DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

samedi 3 octobre 2009

P. 181. "Témoins sourds, témoins silencieux", le film

. Synopsis :

- "Dès 1933, date de la promulgation de la loi d’hygiène raciale par les nazis, les sourds sont persécutés. Les témoignages de Kurt Eisenblatter (grand mime sourd allemand), de victimes sourdes de stérilisations et de déportation et la contribution de trois historiens (Horts Biesold, Claire Ambroselli, Yves Ternon), nous permettent de comprendre la responsabilité des médecins dans ce processus."

Infos-sourds :

- "Le documentaire réalisé par Brigitte Lemaine et Stéphane Gatti, et qui relate la politique d'extermination de sourds allemands par le régime nazi, est publié en D.V.D.
En 52 minutes, il présente des témoignages de sourds stérilisés, relate la déportation et l'extermination de milliers de sourds et d'autres personnes handicapées. Plusieurs historiens et chercheurs français ou allemands apportent un éclairage sur un aspect méconnu de la politique d'hygiène raciale du troisième Reich.
En complément de ce documentaire, Brigitte Lemaine explique la difficulté particulière que rencontrent les sourds pour relater leur propre histoire, et met en évidence l'aspect spécifique du traitement des personnes sourdes victimes du nazisme.
Témoins sourds, témoins silencieux, sous-titrage français, édition Les films du paradoxe."
(27 mars 2007).

Brigitte Lemaine :

- "Issue d’une famille de sourds, j’ai mis de nombreuses années pour réaliser avec Stéphane Gatti ce film documentaire qui traite de la stérilisation, déportation et extermination des sourds juifs ou pas sous le régime nazi. Evidemment il fait polémique parce qu’il n’est jamais agréable de s’apercevoir qu’on a oublié une partie importante des victimes de la Shoah (1). Les sourds et les handicapés ont été pourtant les premiers visés par la politique d’hygiène raciale de l’IIIème Reich dès 1933. Ils n’ont pas pu témoigner à cause de l’interdiction de la langue des signes et du très petit nombre de rescapés.
Ils ont pourtant ce devoir de mémoire pour tous ceux qui ont été stérilisés, pour ceux qui ont été tués au cours du T4, à l’arrivée dans les camps et au cours des expérimentations médicales car la surdité ne se voit pas forcément et très peu d’entre eux ont pu passer entre les mailles du filet.
Il s’agissait pour nous de réunir des informations jusque-là inconnues du grand public aussi bien par les livres, les expositions, les archives que par le témoignage en langue des signes des rescapés et d’en faire un vrai film. Un film qui pourrait être une façon d’aller vers les sourds et de réparer cette insupportable injustice."
(Novembre 2007).


Image extraite du documentaire (Films du Paradoxe / DR).

Brigitte Lemaine :

- "Même s’il est difficile comme sur toute la question de la Shoah d’avoir des relevés scientifiques, il y aurait eu environ 32580 stérilisations d’handicapés, malades mentaux et cas sociaux dès 1934 ( source Jochen Muhs, responsable du centre culturel des sourds de Berlin dans sa conférence à Gallaudet en 1996), selon Horst Biesold 32268 et 375 000 pour toute l’Allemagne à la fin de la guerre. Sur 50 000 à 100 000 sourds allemands, il y aurait eu 20 à 30 000 stérilisations, 1600 exterminations par le T4 et 6000 sourds juifs tués dans les camps de la mort venant de toute l’Europe.
Ce qui fait un total d’environ 40000 sourds touchés de mort psychique et sexuelle ou de mort tout court."
(Unapeda, 23 octobre 2007).


Christian Berger :

- "Le film s’ouvre sur l’évocation des 6 000 sourds juifs assassinés par les nazis, dont 210 français morts en déportation, et par une question qui porte en elle-même sa réponse : “comment témoigner dans une langue qui ne s’écrit pas ?”

“Si les déportés ont eu du mal à être crus, les sourds rescapés des camps, ne pouvant pas témoigner, ont été oubliés”, rappellent à la fin Brigitte Lemaine et Stéphane Gatti. Ce dernier est le fils d’Armand Gatti, grand dramaturge (toujours dérangeant bien après sa disparition) et réalisateur d’un film magistral sur les camps nazis L’Enclos. Lui-même a beaucoup travaillé sur les “expérimentations” médicales nazies. Brigitte Lemaine, elle, est issue d’une famille de sourds.
Leur travail commun est né de la programmation, en 1992 à Bagnolet, de la pièce d’Armand Gatti, « Le Chant d’amour de l’alphabet d’Auschwitz », et c’est en 2000 qu’ils ont achevé, après moult versions, ajouts, et avec des moyens bien succincts, le documentaire que nous pouvons voir aujourd’hui."
(Fiches du cinéma, 24 juillet 2009).


Dos de la pochette DVD.

