Ida Grinspan, Bertrand Poirot-Delpech,
J'ai pas pleuré, récit,
Robert Laffont et édition de poche (Mont. JEA).
La Mairie de Parthenay
n'a que faire des souvenirs
d'une déportée à Auschwitz
...
elle censure comme pour
réécrire une "histoire correcte"
de la Shoah
sans complices sous uniforme français
Ida Grinspan (1) est l'une de ces persécutées raciales qui continuent à parcourir les établissements scolaires pour répondre aux interrogations si graves que se posent les jeunes sur le judéocide, en particulier sur ses réalités concrètes. Ce travail de mémoire, cette rescapée le poursuit inlassablement. Car elle construit ainsi comme des passages de témoins avec des générations nouvelles, en lien avec les problèmes contemporains.
La profonde estime et le respect qui entourent Ida Grinspan, ne lui sont particulièrement pas mesurés dans l'enseignement. Là, sa lucidité, son courage, son humanité, sa générosité sont unanimement reconnus.
Or ne voilà-t-il pas que cette Dame est vulgairement censurée par une Municipalité estimant toujours que Vichy était une "autorité légitime" ? Rien à dire des rafles et des gendarmes, allez, circulez. La même Municipalité semble de plus allergique à tout "repentir". Au moins est-elle cohérente dans sa volonté d'arracher des pages peu glorieuses aux livres de l'histoire de France.
Mais avant de publier ici ce qui insupporte à Parthenay, peut-être faut-il se rappeler, s'il en est besoin, le "récit" croisé entre Ida Grinspan et Bertrand Poirot-Delpech. Un livre au titre aussi pudique que terrible : "J'ai pas pleuré".
4e de Couverture :
- "Ida, née en France de parents juifs polonais, a quatorze ans quand elle est déportée à Auschwitz, le 13 février 1944. Dix-sept mois plus tard, elle est libérée. Elle n’en tire pas gloire. Elle parle plutôt de chance. La chance d’avoir été protégée par une infirmière polonaise alors qu’elle était atteinte du typhus. Wanda, c’est son nom, se jure de soigner Ida et la sauve de la mort. Depuis sa libération, Ida n’a eu qu’un désir, revoir cette infirmière qui avait pansé ses pieds gelés. En avril 2001, elle la retrouvera. Trop tard. Wanda, quatre-vingt neuf ans, plongée dans un coma profond, ne la reconnaîtra pas.
Bertrand Poirot-Delpech et Ida Grinspan se sont connus en mars 1988 à Auschwitz ; c’était la première fois qu’Ida retournait au camp depuis sa libération. Elle accompagnait un voyage de lycéens. Bertrand Poirot-Delpech s’est proposé d’être le scribe d’Ida et de coucher sur le papier son témoignage unique. Il donne à ce récit une intensité, une vérité et une force grâce à son écriture juste, simple et sensible. Il exprime ce que l’émotion et l’humilité empêchent Ida de dire elle-même et rappelle au fur et à mesure les événements de ces années noires.N’être qu’un numéro, ne rien posséder de personnel qu’une gamelle et une cuiller, avoir constamment faim, froid, être épuisée, battue et craindre le pire à chaque instant.
Comment le raconter ? Ida sait qu’elle a une mission sacrée, celle que lui ont confiée au camp, avant de mourir, ses camarades : "Si tu rentres, il faudra leur dire. On ne te croira pas, mais il faudra le dire…"
Cette "mission" qu'évoquent les rescapés comme une dette envers toutes les autres étoiles massacrées, voici qu'elle vient de se heurter à une Mairie au choix non équivoque. En effet, à Parthenay, dire qu'on a arrêté le plus de juifs possible, enfants, femmes, vieillards, pour appliquer à ces innocents la "solution finale", ce n'est pas choquant. Evoquer les camps, y compris d'extermination, pourquoi pas ? Mais rappeler que la Shoah ne fut pas l'oeuvre des nazis seuls, là il importe d'"apaiser les ressentiments".
NouvelObs.com :
- "La Mairie de Parthenay a censuré une lettre écrite par Ida Grinspan, ancienne déportée, qui devait être lue à des élèves dans le cadre de la Journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation, selon le Courrier de l'Ouest daté du mercredi 28 avril (…).
Ce témoignage a heurté Michel Birault, ancien gendarme et adjoint en charge des affaires patriotiques. Ida Grinspan y évoque son arrestation par trois gendarmes à 14 ans. Le professeur a accepté, à contrecoeur, de remplacer le mot "gendarmes" par "hommes".
Michel Birault a présenté ensuite le texte au maire Xavier Argenton (NC) qui, lui, a refusé sa lecture. "Ne stigmatisons pas une catégorie professionnelle qui dans ces temps troubles avait obéi aux ordres de l'autorité légitime (2)", a-t-il dit à son adjoint. Ce texte "n'est pas de nature à apaiser les ressentiments à une époque où le repentir est malheureusement mis en exergue", a-t-il ajouté (…).
Pour Ida Grinspan: "C'est terrible, cette mentalité-là. Il faut savoir regarder la vérité en face. Ce que je dis dans ce texte, je le dis à chaque fois que j'interviens dans une école. Je dis simplement ce qui a été".
Et d'ajouter dans une interview complémentaire : "c'est une forme de révisionnisme". (3)
(28 avril 2010).
Témoignage d'Ida Grinspan :
- "La nuit du 30 au 31 janvier 1944, un dimanche soir à minuit trente, trois gendarmes viennent m'arrêter.
Ma nourrice s'interpose prétextant que je n'ai que quatorze ans, à quoi ils rétorquent : "Nous avons des ordres et si on ne la trouve pas, om emmène votre mari." Donc pas question de s'enfuir.
J'ai été conduite à Niort dans un dépôt où j'ai rejoint une cinquantaine de personnes arrêtées dans la région. Le surlendemain, nous avons été envoyés à Drancy, où je suis restée une semaine (...).
Le 10 février 1944, la police française nous a emmenés à la gare de marchandises de Bobigny, où un immense train de wagons à bestiaux nous attendait, ainsi qu'une bonne dizaine de soldats allemands." (4) et (5)
Sa mère avait été arrêtée en 1942. Son père en 1944, après Ida. Les deux parents ne reviendront pas d'Auschwitz.
NOTES :
(1) Ida Grinspan, les derniers témoins racontent, cliquer : ICI.
(2) Organisée par le Département de la mémoire combattante de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), une exposition itinérante circule actuellement en France. Elle décrit la cinquantaine de policiers et de gendarmes reconnus Justes parmi les Nations. Son titre : "Désobéir pour sauver". Sa présentation officielle :
- "Dans la France occupée par l'Allemagne nazie ces hommes ont renoncé à l'obéissance que leur imposait leur fonction. Malgré les risques auxquels ils s'exposaient, mus par la seule voix de leur conscience et de leur humanité, ils ont refusé de "livrer" des Juifs à la Déportation, contrant les ordres donnés par les responsables du régime de Vichy."
(3) Que Dominique Hasselmann soit remercié pour avoir, aussitôt leur publication, transmis ces articles à ce blog.
(4) Mémoires de la Shoah, photographies et témoignages, préface de Michel Winock, Ed. du Chêne, 2005, 207 p. (page 198).
(5) Sabine Aussenac propose une lecture complète de la lettre signée par Ida Grinspan puis censurée. C'est sur Le Post.