DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

jeudi 8 janvier 2009

P. 66. Brens, un camp victime de sa réputation...

Brens : 15 mai 1940 - 4 juin 1944.

La page 64 de ce blog porte des parcelles des recherches photographiques de Nicole Bergé. Au départ des vestiges actuels de camps du Midi de la France, ces recherches tendent vers un "surréalisme", au sens de dépassement de la réalité pour mieux en éclairer les profondeurs (et les Belges sont supposés fin connaisseurs en la matière). En effet, par rapprochements, par concordances, par superpositions, par interpénétrations, par alliages, par alchimie finalement, Nicole Bergé va du particulier de chaque camp à un universel : le monde concentrationnaire, celui des victimes de la IIIe République puis de Vichy et des Nazis.

Parmi les reconstructions photographiques confiées à ce blog, Nicole Bergé propose celle-ci :
-
"...La rivière qui bordait le camp de Septfonds et la route qui longe le camp de
Brens (où toutes les baraques sont encore debout)".


Photo : Nicole Bergé (DR).

Si le nom de Septfonds (camp de Judes, lire page 64) parle à beaucoup, il n'en est pas nécessairement de même pour Brens (près de Gaillac). A moins que la rumeur stigmatisant ce camp, ne soit toujours chargée d'une "mauvaise réputation" trouvant son origine dans les droits communs de ce camp.

Et cependant Brens n'a pas manqué d'appellations toutes au plus officielles les unes les autres :

- "Camp d'accueil pour réfugiés",
- "Camp d'hébergements pour réfugiés juifs étrangers",
- "Camp de concentration pour femmes"...

Tout commence par 20 baraques, ouvertes le 15 mai 1940. Les réfugiés mis dans ce camp proviennent, pour un millier d'entre eux, des routes de l'exode au départ de la Belgique. Des familles polonaises vivent sous les mêmes toits ainsi qu'une trentaine d'Espagnols ayant fui Franco et sa dictature triomphante.

En novembre 1940, Brens atteint le chiffre de près de 1.600 réfugiés. En effet, le camp s'élargit aux juifs étrangers dispersés jusque-là à Toulouse et dans sa région.

Mars 1941 : Vichy manifeste son zèle mortifère dans la persécution des juifs. Ceux de Brens sont transférés à Noe et à Récébedou avant Drancy puis Auschwitz et leur extermination.

Le 14 février 1942, Vichy colle un nouveau statut officiel à Brens : celui de "camp de concentration" pour femmes. Les premières, au nombre de 320, provenaient de Rieucros. 26 enfants partageaient leur sort.
Les barbelés enferment dès lors une minorité de prisonnières "politiques" : des résistantes et/ou des communistes, et/ou des syndicalistes, sans oublier des espagnoles dont l'exil n'avait pas brisé les idéaux. Autre minorité, plus réduite encore des prisonnières "raciales" : des internées juives.
Quant à la majorité des femmes de Brens, elle est composée de "droit commun ", telles des prostituées (d'où une réputation négative stigmatisant ce camp de femmes).

Photo : Entrée du camp. Dossier d'inspection, 17 août 1942. DR.
A noter que les clichés de cette inspection sont extraordinairement vides d'internées. A l'exception de cette vue gadoueuse, les autres photos sont "nickels" : camp rangé, ripoliné, "exemplaire"...

Le 23 mars 1943 : les proportions s'inversent. Les "politiques" deviennent majoritaires et obtiennent enfin leur séparation d'avec les "droit commun".

Un an après, le 25 mars 1944, les dernières juives du camp sont envoyées vers la mort.

Le 4 juin 1944 : un contingent de 150 femmes est transféré au camp de Gurs. Brens est fermé.

Deux précisions encore :

- En 1991 a été créée une "Association pour Perpétuer le Souvenir des Internées des Camps de Brens et de Rieucros" ( mise en garde : le lien ouvre un site dévoré par des publicités intempestives).

- En septembre 1969 a été inaugurée une stèle avec ce message " Ici vécurent aux côtés de Résistantes Françaises, des femmes antifascistes d'autres pays réfugiées sur notre sol. Parmi elles, le 26 août 1942, des femmes allemandes et polonaises furent déportées à Auschwitz d'où elles ne sont jamais revenues. Hommage à leur mémoire ".

"Des femmes allemandes et polonaises furent déportées à Auschwitz"... Sans polémiquer, mais enfin, comment rester impassible : voilà une occultation de plus. Ces femmes ont été mises à mort car juives, parce que nées d'une mère juive, dans le contexte très spécifique de la Shoah. Et non parce qu'Allemandes ou Polonaises. Pourquoi avoir préféré le taire ?

1 commentaire:

Denis Wénisch a dit…

Vous avez raison de signaler que le site de l'Association pour perpétuer le souvenir des internées est dévoré par les publicités intempestives. On peut même dire que ce sont des publicités "collantes", dont il est très difficile de se débarrasser!