Gringoire (1) à la lecture duquel se complaisaient les collabos, délateurs, chasseurs de primes, flics voyoux et autres voyoux à carte de police (DR).
25 juillet 1941
Article de Gringoire
- "Le tribunal correctionnel de Carpentras a prononcé une condamnation de 25 F d’amende contre un prévenu qui avait écouté la radio anglaise (France libre) dans sa cuisine, fenêtre ouverte donnant sur un chemin privé.
Ce jugement est probablement le premier en l’espèce.
Souhaitons qu’il fasse jurisprudence, et que les peines prononcées à l’avenir soient plus élevées."
31 juillet 1941
Article de L’Appel
- "Pourquoi la maison Bouchara du boulevard Haussmann conserve-t-elle, comme directeur, le Juif Sam ? Pourquoi le personnel youtre, qui officiellement a été renvoyé, appartient-il toujours officieusement à la maison ? Est-il exact que ces gaillards viennent très souvent le soir se ravitailler en tissus pour les écouler par les voies secrètes du marché noir ?
Est-il vrai que le franc-maçon Marcel Martin, toujours directeur des assurances sociales, ne s’entoure que de collaborateurs maçons ?"
24 juillet 1942
Daniel Cordier est parachuté sur la France (à Coursages près de Montluçon)
- "Happé par un tourbillon d’air chaud, je plonge dans le silence étoilé de la nuit. Mon parachute s’ouvre pendant que l’avion s’éloigne. Soudain, je suis plaqué au sol. Heureusement, j’ai atterri sur une touffe d’ajoncs.
J’en suis encore à me relever, protégé des épines par ma combinaison, lorsque je suis rejoint par deux garçons rieurs : « Rien de cassé ? » Ils m’aident à m’extraire des touffes épineuses puis à me débarrasser de mon parachute. Après avoir placé mon revolver et mon couteau dans les poches de ma veste, j’enlève ma combinaison et récupère ma valise tombée à mes pieds.
Je me débarrasse de mon imperméable et ôte mon pull-over, surpris par la chaleur de la nuit, plus intense que celle de l’été britannique ; j’étouffe. En deux ans, j’ai oublié la douceur des nuits d’été en France. Autour de nous, des ombres courent en tous sens pour ramasser les conteneurs dispersés. Est-ce le bruissement des insectes, la douceur de cette nuit désaccordée à la scène qui s’y déroule ? J’ai le sentiment d’être l’acteur d’un rêve."
15 juillet 1943
Journal d’Alicia, au Chambon-sur-Lignon (3)
- "21 heures. Je viens d’apprendre ce qu’il s’est passé aujourd’hui aux Roches. C’est affreux… Cette fois-ci, la Gestapo est intervenue directement.
Brusquement la grande maison de granit où logent des dizaines de jeunes a été cernée de soldats mitraillettes au poing (…).
Tout s’est passé avec une extraordinaire brutalité. Se précipitant dans les étages, les soldats enfonçaient les portes, sortaient les pensionnaires à coups de pied et les jetaient dans l’escalier en hurlant : « Schweinejude… Schweinejude ! » (…).
Les étudiants en colonne dans la cour attendaient l’ordre de monter dans les cars… Sur les marches, un garçon a essayé de résister, il a aussitôt été roué de coups… et toujours ces cris de « Schweinejude »…
Les quelques femmes de l’établissement regardaient… que faire d’autre ? Pourtant une d’entre elles s’enhardit et on entendit soudain un cri qui secoua tout le monde : « Salauds… » Un des hommes de la Gestapo se retourna, sa mitraillette en direction de l’endroit d’où était partie l’ insulte… Il se mit à hurler : « Che gomprend le français » Mais son supérieur ne lui laissa pas le temps d’assouvir sa rancune, un ordre claqua : « Ansteigen ! » Aussitôt les étudiants furent poussés dans les cars, certains à coups de crosse, d’autres à coups de pieds… Un petit juif traînait, les soldats, répétant inlassablement « Schweinejude », le frappèrent avec leurs mitraillettes."
Philippe Broegner, Ici, on a aimé les Juifs, JCLattès, 1982, 214 p.
Journal de Tereska Torrès, à Londres
- "Tu commences la vie en pleine guerre, mon bébé (4), tes parents sont des soldats (…). Tes parents n’ont ni argent, ni maison, ils sont en exil, et toi, tu es leur espoir, tu es ce monde futur dont ils rêvent et pour lequel ton père demain partira se battre sur le front de France (…).
Pendant que nous bavardons ensemble, les sirènes hurlent. Il y a encore une alerte. Des bombes que l’on vient d’inventer, des espèces d’avions sans pilotes, éclatent de tous côtés, le soir vient, et le black-out avec lui ; dans le métro, des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards, dorment dans la poussière et la saleté, étendus sur le pavé, pâles et effrayés (…).
C’est la guerre. Chaque seconde, des hommes meurent. La Normandie est ravagée. En Europe, les enfants n’ont rien à manger. Pour toi, la guerre ça ne sera plus qu’une histoire que tu apprendras en classe et qui t’ennuiera peut-être, alors souviens-toi que cette guerre, tu y as pris part, que tu existais déjà au moment du fameux second front et qu’en ce moment le plus grand sacrifice que je puisse te faire, c’est que je ne pars pas en France avec ton papa (5), pour que rien ne t’arrive, mon enfant chéri."
