parallèle de Loire. Elle lisait comme d'autres respirent. Tête dans les nuages des pages. Ombre glissant sur l'eau complice, Παντα ρει και ουδεν μενει. Jusqu'à cette fête de la musique, dans un Charleville méconnaissable, où elle disparut vraiment. Partie à la recherche d'un Rimbaud peut-être de retour, incognito et resté aussi inspiré que désespéré.
En résumé, en notre Athénée, sa classe dégustait avec un appétit juvénile le Boris Vian du Goûter des généraux puis, avec elle, la péniche devenait bateau livre.
Depuis, il nous arrive volontairement d'accoster encore aux mêmes rives. Le temps d'apprendre que nous ne rajeunissons pas et que là n'est point l'essentiel.
Mais voici qu'elle publie pour, à son tour, offrir à lire à de futures louvettes, elles qui pousseront d'autres fleuves à quitter leur lit.
Cette présentation personnelle n'a certes pas la rigueur de la page quatre de son premier opus. Quand sa maison d'Edition se montre plus précisément prosaïque :
- "Née à Bruxelles en 1978, romaniste et professeur de français, Laurence Thirion enseigne depuis dix ans. Elle a principalement travaillé dans les Hautes Ecoles de Tournai, Namur et Liège.
Mère de deux petites filles, elle vit actuellement dans la région namuroise, en Belgique. "Absences" est son premier roman."
En couverture : Laurence Thirion, La Roque (détail), 2000.
Laurence Thirion,
Absences,
Ed. Memory Press, Tenneville, 2009, 127 p., 15 Euros.
4e de couverture :
- "Sept maisons en tout et pour tout dont deux en ruines et pas un chat dehors."
Michel, un enseignant bruxellois découragé, a trouvé dans un hameau du Larzac un désert pour faire le deuil de Paul, son fils de vingt-huit ans.
Par delà la mort, l'espace, les générations, des liens se tissent et perpétuent la vie."
De ces trois personnages-clefs (ils entrouvrent quelques coffres à voyage intérieur du roman),
- le Larzac, dos tourné aux cartes postales,
- Michel, le père confronté à cette aberration du temps inversé qu'est la mort de son fils,
- Paul, le fils parti en laissant des vides définitifs,
voici les deux premiers en quelques lignes :
- "La neige tombait de plus en plus épaisse. Cinq jours déjà. Les routes n'avaient pas été dégagées. La commune n'était pas équipée. Francis, le cantonnier, faisait ce qu'il pouvait pour nettoyer les chemins mais son âge le rendait inefficace. Quelques hommes du village s'étaient portés volontaires, leurs bras et leur courage n'auraient cependant pas pu les mener loin. Le ciel restait couvert, menaçant. Le soir, les tempêtes se déchaînaient et, le lendemain, tout était de nouveau absolument blanc. L'épicerie ne vendait plus de pain depuis cinq jours, les gens avaient acheté les derniers paquets de biscottes et se nourrissaient de conserves. Certains tuaient un de leurs lapins. L'enthousiasme des premiers jours était tombé et l'inquiétude se faisait plus présente.
(...) Malheureusement, depuis une semaine, l'école était fermée. L'instituteur de Lodève n'avait pu se déplacer.
(...) Le Maire se rendit donc au mazet. Michel accepterait-il d'enseigner aux enfants de six à onze ans ? Et pourrait-il ne pas se limiter au français mais également leur donner quelques rudiments de calcul, le temps que la météo s'apaise, que les choses s'arrangent ?
Ce projet amusa Michel. Il n'avait jamais enseigné à des enfants de cet âge et certainement pas à des gamins des campagnes qui ne connaissaient même pas le cinéma !
(...) Le premier jour de classe, Michel comprit rapidement que le travail lui faisait du bien. Parce qu'il avait eu à apaiser les querelles des uns et les chagrins des autres, parce que, devant lui, vingt-quatre têtes bienveillantes et enthousiastes le regardant, il avait mis sa vie à lui entre parenthèses le temps de donner cours. "
(P. 105-109).
Laurence Thirion au Larzac (DR).
Le Larzac, Michel, Paul (en filigrane), Sarah aussi. Professeur de littérature comme Michel. Amoureuse amputée à la vie à la mort de Paul. Aucunement résignée. A vif donc. Avec des moments à bout de souffle. De Bruxelles, elle écrit au père :
- "Cher Monsieur,
... amusant... il lui avait déjà dit plusieurs fois qu'elle pouvait l'appeler Michel et, malgré cela, Sarah continuait à lui servir du "Monsieur"...
Je vous envoie ce petit mot rapide pour vous donner quelques nouvelles même si je n'ai pas vraiment le coeur à écrire... Voici que la moitié de mes vacances est passée et je ne me sens toujours pas reposée. La fatigue n'est pas physique, je pense, mais plutôt psychologique... Je fais le bilan... Cette année scolaire n'a pas été très enthousiasmante, je n'y ai rencontré que des élèves démotivants qui ne connaissent du français que cette vulgarité que vous imaginez.
Je n'ai pas grand moral...
L'entente avec Antoine {son compagnon} est difficile pour l'instant, ça n'arrange évidemment pas les choses. J'ai envie d'un enfant et, lui, aimerait attendre encore... Tout cela me rend bien triste..."
(P. 72).
Vous l'aurez compris. Ce roman, c'est aussi ce qu'il reste de la vie quand la mort n'a pas mis de gants pour se montrer particulièrement indifférente aux douleurs et aux malheurs qu'elle sème à tous vents mauvais.
Sur le Larzac aussi, les saisons tournent en rond. Obstinément. Et la nature ne va pas montrer plus de respect aux hommes que ceux-ci ne lui en réservent.
Les sentiments peuvent être incroyablement forts, sincères, néanmoins le sable du temps les absorbe comme il boit toutes les larmes, même de sang ou encore d'encre.
Aux Absences du livre, répondent en reflets qui se croisent, s'apprécient ou ne se retournent pas, des personnages tels que :
- Foulcamp, chien au moins aussi bâtard que son maître ;
- un berger au "pas traînant, identique à celui des élèves" de Michel ;
- Marie qui ne laisse pas mourir de faim (attention à ses crèpes au Roquefort) les gens du coin et les rares passants ;
- Catherine, "un peu bohème" et beaucoup présente. Son fils, Tanguy, aura presque les derniers mots du roman ;
- Manuel, passion (éphémère ?!?) de Catherine, un peu d'océan dans les yeux ;
- Pierre que des gendarmes ne supporteront pas en liberté ;
- et Claire, épouse de l'un, enfant de l'autre : "le même prénom renfermait des promesses de bonheur". Réponse à cette énigme page 127...
Laurence Thirion (Graphisme : JEA. DR).
samedi 11 avril 2009
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1 commentaire:
J'ai des lectures de blog en retard, dont celui-ci...
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