DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

dimanche 29 novembre 2009

P. 201. Narcisse Greno : "Travail, Loyauté, Bienfaisance"

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Pour situer Landouzy-la-Ville en Thiérache.
Carte d'après : Sur une frontière de la France. La Thiérache. Aisne, Textes, Photographies et Cartographie, sous la direction de Martine Plouvier, Association pour la généralisation de l'Inventaire régional en Picardie, 2003, 287 p.
(Montage JEA / DR).

8e étape sur une route
des églises fortifiées de Thiérache :
Landouzy-la-Ville
et son franc-maçon...


La route qui vous est proposée sur ce blog, se sait fantaisiste et n'en éprouve aucun complexe. Aussi, vous décrit-elle aujourd'hui un détour au départ de la page 172 et de l'église de Plomion. Quatre petits kilomètres en remontant au nord...

Plomion : grâce à N. Greno, l'église fut sauvée d'une destruction barbare par les occupants allemands de 1871 (Ph. JEA / DR).

Donc à jet de brique de Plomion : Landouzy-la-Ville.

Sans vouloir blesser aucune susceptibilité, l'architecture de l'église (XIXe s.) n'a pas de quoi enthousiasmer. Elle se dresse au milieu d'une localité éclatée. La place est superbe d'étendue. Ce qui s'explique par l'espace destiné à une vaste halle, hélas détruite dans les années 20...

A mi-route entre Vervins et Aubenton, Landouzy-la-Ville se dresse au centre d'une circonférence de lieux aux noms qui (en)chantent :
- les Prés aux Lièvres, la Petite Rue aux Boeufs, le Chêne Bourdon de Bas, la Cense des Nobles, le Saule Jean Blanc, le Fossé Malbrough, le Chaudron...
Vous aurez compris que ce n'est pas l'église qui aura aimanté vos pas jusque-là. Mais le cimetière. En effet, dans l'ouvrage sur la Thiérache cité en introduction, une page relative à "L'architecture funéraire", consacre cinq lignes à la tombe de Narcisse Greno. Si vous le voulez bien, nous allons nous y arrêter.

Au lieu-dit "La Huguenoterie", le cimetière communal de Landouzy-la-Ville. Il s'étend sur le site de l'ancienne forteresse du seigneur de Vervins. Les murs se dressèrent là de 1168 à 1423. Leur destruction est liée aux guerres de religions.
Au centre du cimetière : la tombe de Narcisse Greno (Ph. JEA / DR).

Inventaire du patrimoine culturel de Picardie :

- "Ce monument funéraire est celui du négociant en vin Narcisse Greno, bienfaiteur de la commune, qui possédait sur la commune une maison (étudiée), située 12 rue de Plomion. Sa situation au milieu du cimetière, est liée aux conditions d'installation du cimetière sur le site du château des Coucy-Vervins, Narcisse Greno ayant fait don de cet emplacement à la commune sous réserve que son tombeau soit le premier à être mis en place. En effet, par son testament du 6 juillet 1890 il léguait " à la commune de Landouzy-la-Ville un terrain lieu-dit le Vieux Bosquet ou le Vieux Château pour l'installation d'un nouveau cimetière ".
Le legs fut accepté après sa mort, survenue le 22 octobre 1892, par le biais de ses cousines Aglaé et Elisa Olivier dont le tombeau est à proximité immédiate de celui de Narcisse Greno. Le legs fut formalisé le 8 juillet 1893, le tombeau de Narcisse Geno a été vraisemblablement construit au cours des derniers mois de 1892. Les plans ont vraisemblablement été exécutés par un architecte, non identifié, suivant les volontés de Narcisse Greno. Les deux éléments taillés, base de colonne ou fragment architectural, encadrant l'escalier central, sont localement réputés provenir des vestiges de l'abbaye de Foigny. Ce tombeau a été restauré en 1992."

Epitaphe de la tombe de Narcisse Greno (Ph. JEA / DR).

Inventaire du patrimoine culturel de Picardie :

- "Ce tombeau, affectant la forme d'un tumulus antique, est constitué d'un monticule de terre comportant un solin de moellon calcaire grossièrement taillé qui soutient une butte dotée d'une couverture végétale, et encadrant un escalier central permettant d'accéder à une base en brique rectangulaire supportant une pierre d'apparence mégalithique. Cette base comporte en son centre une plaque de bronze portant l'épitaphe suivante " 1810 Greno 1892/Travail Loyauté Bienfaisance ". Deux éléments en pierre de taille calcaire blanche, base de colonne ou d'élément architectural, sont disposés de part et d'autre de l'escalier.
Ce monument funéraire est caractéristique de l'influence des courants de pensée de la franc-maçonnerie. Il (…) peut être rapproché de celui d'Allan Kardec (1) au cimetière du Père Lachaise."


Or donc, dès vos premiers pas dans ce cimetière nettement à l'écart de la localité, en un lieu silencieux, accueillant pour les vents, impossible de ne pas remarquer ce tombeau-tumulus. Surmonté d'une pierre brute.
Le ciel est occupé à nuancer tous ses gris. Les arbres ont rendu toutes leurs feuilles pour l'examen du proche hiver.
Quelque photos. Un couple âgé passe d'une tombe à l'autre pour s'y recueillir. Puis, lui, s'approche timidement, elle en retrait, très attentive :
- "Vous connaissez Monsieur Gréno ?"

C'est le genre d'endroit où vous vous sentez à l'envers des bavardages. Mais le ton est si marqué d'étonnement que vous bafouillez :
- "Connaître ? Je ne suis pas de la famille..."
- "C'est tellement rare de voir de gens qui ne sont pas du village, venir ici, pour lui."
- "Pour être étranger, ça oui, je ne suis même pas Français."
- "Mais alors, comment le connaissez-vous ? Il est un bienfaiteur pour nous. Vraiment. Un grand. Mais vous ?"
Ce villageois parlait du défunt au présent. Or Narcisse Greno est décédé en 1892.
Que répondre sinon que le patrimoine, vous ne le laissiez pas gisant dans des livres. Et qu'une tombe de franc-maçon au milieu des églises fortifiées, voilà qui donnait un relief particulier à votre itinéraire.
- "Vous savez que sa maison existe toujours ? Au 12 de la rue de Plomion. Vous la reconnaîtrez aussitôt avec ses signes maçonniques sur la façade..."

Narcisse Greno est mort inopinément à l'âge de 82 ans, le 20 octobre 1892. Il parcourait les caves Pommery à Reims. En effet, en 1856, il s'associa avec Louis-Alexandre Pommery pour consolider une maison de champagne appelée à la célébrité. Selon ses volontés, le défunt a été incinéré puis son urne déposée dans ce monument "inaugurant" le cimetière de Landouzy-la-Ville (Ph. JEA / DR).

