Amos Oz
Scènes de vie villageoise
Gallimard nouvelles, 2009, 203 p.
Présentation de Gallimard :
- "Nous voici à Tel-Ilan, un village centenaire fondé par les pionniers bien avant la création de l'Etat d'Israël.Une petite communauté y vit entourée de vignes et de vergers, et la vie semble s'écouler paisiblement. Depuis quelque temps pourtant, les gens de la ville envahissent les rues du bourg au moment du shabbat et, avec eux, la spéculation immobilière et la vulgarité. Mais Pessah Kedem, ancien membre de la Knesset, est un vieillard inquiet pour d'autres raisons. Il n'aime pas le jeune étudiant arabe que sa fille Rachel héberge dans l'annexe au fond de la cour et, surtout, il est convaincu que quelqu'un creuse sous sa maison la nuit.L'agent immobilier Yossi Sasson, lui, convoite depuis longtemps la maison de Batya Rubin, une des plus vieilles du village, et lorsque la fille de la propriétaire l'invite non seulement à la visiter de fond en comble, mais se montre très affectueuse à son égard, il croit déjà toucher au but. Sauf que... Kobi Ezra, lui, cherche à surmonter la timidité de ses dix-sept ans pour séduire la jolie bibliothécaire du village, pendant que Gili Steiner, médecin remarquable et célibataire endurcie, attend en vain l'arrivée de son neveu Gideon, dont elle a pourtant cru trouver le manteau clans le dernier car arrivé de la ville.Quant au maire du village, Beni, il ne comprend pas pourquoi sa femme lui a fait remettre une note contenant seulement ces mots : " Ne t'inquiète pas pour moi" ...
En huit nouvelles qui se lisent comme un roman, Amos Oz fait surgir une société villageoise imaginaire. Un décor unique et des personnages récurrents lui permettent de tendre un miroir à nos passions, nos doutes, nos misères et nos joies. Son écriture oscillant entre tendresse, mélancolie et âpreté serre de très près la fragilité de nos vies, et sa manière subtile de nous plonger clans une comédie humaine, certes très israélienne mais surtout universelle, confirme une fois de plus son immense et incomparable talent."
Première phrase, p. 11 :
- "L’inconnu n’était pas un inconnu".
Et autant le confirmer sans plus tarder, lire ce tout début suffit à me faire craquer.
Amos Oz a involontairement donné son nom à l'un des ports en eaux profondes de ma bibliothèque.
Après de longues et parfois inutiles navigations, après des naufrages pas toujours rigolos, après des retraites sur des îlots quasi abandonnés, après des temps morts dans les algues des déceptions, après des évasions fulgurantes comme des étoiles filantes, après le sauvetage de plages engluées, après le recensement toponymique de dunes nomades, après le carrousel des mouettes délirantes, après des bains de brumes, après le relevé de casiers où se dissimule l'un ou l'autre crabe hypocrite, après un week-end loin de Zuydcoote, après bien des vagues mais pas à l'âme, après le sel de la mer plein les poumons, après les chants hallucinants des sirènes, après les messages d'un phare automate, revenir lire un Amos Oz et se sentir encore envies de vie...
Ses dernières nouvelles parviennent de la terre presque ferme, celle d'un village mosaïque. Pour vous glisser dans Tel-Ilan, voici quelques itinéraires, quelques ruelles. Bon voyage et douce lecture !
Amos Oz, enfant - adulte (Mont. JEA / DR).
Brume :
- "Des nappes de brume s’étiraient dans les cours. Il crut sentir deux ou trois gouttes de pluie sur son visage. Il n’en était pas sûr. Au fond, que lui importait ? Il pensa voir un oiseau perché sur une clôture. En s’approchant, il découvrit une boîte de conserve vide."
(P. 144).
Crépuscule :
- "Les dernières lueurs du crépuscule vacillaient au bout de la rue pour me faire signe de venir ou, à l’inverse, m’inciter à m’enfuir à toutes jambes. Les ombres des grands pins et des haies entourant le jardin s’allongeaient dans la rue. Elles n’étaient pas immobiles, mais se mouvaient, se penchaient comme pour trouver un objet perdu. Quand les réverbères s’allumèrent un peu plus tard, loin de reculer, elles ondulèrent à la brise agitant les cimes – on aurait dit qu’une main invisible les mélangeait, les malaxait."
