jeudi 3 juin 2010

P. 291. Prévert : "Ils n'ont pas fini de déconner"...

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Cimetière d'Omonville-la-Petite (Ph. JEA/DR).

Prévert
(et les souvenirs de sa bande)
mis aux enchères


AFP :

- "La petite-fille de l'artiste, Eugénie Bachelot Prévert, qui assure la conservation de l'héritage de son grand-père au sein de la société Fatras (du nom d'un des recueils de poèmes de Prévert), a choisi de mettre sur le marché une partie de ce trésor.
Cette collection est trop lourde à entretenir."

Prévert :

- "Quand la morale fout le camp, le fric cavale derrière."

Le Point.fr :

- "Les souvenirs se ramassent à la pelle cette semaine à Paris, où l'univers du poète Jacques Prévert et de ses amis artistes est mis en vente pour la première fois par sa petite-fille et unique héritière. Visibles à partir de mardi dans les locaux de l'étude Ader, rue Favard, les objets - livres dédicacés, courriers, tableaux, dessins, manuscrits - seront dispersés le 9 juin à Drouot.
(1 juin 2010).


Hortensias à Omonville-la-Petite (Ph. JEA/DR).

Zut pour les chiffres, mais combien entrèrent en poésie en ouvrant Prévert comme une caverne nous laissant babas ?
Combien de mômes refusèrent-ils de se laisser traiter d'ânes en relisant ce que Prévert leur envoyait sous forme d'avions en papier par-dessus les murs des écoles ?
Combien de mois jalousèrent-ils octobre et le groupe de copains d'abord à la Prévert ?
Combien de visiteurs attendent-ils encore le soir pour rêver des châteaux de sable ?
Combien de paroles se donnent-elles toujours rendez-vous sur les quais de la vie, profitant des brumes pour s'égarer puis se retrouver ?
Et tous ces collages qui décolaient des fausses banalités pour s'envoler vers des détournements d'aéronefs ou de dirigeables pacifistes et de galaxies ?

Prévert :

- "J’écris pour faire plaisir à quelques uns et pour en emmerder beaucoup".

Et oui, plaisirs de voir que ses pages ne se froissaient pas d'être tant retournées sous toutes leurs lectures même par des mains hésitantes, puériles, crevassées, sans grande ligne de survie.
Que les craies de son écriture créaient comme le soleil finit toujours par se lever, aussi contrarié, aussi déblatéré ou aussi amateur de hamac soit-il. 
Que les éclats de rire ne retombaient pas aux pieds des lecteurs, ne les blessaient pas mais, au contraire leur faisaient comme du bouche à bouche...

Dernière demeure de Prévert à Omonville-la-Petite - Cotentin (Ph. JEA/DR).

Or donc voici le temps des récupérations, des marchandages, des coups de marteaux de commissaires priseurs sur le cercueil du poète.
"Prévert à Drouot", on croirait un titre revanchard.

A combien estiment-ils les ombres de Prévert ?

Entre 200 et 300.000 E :
le manuscrit original - 150 pages - du scénario du film "Le Quai des Brumes" (Marcel Carné, 1938).

Entre 120 et 150.000 E :
Les baigneurs, une toile de Picasso.

Entre 100 et 150.000 E :
portraits de Pablo Picasso avec un texte de Prévert (cartonnage toile d’éditeur).

Entre 80 et 100.000 E :
dessin de Picasso et texte du toréador Dominguin.

Entre 40 et 50.000 E :
le scénario des "Visiteurs du Soir" (Carné, 1942).

Entre 30 et 40.000 E :
le manuscrit original de la chanson "Les Feuilles mortes".

Entre 15 et 20.000 E :
- Picasso, enveloppe dessinée aux crayons de couleur ;
- une lettre de Miro à Prévert.

Entre 1.500 et 2.000 E :
dessin original et notes de Prévert.

Mauzac (Ph. JEA/DR).

Les feuilles mortes :

- "Oh! je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux où nous étions amis
En ce temps-là la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle
Tu vois, je n'ai pas oublié...
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi
Et le vent du nord les emporte
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois, je n'ai pas oublié
La chanson que tu me chantais.

REFRAIN :

C'est une chanson qui nous ressemble
Toi, tu m'aimais et je t'aimais
Et nous vivions tous deux ensemble
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi
Mais mon amour silencieux et fidèle
Sourit toujours et remercie la vie
Je t'aimais tant, tu étais si jolie,
Comment veux-tu que je t'oublie ?
En ce temps-là, la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui
Tu étais ma plus douce amie
Mais je n'ai que faire des regrets
Et la chanson que tu chantais
Toujours, toujours je l'entendrai !

REFRAIN

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17 commentaires:

  1. Merci pour cet article excellent, avec ses photos précieuses.

    En lisant l'info dans "Le Monde", et en la rapprochant de votre billet d'hier, je me suis souvenu de l'expo Prévert à la mairie de Paris qui avait eu un grand succès, et puis évidemment de la vente à l'encan de la "collection André Breton", salle Drouot, en avril 2003.

