DANS LA MARGE

et pas seulement par les (dis) grâces de la géographie et de l'histoire...

jeudi 26 mars 2009

P. 93. De provocation en profanation, le FN...

Même si ce blog est actuellement soumis à des tentatives de mise à mal par internet, pas un mot ne sera évidemment changé à cette page.

Affiche de Louis Aliot, candidat FN aux Elections européennes (circ. Sud-Ouest). Une récup aussi énorme que décomplexée ! DR.

Tandis que Le Pen, en caporal du révisionnisme,
passe en détail sa complicité pour
"crimes de guerre et contestation de crime contre l'humanité",
le FN, soucieux de ne pas être en reste,
fait voter pour lui un mort
et qui plus est, Jaurès, assassiné par l'extrême-doite.

Bon, que Le Pen reste fidèle à ses schémas mentaux, quoi d'étonnant ? Chaque fois que sa galère est au creux de la vague, quand il est en manque grave des feux de la rampe médiatique, il sort une petite phrase longuement mastiquée comme un pain, mais de plastic.
Il vient de remettre les couverts au banquet de la réécriture de l'histoire. Insultant à nouveau et avec une insistance morbide, tous les persécutés de la Shoah, tous les résistants ainsi que toutes les victimes du système concentrationnaire.
Cette fois, il a choisi pour plateau le Parlement européen. A Strasbourg, où soit dit en passant, il est actuellement interdit d'arborer des drapeaux pacifistes à sa fenêtre.
Voilà peut-être qui va éclairer ou du moins refroidir des députés européens qui, à droite, passaient à Le Pen bien des insanités, tant qu'elles étaient proférées ailleurs...

Pas la peine de s'apesantir. Un seul souhait. Pour une séance d'ouverture précédente, le Parlement européen avait déjà été présidé par un facho français : Claude Autant-Lara. Ce ne fut pas glorieux. Prière de ne pas répéter à l'ouverture à venir avec un Le Pen triomphant dans le fauteuil présidentiel !!!

Le Pen, c'est un FN avec toutes les nostalgies collabos. Parfois, à en croire des déclarations de sa fille Marine, ce parti extrémiste souhaiterait se distancier ou du moins dépasser ce passé pétainiste.
Mais pas nécessairement pour aller de l'avant comme le démontre une campagne d'affiches entamée dans le Sud-Ouest et qui tente de récupérer ni plus ni moins que la mémoire de Jaurès !

Il me souvient qu'ado et en classe de 5e latine, je lisais le "Discours de la jeunesse" au cours de math. Avec trop peu de discrétion sans doute. Puisque le prof interrompit son exposé pour me demander ce que j'avais entre les mains. Au vu de la brochure, il m'a demandé de monter sur l'estrade (et oui, c'était encore ainsi) pour tracer devant mes condisciples les grandes lignes du discours prononcé par Jaurès lors de la remise des prix au Lycée d'Albi en 1903 :

Jaurès :

- "Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire : c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe."
(Discours à la jeunesse).

Pas plus qu'alors, Jaurès n'est devenu à mes yeux une statue. Et ce n'est donc pas une image, son image qui est délibérément holdupée par le FN. Mais celui-ci falsifie tellement l'Histoire de France que c'en est presque hallucinant !
Car Jaurès fut incroyablement calomnié par l'extrême-droite qui voulait et obtint sa mort. Deux exemples pour ne pas étouffer sous les infâmies : Daudet et Maurras.

Léon Daudet :

- "Nous ne voudrions déterminer personne à l’assassinat politique, mais que M. Jaurès soit pris de tremblements ."
(Action française, 23 juillet 1914).


Charles Maurras :

- "Mlle Jaurès"... "le social¬demokrat Herr Jaurès".

Charles Péguy, lui-même, n'était pas reste :

- "Ce traître par essence (…) a essayé de trahir la France même au profit de la politique allemande. Et la politique allemande la plus bourgeoise. Il a rencontré ici une résistance qui doit l’avertir de ce qui l’attend dans le honteux couronnement de sa carrière. […] Ce tambour-major de la capitulation est le pire des criminels."
(1913, cit. feuilleton de Pierre Lepape, Le Monde des livres, 18 février 2000).


Caricature signée René Albert dans Le Charivari du 21 avril 1903 (DR).

Le 31 juillet 1914, Jaurès était assassiné par Raoul Villain. Paradoxe des paradoxes : celui-ci échappa à la guerre de 14-18 qu'il passa paisiblement derrière les barreaux. Le 29 mars 1919, un Tribunal l'acquitta ! Et Mme Veuve Jaurès d'être condamnée à payer les frais de cette parodie de procès.