Clara Schumann :

- "Stérilisation forcée, internement, déportation et euthanasie furent le destin des sourds sous le régime nazi en Autriche, que retracent deux linguistes autrichiennes dans un DVD coproduit avec l’université de Vienne. L’Autriche comptait 10 000 sourds avant l’Anschluss de 1938 et il y avait une dizaine d’écoles spécialisées dont la moitié a été supprimée par les nazis.

«Deux mois après avoir mis mon enfant au monde j’ai été condamnée à la stérilisation», raconte Maria, en langue des signes pour marquer sa colère toujours vive.
Vingt-quatre témoins et victimes autrichiens des persécutions du régime hitlérien infligées aux malentendants, ont été interrogés et filmés en Autriche et aux Etats-Unis, pour cette première enquête exhaustive.
La surprise a été de découvrir la résistance de la part des sourds : le directeur de l’école des sourds de Salzbourg a détruit tous les dossiers de ses élèves pour les protéger. Mais ce n’est qu’en 1956 que l’Autriche a accordé le statut «victime du nazisme» aux sourds, alors que ce statut existe depuis 1945."
(Libération, 29 septembre 2009).


NOTE :

(1) En histoire comme en d'autres domaines, la rigueur dans le vocabulaire n'est pas signe de rigidité stérile mais évite les marécages des approximations, des confusions et finalement ne donne pas du grain à pourrir aux négateurs.
Ainsi, un camp de travail forcé n'est pas un camp de concentration qui n'est pas lui-même un camp d'extermination. A l'arrivée dans un camp de travail forcé d'un convoi, on ne comptait pas aussitôt au moins 80% des déportés mis à mort sans même être immatriculés...
Ici, sauf lecture maladroite de ma part, le recours au mot "Shoah" pourrait poser problème.
La Shoah recouvre le seul judéocide. L'élaboration puis la mise en application, y compris industrielle, de l'extermination systématique, depuis les derniers nés jusqu'aux les vieillards les plus âgés, de millions d'individus sur un critère raciste. La Shoah, cette catastrophe, désigne donc et uniquement toutes les victimes juives massacrées comme telles.
Cette mise au point ne minimise évidemment pas la politique nazie vis-à-vis de toutes ses autres victimes : tsiganes, homosexuels, handicapés, témoins de jehova, "associaux", résistants, otages... Et aucune échelle de valeur ne serait être de mise entre les génocides, tous relèvent des abominations barbares. Mais la Shoah est spécifique.
Ne croyez pas que ces lignes soient écrites à l'encre indélébile. Les évidences elles-mêmes s'estompent. Hier, sur un blog, était évoquée une grand-mère immatriculée et tatouée en camp : Dachau est cité. Mais voilà, les matricules ainsi tatoués ne marquèrent "que" les déporté(e)s à Auschwitz. Et en janvier 1944, les femmes d'Auschwitz furent transférées dans des conditions effroyables vers Ravensbrück, pas vers Dachau. Quelle importance ? Le respect des vraies victimes.

11 commentaires:

frasby a dit…

Ce billet est terrible, bouleversant nécessaire. Merci pour ces témoignages, on connaissait la monstruosité de "politique d'hygiène raciale" du régime nazi, mais il y a ici des faits et des chiffres inacceptables qui heurtent violemment et resteront, je crois. C'est quelquechose qu'on ne peut "zapper".
Merci JEA de nous présenter ce film. Un travail de mémoire remarquable, (celui de B. Lemaine, S. Gatti, et le votre)

Dominique a dit…

C'est un remarquable billet et qui attire l'attention sur les oubliés
de l'histoire, j'espère que la diffusion du DVD est bonne et qu'on peut le trouver facilement
Toujours vivement intéressée par vos billets je vous souhaite un bon dimanche

JEA a dit…

@ frasby

Ici, je ne suis qu'un miroir critique.
En cinéma, je n'ai signé que deux courts-métrages de 28'30. Avec notamment Félicie Mertens, rescapée de Ravensbrück. Aussitôt après une diffusion sur la RTBF (télévision belge francophone), elle a reçu des menaces de mort...
Ses poèmes et dessins de déportation ne doivent plus être accessibles qu'auprès de bouquinistes bienfaiteurs de l'humanité. Angélique Ionatos l'a chantée.

JEA a dit…

@ Dominique

Les réalisateurs donnent volontiers des projections-débats à la demande. Et leur DVD est disponible via les grands canaux de diffusion style FNAC.
Merci d'accompagner, de partager ce blog.

