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Colette journaliste, Chroniques et reportages 1893-1955,
Texte établi, présenté et annoté par Gérard Bonal et Frédéric Maget,
Seuil, 2010, 371 p.
Juin 1935 :
Colette
(d)écrit pour Le Journal
sa découverte de New-York...
4e de couverture :
- « Il faut voir et non inventer », telle fut la règle de Colette journaliste. Qu’elle raconte le procès d’un tueur en série, la traversée inaugurale du paquebot Normandie, l’humble vie des femmes, à l’arrière, pendant les deux guerres mondiales, ou celle des bêtes ou des enfants, c’est le même regard que Colette porte sur les êtres : libre, curieux, aigu, direct. Une façon de percevoir le monde à travers les sens qui n’appartient qu’à elle.
Grande ouvrière des lettres, Colette fut aussi pendant un demi siècle une infatigable journaliste et sans doute l’écrivain du XXe siècle qui aura consacré le plus de temps à la presse : Le Matin, Le Figaro, Le Journal, Paris Soir, Marie-Claire… Elle a collaboré à des dizaines de journaux, rédigé chroniques et reportages, toute sa vie, avec la régularité et la rigueur d’une grande professionnelle. Et le talent d’un immense écrivain.
Cent trente articles resurgissent aujourd’hui des archives de la presse française. Un pan entier de l’œuvre et le plus grand ensemble d’inédits publiés depuis la mort de l’écrivain."
Bernard Pivot :
- "Bel écrivain, Colette a été aussi, on le sait moins, une journaliste de renom, collaborant pendant plus d’un demi-siècle à une ribambelle de quotidiens, d’hebdomadaires et de magazines. Sa signature était recherchée. Plus encore son talent de reporter et de chroniqueuse, de courriériste et de critique dramatique, de portraitiste et de billettiste d’humeur. Journaliste pigiste pour gagner de l’argent, oui, c’est vrai, mais surtout parce qu’elle aimait ça. Gérard Bonal et Frédéric Maget, deux spécialistes de Colette, qui ont fait le choix des articles rassemblés dans le volume, ont raison de parler d’une sorte de jubilation" à écrire dans la presse.
(…)
Son "coup de foudre" pour New York, ses impressions sur la ville, sont plus intéressants que le récit mièvre de la première traversée de l’Atlantique par le paquebot Normandie. Sa curiosité est toujours en éveil; son indignation, toujours prompte à se manifester."
(JDD, 17 avril 2010).
Colette, 1 juin 1935 :
- "J'AI VOULU VOIR la Normandie pour moi seule. Je reconnais à présent que ce n'est pas facile, même en quittant dès l'aube le lit et la cabine. Par ces longs jours, l'aube est sans mystère. Le rouge profond, austère, la sanguine et déchirante couleur de presque toutes les naissances qui dénonce l'approche du soleil se change vite en or, et les nuages fuselés, immobiles au ras de la mer, réchauffés, s'allègent et s'envolent."
(P. 148).
3 juin :
- "JAMAIS PLUS nous ne reverrons cela, jamais plus nous ne l'oublierons. Nous sommes encore à la Quarantaine, mais d'un élan la ville impatiente est venue au-devant de nous. Un vol d'avions multicolores, d'autogyres nous environne, nous fête, nous couvre de pétales de papier. La mer autour de nous balance autant de coques qu'elle a de vagues. La foule humaine, chargeant les ponts, et les sirènes mêlent leurs cris, des lambeaux de Marseillaise palpitent dans le vent, cueillis au passage par nos coeurs, salués par nos voix qui s'enrouent (...).
Derrière une brume bleue, le groupe de géants se lève, grandit peu à peu, crève de la tête la brume, offre au soleil des fronts dont aucun édifice humain n'égala la hardiesse."
(PP. 150-151).
Le paquebot Normandie à New-York, il n'est hélas pas utile de cliquer sur la photo pour agrandir cette vue aérienne et apercevoir la plume de Colette (DR).
5 juin :
- "Un crépuscule orageux, d'un bleu épais et sans éclaircies, descend sur la ville inconnue dont je voudrais voir éclore la première étoile. Mais il n'y a pas de première étoile à New-York.
Par serpents de feu, par constellations rectangulaires, par éclipses, résurrections, par sphères rouges, en grappes chiffrées de phosphore bleu volcanique, annonces du jugement dernier, chemins célèstes jalonnés de perles, par jets, gouttelettes, cascades, par astres et chevelures, par chutes de bonbons d'un rose igné, par violet infernal et vert de printemps, la nuit s'est manifestée, soudaine, en catastrophe de lumière."
(P. 152).
7 juin :
- "Peu à peu les dernières vapeurs montent, un vif rayon désigne une toute petite Normandie amarrée au loin et rend visible toute la cité.
