mais son hôtesse ardennaise, Elisabeth Prévost,
fut une femme hors normes...
Les Cendrarsiennes et les Cendrarsiens l'excuseront-ils ? Cette page témoigne d'une ignorance peu glorieuse. A savoir que Blaise Cendrars vécut entre 1938 et 1940 dans les Ardennes. Invité (de 50 ans) par une jeune femme (de 27 ans), Elisabeth Prévost. Celle-ci s'est offert une vie extra-ordinaire, ne cessant de parcourir le monde, non par snobisme mais par pur esprit d'aventures.
Ma découverte de la rencontre entre ces deux êtres d'exception a trouvé sa source dans :
Blaise Cendrars, La main coupée, Coll. Folio 2007 (Denoël 1946), 453 p.
En fin de ce volume, des "points de repère indispensables" sont proposés aux lecteurs. Et d'y lire pour 1938 :
- "Rencontre Elisabeth Prévost (qu'il surnomme "Bee and Bee"), chez qui il séjournera souvent jusqu'à la guerre, aux Aiguillettes, dans les Ardennes."
Une première réaction spontanée : où se cachent ces "Aiguillettes dans les Ardennes" ???
Un mot rédigé de la main d'Elisabeth Prévost pour y inviter initialement Cendrars, trace une carte à l'encre sympathique :
- « Puisque nous n’arrivons pas à nous comprendre, venez déjeuner au ranch ardennais. C’est facile. Gare du nord. Train. Descente en gare d’Hirson. Un car. Arrêt à un bistrot après une demi-heure de route. Prenez un verre. La carriole, le cocher et le cheval vous attendront. Trois quarts d’heure de route de campagne. Et je vous attends ».
(Feuilles de route, bulletin de la Blaise Cendrars International Society, n° 13, avril 1985.)
"Une demi-heure" en car depuis la "gare d'Hirson" (Aisne) vers les Ardennes ? Peut-être, sans doute Signy-le-Petit, première localité d'importance une fois franchie la séparation entre les deux départements. Puis "trois quarts d'heure de route de campagne" à partir de Signy ? En traçant un cercle concentrique... voilà le village de Brognon. Et le long de la forêt de Signy-le-Petit, dos à la frontière belge, effectivement un lieu-dit habité : "les Aiguillettes".
Site des Aiguillettes - Mars 2009 (1). Photo JEA / DR.
Alain Garric :
- "Le pavillon {les Aiguillettes} est une auberge convenable : un maître d’hôtel, un cuisinier, une femme de chambre, cinq palefreniers, un chauffeur, une réserve d’essence et une bonne cave (il y a du champagne dans la famille).
Elevée à la garçonne, Elisabeth, à dix ans, accompagnait son père à l’affût au sanglier, l’âge où Freddy s’enfiévrait pour les Filles du feu. A treize ans, pour sa première communion, elle reçut (sacrement) sa première carabine. L’âge où Freddy découvrait le Transsibérien, sans y monter : à l’Exposition universelle de 1900.
Des maîtres de forge du côté de sa mère, des banquiers du côté de son père (Caropolitain doré et explorateur rimbaldien, il accompagna Lyautey en Afrique), la jeune fille mène la vie au pré : un milieu de concours hippique, de polo, de chasses à courre.
Cendrars se requinque au gibier et au bourgogne. Il envoie, grand nabab de la dèche, des sacs de patates de la propriété à l’hôtelier de l’Alma pour le dédommager. Tous les matins, après avoir donné le grain aux poules et visité les tenderies de grives, il s’appuie sur les lisses blanches pour regarder Bee monter les chevaux racés que la guerre, proche, emportera contre un bout de papier."
(Le Journal littéraire, repris par le blog Libellule, 19 août 2007).
Photo : Cendrars descendu de sa Bugatti aux Aiguillettes. Fleurs à la main : Elisabeth Prévost (DR).
Eric Dussert :
- "A cette époque Blaise Cendrars court la pige et "collectionne les exploits d'huissiers". Pour leur échapper, il répond à l'invitation qu'elle lui fait de visiter son installation.
En secret, il se réfugie chez elle pendant près d'une "année et demie de mystère, entouré de hauts sapins mélancoliques et de grands hêtres roux et rouges en automne, non loin d'une rivière où sautaient des truites".
(Le Matricule des Anges, n°22, janvier-mars 1998).
