Pour débuter par la (presque) conclusion :
- "J'ai raconté quelques événements extérieurs, mais comment communiquer l'impression qu'ils m'ont laissée ! Tout pour moi est étroitement mêlé à des visions, des odeurs, des sons, que les mots sont impuissants à rendre : l'odeur des tranchées, les levers du jour sur des horizons immenses dans les montagnes, le claquement glacé des balles, le rugissement et la lueur des bombes; la pure et froide lumière des matins à Barcelone, et le bruit des bottes dans les cours de quartiers, en décembre, au temps où les gens croyaient encore à la révolution; et les queues aux portes des magasins d'alimentation, et les drapeaux rouge et noir, et les visages des miliciens espagnols; surtout les visages des miliciens - d'hommes que j'ai connus au front et qui sont à présent dispersés et Dieu sait où, les uns tués dans la bataille, d'autres mutilés, certains en prison; la plupart d'entre eux, je l'espère, encore sains et saufs. Bonne chance à eux tous ! J'espère qu'ils gagneront leur guerre et chasseront d'Espagne tous les étrangers, les Allemands, les Russes et les Italiens. Cette guerre, à laquelle j'ai pris une part si inefficace, m'a laissé des souvenirs qui sont pour la plupart de mauvais souvenirs, et cependant je ne puis souhaiter ne pas en avoir été. Quand on a eu un aperçu d'un désastre tel que celui-ci - car, quelle qu'en soit l'issue, cette guerre d'Espagne, de toute manière, se trouvera avoir été un épouvantable désastre, sans même parler du massacre et des souffrances physiques -, il n'en résulte pas forcément de la désillusion et du cynisme. Il est assez curieux que dans son ensemble cette expérience m'ait laissé une foi, pas seulement non diminuée, mais accrue, dans la dignité des êtres humains."
(PP 232-233).
Les défenseurs de la République montent pour la première fois au front :
- "On ne peut s'imaginer à quel point nous avions l'air d'une cohue. Nous marchions à la débandade, en gardant beaucoup moins de cohésion encore qu'un troupeau de moutons; avant d'avoir fait deux kilomètres, l'arrière-garde de la colonne fut hors de vue. Et une bonne moitié de ces soi-disant hommes étaient des enfants - j'entends bien littéralement, des enfants de seize ans au plus. Et cependant, ils étaient tous heureux et ne se sentaient pas de joie à la perspective d'être enfin sur le front. Comme nous en approchions, les jeunes garçons qui, en tête, entouraient le drapeau rouge, se mirent à crier : "Visca P.O.U.M. ! - Fascistas-maricones !" etc. Ils s'imaginaient pousser des clameurs guerrières et menaçantes, mais sortant de ces gosiers enfantins, elles produisaient un effet aussi attendrissant que des miaulements de chatons. Il me semblait affreux que les défenseurs de la République, ce fût cette bande d'enfants en guenilles portant des fusils hors d'usage et dont ils ne savaient même pas se servir !"
Cette guerre-là :
- "C'était une vie singulière que nous vivions - une singulière façon d'être en guerre, si on peut appeler cela la guerre. Tous les miliciens sans exception lançaient des brocards contre l'inaction et continuellement demandaient à cor et à cri qu'on leur dît pour quelle raison on ne nous permettait pas d'attaquer. Mais il était on ne peut plus clair que longtemps encore il n 'y aurait aucune bataille, à moins que l'ennemi ne commençât. Georges Kopp (1), lors de ses tournées d'inspections périodiques, nous parlait sans ambages : "Ce n'est pas une guerre, disait-il souvent, c'est un opéra-bouffe avec morts."
(P. 48).
- "Tout de cette période est demeuré dans mon souvenir avec une netteté singulière. Je revis par la pensée des incidents qui pouvaient paraître trop insignifiants pour valoir la peine qu'on s'en souvint. Me revoici dans la cagna du Monte Pocero, sur la saillie de calcaire qui me tenait lieu de lit, et le jeune Ramon, son nez aplati entre mes omoplates, ronfle. Je remonte en trébuchant la tranchée fangeuse, à travers le brouillard qui enroule autour de moi ses tourbillons de vapeur froide. J'escalade une crevasse à flanc de montagne et, arrivé à mi-hauteur, tout en tâchant de ne pas perdre l'équilibre, je déploie tous mes efforts pour arracher de terre une racine de romarin sauvage. Cependant que, là-haut, par-dessus ma tête, sifflent quelques balles perdues. Je suis couché par terre, caché au milieu de petits sapins en contrebas et à l'ouest du Monte Oscuro, en compagnie de Kopp, de Bob Edwards et de trois Espagnols. Des fascistes sont en train de gravir à la file, comme des fourmis, la hauteur grise, dénudée, qui se trouve sur notre droite. De tout près en face de nous, venant des lignes fascistes, une sonnerie de clairon retentit. Kopp capte mon regard et, d'un geste d'écolier, fait un pied de nez au son. Je suis dans la cour souillée de La Granja, parmi la foule des hommes qui se bousculent, leur gamelle d'étain à la main, autour du chaudron de ragoût. (...) Un obus arrive avec un sifflement déchirant. Des enfants de quinze ans se jettent visage contre terre. Le cuistot disparaît derrière le chaudron. Chacun se relève l'air penaud, tandis que l'obus plonge et éclate cent mètres plus loin. Je fais les cent pas le long du cordon de sentinelles dissimulées sous les rameaux sombres des peupliers. (...) Alors que commencent à poindre derrière nous les premières lueurs jaunes d'or de l'aurore, la sentinelle andalouse, emmitouflée dans sa capote, se met à chanter. Et on peut entendre par-delà le no man's land, à cent ou deux cents mètres de nous, la sentinelle fasciste chanter aussi."