Vous remontez vers la place par la rue du Cimetière, puis choisissez la rue des Juifs, tout droit, un peu de patience, et débute la rue de Plomion. Le 12 se situe à droite (dans nos campagnes, ce n'est pas une évidence), juste avant un vilain tournant.

Patrimoine de France :

- "Cette maison est liée à la personnalité de Narcisse Greno (1810-1892) . Originaire de Neuve-Maison, mais ayant passé son enfance à Landouzy-la-Ville, il prend la direction en 1836 de la maison champenoise Dubois-Gossart. En 1856, il s'associe avec Louis-Alexandre Pommery pour constituer la célèbre entreprise de champagne rémoise. Greno devient le courtier et le représentant de ces champagnes.
Se retirant des affaires en 1860, il se consacre alors à de nombreuses oeuvres de bienfaisance et à la constitution de l'une des plus importantes collections privées d'objets d'art de l'époque (2).

En organisant les obsèques d'un officier prussien au temple de Landouzy (3), il réussit en 1871 à éviter la destruction programmée des églises de Jeantes, Plomion et Landouzy.

Par son testament, il lègue à la commune le site du château des Coucy-Vervins, transformé en cimetière, une bourse d'apprentissage pour les jeunes et le produit financier de la vente du bois de la Huguenoterie.
Résidant à Reims, il se fait bâtir à Landouzy-la-Ville, au cours du 3e quart du 19e siècle, une maison entourée d'un vaste parc, sur le site d'un ancien ermitage. Pour en perpétuer le souvenir, Greno décora l'écurie d'une fenêtre de style néo-gothique. Ce bâtiment jouxtait la maison de ses cousines Aglaé et Elise Olivier qui a été détruite au début des années 1990, la grange seule subsistant."

La maison Greno (Ph. JEA / DR).

Patrimoine de France :

- "Ses convictions de libre-penseur et de franc-maçon, que l'on retrouve dans son monument funéraire (étudié) dans le cimetière de Landouzy-la-Ville, s'illustrent ici par les fers d'ancrage en forme de triangle maçonnique.
La maison a perdu ses décors intérieurs à l'exception de certains de ses volets intérieurs en bois. Le toit était autrefois surmonté d'un belvédère qui servit de lieu d'observation aux allemands lors de la 1ère Guerre Mondiale, il a été démonté au lendemain de la deuxième Guerre Mondiale et partiellement entreposé en pièces détachées."

N'ayant pas eu connaissance d'études sur ce personnage peu commun (en milieu rural, qui plus est), je puis cependant vous préciser que les archives municipales abritent quelques documents dont le testament de Narcisse Greno.

Le déplacement vous serait d'autant plus léger que les lieux préservent des images au nombre desquelles ces quelques instantanés.

Le parc de la maison Greno n'est plus. Mais cet arbre solitaire en porte peut-être des bribes de mémoire (Ph. JEA / DR).

Au cimetière, une tombe dans l'oubli avec les noms glissant vers un monde illisible (Ph. JEA / DR).

Le monument aux Morts. Avec un étrange poilu. En uniforme de parade. Décorations sur le coeur. Et comme frappé par une balle en plein élan patriotique (Ph. JEA / DR).

Plus pacifiques, les rives du Thon à Eparcy. Reflets passagers clandestins. Il y a tant de douceur dans l'air (Ph. JEA / DR).

NOTES :

(1) Allan Kardec (1804-1869) fondateur du spiritisme. Sa tombe est toujours fleurie au Père Lachaise et sert de rendez-vous aux amateurs de sciences occultes et aux adeptes du "kardécisme". Personnellement, ni sur le plan des idéaux, ni sur celui de l'architecture, je ne vois pas de rapport avec la tombe de Narcisse Greno.

(2) Le mécène a offert deux tableaux au musée de Vervins, et trois à celui de Reims.

(3) Landouzy-le-Ville se distingue en Thiérache par la présence d'un temple et d'un cimetière protestant.

vendredi 27 novembre 2009

P. 200. On n'a pas tous les jours deux cents pages...


Deux centième page...
Alors ?
Passer une brosse à reluire sur les déjà vieux cuirs des reliures ?
S'étourdir "de nard, d'encens, de cinnamome et de myrrhe" (Flaubert) ?
Essuyer ma plume, une larme, une tempête dans un encrier, le feu de vos commentaires, les plâtres ?
Jouer au panégyriste, mettre une redingote, monter dans l'auto de la suffisance, se griser en technicolor, s'endormir sur des lauriers enfarinés ?
Inviter un cirque, inventer des nuages ?
Pavoiser ? Dépaver ? Se pavaner ? Se désensabler ?
Même en se brûlant à peine les ailes aux deux cents bougies, plutôt en offrir quelques-unes, de ces bougies-photographies éphémères à d'autres blogs. Sans querelles des anciens et des modernes, des transparents et des trans-lucides, des marginaux et des pleines pages, des parcheminés et des paradoxaux...

Salut à tous ces blogs
qui ne sont pas des cages !



Amaryllis :
"Pourquoi Amaryllis ? C'est une fleur éclatante mais également le nom d'un papillon. Amaryllis est aussi une bergère chantée par Virgile dotée d'un sale caractère."
Rassembler les : "Bris de mots" .

Anita : "Et pourquoi donc que j'irais pêcher une bête qui ne m'a rien fait ?
Aller à : "La pêche à la baleine" .

Anna de Sandre : "Biffures chroniques".
Plutôt que de vous rebiffer, cliquer : ici.

Brigetoun : "dépassée - et pourtant s'essaie aussi à un jugement sur le monde, à sa petite échelle sur AUTOUR (via le profil)".
Au quotidien si singulier la : paumée.

Cactus homme lézard : "de cinéma en cinémas pour chiner-ciné voire ciné-chiner".
Vous plonger dans la salle noire : ainsi va la vis.

Chr. Borhen : "LETTRES LIBRES. Les carnets limbiques et littéraires de Christophe Borhen ou les errances d'un auteur (presque) anonyme, libertin postlibidineux..."
Jamais serviles, les : Lettres libres...

Clopine T. : "J'en suis encor' à m'demander, après tant et tant d'années, à quoi ça sert de vivre et tout, à quoi ça sert, en bref, d'êt'né (François Béranger)."
Pour-suivre les : Clopineries.

Dominique Hasselmann : "Le Chasse-clou"... "Et tout à coup ce filet d'eau sur un volcan, la chute mince et ralentie de l'esprit." (Antonin Artaud, "Le Pèse-Nerfs".
Ouverture de : Chasse-clou.

Elisabeth.b : "Plantes des jardins et des chemins".
Pour vous mettre au : vert.

Frasby : "carnet de notes et images de certains jours".
Les musiques et illustrations de ce : carnet.