Monique Chefdor (universitaire et fondatrice à New-York en 1978 de l'Association Internationale Blaise Cendrars) :
- "Blaise Cendrars avait devant lui une très jeune femme dont la vie ressemblait en tous points aux récits de ses livres. Ce fut un choc pour lui et le début d'une amitié rarissime…
C'était avant tout une baroudeuse, très anglaise de style et pleine d'humour mais somme toute assez solitaire. Elle a écrit de merveilleux reportages, toujours inédits".
Photo : la cigarette de Cendrars (Graph. JEA / DR).
Bibliottrut.eu :
- "Quant à la nature exacte de sa propre relation avec Blaise, Elisabeth n’en révèle rien.
Ce qu’elle raconte c’est que Blaise débarque avec son Alfa (2) rouge décapotable, sa valise et sa machine à écrire, et s’installe chez elle, qu’ils vivent ensemble quelque temps, en 38, en 39, elle dressant ses chevaux, lui écrivant, qu’ils passent un Noël mémorable sous la neige, que l’été ils vont chercher des cigarettes de contrebande en Belgique, que Cendrars joue de l’harmonium le dimanche à la messe (mais ne se lève pas, en bon mécréant qu’il était, à l’élévation), qu’ils vont à la chasse tous les deux, lui tenant un fusil malgré son bras unique, qu’ils font des projets fous (un film de chevaux : l’Eperon d’Or, un voyage autour du monde en voilier) et puis arrive la guerre, une lettre mystérieuse, et Cendrars part s’engager chez les Anglais comme officier de renseignement…
Mais pendant tout ce récit Elisabeth ne donnera pas la moindre indication sur ce qui a pu être sa véritable relation, sa relation intime avec Blaise. Ce n’est qu’à la fin qu’elle dit ceci : « Blaise Cendrars fut, dans ma vie, et pour toute ma vie, l’être qui marqua le plus mon cœur et mon esprit... ».
(Décembre 2008).
Noël Blandin :
- "Elisabeth Prévost a rédigé ses premières nouvelles alors que Cendrars n'était plus de ce monde, elle a également traversé le monde du théâtre aux côtés de Louis Jouvet et Jean Vilar, et le monde du cinéma du Chili au Portugal. Seules 31 lettres parmi les centaines échangées entre l'écrivain et la jeune femme ont été sauvées de l'incendie de sa propriété des Ardennes parce qu'elles étaient enfouies dans une paire de bottes de cheval au fond d'une malle. Elisabeth Prévost se souciait peu de rendre publique son amitié avec Cendrars."
(La République des Lettres, 1 septembre 1997).
Avant de faire découvrir la frontière ardennaise à Cendrars, Elisabeth Prévost avait déjà chassé l'éléphant en Afrique. Son nom reste attaché au Canada, aux Carpates, à la Cordillière des Andes, à l'Indochine, à la Mer Noire, à la Mongolie, à la Patagonie, au Ruwenzori, au Tchad, et... à trois naufrages. Elle terminera sa vie aventureuse par un dernier tour du monde, à l'âge de 78 ans et cette fois sur un cargo... (DR).
31 lettres ont donc été sauvées de cette rencontre entre deux personnalités d'exception. Elles ont été publiées dans ce volume :
- Madame mon copain. Elisabeth Prévost et Blaise Cendrars une amitié rarissime, Ed. Joca Sera, 1997, 160 p.
Quatrième de couverture :
- "En 1938, on présente à Blaise Cendrars une jeune fille de retour d'une expédition africaine. Elle a 27 ans, et déjà une vie d'aventurière qui ne peut que séduire Blaise. Élisabeth Prévost, cette impressionnante Diane chasseresse, l'invite à visiter son élevage de chevaux de concours hippique dans les Ardennes. Une profonde amitié s'installe entre eux.
Autour des trente et une lettres de Blaise Cendrars, sauvegardées par bonheur ou hasard, alors qu'elles auraient pu tout aussi bien disparaître dans l'incendie de la propriété d'Élisabeth Prévost dans les Ardennes, cet ouvrage rassemble des textes et des documents illustrant le dialogue qui s'établit entre les deux amis.
Dans l'extrait de L'Homme foudroyé, Blaise Cendrars brosse un portrait mémorable d'Élisabeth Prévost sous le célèbre surnom «Diane de la Panne» (3). L'imaginaire de l'écrivain s'y donne toute liberté. Par l'évocation de ses propres souvenirs Élisabeth Prévost lui répond à travers le temps.
De larges extraits d'un scénario de film écrit en collaboration par Blaise Cendrars et Élisabeth Prévost témoignent de leur complicité, la mise en page des textes en parallèle permet de découvrir leurs apports respectifs dans cette entreprise.
