DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

mardi 17 mars 2009

P. 89. Il n'y a pas de Papon à Calais mais Bordeaux s'en souvient.

Flash-back sur "Welcome" (page 87). Et plus précisément sur la pub qu'Eric Besson (immigré du PS vers la Sarkozie), a offerte à ce film lors sa récente sortie.
La controverse s'est déroulée en trois étapes, et le nom de Papon a été cité...


2 mars, Voix du Nord, interview de Philippe Lioret par Christophe Caron :

- « Heureusement, il n'y a pas que des Papon à Calais, il y a aussi des gens formidables. Et d'autres qui se contentent juste de ne rien faire »...

7 mars, RTL, réaction indignée d’Eric Besson :

- Philippe Lioret « a plus que franchi la ligne jaune. Suggérer que la police française, c'est la police de Vichy, que les Afghans sont traqués, qu'ils sont l'objet de rafles, etc., c'est insupportable ».

10 mars, dans Le Monde, Lettre ouverte à Monsieur Besson par Philippe Lioret :

- « Je ne mets pas en parallèle la traque des juifs et la Shoah, avec les persécutions dont sont victimes les migrants du Calaisis et les bénévoles qui tentent de leur venir en aide, mais les mécanismes répressifs qui y ressemblent étrangement ainsi que les comportements d'hommes et de femmes face à cette répression. »

Les lecteurs auront remarqué qu'un nom est alors cité pour aussitôt disparaître de la controverse : celui de Maurice Papon. M'est revenu alors un témoignage lors de son procès (1997-1998). L'histoire complètement incroyable mais authentique de Marie-Louise Silva - non juive - envoyée à Auschwitz, au milieu des convois envoyés par l'administration française au départ de Bordeaux. A Auschwitz, Marie-Louise (Zette) Silva fut... libérée par des SS ne comprenant pas sa déportation !!!


Papon... Zèle aveugle ? Collaboration sans états d'âme ? Machine administrative ivre de sa toute puissance ?
La Justice a tranché : "complicité de crimes contre l'humanité" !

Histoire d'une "aryenne", déportée à Auschwitz par les bons soins de la Préfecture de Bordeaux et libérée par... les Nazis.




















Maurice Papon (1910-2007).
Maire. Député. Secrétaire général de la Préfecture de Bordeaux sous Vichy. Préfet de la République. Préfet de Police de Paris. Ministre.
Complice de crimes contre l'humanité.

Des six mois du procès Papon, se détache le témoignage d'Yvette Silva, entendue le 12 janvier 1998 par la Cour d'Assises :

- "Je m'appelle Yvette Silva, née Mendès, j'ai 48 ans, je suis assistante dentaire, j'habite et je suis née à Bordeaux. Je suis entrée sans la famille Silva en 1969 en épousant mon mari (...). Donc à partir de 1969, j'ai connu d'une façon proche Marie-Louise née Silva (...). Marie-Louise était appelée Zette dans la famille; aussi j'en parlerai comme Zette. Marie-Louise est née en 1915. Son père, le colonel Silva, était de religion juive ; sa mère, Marie-Louise Bertin,de religion catholique (...).

En 1942, elle {Zette} se rend au commissariat central de police de Bordeaux où on lui garde sa carte d'identité et on lui dit : "Revenez la chercher dans huit jours". Huit jours plus tard, le commissaire de police M. Raiser l'accueille : "Vous auriez dû vous faire inscrire comme juive". Zette qui a toujours le verbe haut lui répond : "Non je ne suis pas juive, il y a eu une enquête par le commissariat de Saint-Augustin". Donc Raiser l'emmène au bureau des questions juives, à la préfecture, où se trouve M. Garat. Et Garat lui reproche vertement de ne pas s'être déclarée comme juive : "Vous êtes juive !" Et Zette lui dit : "Non je ne suis pas juive." Garat en colère lui dit : "Je veux les certificats de baptème de vos parents, vos grands-parents, vos arrière-grands-parents et de votre mari, de ses parents, de ses grands-parents et de ses arrière-grands-parents. Ceci dans deux jours." Alors elle dit : "Mais en deux jours vous savez bien que c'est impossible de réunir tout ça." Et Garat lui répond : Je m'en fous."
Zette repart et revient deux jours plus tard (...). Elle n'a pas pu apporter les papiers (...). Zette était inquiète pour sa petite fille, Christiane, qui avait alors 7 ans, elle demande à téléphoner. Garat refuse. Alors elle lui dit : "On voit bien que vous n'avez pas d'enfant" et il lui répond : "Des enfants de votre race, on en fait bien assez." Je sais que Zette l'a dit et répété maintes fois. Finalement Garat, furieux, lui tamponne sa carte d'identité du tampon "juif" et lui tend trois étoiles. Elle repart avec ses trois étoiles en disant : "De toute façon, je ne suis pas juive."