Saravati : "Les petits délires... De ces petits touts qui ne mènent à rien ... De ces petits riens qui englobent tout ..."
Partager les : délires.

Sylvie : "Lectures et autres... Livres lus, envie de lire..."
Encore et toujours : lire.

Tania : "Textes & prétextes. Notes et lectures d'une Bruxelloise."
Embarquement des voyageurs (masc. gr.) pour : Bruxelles.


Zoë Lucider : "L'arbre à Palabres... « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. » René Char".
Auprès de cet : arbre.


Les cires de ces bougies-photographiques (toutes JEA / DR) proviennent de :

- mon village, Jardeheu, Beaumont, Villefranche, Noyers sur Serein (non pas une fois mais deux, à la belge), Issigeac, Honfleur, le Ventoux, Chausey, la forêt de St-Michel en Thiérache, le jardin de Sucol, Fécamp, Landouzy.

Mais combien d'autres blogs passionnants, eux aussi, parmi les liens (colonne de droite) ou aux bons hasards des navigations sur la toile... Enfin, ce billet marque un simple anniversaire, il n'a pas vocation à devenir un dico.


mercredi 25 novembre 2009

P. 199. Un Résistant : Hilaire Gemoets.

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Pages nomades (Noyers sur Serein, non loin de Vézelay - Ph. JEA / DR).

A la question : "Mais, finalement, pourquoi fréquentez-vous la toile ?"
L'une des premières réponses, parmi les plus spontanées, sera : "Sur la toile ? Pour les livres. Parce que les bouquins y poussent en forêts. Pour les océans de pages. Pour les bibliothèques aux rayons lumineux. Parce qu'il n'est surtout pas question d'y chercher la sortie des librairies labyrinthes."

Tania ouvre l'un de ces lieux mystérieux où se réunissent des inconnu(e)s guidés par la rose des vents de la littérature. Pour les plaisirs de naviguer sur les méandres de fleuves d'encre. Pour les fragrances des feuilles. Pour les pages à tourner sans lassitude, pour y retourner même. Pour toutes les clefs offertes et qui ouvrent les serrures d'horizons sans fins.
Les "Textes & Prétextes, Notes de lecture d'une Bruxelloise" (soit Tania), ne sont pas seulement une musique de chambre ni une petite musique de nuit, ce serait trop réducteur. Mais les instruments sont toujours d'époque(s). Et l'harmonie de ses billets est portée par la grâce.
Exceptionnellement, suite à un commentaire déposé comme un galet du souvenir sur ce blog, Tania a délaissé ses livres non encore découpés, pour évoquer une mémoire familiale devenue collective.

Page nomade de Tania :
"Un Résistant,
Hilaire Gemoets".


Hilaire Gemoets en médaillon sur la stèle de Webbekom (Doc. Tania / DR).

Il avait vingt ans, le 3 septembre 1944, lorsqu’on lui a fait creuser sa propre tombe, au bord d’un champ, avant de le fusiller. Le jour de la Libération de Bruxelles. Dans l’énorme joie d’une guerre qui se termine, que de larmes dans la famille Gemoets d’Assent, près de Diest. Ce jeune frère de ma mère ne verrait jamais la paix. Sur le monument élevé à sa mémoire à Webbekom, près de l’endroit où des Allemands lui ont ôté la vie, on peut lire en flamand :

« Ici fut fusillé
Hilaire GEMOETS
Assent 14 janvier 1924
Webbekom 3 septembre 1944
Commandant de corps des Partisans Belges
Membre du groupe G
Pour le peuple et la patrie »

Chaque année, le 3 septembre, une cérémonie est organisée à sa mémoire. J’y ai assisté pour la première fois cette année, aux côtés de ma mère et de la famille. Une centaine de personnes, dont plus d’une trentaine de porte-drapeaux, s’étaient déplacées, soixante-cinq ans après sa mort, pour un double hommage, d’abord au monument, puis autour de sa tombe au cimetière d’Assent. Discours. Musique. Fleurs. La mémoire de la Résistance est forte et fidèle. C’est une image de la Flandre que les médias ne montrent pas souvent, où les drapeaux belges flottent fièrement.

Mes parents – mon père wallon, ma mère flamande – ont souvent raconté leurs souvenirs marquants de la guerre. Ceux qui prétendent que tant d’années après, ces blessures sont fermées, ne peuvent imaginer à quel point ceux qui les ont vécus restent hantés par ces événements. Leur évocation reste si sensible qu’on n’en parle encore dans ma famille maternelle qu’au bord des larmes.

Pourquoi n’avoir pas écrit toute votre histoire en détail après la guerre, ai-je demandé à ma mère. La souffrance était trop insupportable. Mon grand-père, arrêté en juin 1944 – parce qu’on n’avait trouvé ni le fils ni la fille engagés dans la Résistance, c’est-à-dire mon oncle Hilaire et ma mère – et emmené au camp de Dora puis de Buchenwald, n’est revenu chez lui, d’une maigreur effrayante, qu’en juin 1945. Puis il fallait se tourner vers l’avenir, il fallait vivre.

Après Dora, le Grand-Père de Tania fut transféré à Buchenwald (Doc. JEA / DR).

Je ne suis pas historienne, et j’ignore s’il existe des archives de la Résistance belge où seraient mentionnés les faits et gestes du groupe de partisans de mon oncle Hilaire, qu’on appelait « Frans » dans la Résistance. Même ma mère, dite « Josée », n’en connaît que des bribes. Le silence était la première des sécurités. Mais il a confié certaines choses à sa sœur.

Un jour de 1941 ou 1942, Hilaire Gemoets prend le tram vicinal pour Louvain. Comme cela arrivait régulièrement, le tram s’arrête et deux membres de la Gestapo montent pour contrôler les identités. Une dame s’approche alors de lui et lui demande en lui montrant une lettre de la porter à une adresse précise à Louvain. Il. Il comprend que cette femme se sent en danger, met la lettre dans sa poche. C’était une ancienne institutrice de Bekkevoort, Céline, qui a été arrêtée plus tard et déportée.


Les parents d’Hilaire s’inquiètent de ses escapades mystérieuses de jour ou de nuit. Petit à petit, ils devinent que ce fils de dix-sept, dix-huit ans, particulièrement intelligent et débrouillard, est entré dans la Résistance. Au début, son père y est tout à fait opposé, pour les dangers auxquels il expose toute sa famille (trois filles, trois garçons). Mais Hilaire a une bonne couverture : il achète du beurre et des œufs dans les fermes des environs et les revend chez des particuliers à Bruxelles, à Louvain. Il multiplie ainsi ses contacts.