(PP. 107-108).
Gouverneurs :
- "Avant mon arrivée, il y a un quart de siècle ou plus, le village avait reçu la visite du gouverneur du district, accompagné de son escorte (…). Des officiers et leurs secrétaires, des arpenteurs, des religieux, des juristes, un chanteur, un historien officiel, un ou deux intellectuels, un astrologue et les agents de seize services secrets l’escortaient. Le gouverneur avait dicté ses instructions : creuser, dévier, assécher, arracher, assainir, répandre, retirer, moderniser et tourner la page.
Depuis, il ne s’était rien passé.
Au-delà du fleuve, des forêts et des montagnes, plusieurs gouverneurs se sont succédé, à ce qu’on dit. L’un a été limogé, un autre évincé, un troisième a commis un impair, un quatrième a été assassiné, un cinquième emprisonné, un sixième a retourné sa veste, un septième s’est sauvé, ou reposé sur ses lauriers. Ici, rien n’a changé."
(PP. 198-199).
Homme :
- "Quand il entonna « Car je crois en l’homme », on aurait dit que, accablé de tristesse, il exprimait par ces mots une pensée nouvelle, bouleversante, inédite."
(P. 182).
Sèche-linge :
- "Un sèche-linge électrique ? éructait le vieillard. A quoi ça sert ? Le soleil est-il à la retraite ? Les cordes à linge se seraient-elles converties à l’islam ?"
(P. 59).
La version espagnole de "Comment guérir du fanatisme" (DR).
Shoah :
- "Des années durant, nous avions compté parmi nous, à Tel-Ilan, le célèbre écrivain Eldad Rubin – un invalide en fauteuil roulant, auteur de gros volumes sur la Shoah, dont il n’avait pas souffert, ayant vécu toute sa vie au village, à l’exception d’un voyage d’études à Paris dans les années cinquante (…). J’ai bien essayé à une ou deux reprises de me plonger dans les écrits d’Eldad Rubin, mais ce n’était pas ma tasse de thé : atmosphère trouble, déprimante, intrigue qui s’essoufflait, et les personnages étaient d’une tristesse ! Pour ma part, je préférais les suppléments économiques des journaux, la politique ou un bon polar."
(P. 100).
Soir :
- "Le soir tombait. Un oiseau lança deux appels. Que signifiaient-ils ? Nul ne le savait. Un coup de vent passa. Quelques vieux sortirent des chaises au-dehors et s’installèrent sur le seuil de leurs maisons pour observer les passants. De temps à autre, une voiture surgissait pour disparaître au virage. Une femme regagnait lentement son domicile, un sac d’épicerie à la main. Une meute d’enfants déchaînés envahit la rue. Leurs braillements s’affaiblirent à mesure qu’ils s’éloignaient. Un chien aboya, en réponse à un congénère derrière la colline. Le ciel pâlit, tandis qu’à l’ouest on percevait encore les rayons du crépuscule entre les ombres des cyprès. Les montagnes s’assombrissaient dans le lointain."
(P. 149).
Vieux couples :
- "Entre Rachel et lui régnait l’armistice ordinaire propre aux vieux couples, une fois que les querelles, les humiliations, les séparations temporaires leur eurent appris à examiner avec précaution chaque empreinte de pas et à contourner les champs de mines balisés. Cette prudence ressemblait assez, vue de l’extérieur, à une réconciliation laissant place à une sorte d’amitié sereine, de celles qui s’instaurent parfois entre les soldats de deux armées ennemies, se mesurant à quelques mètres de distance, enlisés dans une interminable guerre de tranchées."
(P. 73).
Village :
- "C’était un village somnolent, vieux d’un siècle au moins, avec ses grands arbres, ses toits rouges et ses exploitations agricoles, transformées pour la plupart en caves à vins de production artisanale, d’olives épicées, de fromages fermiers, de condiments exotiques, de fruits rares et de macramés. Les anciens bâtiments avaient été convertis en petites galeries exposant des objets d’art importés, des jouets décoratifs africains, du mobilier indien, vendus à des visiteurs venus en voiture, le shabbat, pour y dénicher des trouvailles censées être originales et raffinées."
(PP 54-55).