Dans la main droite de Paul Claudel, le buste de sa soeur, Camille Claudel, par Rodin (Graph. JEA / DR).
Hymnes, odes et autres encensoirs...
Parmi les bruits du monde, cette dépêche de l'AFP :
- "Le poète et écrivain Sergueï Mikhalkov, qui a notamment rédigé l'hymne soviétique sous Staline puis l'hymne de la Russie indépendante, est mort jeudi à l'âge de 96 ans.
Sergueï Mikhalkov écrivit ainsi les paroles entonnées par les Soviétiques sous Staline, puis l'hymne déstalinisé, après la mort de celui-ci et la condamnation du culte de sa personnalité en 1956, avant de rédiger, toujours sur la même musique, l'hymne à la gloire de la Russie indépendante."
(AFP, 27/8, 12h44).
Et oui, le même "poète" a seulement changé de plume. Un encrier rouge vif avec étiquette marquée de faucille et de marteau pour Staline. Puis une bouteille de rosé imbuvable pour la fin de la dictature et enfin du tricolore faussement démocratique à la Poutine. Ce qui donne des vers forcément immortels du style :
- "Des mers du sud au cercle polaire
S'épanouissent nos forêts et nos champs.
Tu es seule sur la terre ! Tu es unique !
Terre natale gardée par Dieu."
La presse occidentale n'a pas manqué d'ironiser sur ce Sergueï Mikhalkov girouette faisant ses pirouettes politico-poétiques avec des vers cacahuètes. Piètre pitre aux épitres pitoyables.
Mais à moins d'avoir la mémoire courte, voire sélective, montent sur les plages de la littérature française d'autres marées noires de poésie polluée. Sur ces pages se dessinent d'autres silhouettes de cireurs de chaussures, de marchands d'encens, de légionnaires opportunistes de l'honneur.
Par l'intermédiaire du Figaro, l'exemple de Paul Claudel est tristement célèbre. Son annonce faite à Pétain - auquel il substitua tout simplement de Gaulle quand tournèrent les vents - relève de la flagornerie la plus platement désespérante.
"France, écoute ce vieil homme sur toi qui se penche et qui te parle comme un père"... (DR).
Claudel, Le Figaro, 10 mai 1941 :
- "Monsieur le Maréchal, voici cette France entre vos bras, lentement
qui n'a que vous et qui ressuscite à voix basse.
II y a cet immense corps, à qui le soutient si lourd et qui pèse de tout son poids.
Toute la France d'aujourd'hui, et celle de demain avec elle, qui est la même qu'autrefois !
Celle d'hier aussi qui sanglote et qui a honte et qui crie tout de même elle a fait ce qu'elle a pu !
C'est vrai que j'ai été humiliée, dit-elle, c'est vrai que j'ai été vaincue.
II n'y a plus de rayons à ma tête, il n'y a plus que du sang dans de la boue.
II n'y a plus d'épée dans ma main, ni l'égide qui était pendue à mon cou.
Je suis étendue tout de mon long sur la route et il est loisible au plus lâche de m'insulter.
Mais tout de même il me reste ce corps qui est pur et cette âme qui ne s'est pas déshonorée!
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Monsieur le Maréchal, il y a un devoir pour les morts qui est de ressusciter.
Et certes nous ressusciterons tous au jour du jugement dernier.
Mais c'est maintenant et aujourd'hui même qu'on a besoin de nous et qu'il y a quelque chose à faire ! France, écoute ce vieil homme sur toi qui se penche et qui te parle comme un père.
Fille de Saint-Louis, écoute-le !
Et dis, en as-tu assez maintenant de la politique (1) ?
Cette proposition comme de l'huile et cette vérité comme de l'or..."
Au suivant... A noter que si le graphisme de celle-ci est plus "moderne", la composition des deux affiches présente un parallélisme évident : les trois couleurs nationales en fond, le héros dressé à droite et se tournant vers la jeunesse respectueuse (DR).
Paul Claudel, Le Figaro, 23 décembre 1944 :
- "Tout de même, dit la France, je suis sortie !
Tout de même, vous autres ! dit la France, vous voyez qu'on ne m'a pas eue et que j'en suis sortie ! Tout de même, ce que vous me dites depuis quatre ans, mon général, je ne suis pas sourde !
Vous voyez que je ne suis pas sourde et que j'ai compris !
Et tout de même, il y a quelqu'un, qui est moi-même, debout ! et que j'entends qui parle avec ma propre voix !
VIVE LA FRANCE ! II y a pour crier : VIVE LA FRANCE ! quelqu'un qui n'est pas un autre que moi ! Quelqu'un plein de sanglots, et plein de colère, et plein de larmes ! ces larmes que je ne finis pas de reboire depuis quatre ans, et les voici maintenant au soleil, ces larmes ! ces énormes larmes sanglantes !
Quelqu'un plein de rugissements, et ce couteau dans la main, et ce glaive dans la main, mon général, que je me suis arraché du ventre !
Que les autres pensent de moi ce qu'ils veulent !
Ils disent qu'ils se sont battus, et c'est vrai !
Et moi, depuis quatre ans, au fond de la terre toute seule s'ils disent que je ne me suis pas battu, qu'est-ce que j'ai fait ?
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Et vous, monsieur le Général, qui êtes mon fils, et vous qui êtes mon sang, et vous, monsieur le soldat ! et vous, monsieur mon fils, à la fin qui êtes arrivé !
Regardez-moi dans les yeux, monsieur mon fils, et dites-moi si vous me reconnaissez !
Ah! c'est vrai, qu'on a bien réussi à me tuer, il y a quatre ans ! et tout le soin possible, il est vrai qu'on a mis tout le soin possible à me piétiner sur le cœur !
Mais le monde n'a jamais été fait pour se passer de la France, et la France n'a jamais été faite pour se passer d'honneur!
Regardez-moi dans les yeux, qui n'ai pas peur, et cherchez bien, et dites si j'ai peur de vos yeux de fils et de soldat !"
Fermez le ban (2) !
NOTES :
(1) Claudel participa au banquet de celles et de ceux qui fêtèrent joyeusement la chute de la République :
- "Ma consolation est de voir la fin de cet immonde régime parlementaire qui, depuis des années, dévorait la France comme un cancer généralisé. C'est fini... de l'immonde tyrannie des bistrots, des francs-maçons, des métèques, des pions et des instituteurs..."
(Journal, 10 septembre 1940).
(2) En 1943, Paul Claudel avait laissé mettre à la fosse commune du cimetière de Montfavet, le corps de Camille. Celui-ci ne fut pas réclamé par sa famille.