Un jour, ma mère l’accompagne à un rendez-vous sur une route déserte entre Onze-Lieve-Vrouw Tielt et Tirlemont. Elle l’entend expliquer avec calme et clarté aux sept hommes présents ce qu’ils ont à faire, elle comprend qu’il est leur chef. Il s’agissait d’un parachutage de matériel divers à Holsbeek, près de Louvain. Chacun avait sa part de travail. « Josée » se chargerait du courrier. Mais voici que passent deux hommes en bicylette : Hilaire leur demande de s’arrêter, vérifie avec soin leur identité. Ils ne disent rien, impressionnés. Hilaire leur rend leurs papiers et leur demande de passer leur chemin sans dire un mot de cette rencontre. Ils s’en vont, puis tout le groupe se disperse. Le parachutage s’effectue quelques jours plus tard à l’aube, dans une propriété près d’une carrière déserte. Tout se passe très bien. Juste avant la fin de la guerre, le propriétaire, un résistant, sera arrêté.

Une action d’éclat : le sabotage de la Centrale du chemin de fer de Diest. Le groupe de partisans voulait mettre en panne la circulation des trains de matériel de guerre en provenance d’Allemagne. Hilaire avait peaufiné le plan pendant des semaines. Et tout se passa parfaitement, à part un retard de quelques minutes pour quitter les lieux. Retranchés derrière des wagons, les partisans durent se battre et deux d’entre eux furent légèrement blessés. Le trafic ferroviaire fut paralysé pendant quelque temps.

Une autre fois (janvier 1944), ils sabotèrent des pylônes à haute tension, privant les Allemands de communications pendant des semaines. Un projet mis au point par Jean Burgers à l’Université Libre de Bruxelles, qui sera pendu à Buchenwald en septembre 1944. Le groupe d’Hilaire s’occupait également de trouver un toit et des vêtements pour les aviateurs alliés dont les avions avaient été abattus, cachés dans les environs, et de les évacuer. Avec la complicité d’employés, les résistants se procuraient des timbres, des tickets de rationnement, des cartes d’identité vierges.

Quelqu’un qui travaillait à la Kommandantur de Louvain les avertit un jour de la présence d’un traître dans leurs contacts. Depuis quelques semaines, des voisins voyaient des têtes dépasser de temps en temps des champs de blé sur le flanc de la colline, on surveillait la maison. Sa famille apprend aussi qu’on a mis 500.000 francs sur la tête d’Hilaire Gemoets. Un soir, ma mère a préparé des cartes d’identité, qu’elle a remplies à la machine à écrire, comme à la commune, pour deux aviateurs alliés et quatre prisonniers en fuite. A peine endormie, elle entend des coups terribles sur les portes, à l’avant et à l’arrière de la maison en même temps. Tout de suite, elle pense à la Gestapo, s’empare des faux papiers glissés dans la poche d’un cache-poussière, les met sous son drap de lit et se recouche.

Quand la porte de sa chambre s’ouvre, deux types lui demandent de se lever. Elle répond qu’elle ne peut pas, qu’elle est grippée. Ses plus jeunes frères, de leur côté, ne bougent pas non plus. Un homme regarde sous le lit de ma mère, n’y trouve rien, insiste pour qu’elle se lève. Alors un officier allemand apparaît et dit qu’il n’y a rien, qu’il a déjà regardé. Les hommes sortent. Sauvée ! Hélas, deux minutes plus tard, une exclamation de triomphe : dans la chambre des garçons, entre l’armoire et le mur, ils ont trouvé un rouleau de petits journaux clandestins qu’Hilaire distribuait. On les rassemble tous à l’avant de la maison, dans le magasin (une épicerie). Comme on leur demande où est Hilaire, ce qu’ils ignorent – il ne leur donnait jamais d’informations précises – on emmène le père, qui s’est rhabillé complètement, vers trois heures du matin. Tous sont atterrés. Après que les voitures de la Gestapo sont parties, ma grand-mère dit à ma mère de prendre quelques affaires et de partir le plus vite possible, au cas où ils reviendraient. Et elle avait raison, ils sont revenus pour elle.

Je raconterai une autre fois comment ma mère a vécu cachée dans une pension de famille près de l’abbaye d’Averbode. C’est là qu’elle se trouvait le 3 septembre 1944. Le lendemain, une connaissance est venue lui annoncer que son frère était blessé, gravement. En route vers Assent, elles voyaient les avions qui mitraillaient la route de Louvain vers Diest. Les Allemands battaient en retraite. Vu le danger, la messagère lui dit la vérité, qu’il ne servait à rien de trop se dépêcher, qu’elle ne verrait plus son frère vivant.

Le 10 août 1944, lors d’un combat avec la Gestapo à Wilsele, près de Louvain, Hilaire avait été blessé. Soigné par un médecin de l’endroit, il fut transporté à quelques kilomètres de chez ses parents, dans une ferme, où il se rétablissait lentement. Depuis l’arrestation du père en juin, la maison d’Assent était constamment surveillée par la Gestapo. Une nuit, cependant, il avait réussi à se faufiler jusque-là pour embrasser sa mère, restée seule avec sa plus jeune fille de sept ans. Le 3 septembre, à la suite d’une dénonciation ou d’un malheureux concours de circonstances – nous ne le savons pas exactement –, des officiers allemands, accompagnés de membres de la Gestapo, sont arrivés dans cette ferme où il se reposait. Hilaire a voulu s’enfuir, mais en vain. Ils l’ont exécuté dans le champ de Webbekom, où un monument de pierre l’honore à jamais.

Hilaire Gemoets, dont la dépouille avait été déterrée pendant la nuit et déposée à l’église d’Assent où elle est restée jusqu’au jour de l’enterrement, a eu des funérailles grandioses, quasi nationales. L’église était pleine et dehors aussi, une foule nombreuse a rendu hommage à l’héroïsme d’un jeune homme qui avait donné sa vie pour rendre la liberté à son pays.

TANIA.

Cérémonie à la stèle de Webbekom (Doc. Tania). Ce billet est également publié, avec une iconographie qui lui est plus personnelle, sur le blog de Tania.

lundi 23 novembre 2009

P. 198. Dominique Hasselmann : "Une si jolie carte postale".

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Pages nomades... (Photo : Noyers sur Serein, JEA / DR).

Grand chasseur de clous devant l'éternité. Photographe mettant un Paris authentique en chambre noire. Attentif à libérer grâce à son objectif des envolées entières d'oiseaux qui sortent de tous les ordinaires. Ecriture acide pour les pouvoirs qui s'imaginent déjà (presque) tout permis. Poète randonneur. Illustrateur de nos heures les plus grises comme les plus arc-en-ciel.
Tel est Dominique Hasselmann. Son "Chasse-clou" est un canard déchaîné quotidiennement sur la toile.
Il est le premier à (dé)couvrir un nouvel horizon de ces "Mo(t)saïques" : "les pages nomades". Chacune de celles-ci portera la signature manuscrite d'un(e) invité(e) que n'aura pas rebuté une publication de son billet (aller certes pas simple) sur ce blog frontalier ("border line").