En septembre, un matin (...) elle a été emmenée au camp de Mérignac. Elle considérait qu'elle avait été arrêtée de manière illégale, qu'elle n'était pas juive, qu'elle ne répondait pas aux critères (...). Au bout d'une dizaine de jours, ils ont tous été appelés et mis dans une grande salle. Un jeune homme lui a dit : "N'y allez pas, vous n'êtes pas juive." Mais comme elle n'a pas sa langue dans sa poche, elle a répondu : "Je le leur dirai".
Il y avait un officier allemand et à côté, Garat. Elle nous a répété je ne sais combien de fois que cet Allemand qui avait la liste n'avait pas l'air très satisfait de faire partir tous ces enfants. Ils appellent des noms : 69 personnes sont mises de côté. Zette se retrouve seule au milieu de la salle. Elle n'a pas été appelée. Alors Garat lève la tête et dit à l'officier allemand : "Voilà notre 70ème personne, cette élégante jeune femme." Zette n'était pas sur la liste. Garat l'a rajoutée. Pour Zette, c'était une nouvelle injustice. Elle n'avait pas été appelée, elle n'aurait pas dû partir. Donc tout ce groupe est parti en bus jusqu'à la gare Saint-Jean (...). Ils sont partis dans des wagons de marchandises jusqu'à Paris. Ils se sont retrouvés avec des personnes qui venaient de toutes les régions, encadrées par la police française. Elle disait toujours : "la police française"; ils ne voyaient pratiquement pas d'Allemands, elle l'a toujours précisé. En descendant du train à Paris, il y avait un policier français qui s'est moqué d'elle en la voyant en talons hauts avec une robe d'été : "Si elle savait où on l'emmène, elle s'habillerait autrement." Elle leur en a voulu parce qu'elle disait : "Ils savaient où on allait." (1)

22 mars 1943. Signature de Maurice Papon sur un ordre "d'arrestation immédiate des juifs ci-après désignés..." avec "transfert de ces juifs au camp d'internement de Drancy."

Yvette Silva :

- "Je crois qu'elle a passé une nuit à Drancy. Ensuite, ils sont conduits dans une autre gare, toujours encadrés, sous surveillance serrée de la police française. Sur le quai, il y avait de wagons à bestiaux (...). Ils sont allés jusqu'à Metz où le train s'est arrêté longtemps. Là, la police française disparaît et ils ont affaire aux Allemands. Ils savaient qu'ils quittaient la France et qu'ils allaient vers l'Est. Elle racontait toujours le moment émouvant quand le train s'est mis à chanter Ce n'est qu'un au revoir (...). Finalement, ils sont arrivés à un endroit dont elle ne savait pas lire le nom parce qu'il était écrit en gothique (...). Ils sont arrivés sur une sorte de terre-plein. Elle descend parmi les premières de son wagon. ils étaient poussés, bousculés. Sur le quai elle entend trois quatre fois : "Raï-llé Marie-Louise, Raï-llé Marie-Louise". Au bout d'un moment, elle réalise que c'est elle. Alors, arrivée à hauteur de l'Allemand, elle dit : "C'est moi". Il la fait sortir du rang et lui dit : "Récupérez votre valise". Il y avait un monticule de valises. Elle n'y arrivait pas. Alors l'Allemand est allé lui chercher sa valise. Elle attend un certain temps sur le quai. Elle voit les familles séparées en colonnes. Elle a vu les camions arriver et les familles qu'on fait monter avec rudesse (...). Elle a aperçu d'énormes bâtiments et au milieu une immense cheminée qui fumait et elle pensait : "On nous amène à l'usine" (...).
Elle est emmenée au bureau du commandant. Il y avait un interprète. Et il lui demande : "Pourquoi êtes-vous là ?" Et elle lui répond : "C'est à vous qu'il faut le demander ! Vous m'avez fait arrêter comme juive." Et le commandant lui dit : "C'est une erreur. Ici c'est un camp pour juifs et pas pour catholiques. Il y a eu une erreur, mais ce n'est pas nous. Vous avez été arrêtée par les autorités françaises." Il lui a demandé son identité et lui a dit : "Vous êtes aryenne et votre mère est catholique aryenne." Il a insisté, cela ne venait pas d'eux : "Nous allons vous ramener en France" (...).
Effectivement, elle est partie à Paris entre deux Allemands, un gradé et un non-gradé. Elle n'était pas fière (...) : "Avec nos excuses, Madame, ce sont les Français qui nous ont fait commettre cette erreur. On va vous remettre à vos amis" (...).
Je sais qu'à la fin de la guerre, Zette a porté plainte contre M. Garat et M. Papon. Cette lettre, ces lettres avaient été remises au Comité de Libération et étaient revenues chez elle avec le tampon : "Immunité préfectorale." (2)

Dessin de Plantu en première page, Le Monde du 19 novembre 2002, Papon sortant de prison pour raisons de santé... (DR)

Jean Pouillon :

- "Poubelle était le nom d'un préfet de Paris. Qu'appellera-t-on un Papon ?"



Notes :

- (1) Le procès de Maurice Papon, 9 janvier-2 avril 1998, compte rendu sténographique/tome II, Albin Michel, 1998, 973 p.
Extrait : pp 38 à 41.

- (2) Id. : pp 41 à 45.



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Excellent et super bien documenté. Pour le reste, Besson a besoin de pub et, opportuniste comme son mentor racoleur, il saute sur tout ce qui bouge. En revanche, Philippe Llioret est un excellent cinéate à la notoriété et l'honnêteté intellectuelle incontestables et je ne pense pas me tromper.

claire a dit…

merci JEA...je n'ai pas de mots