(PP 112-113).
Photo Capa (de même que la couverture en 10/18). DR.
Une heure dangereuse :
- "Ce fut à l'angle du parapet, à cinq heures du matin. C'était là une heure dangereuse parce que nous avions le lever du jour dans le dos, et si notre tête venait à dépasser du parapet, elle se profilait très nettement sur le ciel. J'étais en train de parler aux sentinelles en vue de la relève de la garde. Soudain, au beau milieu d'une phrase, je sentis... c'est très difficile à décrire ce que je sentis, bien que j'en conserve un souvenir très vif et très net.
Généralement parlant, j'eus l'impression d'être au centre d'une explosion. Il me sembla y avoir tout autour de moi un grand claquement et un éclair aveuglant, et je ressentis une secousse terrible - pas une douleur, seulement une violente commotion, comme celle que l'on reçoit d'une borne électrique, et en même temps la sensation d'une faiblesse extrême, le sentiment de m'être ratatiné sous le coup, d'avoir été réduit à rien. Les sacs de terre en face de moi s'enfuirent à l'infini.(...) L'instant d'après mes genoux fléchirent et me voilà tombant et donnant violemment de la tête contre le sol, mais, à mon soulagement, sans que cela me fît mal. Je me sentais engourdi, hébété, mais je ne ressentais aucune douleur, au sens courant du mot."
(PP174-175. Une balle lui a traversé le cou).
A l'hôpital de Sietamo :
- "Ne tardèrent pas à apparaître à mon chevet deux camarades qui avaient obtenu la permission de quitter le front quelques heures.
"Salut ! Tu es encore de ce monde, hein ? A la bonne heure ! Nous voulons ta montre et ton revolver et ta lampe électrique. Et ton couteau, si tu en as un."
Et ils s'éclipsèrent en emportant tout ce que je possédais de transportable. C'était l'habitude chaque fois qu'un homme était blessé : tout ce qu'il avait était aussitôt réparti; à juste raison, car, au front, des choses telles que montres, revolvers, etc., étaient précieuses, et si elles s'en allaient avec le fourbi d'un blessé, on pouvait être sûr qu'elles seraient volées quelque part en cours de route."
(P. 178).
Démobilisé pour blessure de guerre, George Orwell quitte les hôpitaux militaires pour retrouver Barcelone où se donne la chasse aux membres du POUM, y compris ceux qui arrivent en permission du front !
Les communistes veulent liquider les trotskistes (de même que les anars) et les accusent d'être les complices des fascistes. Orwell et son épouse doivent fuir vers la France. Comme le feront des milliers de réfugiés tentant plus tard d'échapper aux fascistes victorieux.
Photo DR.
Note :
(1) Georges Kopp, ingénieur. Orwell le présente comme belge et même officier de réserve de l'armée belge. En réalité, d'origine soviétique, il n'avait immigré dans le Royaume que dans son enfance. Kopp avait fait réussi ses études à l'Université Libre de Bruxelles sans pour autant devenir un citoyen du Royaume. Marié avec une belge, il eut cinq enfants avant de divorcer. Selon Orwell, il avait fabriqué illégalement, fort de ses connaissances, des munitions pour le Gouvernement espagnol avant de partir comme volontaire en Espagne en octobre 1936. De simple milicien, il était devenu chef de bataillon du POUM. Disparu dans les prisons après son arrestation par des policiers gouvernementaux (et communistes), il était supposé fusillé lorsque cet Hommage... fut rédigé. Heureusement libéré quand les dirigeants du POUM furent acquittés des poursuites pour espionnage, Kopp entra à la Légion étrangère pour combattre les fascistes. Puis sous l'occupation, travailla pour les services britanniques. Un destin hors du commun évoqué par Paul Hermant lors de ses Chroniques sur Matin Première (RTBF-Radio).
3 commentaires:
Sur le même sujet, il y a également le très beau film de Ken Loach," Land and Freedom"
Très exactement, Amaryllis...
D'où un extrait de la bande son au bas de cette P. 78.
AVIS DE RECHERCHES :
espagnol militare ,fugitive 1947
maximo brasero codero
Estoy buscanco a una familia,llamado Abraham leonildo Montes Gomez,nacido en valdeverdeja -toledo el dia 15 de junio de 1926.deserto del el ejercito español en el año 1947 y se paso a francia.no hay nocias desde esa fecha .Sí aparece infomacion del familia en los achivos .agradezco ,vuestra colaboracion.
atentamente
MAXIMO BRASERO CORDERO
maxiforum@hotmail.com
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