Tereska Torrès, Une Française libre, Journal, 1939-1945, Phébus, 2000, 301 p.
6 juillet 1944
Citation signée à Vichy par Pierre Laval
- "M. de Vaugelas (Jean), commandant de la Franc-Garde permanente de la Milice française, {citation} pour les motifs suivants : chef milicien de très grande classe. A exercé le commandement de l’ensemble des unités de la Milice française engagée dans les opérations exécutées en Haute-Savoie contre les hors-la-loi. D’une ardeur inlassable et d'un courage exemplaire, a fait l’admiration de ses chefs, de ses camarades et de ses hommes. A su donner à la troupe, au moment de l’assaut final mené contre les rebelles retranchés sur le plateau des Glières (6) , l’impulsion qui a permis d’obtenir le succès complet de l’attaque."
20 juillet 1944
Rapport du général Martin, directeur général de la Gendarmerie nationale
- "Le personnel de la gendarmerie est fréquemment appelé à constater que la Milice, les G.M.R. ou la garde profitent de perquisitions entachées d’illégalité pour détourner à leur profit des denrées ou objets les plus variés.
Les officiers de l’Armée, formés de longue date dans le respect de la propriété et des méthodes légales, sont désorientés par de semblables procédés. Quant aux gendarmes, après avoir ressenti le même étonnement, ils finissent par acquérir une mentalité déplorable, en arrivant même à envier ceux qui, n’étant pas soumis à des épreuves plus rudes ou plus difficiles que celles qu’ils doivent eux-mêmes supporter, pillent à leur profit.
Bien plus, le personnel assiste à des arrestations multiples faites à tort et à travers, à des incendies, voire même à des exécutions sommaires."
8-9 juillet 1945
Article du Monde
- "Arrestation du dénonciateur de Mlle Geneviève de Gaulle (7) :
Indicateur de la police de la Gestapo de la rue Lauriston – celle de Bonny et Lafont – Serge Marongin, étudiant en médecine, a été dépisté alors que s’étant infiltré dans un groupe de rapatriés revenant d’Allemagne par avion, il pensait passer inaperçu ; on le croyait d’ailleurs mort depuis plusieurs mois. Marongin avait dénoncé des patriotes, membres du groupement « Défense de la France », amenant l’arrestation de 150 d’entre eux, notamment de Mlle Geneviève de Gaulle. L’indicateur de la police a été mis à la disposition de M. Donsimoni, juge d’instruction à la Cour de Justice."
NOTES :
(1) Créé en 1928 par Horace de Carbuccia qui en garda la direction jusqu'au dernier numéro, le 25 mai 1944. Journal responsable d'une abominable campagne de diffamation contre le ministre de l'Intérieur du Front Populaire, Roger Salengro, qui finit par se suicider. Pro-franquiste avant de s'installer à Vichy, Gringoire s'enfonça dans une collaboration sans équivoque.
(2) Daniel Cordier est entré en résistance dès le 17 juin 1940, sans même connaître de Gaulle. Parachuté après un premier échec, il est devenu le secrétaire de Jean Moulin dans la France occupée. Jusqu'à l'arrestation de celui-ci - Rex - le 21 juin 1943.
(3) L'Institut Yad Vashem de Jérusalem est seul habilité à reconnaître les Justes de Nations ayant sauvé au péril de leur vie et de manière totalement désintéressée des juifs persécutés. De toute l'Europe occupée, Yad Vashem n'a accordé cette reconnaissance qu'à deux localités : Nieuwland en Hollande et Le Chambon-sur-Lignon. Dans ce haut pays protestant, au moins 3.000 juifs ont été protégés à plus ou moins long terme.
(4) Cette lettre est prévue pour une lecture bien des années après sa rédaction. Le bébé, Dominique, naîtra le 26 février 1945.
(5) Georges Torrès disparut en patrouille sur le front d’Alsace, le 8 octobre 1944.
(6) Sur le plateau des Glières, se retrouvèrent assiégés à la mi-février 1944 des résistants de l'Armée secrète, des Francs-Tireurs et Partisans ainsi que des Républicains espagnols. Le 12 mars la Milice donna l'assaut. Et échoua. Un débat agita alors les responsables du maquis : se disperser, échapper à l'encerclement ou combattre ? Ce dernier choix fut retenu. Le 26 mars, les Allemands firent donner leur aviation, leur artillerie et leurs troupes autrement plus aguerries que les Miliciens.
120 maquisards perdirent ainsi la vie (abattus ou déportés sans retour), sans oublier 20 civils qui se retrouvèrent pris dans cette bataille dont ensuite la Milice tenta, pour des raisons de propagande, de s'attirer tous les "lauriers".
Par la citation reproduite sur cette page, le premier ministre du Gouvernement de Vichy félicite un milicien qui n'a que du sang français sur les mains.
Salut aux couleurs françaises sur le plateau des Glières. Avant les bombardements allemands ainsi que la chasse aux maquisards menée par les occupants et par la Milice (DR).
(7) Geneviève de Gaulle (1920-2002). Nièce du Général de Gaulle. Membre active du réseau "Défense de la France". Arrêtée par des Français le 20 juillet 1943. Rescapée de Ravensbrück où elle fut déportée le 2 février 1944.