Page nomade de
Dominique Hasselmann :
"Une si jolie carte"...

Durant les vacances de l’été 1987, j’avais entrepris un petit périple dans la « France profonde » avec ma femme et ma fidèle 2 cv.

Un jour, nous fîmes un crochet par Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher) : je me souvenais que c’était là que le Maréchal Pétain avait rencontré Hitler, et j’étais curieux de voir comment se présentait le lieu où fut échangée la fameuse poignée de main le 24 octobre 1940.

Photo capturée sur le site de Wikipédia.
Abgebildete Personen :
Hitler, Adolf: Reichskanzler, Deutschland,
Pétain, Philippe: Staatschef, Marschall, Frankreich,
Ribbentrop, Joachim von: Außenminister, NSDAP, Deutschland,
Schmidt, Paul Otto Gustav Dr.: Chefdolmetscher von Hitler, Pressechef im Auswärtigen Amt, Deutschland.

Date : 24 octobre 1940 (1940-10-24).
Source : Deutsches Bundesarchiv (German Federal Archive),
Bild 183-H2521.


D’abord nous allâmes jusqu’à la minuscule gare, et je pris quelques photos, avec mon Yashica 6 x 6, du bâtiment tout à fait ordinaire, sans même une plaque commémorative de l’événement.

(Gare de Montoire-sur-le-Loir, photo http://www.montoire-sur-le-loir.net/fran/accueil.htm.).

Comme j’étais curieux de savoir s’il existait aussi une carte postale de ce « monument » qui en mentionnerait peut-être le rôle dans l’Histoire de France, je me dirigeai alors vers la Maison de la presse, au milieu de la place principale du bourg.

Là, sur un tourniquet, je ne pouvais pas la manquer car il y en avait un bon paquet. « La » gare était là, désolante fixe, je regardais le verso et tombai alors sur le commentaire reproduit ici :


(Document D.H.)

Mon sang ne fit que deux tours : le révisionnisme était encore présent dans la France de 1987 !

Je relisais et n’en croyais pas mes yeux : « Durant cette rencontre, le Maréchal (comme on disait à l’époque !) réussit à sauvegarder une partie de l’indépendance politique française (?) et à éviter (sic) la collaboration que prétendait (sic) obtenir le Führer. Cette victoire diplomatique (!) fut longtemps et volontairement méconnue (sic). »

Les révisionnistes n’étaient donc pas ceux que l’on croyait !

Il est vrai que Robert Faurisson étalait partout, notamment à Lyon, une ville symbole de la Résistance, ses thèses mensongères sur la deuxième guerre mondiale, et notamment sur l’existence des chambres à gaz. Le Pen allait reprendre le refrain au pas cadencé.

Réécoutons le discours radiodiffusé du Maréchal Pétain le 30 octobre 1940 et ses explications :



Le commentaire de la carte postale a donc tout faux, mettons-nous au garde-à-vous et recueillons-nous tandis que sortent derechef du poste de radio en bakélite noire les paroles suivantes : « C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française, une unité de dix siècles, dans le cadre d’une activité constructive du nouvel ordre européen, que j’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration. »

L’ébauche dactylographiée et corrigée de l’intervention maréchaliste a même fait l’objet d’enchères. En voici la reproduction :

L’Histoire avait cependant tranché depuis.

On était lundi, et immédiatement je mis la carte postale sous enveloppe à l’adresse du Canard enchaîné, avec un petit mot adressé à Claude Angeli, le rédacteur en chef.

Deux jours après (La Poste était diligente !), ce document paraissait dans l’hebdomadaire satirique daté du 19 août 1987 :

(Document D. H.).

De retour de vacances, je m’amusais à le diffuser au sein du département « Promotion et action commerciale » dont j’étais responsable dans un service public de télécommunications.

La semaine suivant la publication de l’image révisionniste, Le Canard enchaîné indiquait que la Maison de la presse de Montoire-sur-le-Loir avait été dévalisée de tout son stock de cartes postales (images précieuses à conserver) reproduisant la gare locale.

Un courant de la même veine alimenta Le Canard enchaîné pendant plusieurs semaines soit avec la photo d’une bouteille de vin portant une étiquette « pétainiste », soit avec la reproduction d’autres objets douteux en vente libre dans notre beau pays.

Comme l’avait proclamé le Maréchal Pétain, le 17 juin 1941 : « Français, vous avez vraiment la mémoire courte ! »


Le film de Marcel Ophuls Le Chagrin et la Pitié vint plus tard, en 1971, rafraîchir les souvenirs ou les connaissances historiques des Français, parfois bizarrement en proie à une certaine défaillance.

Dominique Hasselmann.





samedi 21 novembre 2009

P. 197. "A l'origine", le film...

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Affiche du film de Xavier Giannoli (DR).

Au Nord,
il n'y a pas que les corons...

Synopsis :

- "Philippe Miller est un escroc solitaire qui vit sur les routes. Un jour, il découvre par hasard un chantier d'autoroute abandonné, arrêté depuis des années par des écologistes qui voulaient sauver une colonie de scarabées. L'arrêt des travaux avait été une catastrophe économique pour les habitants de cette région. Philippe y voit la chance de réaliser sa plus belle escroquerie, mais son mensonge va lui échapper."

Xavier Giannoli :

- "Je raconte l'histoire d'un homme qui reconstitue une famille. Un peu comme dans un western : un type arrive dans une ville. Les gens le prennent pour le nouveau sheriff. Et c'est parti.
C'est l'histoire d'un homme qui se lance dans une aventure trop grande pour lui, et qui va réussir à se dépasser lui-même, tout en étant dépassé par son mensonge. C'est un homme providentiel, surgi de nulle part, qui propose une aventure à tous les habitants de la ville. Il emmène tout le monde avec lui, alors que l'immobilisme régnait avant son arrivée. Il incarne un cri vital de colère face à une société qui, en permanence, veut nous réduire à n'être capable que de nous adapter aux réalités économiques. A la sortie du film, un spectateur m'a dit : «Votre film n'est pas seulement un divertissement, c'est une bombe sociale.» C'est vrai que dans le film, il est question du désir de croire que quelque chose de collectif est possible, qui va relier toutes nos solitudes à un mouvement qui vise à se sentir de nouveau vivant."
(Le Figaro, 10 novembre 2009).


- "Parmi les plus de deux mille figurants, il n'y avait que des gens de Cambrai et de ses alentours… C'était une première pour moi. J'ai rendu fou mon premier assistant parce que je voulais tous les diriger moi-même !
Cette région a été filmée par les gens que j'aime le plus, comme Pialat. Et les plaines du Nord ont une dimension mythologique qui me fait penser aux films de Sergio Leone. C'est l'ambiance que je recherchais. Surtout, il n'y a pas un terril dans le cadre : je voulais éviter les clichés."
(La Voix du Nord, 8 novembre).


