DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

mardi 3 février 2009

P. 72. La 418.

Monsieur Willyame n'est ni évêque ni intégriste mais pas triste pour autant...

En haut, à gauche, l'ancien sanatorium depuis longtemps phagocyté en hôpital universitaire (DR, cliché retouché JEA).

Les premières images furent celles d'un film de Fritz Lang. Un sifflement entêté, répétitif, inquiétant. Son beau fils venait déposer Monsieur Willyame dans la chambre "commune" 418.
Comment dire ? A croire que ce dernier avait soudain, par cause de chaleur, ou pour emporter un concours de plus grand mangeur de tripes refroidies ou que sais-je encore, à croire qu'il avait gonflé démesurément dans son armure et qu'il lui était devenu impossible, définitivement impossible de la retirer. Seul émergeait un crâne tondu. Bleuté. Avec deux yeux minuscules. Très peu amènes.

Le beau-fils, entre deux sifflements :
- "On va déposer plaiiiinnnnte ! On n'est même pas dans le bon service ! Y'a plus de chambre pour toi, c'est scandaleux ! Bon faudra pas que tu oublies de donner l'enveloppe où on demande que tu restes ici quelques jours."


Comme si la 418-orthopédie n'était pas justement la chambre des surplus. Personne ici ne relève de l'orthopédie mais de la pneumologie, du mou ventral, de la chirurgie anale ou encore de l'oncologie.

Le beau-fils parti accompagné de son sifflement obsédant, Monsieur Willyame passe alternativement du téléphone de la chambre à son gsm :
- "Dis, les perruches de ma fille, elle en a deux; une bleue et une brune. Dis, la bleue, elle est crevée ce matin ! Dis, c'est laquelle qu'est le mâle ?"
- "Je voudrais parler au marchand... C'est moi qui vous ai acheté un couple de perruches pour ma fille. Une bleue et une brune. Mais je voudrais savoir laquelle des deux est le mâle ?"
A une infirmière :
- "Vous vous y connaissez en perruches ? Même pas... Dites donc, comment ça se fait qu'il n'y a pas assez de chambres ? Je ne devrais pas être ici ! Demain, je dois passer une fibroscopie. Mais ça ne sert à rien. Ils ne sauront pas la faire. Ah, ma fille a laissé une lettre pour que je reste un peu ici."
L'infirmière :
- "C'est votre médecin qui doit signer une lettre comme celle-là."
- "Mais ma fille, elle est aide familiale, elle s'y connaît, elle sait ce qu'elle veut..."
A une technicienne de surface :
- "Tiens, moi, je connais votre chef !"
- "Laquelle ? Ici, les chefs, il en pleut... Elle est comment la chef que vous connaissez ?"
- "Euh... Une blonde, mince."
- "Alors, c'est Jacqueline, y'a pas à hésiter "
- "Vous lui remettrez mon bonjour, hein, de la part de Monsieur Willyame."
(Un rare silence)
- "Dites vous finissez de nettoyer à quelle heure ?"
- "A 10 heures, pourquoi ?"
- "Vous iriez bien me chercher un journal en bas, mais avec des nouvelles de chez moi, hein ?!"
Au téléphone :
- "Bon, je voudrais savoir de la bleue ou de la brune, laquelle des deux perruches de ma fille est la mâle ?"

A une infirmière :
- "Y paraît que je n'ai un menu qu'à 1000 calories ! C'est fou ça ! 1000 calories... En prison, ils ont tout ce qu'ils veulent et ici, c'est soit patates soit légumes mais pas les deux ! Donc pas de patates ou pas légumes, et encore quoi ?"

Le lendemain matin :
- "Inutile de venir me chercher pour la fibroscopie, ils ne réussiront pas. C'est moi qui vous le dis ! En plus je suis à jeun alors que je n'avais déjà droit qu'à 1000 calories."
Au retour :
- "Voilà, voilà. On n'a pas voulu m'écouter. Mais j'avais prévenu : ils sont incapables de me la faire, cette foutue fibroscopie !"
Une infirmière :
- "Ce n'est pas qu'ils ne savent pas, c'est que vous l'avez refusée ! C'est vous qui vous y êtes opposé quand même !"
Une assistante toubib enceinte jusqu'aux sourcils :
- "Puisque vous ne voulez pas de la fibroscopie, on ne va pas vous garder plus longtemps..."
- "Ah non, on est mardi, je veux rester ici au moins jusqu'au début de la semaine prochaine. D'ailleurs c'est ma fille qu'est assistante familiale qui vous l'a écrit, je dois rester ici. Bon. Voyons. Je veux bien de votre fichue fibroscopie mais avant je veux un scanner ! Si j'ai un scanner, alors d'accord."
L'assistante semble manquer d'air. Lui continue comme on donne des coups de marteau :
- "C'est vrai quoi, quand j'arrive, vous n'avez déjà pas assez de lits et maintenant vous me mettriez dehors comme ça, voilà, c'est les hôpitaux aujourdhui ! On se fiche de nous, faut le dire. D'ailleurs j'ai mal à l'oreille, la droite, depuis hier soir, et personne ne me soigne. Ca ne va pas se passer comme ça..."
L'assistante a battu retraite. Monsieur Willyame branche la tv et décroche le téléphone :
- "Allo ? Dis, tu sais que ma fille, je lui ai donné deux perruches. Si. Une bleue et une brune. Mais tiens-toi bien, la bleue a crevé ! A ton avis, laquelle des deux est la mâle ?"

Monsieur Willyame aura "son" scanner et oubliera d'en exiger un pour la perruche bleue de sa fille.

Paroles de Jean-Roger Caussimon, musique de Léo Ferré.

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