DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

mardi 9 septembre 2008

P. 27. Seule Claudie Gallay

Navigation à contre-courant en remontant le fleuve des romans de Claudie Gallay. Après "Les déferlantes" (pp 15 et 22 de ce blog) et "L'or du temps", après La Hague et Dieppe : Venise.

Venise telle que seule Claudie Gallay en décrit l'hiver : flocons de neige sur la Cité et dans le coeur de ceux qui la parcourent...

Présentation par les Ed. du Rouergue :

- "A quarante ans, quittée par son compagnon, elle vide son compte en banque et part à Venise, pour ne pas sombrer. C'est l'hiver, les touristes ont déserté la ville et seuls les locataires de la pension où elle loge l'arrachent à la solitude. Il y a là un aristocrate russe en fauteuil roulant, une jeune danseuse et son amant. Il y a aussi, dans la ville, un libraire amoureux des mots et de sa cité qui, peu à peu, fera renaître en elle l'attente du désir et de l'autre.

Dans une langue ajustée aux émotions et à la détresse de son personnage, Claudie Gallay dépeint la transformation intérieure d'une femme à la recherche d'un nouveau souffle de vie."

Quelques pas-sages allumés au fur et à mesure des pages, comme des bougies sur un chandelier à 9 branches :

- "Vous êtes en voyage d'amour ? elle me demande en regardant du côté de ma chambre.
Le café est chaud, presque brûlant. J'en avale une gorgée et je repose ma tasse.
- Je suis à l'étape suivante. Celle où il faut oublier.
Je prends une tranche de pain.
- Vous verrez, je dis en plantant mes yeux dans les siens.
Mes yeux sont bleus, les siens sont noirs."

- "Mon poisson rouge a crevé, je dis. J'ai perdu mon boulot. Mon mec m'a plaquée.
- Dans quel ordre ?
- Le poisson à la fin."

- "Ici, l'été, c'est envahi de monde. Il ne faut pas venir.
- Où il faut aller l'été ? je demande.
- Nulle part. Il faut acheter des livres et rester chez soi."

- "Un pensionnaire qui était ici avant vous m'a raconté qu'autrefois les vieux gondoliers remontaient la ville par les canaux, ils longeaient ensuite les murs du cimetière et ils ramaient droit vers le large. Le soir, on les attendait. Et puis la nuit tombait. L'emplacement de la gondole restait vide.
Le prince me regarde.
- Il y a tellement de façons de mourir... Rares sont ceux qui ont suffisamment de talent pour témoigner de cela."

(Photo : JEA)

- "La Fenice est là, dans le quartier. Quand elle a brûlé, ça a été la panique. Après, pendant des jours on a vu des Vénitiens traîner dans les rues, hagards, une petite boîte à la main. Ils venaient récupérer des cendres. Tous. Ils faisaient ça. Et ils pleuraient. Il a fallu mettre des barrières pour les empêcher d'approcher."

- "Croyez-moi, il vous est plus facile de remplir votre cerveau que moi d'écoper le mien."

"La neige.
Des visages aux fenêtres du Quadri. Des silhouettes sur le pas des boutiques. A l'étage du musée.
Partout, des yeux redevenus des yeux d'enfants. Doigts écartés. Contre les vitres.
Je n'ai jamais voulu que l'on m'explique la neige. Jamais voulu écouter, comprendre.
La neige ne s'explique pas.
Je monte à la cime du Campanile.
Un homme près de moi dit, on ne reverra jamais ça. Jamais.
Il a raison.
Probablement."

"Je suis une solitaire. De la pire espèce. Celle des taupes. Une inadaptée. J'ai besoin de ma tanière, mon trou de terre."

Parmi ses "déferlantes", Claudie Gallay avait invité Prévert. Tandis qu'André Breton est l'un des personnages-clef de "L'or du temps". A Venise, l'auteur évoque Zoran Music, peintre et graveur.

Zoran Music : déporté parce que juif. De sa mise derrière les barbelés de Dachau entre 1943 et 1945, il témoigna dans les années 70 avec des oeuvres rassemblées sous le thème : "Nous ne sommes pas les derniers" (Reproduction : DR. Consulter le site internet de Dominique Natanson : "Mémoire juive et éducation". Cliquer : ICI).

"On passe dans la dernière salle. Un panneau : "Nous ne sommes pas les derniers".
- C'est une série. Après Dachau, il faut comprendre...
A cause de la brutalité, l'amoncellement des corps nus, entassés, en tons gris, presque noirs. Des corps sans chair, recroquevillés, avec des membres interminables.
Des corps suppliciés.
Une gravure, une autre.
- Il dessinait sur de petits bouts de papier qu'il gardait au fond de ses poches ou cachés dans ses chaussettes.
Vous approchez la main.
- La Gestapo l'a arrêté ici, à Venise.
Vous m'expliquez.
- Les cadavres, il n'a pas pu les peindre tout de suite. Ils sont venus après, longtemps après. Il en était déjà revenu.
Vous me regardez.
- Parfois, les mots ne peuvent plus expliquer. Seule la peinture."


Alessandro Marcello : Concerto pour haut-bois, violons et basse continue. Rinaldo Alessandrini dirige le Concerto Italiano.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un plaisir rare que tu nous offres...