    La petite-fille de Prévert, si elle s'imagine déjà en conservatrice de musée grâce aux fonds récoltés par la vente d'objets, lettres, documents, oeuvres d'art, livres... ayant appartenu à son grand-père et qui auraient pu - paradoxalement - enrichir ce futur lieu assez improbable, ne manque pas d'air vicié.

    La réponse la plus courte de Prévert à cette grotesque initiative, qui a dû faire "bachoter" la donzelle, serait sans doute celle d'une célèbre photo du poète faite par Robert Doisneau : sa tête cachait juste une lettre de l'enseigne d'un magasin parisien appelé Merode ; on pouvait lire alors, en lettres capitales, le nom ainsi transformé : MERDE.

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  2. @ D. Hasselmann

    Préparant cette page, je suis tombé sur une interview de cette petite-fille. Voir le site de Paris Match. Style : je bavasse sur ma mère et sur mes grands-parents. Là, elle vend des "secrets" de famille comme une gamine prête à beaucoup pour qu'on parle aussi d'elle, se faire plus qu'un prénom. C'est tristement réussi.

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  3. Après Gracq, après...
    Merci Grand-père.
    et, pour que ce pauvre commentaire soit enregistré, je dois taper "proffi" (faute d'orthographe en plus)

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  4. @ brigetoun

    des veuves pas joyeuses, de jeunes dames indignes, des héritiers qui veulent un trône...

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  5. La conservatrice de musée démarre mal !

    "Il posa son chapeau sur le lit
    et derrière lui le malheur vêtu
    en petite soeur de la
    Miséricorde
    pénétra dans la chambre
    et de sa voix de bistouri
    il mit à vif
    la cicatrice de l'oubli.

    - Nous avions de quoi vivre
    Pourquoi as-tu agi ainsi ?
    [...]"

    Jacques Prévert, "Soleil de nuit : Le Salut", Ed. Gallimard, 1980

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  6. @ Danièle Duteil

    Une "conservatrice" qui commence par vendre les pièces les plus précieuses d'un futur musée, c'est tenter de nous faire prendre les vessies des marchands du temple pour des lanternes de la poésie...

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  7. C'est bien triste et regrettable que les souvenirs d'une vie s'envolent on ne sait où pour une poignée d'euros. Le fric se ramasse à la pelle, mais pas
    les souvenirs qui, espérons le ne dormiront pas dans un quelconque tiroir .
    Dans quelques années que restera t'il de tout cela ?
    Les hommes sont ainsi et l'on ne peut rien y faire.

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  8. @ Daniel Duteil (bis)

    cette invitation à cliquer pour un saut vers votre site et votre hommage à Prévert

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  9. @ Vérité

    Prévert :
    - "Quand la vérité n'est pas libre, la liberté n'est pas vraie."

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  10. Prévert chez Drouot - l'argent n'a pas d'odrouodeur.
    Merci, JEA, pour ces cailloux sur la tombe du poète et la photo de sa maison.
    Et voici une autre pierre précieuse:

    " Etre ange

    Être ange
    C'est étrange
    Dit l'ange
    Être ange
    C'est étrâne
    Dit l'âne
    Cela ne veut rien dire
    dit l'ange en haussant les ailes
    Pourtant
    Si étrange veut dire quelque chose
    étrâne est plus étrange
    qu'étrange
    Dit l'âne
    Étrange est
    Dit l'ange en tapant des pieds
    Étranger vous-même
    dit l'âne
    Et il s'envole."

    Jacques Prévert

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  11. @ Tania

    parfois, l'âne est d'origine écossaise et ne souhaite pas que son nom reste à la postérité...

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  12. laissons-leur le "fratras" temporel et gardons les "paroles" éternelles : mais effectivement c'est un triste "spectacle"

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  13. Je voudrais tant qu’elle se souvienne
    Des jours aux souvenirs réunis
    Les feuilles vont en ramener à la pelle
    Et puis les feuilles seront désunies...


    Oui, étrange de se délester de ses biens les plus précieux sous prétexte de pouvoir conserver le sanctuaire où ils sont conservés.
    Sans doute que le sens artistique et des valeurs n’est pas héréditaire …

    Même si Prévert n’a que faire des regrets, nous regrettons bien cette triste situation …

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  14. @ Carole et Saravati

    merci pour cette précieuse conclusion,
    Saravati en connaît également le secret, de ces quelques mots qui font néanmoins le tour du monde plus vite que la lumière

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  15. Et sans doute le plus terrible, dans tout ça, en tout cas aussi terrible que le petit bruit de l'oeuf cassé sur le comptoir, c'est qu'avec cet article excellent - je rejoins Dominique Hasselmann - vous n'évoquez rien d'autre que la routine.

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  16. @ Chr. Borhen

    Profitant lâchement de votre passage ici, je m'interroge sur les indulgences du climat par chez vous... Hier, ne dressiez-vous pas une échelle pour les premières cerises ?
    Ici, même avec une loupe, les merles restent bredouilles.

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