Jaurès (dans une réponse post-mortem) :

- "C’est une invincible espérance qui vit en nous ; et notre allégresse se rit de la mort ; car la route est bordée de tombeaux, mais elle mène à la justice."
(Janvier 1914).


Madeleine Rebérioux, présidente de la Société d’études jaurésiennes :

- "Sa pensée socialiste a été détruite par la guerre de 14-18 et les restes furent dépecés après la scission du congrès de Tours, en 1920. Certains politiciens d’aujourd’hui aiment se référer à lui parce qu’il était d’une honnêteté sans faille. Il faut rappeler qu’il n’a jamais gouverné. Mais ses idées étaient d’une grande portée. Il a écrit des choses magnifiques, essentielles, sur la meilleure façon de combattre le chômage, par exemple. Il était internationaliste, pas mondialiste, « cette bouillie pour les chats », disait-il. Lorsqu’il eut découvert la classe ouvrière, à Carmaux, Jaurès fit preuve d’une incomparable capacité à lui dire la vérité."
(La Dépêche, 13 février 2000).


Avant "certains politiciens d'ajourd'hui", et particulièrement avant le FN, le régime de Vichy tenta déjà d'assassiner une seconde fois "l'humaniste rêveur" que reste Jaurès.
D'une part, ses statues ont été frappées d'interdit tandis que les rues portant son nom étaient rebaptisées ( souvent par le nom de Pétain, ce qui est indubitablement symbolique). A Albi, par exemple, son buste fut jeté dans les eaux du Tarn.
Mais deux ministres de Vichy au moins, Marcel Déat et Adrien Marquet, voulurent mettre la pensée jaurésienne à la sauce collabo. Echec sur toute la ligne. Forcément.

Assassinat de Jaurès, le 31 juillet 1914 (DR).

Plus récemment, le candidat à la Présidence Sarkozy puis Le Pen himself estimèrent que de nouvelles tentatives de récupération ne seraient pas superflues. Le Premier dans un discours tenu à Poitiers le 26 janvier 2007 pour mieux utiliser Jaurès en démolissant le socialisme d'aujourd'hui. Le second début avril 2007 pour faire vibrer les bonnes vieilles fibres patriotiques.

Gérard Noiriel :

- "Le candidat de l’UMP est contraint (…) d’intégrer dans son cercle des héros nationaux disparus, des figures venues de droite comme de gauche.
Le récit mémoriel a pour fonction de gommer leur appartenance partisane, pour persuader le public que leur qualité première tenait justement au fait qu’ils avaient su dépasser les limites de leur parti. C’est le principal critère qui permet au candidat de l’UMP de rassembler dans son Panthéon personnel des hommes politiques aussi différents que Napoléon, Jaurès, Clemenceau, de Gaulle, et même Mitterrand (…).
Ce discours mémoriel a donc pour première fonction de convaincre le grand public que le candidat de l’UMP est le digne héritier de ces héros nationaux. Mais il a aussi pour but de fabriquer un consensus occultant les rapports de pouvoir et les luttes sociales. Le discours de Poitiers est une sorte de Disneyland de l’histoire dans lequel il n’y a que des gentils, des hommes bons. La « captation d’héritage » est aussi un détournement destiné à occulter le fait que les leaders du mouvement ouvrier, comme Jaurès et Blum, ont été avant tout des militants, au coeur des combats politiques de leur temps."
(Site Comité de Vigilance face aux Usages publics de l’Histoire).


Gilles Candar :

- "Jean-Marie Le Pen (…) dans Le Monde du 5 avril 2007 se réclama du patriotisme de Jaurès. La ficelle était un peu grosse et la malice du leader de l’extrême droite ne cherchait sans doute même pas à tromper qui que ce soit. Les tombereaux d’injures de la droite nationaliste contre Jaurès – qu’il s’agisse de son opposition à la guerre du Maroc, de ses efforts pour un règlement pacifique des rivalités européennes, ses combats pour une République sociale, laïque, démocratique –, le souvenir de Maurras, Daudet, et même Barrès, n’ont pas tenu dans la balance face au plaisir que cette provocation a dû procurer à son auteur. Cette incursion jaurésienne n’alla pas bien loin, et, avec d’autres expérimentations du Front national, elle paraît avoir contribué à la désorientation de son électorat plus qu’à autre chose."
(Jaurès.info : Jaurès en campagne).


Jaurès tribun. Meeting le 25 mai 1913 (Graph. JEA/DR).

Chacun avec son style et avec ses intentions : Daudet, Maurras, Péguy, Déat, Marquet, Sarkozy, Le Pen. Voici un certain Louis Aliot qui s'ajoute à la liste de ceux qui tentent de faire tourner les tables de l'Histoire au nom de Jean Jaurès.

Jaurès :

- "C'est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source."


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