Claire, soulevée seulement par les sursauts violents d'une architecture verticale, sa beauté évidente procède du quadrilatère et méprise résolument la géométrie qui s'écarterait de l'angle droit.
L'oeil l'explore et ne s'y perd point, l'esprit n'y prend pas la fièvre, mais j'apporte du vieux monde l'habitude et la soif des lignes courbes. Un dôme, un cirque, une spirale, un sentier en lacet, que sais-je ? un miroir d'eau ovale, donnez-moi une courbe quand ce ne serait que la courbe arrondie d'un jet d'eau."
(P. 153).
10 juin :
- "Je ne saurais me plaindre d'un Harlem un peu embourgeoisé, taché çà et là de blanc et refroidi par un vent glacial qui nous jetait au visage une poussière d'eau, par une lune croissante au tranchant terne qui fendait les nuées.
Et le Savoy {salle de bal} languissait, à demi plein. Nous n'en jugions que mieux de la qualité des danseurs noirs et de leur isolement au sein d'une calme et profonde épilepsie.
Le lieu a sa beauté, nourri de musique par un jazz excellent derrière lequel une toile de fond déroule un ciel bleu et des nuages peints. Sa nouveauté est justement cette sorte de satisfaction érotico-familiale que les noirs y goûtaient avant-hier. Solidement liés de la joue aux lombes, ils semblaient déléguer à leurs jambes le soin de danser et rêvaient loin d'elles."
(P. 156).
Colette rêvant du Normandie (Mont. JEA / DR).
22 commentaires:
"Donnez-moi une courbe quand ce ne serait que la courbe arrondie d'un jet d'eau" - votre beau photomontage lui en donne !
peut être ce qui vieillit le moins dans son oeuvre, rééquilibrer
Je n'ai pas lu ses articles de presse. Je vais m'y intéresser.
@ Tania
un montage qui manque de nuances du fait de mes limites techniques...
@ brigetoun
une écriture, pour le journalisme, quasi disparue aujourd'hui (je me souviens de mes débuts et des hurlements de la rédaction face aux phrases bien balancées...)
@ Anna de Sandre
Si je puis dégager ma responsabilité car tout n'est pas incroyablement passionnant...
Savoureuse Colette !
Danièle Duteil
D'elle, aucun article sur l'une ou l'autre île... On y voyage parfois plus loin que sur un paquebot.
A ma connaissance, non.
Ile ou pas, à chaque tête ses voyages...
"..en catastrophe de lumières". Rien à ajouter, on voit tout, c'est parfait.
@ Danièle Duteil
Confirmation : parmi les articles rassemblés dans ce volume, aucun n'est imprégné de l'air iodé d'une île...
@ colo
ayant peut-être une part aussi déduite soit-elle dans votre choix de "blogspot" pour votre transfert...
cette angoisse : sur les trois blogs que j'anime parallèlement sur "blogspot", l'un vient d'être piraté
soit un changement de contenu à mon insu
je ne sais encore si c'est pas viol du mot de passe ou via mon ordinateur
ceci à titre de mise en garde
Vous faites bien, JEA, d'afficher Colette en une, il n'y a pas si longtemps remise à l'affiche par un essai lumineux de Julia Kristeva.
http://www.amisdecolette.fr/-Le-Genie-feminin-III-Colette-
J'aime beaucoup le montage photo, portrait en transparence de Colette et Normandie "debout sur ses paupières" (pour parodier quelqu'un !).
@ Chr. Borhen
La haine, hélas, vous connaissez.
En ce moment, je partage ce privilège avec des agressions via internet sur un autre blog et sur mon ordi.
@ Danièle Duteil
Grand merci pour votre regard qui n'est pas chargé d'orages destructeurs...
Des actes de malveillance déplorables. Bon courage.
@ Danièle Duteil
Je vous laisse imaginer quand vous découvrez que le contenu d'un blog est modifié par une tierce personne qui vous veut tout sauf du... bien.
Quelle époque, quelle approche, quelle plume ! Cette découverte fait rêver, donne des ondes positives... aptes à neutraliser "les orages déstructeurs".
J'imagine tout à fait ce que ce genre de découverte peut peut avoir de déstabilisant.
Je parlais de la "découverte" de New-York bien sûr... votre commentaire qui précède le mien n'ayant pas été publié au moment où j'écrivais le mien.
Ne vous laissez pas déstabiliser, les orages sont éphémères.
Cela me fait penser à un petit livre de Françoise Sagan sur New York, reprenant un reportage qu'elle avait réalisé (après Sartre pour "France-Soir" !) pour un hebdo féminin, "Elle" sans doute, puisqu'il y avait un rapport avec Lazareff dans tout ça.
Colette et Sagan ont été des femmes libres, les yeux ouverts.
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