François Cluzet, négatif de héros (DR).

Jean-François Pluijgers :

- "Si elle est assurément peu banale, l'histoire que porte Xavier Giannoli à l'écran s'inspire pourtant de faits réels. Passé l'étonnement - la ficelle est, de prime abord, un peu grosse, ce fond de vérité ne manque pas d'interpeller, tant s'y révèle un immense désarroi social sur lequel vient s'en greffer un autre, intime celui-là. Une situation dont A l'origine donne la mesure de façon sensible, en prise sur la réalité sans pour autant tomber dans la lourdeur démonstrative du film à message. C'est la vérité humaine que traque le réalisateur, dans un film porté aussi par un souffle romanesque incontestable. Et dont la mise en scène conjugue judicieusement l'âpreté du Nord à quelques élans lyriques de toute beauté.
Forte et frémissante à la fois, l'£uvre vibre encore de l'intensité de François Cluzet et Emmanuelle Devos, l'ensemble de la distribution étant d'ailleurs au diapason des intentions. Jusqu'à Gérard Depardieu qui, affichant 30 ans plus tard une dégaine à la Loulou , vient nous rappeler l'immense acteur qu'il demeure à condition d'être bien dirigé - ce qu'avait déjà éloquemment démontré Giannoli dans l'inoubliable Quand j'étais chanteur . C'est dire si A l'origine a tout d'un maître-film..."
(L’EXPRESS - Le Vif.be, 12 novembre 2009).


Frédéric Soto :

- "C’est l’histoire d’un petit escroc totalement dépassé par l’ampleur de son arnaque qui devient le bienfaiteur d’une ville toute entière en attente d’espoir et de renouveau économique.Ce long métrage est tenu par la qualité du casting – les acteurs ont beaucoup travaillé avec les victimes de ce fait divers – avec François Cluzet en tête qui nous livre sans nul doute l’un des plus beaux rôles de sa carrière. L’ambivalence entre sa culpabilité de l’appât du gain et son attirance de la solidarité collective des « gens du Nord » se lit sur son visage et dans ses longs silences hésitants. Son interprétation de Philippe Miller nous fait croire en l’être humain et François Cluzet nous emmène avec lui sur le chemin de « l’autoroute de la rédemption ».Quant aux seconds rôles, Stéphanie Sokolinski, en femme de chambre diplômée et comptable, est toute en justesse, tout comme Vincent Rottiers en voyou en quête de réinsertion et d’un modèle paternel.Malgré quelques longueurs – bien que le film ait déjà été amputé de 25 mn depuis le Festival de Cannes – Xavier Giannoli a réussi son pari en filmant l’alchimie entre un drame social et un thriller à l’atmosphère noire. Le spectateur sort envoûté et ravi de ce voyage."
(NORD-CINEMA.com, 11 novembre).


L'oeil de Xavier Giannoli à la caméra (Cadr. JEA/DR).

Jean-Luc Douain :

- "Construire une autoroute contre vents et pluies ou bâtir un Opéra en pleine jungle amazonienne : il y a du Fitzcarraldo (1982) d'Herzog chez ce Philippe Miller, mû par une quête que n'aurait pas désapprouvée John Huston, celle des conquérants en rébellion contre les éléments, déterminés à poursuivre leur quête blasphématoire, soûlés par l'épopée plus que par le butin. Miller transforme son périple de prospecteur d'or en croisade, il est "l'homme qui voulut être roi". Le conquistador d'une route n'allant "nulle part". Et qui distribue son magot à ses proies. "J'ai eu de la chance de les rencontrer" sera sa dernière phrase avant de disparaître. (…)
A l'origine raconte moins l'histoire d'une arnaque que la spirale qui entraîne l'usurpateur dans une sorte de rédemption, via l'alchimie du virtuel au réel. Giannoli fait exister une myriade de personnages "secondaires", qu'il enracine dans leur contexte géographique et social. Stéphanie Sokolinski fait une bien belle irruption dans le cinéma en femme de chambre d'hôtel propulsée comptable, Vincent Rottiers est parfait en voyou avide de réinsertion, Emmanuelle Devos est bouleversante dans le rôle du maire de la commune."
(Le Monde, 10 novembre).


Excessif.com :

- "Le réalisateur ne s'embarrasse pas de fioritures, filmant au plus près des hommes mais n'oubliant jamais de faire baigner ses images dans une atmosphère en lévitation. Avec sa musique synthétique, ses sonorités cristallines et ses nappes feutrées, Cliff Martinez participe grandement à ce sentiment et nous fait le même coup qu'avec sa sublime partition pour le Solaris de Steven Soderbergh. Enveloppé par ce mensonge incroyable, par une galerie de personnages secondaires caractérisés avec soin (mention spéciale à Gérard Depardieu et Soko), A l’origine envoûte par sa sincérité et emballe par sa densité dramatique. A l'origine, il y a un fait divers. Au final, il reste un grand film."
(s. d.)


Un cinéma qui n'est pas aux bottes du box office (DR).

Anthony Sitruk :

- "A l’origine, diamant brut qui élève le cinéma français à un niveau rarement atteint cette année, et certainement pas par les films dits populaires (au hasard Micmac à tire larigot ou Cinéman), est donc un grand film, un gros film, une épopée intimiste qui, sans laisser sur le bas côté un grand public adepte de divertissement et de grand frisson – et le film en est gorgé -, choisit de respecter ce public et de véhiculer autre chose qu’un spectacle décérébré. Si la durée du film passe donc sans trop de problème (on ne voit pas le temps passer, certains moments filant même à la vitesse d’un clip musical), c’est principalement grâce à ce respect qu’a le cinéaste pour un genre qu’il investit sans complexe, mais sans non plus de complaisance."
(FILMdeCULTE, s. d.)



jeudi 19 novembre 2009

P. 196. L'Opération Torch : 8 novembre 1942.

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En date du 9 novembre 1942, la une de "L'AVENIR". Pour une fois que la presse collabo parle de "résistance"... quans il s'agit de rejeter les Alliés à la Méditerranée (DR).

Une commémoration oubliée
et un fameux sac de noeuds historiques :
le débarquement allié en Afrique du Nord.

9 novembre 1989, le Mur de Berlin. Une commémoration jusqu'à la saturation. Avec du toc mais aussi de l'authentique. Cette mobilisation un peu barnumesque (quoique le Président Obama s'en abstint) occulta une autre date historique : le 8 novembre 1942. Le premier tournant dans le déroulement de la Seconde guerre mondiale sur d'autres fronts que celui de l'Est et encore plus que celui du Pacifique (sic)...