Brigetoun a dit…

pas de commentaire sur "paumée à mon commentaire (la famille n'aime pas que je blogue et encore moins que je parle trop précisément d'elle)
Sujet qui m'est égoïstement sensible - en tant que grande soeur d'une merveilleuse sourde, épouse d'un sourd, et mère de deux jeunes femmes entendantes, mes fausses petites filles
Mais pour les handicaps mentaux (ce que n'est pas la surdité) il me semble que cette possibilité a fait débat dans notre belle démocratie contemporaine

JEA a dit…

@ brigetoun

"Le drame des asiles de Vichy"
par Régis Guyotat (Le Monde, 17 octobre 2003) :

- "Cinquante mille malades mentaux sont morts de faim sous l'Occupation. De nouveaux travaux d'historiens relancent un débat qui agite depuis 1987 le milieu de la psychiatrie.
Près de cinquante mille malades mentaux sont morts de faim, entre 1940 et 1944, dans les établissements psychiatriques français. L'hôpital du Vinatier, à Bron, dans la région lyonnaise, compta, à lui seul, près de deux mille victimes."C'était une époque horrible, témoigna, après la guerre, André Requet, le médecin-chef de cet établissement. Les produits que nous recevions étaient absolument insuffisants pour nourrir trois mille malades. Certains se mangeaient les doigts... J'ai connu un malade qui a mangé tout d'un coup un colis qu'il avait reçu. Il en a fait une rupture gastrique, et il est mort. Ils buvaient leurs urines, mangeaient leurs matières, c'était courant. Nous vivions dans une ambiance de 'camp de la mort'." Bien d'autres hôpitaux furent touchés. Par exemple celui de Clermont-de-l'Oise, où l'on dénombra 3 063 morts. Ou encore celui de Ville-Evrard (Seine-et-Oise). "A la visite du matin, le dortoir sentait le cadavre", raconta, à la Libération, Lucien Bonnafé, un ancien psychiatre de cet hôpital.
Ce chapitre de l'histoire de Vichy resurgit aujourd'hui avec les recherches d'un groupe d'historiens animé par Isabelle von Bueltzingsloewen, maître de conférences à l'université Lyon-II. Ces chercheurs devaient livrer le résultat de leurs travaux, jeudi 16 octobre, devant le personnel soignant de l'hôpital du Vinatier, soucieux de connaître la "vérité". Ces conclusions, dont Le Monde a pris connaissance, devraient relancer le débat, déjà ancien, sur l'attitude de Vichy à l'égard des malades mentaux."

Un ouvrage qui n'a pas fini de provoquer des remous car il met nettement Vichy en cause :
Max Lafont, "L'eextermination douce", Ed. Le Bord de l'Eau.

Elisabeth.b a dit…

Merci de votre rigueur JEA. Exigence nécessaire, au temps des approximations souvent équivoques et des amalgames rarements innocents.
« Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde » . Ces mots de Camus, souvent cité, souvent trahi.
Merci d'attirer notre attention sur ce documentaire. J'espère qu'il sera traduit et circulera dans cette Europe qui bien après la guerre a continué à pratiquer des stérilisations forcées : Tziganes en Europe Centrale, handicapés, pauvres et malades mentaux en Suède.

En Suède : entre « 1935 et 1976. Près de 60 000 hommes et femmes ont été ainsi opérés dans le but de conserver la pureté de la race nordique et d'éliminer les races dites inférieures, les handicapés et les personnes défavorisées sur le plan social. »
Ces informations sur le modèle suédois viennent de Radio Canada

Un double silence enfin levé sur des victimes du nazisme. La stérilisation, d'atroces expérimentations. Que de force il faut pour témoigner. À l'effroi de lire se joignent la peine et l'admiration.

JEA a dit…

@ Elisabeth.b

Je suis proche de cet engagement exprimé par Rachel Ertel :
- Etre "le témoin du témoin" signifie, au-delà même de la parole des rescapés, la réverbération à l'infini de l'Anéantissement.
Etre "le témoin du témoin" proclame qu'il y a imprescribilité de la mémoire et de son dire."
("Brasier de mots", Liona Levi, p. 319)

Dominique Hasselmann a dit…

Vous savez sans doute que Stéphane Gatti est le père de Joachim, réalisateur lui aussi, et qui a perdu un oeil au cours d'une manifestation à Montreuil, le 8 juillet, après un tir de Flasball d'un membre de la BAC (Brigade anti-criminalité).

Le policier vient d'être mis en examen mais a pu reprendre son travail, sans arme.

Stéphane Gatti sait, au plus profond de lui-même, ce qu'est la violence "aveugle", celle d'hier comme celle d'aujourd'hui.

Merci pour votre article.

JEA a dit…

@ D. Hasselmann

Le destin a des cruautés effarantes. Ici, par une arme policière flash-ballant un visage, les Gatti sont poursuivis par la malvoyance.
Merci d'avoir ainsi élargi la page en reliant histoire et actualités.

Lyvie a dit…

Je connais quelques titres des "films du paradoxe" au catalogue remarquable. Je ne connaissais pas ce titre là, que je note.