Il est indéniable que le romancier a «déteint» sur l'exploratrice. «Madame le copain» tiendra bien la promesse qu'elle s'était faite de «poursuivre les rêves» du poète. Dès que les circonstances le lui ont permis, elle entreprit de faire tous les voyages que Blaise avait faits ou rêvait de faire : le Transsibérien, l'Amazonie, le tour du monde en cargo, le Canada, la Patagonie... Mais surtout elle finit par réaliser le voeu de Cendrars qui lui répétait chaque jour pendant ses visites aux Aiguillettes : «Mais Bee & Bee (4) écrivez. Écrivez donc »."
Cendrars dédicace la Forêt vierge à Elisabeth Prévost :
- "A Bee and Bee qui m’a enlevé ! (Charleville dixit) et ce livre de tropiques en souvenir de trois taxis, un train frigidaire, une robe bleue à l’essayage, une bonne petite maison, un certain Noël (1938), de la neige, des feux, un garçon en pleine béatitude et sous en bénique (sic), et des joujoux (bien faire et laisser dire), avec ma main, mon cœur, mon amitié, Blaise. Le copain de la dernière heure".
Photo : Au large de Quiberon, l'ïle Houat où Elisabeth Prévost a choisi de finir ses jours. Elle y est décédée en 1996 à l'âge de 85 ans. (DR).
NOTES :
(1) Ce cliché situe le lieu mais ne montre en rien Les Aiguillettes du temps d'Elisabeth Prévost, celles-ci ayant été ravagées par les flammes. Aujourd'hui, dans le pays, il se dit que le site est devenu la propriété d'une secte.
(2) La photo publiée sur ce blog en atteste. Cendrars possédait bien une Bugatti et non une Alfa. Cette voiture avait été aménagée pour que l'écrivain puisse la conduire malgré la perte de son bras droit (au front de la Ferme de Navarin en septembre 1915).
(3) Blaise Cendrars : "...je m’empresse d’ajouter que ce nom ridicule de Diane de la Panne n’était pas le sien, mais que je l’en avais affublée à l’occasion du hasard de notre rencontre où je l’avais si opportunément dépannée : « Mademoiselle de la Panne » pour me moquer d’elle, et « Diane » pour rendre hommage au plus grand de ses talents, ce coup de fusil infaillible dont j’aurais pu être jaloux." (L'homme foudroyé).
(4) B pour Blaise et B pour Elisa-B-eth...
3 commentaires:
Ce billet est éblouissant (je n'ose dire comme "l'or ";-), pour un "gribouillis", dites moi, ça ne manque pas de style !) et de documentation...
J'ai trouvé là, bien des choses qui manquaient à mon savoir, à propos de Cendrars... Que j'aime sans réserve et de cette Dame (de caractère).Cendrars jouant de l'harmonium, alors ça !!! le choix des photos est absolument merveilleux. Je viens commenter un peu tard, mais ce billet est si passionnant qu'il faudrait en préserver peut être un exemplaire, le cacher dans des bottes au fond d'une malle !(en cas de crash informatique)...
Merci infiniment, aussi et surtout pour cet hommage à Elisabeth Prévost dont je n'ai découvert l'existence (à peine) qu'en 1996 et paradoxalement à l'occasion de sa mort. Mais on peut dire qu'avant de lire ici même, je ne savais rien d'elle. Et presque rien sur sa relation avec Blaise Cendrars. Voilà, je reviens de chez vous, épatée et "instruite". (la marchande aussi)
Chapeau ! chapeau ! (1000 et un chapeaux )
@ frasby
Désireux de me rendre sur Houat avant 1996, l'île m'est apparue trop encombrée, trop proche du continent sans doute.
Et donc plus loin, au "terminus" du bateau-bus : l'île Hoëdic. Des années pour être accepté sur ce bouchon pourléché par les vagues. Vous savez, les véhicules à moteur y sont interdits. Vous imaginez, le soir, quand le dernier bateau est parti. Je ne les ai jamais comptés, mais pas dix réverbères. Alors chacun se sent vraiment sur une île. Il y a bien un fort rébarbatif mais il n'a jamais servi... Rien que des rêves comme des plages.
Des Ardennes à une île du Ponant, Elisabeth Prévost se voulut une longue démarche de libertés renouvelées.
Magnifique JEA, merci § Pensez-vous que je puisse encore me procurer ce livre de correspondance ?
Pascale
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