Personnellement, je m'interroge sans malice mais par réflexe professionnel sur les leçons que les professeurs d'histoire proposent à leurs classes sur cet événement clef de la guerre. Car la présentation de ce débarquement laisse perplexe par sa complexité, par les déchirements entre Français, par les coups tordus qui s'accumulèrent, par le comportement officiel et peu glorieux des Alliés...

Théoriquement, il y avait alors au moins deux France. Celle de Vichy avec un Pétain ayant officialisé la collaboration à Montoire (1). La majorité des colonies dépendaient de Gouverneurs et de Résidents généraux pratiquant sur place l'ordre nouveau. Et, en face, une France se voulant libre, avec un de Gaulle qui, dans un discours prononcé le 11 novembre 1942, résumait sa vision de l'unité française face aux occupants :

- "La masse du peuple français s'unit sur les trois impératifs suivants : l'ennemi, c'est l'ennemi ; le salut du pays n'est que dans la victoire ; c'est dans la France Combattante que toute la France doit se rassembler." (2)

Et pourtant... Ce débarquement sur les territoires de colonies françaises, de Gaulle n'en fut averti que trois heures auparavant !!! Et sa surprise fut totale. Sa colère aussi.
Les explications résident dans :
- la lassitude de Churchill face à un général français au caractère à tout le moins difficile et soupçonné d'anglophobie ;
- la réputation faite, à tort ou à raison, aux Français sur leur peu de fiabilité dans le respect d'un secret militaire à préserver (3) ;
- la main-mise américaine sur la direction des opérations, les Britanniques devenant des suiveurs ;
- le rejet que ne cesse d'éprouver et de manifester Roosevelt devant un de Gaulle notamment coupable à ses yeux d'être peu démocrate dans l'âme ;
- le travail de sape de Français prestigieux (4) qui, à Londres (André Labarthe, l'amiral Muselier...) ou aux USA (Camille Chautemps, André Maurois...), entretiennent leur opposition à ce de Gaulle suspecté de bien des vilénies, à commencer par une attirance pour la dictature...

Cet enregistrement authentique et in extenso en atteste. Le Président Rossevelt annonce donc aux Français le débarquement. Pas un mot, pas une critique contre Pétain et contre sa clique. Pas un mot, pas un encouragement pour la résistance française ni pour de Gaulle.
On ne s'en étonnera pas en restant à l'écoute de Roosevelt évoquant dans ces termes le général :

- "Je crains que le général de Gaulle ne tente aveuglément de s'imposer, lui et son Comité, aux Français par le moyen des armes étrangères ; donner son accord à une telle manoeuvre ne ferait que retarder la réorganisation finale de la France." (5)

GI's débarquant en Afrique du Nord, avant la Sicile, puis la Normandie (DR).

Un espoir fallacieux habitait les Américains : que les Vichystes d'Afrique du Nord les reçoivent, les acceptent d'autant mieux que de Gaulle était renvoyé à ses rêves de grandeur.
Il n'en fut rien.
Les combats durèrent trois jours. Pétain allait se montrer à la hauteur des espérances allemandes.
Il fallut ouvrir des cimetières militaires :
- 1346 cadavres du côté français (plus 1997 blessés) ;
- 479 dans les rangs alliés (720 blessés).
Ceci pour les côtes du Maroc et de l'Algérie. Quant à la Tunisie, celle-ci fut volontairement livrée aux Allemands, préférés aux Britanniques et aux Américains...

L'appel de Roosevelt resta donc sans effet. De même que celui de De Gaulle. Mortifié mais donnant la priorité à l'avenir de la France, le général avait parlé lui aussi à la BBC, le 8 novembre au soir :

- "Allons ! Voici le grand moment ! Voici l'heure du bon sens et du courage (...). Français de l'Afrique du Nord, que par vous nous rentrions en ligne d'un bout à l'autre de la Méditerranée et voilà la guerre gagnée grâce à la France !" (6)

On ne manquera pas de noter que le général rend aux Alliés la monnaie de leur pièce. Silence radio sur eux mais l'annonce d'une "guerre gagnée grâce à la France" à l'heure même où... des soldats français tirent sur des GI's, sur des avions et des bateaux britanniques !!!

Première page du "Cri du Peuple", le 9 novembre 1942. Organe de presse de Doriot (7). (DR)

Les Américains possèdent en outre un joker contre de Gaulle.
Le 17 avril 1942, le général Giraud (8) s'est évadé de la forteresse de Königstein en Allemagne. Reprenant des forces en zone dite "libre", ayant répété sa sujétion publique à Pétain, il est contacté par les Alliés. Ne doutant de rien, Giraud demande un débarquement simultané en France et en Afrique du Nord. Plus le haut commandement des troupes. Britanniques et Américains lui proposent seulement de les rejoindre en contrepartie d'une reconnaissance comme principal collaborateur. Un sous-marin anglais va le retirer au Lavandou, le 7 novembre...
Giraud arrive à Alger le 9. Pour ce qui est d'humilier encore plus de Gaulle, la partie est gagnée. Détail supplémentaire : Giraud eut sous ses ordres un certain colonel de Gaulle qu'il s'ingéniait à n'appeler hautainement que "Gaulle".

L'amiral Darlan. En imagerie style Epinal : "Honneur et Patrie - Valeur et Discipline". Et dans la réalité de la collaboration : répondant aux saluts nazis lors de sa réception par Hitler à Berchtesgaden, en mai 1941 (Mont. JEA / DR).

Le mécanisme un rien machiavélique imaginé par les Alliés va se détraquer. Car un hasard (l'hospitalisation de son fils pour polio) veut que l'amiral Darlan, se prétendant et considéré comme le dauphin même de Pétain, soit à Alger le 7 novembre.
Plutôt que de s'en débarrasser, ceux qui débarquent pour "libérer" l'Afrique du Nord, vont laisser Darlan entrer dans leur jeu. Un double jeu. Qui va durer. Car Radio Rabat le répétait encore le 2 décembre 1942 :

- "Le chef de la Nation française est depuis juin 40 le Chef de l'Etat (...). Oui, si loin que vous soyez, Monsieur le Maréchal, vous demeurez pour nous le drapeau vivant, la vivante incarnation de la Patrie." (9)

- "L'amiral Darlan représentant la souveraineté française, exerce les fonctions et prérogatives du Chef de l'Etat en Afrique française." (10)

Darlan affirme être couvert par Pétain mais dans même mouvement de manche, il frotte celle des Américains. Qui s'en accommodent. Roosevelt est aussi explicite que scandaleusement cynique :

- "J'ai bien fait de prendre Darlan, j'ai sauvé des vies américaines (...). L'important pour moi est d'arriver à Berlin, le reste m'est indifférent. Darlan me donne Alger, vive Darlan ! Si Laval me donne Paris, vive Laval (11) !
(...) Tant que les Etats-Unis seront la puissante occupante en Afrique du Nord, les décisions finales appartiendront à la puissance occupante." (12)

Les Français combattants de Londres, ceux de la résistance en France n'en croient pas leurs yeux. La BBC n'a cessé de l'insulter : "Un amiral signé Darlan...Est garanti pro-allemand". Et encore : "Qui trahit la France ? C'est Darlan ! C'est Darlan !" Et l'amiral les nargue depuis Alger, sous protection américaine. Qui plus est, Giraud se met sous ses ordres.
Les correspondants de guerre américains dénoncent le maintien de 25.000 antifascistes français dans les prisons et dans les camps de concentration nord-africains. Sans oublier les "lois d'Etat" promulguées "au nom du Maréchal" et qui restent toutes d'application. Un exemple : la perte de la nationalité française pour les juifs du Maroc ou d'Algérie...
Les journaux de Londres relaient l'opinion publique britannique. L'hypocrisie est trop révoltante.
La Tribune : "Quelle Europe voulons-nous ? Une Europe construite par des rats pour des rats ?" (13 novembre 1942).
Le Times : "Peu de gens apprécient qu'on accorde un statut éminent à un homme qui a maintes fois proclamé la nécessité de collaborer avec les ennemis de la Grande-Bretagne, de l'Amérique et de la France elle-même." (16 novembre).

Churchill lui-même finira par craquer devant la Chambre réunie en comité secret le 10 décembre :
- "S'il {Darlan} devait faire fusiller le maréchal Pétain, il le ferait sans doute au nom du maréchal Pétain !"

En résumé, un peu glorieux gâchis. Gâchis accentué par une tentative de putch le 8 novembre 1944 à Alger (environ 400 jeunes, dont les deux-tiers de juifs, s'imaginant que le débarquement va renverser le Vichysme à la sauce nord-africaine). Un échec qui servit néanmoins à détourner l'attention des autorités alors que les Américains débarquaient. Et un gâchis toujours quand il fut brèvement envisagé de donner le pouvoir au Comte de Paris...

De ce 8 novembre 1942, comment s'étonner des oublis ? Un passé terriblement imparfait et décomposé...

NOTES :

(1) Rencontre Hitler - Pétain, le 24 octobre 1940.

(2) Ch. de Gaulle, Discours et Messages, T. I Pendant la Guerre (juin 1940 - janvier 1946), Plon, p. 233-240.

(3) Le même motif fut ressorti des cartons alliés pour le débarquement de Normandie.

(4) André Labarthe (1902-1967), directeur à Londres de la France Libre, organe de presse hostile à de Gaulle.

Emile Muselier (1882-1965). Amiral responsable de l'organisation des Forces navales françaises libres. A partir de septembre 1941, s'est opposé de plus en plus durement à de Gaulle qu'il voulut même placer sous ses ordres. On connaît l'issue du conflit. L'amiral Muselier finit dans un placard de l'histoire.

Camille Chautemps (1885-1963). Ancien Président du Conseil de la 3e République. Ancien ministre du Front Populaire. Se laissa payer par l'ambassade de Vichy à Washington...

André Maurois (1885-1967). De son vrai nom Emile Herzog. Ecrivain respecté aux USA notamment après son Histoire d'Angleterre et des Etats-Unis.

(5) Milton Viorst, Les Alliés ennemis, De Gaulle - Roosevelt, Denoël, p. 3.

(6) Jean-Louis Crémieux-Brillac, La France Libre I, folio histoire, p. 558.

(7) Jacques Doriot (1898-1945). Passé du communisme au fascisme avec ses armes et ses bagages. Fondateur du Parti populaire français. Mort sur les routes de son exil allemand.

(8) Henri Giraud (1879-1949). Stratège militaire politiquement proche de l'Action française. Ce qui le pousse à des avis aussi éclairants : "C'est le Front populaire qui a appris au peuple de France la paresse sous le nom pompeux de Loisirs". Life Magazine, janvier 1943.

(9) Archives nationales d'outre-mer, Aix-en-Provence. Fonds Thierry, 19 APOM/4.

(10) Service historique de l'armée de terre, Vincennes. 4P/35.

(11) Pierre Laval (1883-1945). Président du Conseil sous la 3e République. Vice-président du Conseil sous Pétain, de juin à décembre 1940. Chef du gouvernement de Vichy d'avril 1942 à août 1944. Fusillé après la libération.

(12) Ch. de Gaulle, L'Unité, Plon, pp 408-421.


mardi 17 novembre 2009

P. 195. Retour au noir et blanc


Photos d'avant l'hiver ardennais

Nuages sur mon village (Photo JEA / DR).

Ils se rassemblent
comme des oiseaux migrateurs
avant de quitter le continent
ou tels les glaçons
d'une banquise en débandade
dérivent vers leur disparition
ou ressemblent à autant de pétales
s'abandonnant aux courants d'airs...

Erable... ardennais (Photo JEA / DR).

Un arbre
dans la bibliothèque
du jardin
avec longue préface savante
mais aussi table des matières premières
index de noms impropres
et de lieux non communs.

Torchis (Ph. JEA / DR).

Opération à coeur ouvert
façade fendue
respiration artificielle
lumières aussi
scalpels
elle s'éveillera bien
plus tard
et s'émerveillera
des soupirs de soulagement
des oiseaux.

Au Pavillon (Ph. JEA / DR).

Petit, je comprenais :
"pays con en chênes"
(et je me révoltais
par amour des arbres
sans conter
les champignons humés

et les écureuils libérés)
mais les adultes ajoutaient :
"pays libéré de ses chaînes"
(et là, ils précisaient
que la bête venait de mourir
pour toujours).
Ensuite, cependant :
l'Espagne, le Portugal, la Grèce,
le Chili...
et tous ces autres horizons
que je ne dépasserai jamais
mais qui font la fortune
des marchands d'anneaux
de pipeaux, de drapeaux.

Traces d'été (JEA / DR).

C'est assez étrange
d'avoir pu porter tant d'ombres
à tant de gens irritables
alors que même un briquet
à amadou
n'a jamais déformé
mes poches
pas plus que des allumettes
si dérisoires pour
déclarer sa flamme.


Tourterelle de Turquie (Ph. JEA / DR).

C'est une façade livide de ville
sans plus d'habitants que mon village
avec en théorie le soleil
en mille fois plus tartarin
mais en pratique les mêmes gelées
sidérantes
et des années lumières pour trouver du pain
une femme solitaire
y propose des livres
introuvables ailleurs
sur d'improbables ici
et des appeaux à tourterelles
pour dialoguer faute de grivoises.

Cahier personnel (Ph. JEA / DR).

Plus d'encre que de craie
d'au revoir que de détours
de paroles que de banderoles
de lève-tôt que de vantard...